M. le comte de Quélen, archevêque de Paris, ayant été élu par l’Académie française à la place vacante par la mort de M. le cardinal de Bausset, y est venu prendre séance le 25 novembre 1824, et a prononcé le discours qui suit :
Messieurs,
Dès l’instant où d’amicales confidences me donnèrent lieu de croire que vos suffrages presque unanimes m’appelleraient à siéger au sein de votre compagnie, et m’admettraient à partager les utiles travaux de cet Institut célèbre dont la gloire s’affermit et s’étend avec la gloire de la France, j’ai dû m’étonner d’un honneur auquel j’étais loin de prétendre. Incertain, et cependant jaloux de répondre à votre attente ainsi qu’à vos désirs, j’ai dû rechercher et discuter avec moi-même les motifs qui pouvaient à la fois justifier votre choix et rassurer ma confiance.
Sans doute, Messieurs, que vous n’avez à rendre compte à personne des raisons qui vous déterminent, lorsque vous vous associez un nouveau confrère. L’Académie retiendra toujours comme la plus chère des prérogatives que ses augustes protecteurs lui ont assurées et dont elle n’abusera jamais, celle d’élire avec indépendance, et de se perpétuer en toute liberté ; prérogative sans laquelle il lui faudrait renoncer à l’existence même ! Mais il en est des faveurs de la littérature comme de celles que distribue à son gré la puissance souveraine : si la source d’où elles découlent est respectée, celui qui les reçoit est soumis à un jugement d’autant plus sévère qu’il a plus de concurrents et de rivaux, et qu’il a besoin de titres plus incontestables à la préférence dont il a été l’heureux objet.
Or, Messieurs, c’est en vain que j’aurais essayé de trouver, parmi ceux qui doivent vous être le plus ordinairement présentés, des titres suffisants qui m’autorisassent à vous demander l’entrée dans votre société savante. Les plus subtiles illusions de l’amour-propre ne m’eussent pas trompé jusqu’à ce point, et je doute que toute l’indulgence qui rehausse ici l’éclat des talents pût aller jusqu’à cet excès de condescendance, que de supposer une réalité là où il n’y a pas même de fiction.
Si le passé ne peut vous assurer autan mérite, l’avenir du moins vous en promettrait-il d’assez certains pour que vous dussiez, Messieurs, les prévenir et les encourager d’avance ? Eh ! quelle ressource, quelle production digne de la première école du savoir et du bon goût pourriez-vous donc attendre d’un homme trop peu familiarisé avec les travaux qui vous occupent, attaché sans partage à des devoirs auxquels ne suffisent pas les soins d’une vie tout entière, et qui d’ailleurs, chargé par état de prêcher l’Évangile des pauvres et la parole de la Croix, doit toujours avoir à la pensée cette leçon divine : « Gardez-vous de rechercher la gloire des paroles ; ne vous embarrassez, pas dans la multitude des discours habilement arrangés ; le Seigneur est le Dieu des sciences, et cependant il a voulu soumettre sur la terre les plus fières intelligences et les génies les plus élevés, par la simplicité d’un langage auquel il a donné toute la force de la persuasion. » Nolite multiplicare loqui sublimia gloriantes… quia Deus scientiarum Dominus est.
Le souvenir et les exemples de deux illustres pontifes, qui, assis comme moi sur le siège de la capitale des lettres, ceignirent avec hardiesse le laurier académique, ne pouvaient non plus m’autoriser à prétendre au même avantage. Ils étaient du grand siècle ; ils vivaient sous un roi que l’antiquité païenne aurait placé au rang des demi-dieux ; à qui nos arts dans leur enthousiasme, et notre poésie dans sa licence, se permirent de décerner les honneurs d’une mythologique apothéose ; mais qui, trop grand pour se laisser enivrer par l’encens de la flatterie, sut abaisser sa gloire devant la majesté du maître de l’univers. Ils appartenaient à ces temps presque fabuleux, quoique nous y touchions encore, où les hommes de talent, semblables à ces héros fameux dont notre enfance a suivi les exploits, embrassaient les plus périlleuses entreprises, et se jouaient avec les dangers. C’étaient, pour parler sans figure, de ces hommes qui possédaient le secret si heureux et si rare d’allier avec autant de facilité que de noblesse les occupations en apparence les plus incompatibles, et qui maniaient avec un égal succès, le glaive de la parole sacrée, et la plume de l’écrivain profane. Successeur de leur autorité, je n’ai point hérité de leur force ; et si l’Académie compte, comme autrefois, parmi ses membres, un archevêque de Paris, ce ne sera, Messieurs, ni l’historien de Henri IV, ni le précepteur de Louis XVI, ni le plus facile des orateurs, ni l’administrateur habile, ni le continuel et presque l’unique président du clergé de France ; ce ne sera ni Hardouin de Péréfixe, ni Harlay de Chanvalon.
Et encore, à qui devais-je être substitué, Messieurs ! et quelle comparaison à faire, ou plutôt quelle comparaison à craindre ! À peine si j’ose nommer celui auquel je m’étonne de succéder ; à peine, malgré l’obligation où je suis de me conformer à vos usages, si j’ose essayer son éloge, de peur que la faiblesse du panégyriste ne vous montre trop à découvert le vide que vous n’avez pu combler, et que vous apercevriez encore davantage, si j’avais le bonheur de m’élever jusqu’à la hauteur de mon sujet. Prélat plus éminent encore par les qualités qui le distinguaient, que par les honneurs dont il était revêtu, digne d’appartenir aux plus beaux âges de l’Église et de la monarchie, d’y figurer avec honneur parmi les hommes les plus célèbres, et d’illustrer comme eux les différentes époques de l’histoire : celle de la persécution, par le courage de sa foi ; celle du calme et de la paix, par sa sagesse et la douceur de son gouvernement ; celle de la décadence et de la barbarie, par son amour pour l’étude et son application à garder le feu sacré de la science ; celle de la renaissance des lettres et de la restauration du savoir, par son empressement et sa fidélité à leur apporter le trésor qu’il avait amassé dans sa retraite ; celle de la chute des grandeurs et de la confusion des rangs, par la facilité de son désintéressement et la noblesse de son caractère ; celle du rétablissement des distinctions et des titres, par un mélange de dignité et de modestie qui lui conciliaient la vénération et l’amour ; celle de la division et des discordes par son adresse à manier les esprits et à ménager les intérêts les plus divers ; celle des embarras et des négociations, par sa prudence dans les affaires et son habileté à dénouer toutes les difficultés ; celle, je ne dis pas de la chevalerie, trop étrangère à son état, mais celle de la politesse et de l’urbanité française, par l’aménité de ses manières, la grâce de ses discours, le charme attachant de sa conversation, et, ce qui est bien plus précieux encore, surtout dans le temps où le ciel l’a fait vivre, par son égalité d’âme, la sensibilité de son cœur, sa délicatesse et sa constance en amitié.
Voilà le cardinal de Bausset, Messieurs ; si le portrait n’est pas achevé, l’esquisse est fidèle. Vous l’avez reconnu, vous savez si c’est une exagération, ou bien si ce n’est pas un de ces traits de caractère qui fixe la ressemblance, que de dire de lui, qu’il n’est point de siècle où sa place n’eût été marquée parmi les personnages qui ont paru avec le plus d’éclat sur la scène du monde. Nos anciens conciles auraient consulté son jugement comme sa mémoire, et nos assemblées politiques se seraient souvent dirigées d’après ses opinions ; les pontifes et les rois lui eussent confié le soin des causes les plus inextricables, et les plus honorables traités eussent été le prix de leur juste confiance : dépositaire des secrets de l’État, la fortune publique ne pouvait rien risquer avec lui, toujours elle lui eût été redevable ; les pays désolés par les guerres de religion eussent aimé à l’avoir pour évêque, et, sans blesser le dépôt de la vérité, sa charité industrieuse et persévérante fût parvenue à rapprocher les esprits les plus aliénés ; la Ligue et la Fronde eussent sollicité sa médiation, Henri IV et Anne d’Autriche l’eussent accordée ; dans la solitude des cloîtres, il eût été un cénobite savant et laborieux, comme il eût fait l’ornement et les délices de toutes les sociétés ; il aurait brillé chez M. le Prince, et on l’eût désiré chez la duchesse du Maine ; dans les salons du régent, il eût petit-être retenu, quelque temps du moins, la décence et le bon ton fuyant devant cette liberté cynique, qui osa traverser sans pudeur tout un règne, et qui ne s’arrêta un moment devant des fronts chastes et augustes que pour essayer de les noircir par ses calomnies, de les abattre par ses fureurs, afin de se livrer ensuite sans obstacle à toute la licence de ses débordements ; Richelieu l’aurait recherché ; Lamoignon et d’Aguesseau l’auraient appelé à leurs conférences ; Colbert et Louvois s’en seraient plus d’une fois rapportés à ses avis ; Racine et Boileau auraient profité de sa critique ; Bossuet n’aurait pas dédaigné de le choisir pour arbitre, et Fénelon en eût fait son ami ; Louis XIV l’eût goûté sans le craindre ; il l’eût admis dans ses conseils ; il lui eût confié volontiers le soin difficile d’élever le dauphin ou le duc de Bourgogne, il eût demandé pour lui la pourpre, et Rome eût répondu avec joie à son royal désir.
Qu’on ne m’accuse pas, Messieurs, de composer un tableau de fantaisie ; je ne fais que copier celui que nous présente la vie tout entière du cardinal de Bausset.
Notre patrie ne l’a pas vu naître ; la France le reçût dans son sein, avec les richesses des deux Indes, comme un doux parfum dérobé à l’heureuse Arabie, ou comme une pierre d’un prix inestimable choisie sur les bords du Gange. Une célèbre école, que je ne puis nommer sans éprouver les émotions de la piété filiale, lui donna les maîtres qui dirigèrent ses pas vers le sacerdoce ; et le prélat, qui passait alors pour le plus capable de former les autres aux grands travaux de l’épiscopat, prit soin de sa jeunesse. On sait comment il débuta dans la pénible carrière de l’administration, et comment il étonna ceux qui étaient les plus versés dans cet art au-dessus de tous les arts. Les églises de Digne et de Sénez lui durent, l’une sa paix, l’autre son existence. Alais peuplé de protestants, l’accueillit comme un pasteur, le conserva comme un ami, et le regretta comme un père. Les états du Languedoc lui confièrent leurs plus chers intérêts, et son mémoire sur le gouvernement intérieur de cette province, chef-d’œuvre de tact et de pénétration, atteste assez en quelles mains il était remis ; et sa première harangue prouve aussi comment il savait soutenir les honneurs de la députation. Dans des jours de tumulte, de spoliation et de tempête, il ne fit point entendre de paroles inutiles, de regrets impuissants, de plaintes superflues ; mais il écrivit, pour préserver le peuple fidèle du schisme et de l’erreur, ou pour le diriger dans les questions douteuses, des instructions et des épîtres où sont empreintes à chaque page une fermeté inébranlable pour la défense de la foi, une sage tolérance pour la liberté des opinions, une charité sans feinte pour, toutes les personnes. Banni par la terreur, il honora son exil ; prisonnier, il sut imposer à de farouches gardiens ; et, comme tant d’autres, il eût fait pâlir ses bourreaux, s’il n’eût échappé aux condamnations révolutionnaires. Libre, il servait la religion gémissante dans les catacombes du dix-huitième, siècle ; il fortifiait les rangs de la tribu sainte par la fécondité de son ministère et soutenait les églises éloignées de leurs premiers pasteurs, sans cesser de veiller à la garde de la sienne. Cependant il lui fallut se séparer de son cher troupeau ; ce sacrifice, que de brillantes espérances n’avaient pu lui arracher, il le fit au bonheur de tous ; ses adieux, où pour la dernière fois du haut de la chaire épiscopale il instruit et console, rappellent avec attendrissement ce supremum vale, dont saint Grégoire de Nazianze fit autrefois retentir la basilique de Constantinople. Ses loisirs ne furent point perdus ; vous savez, Messieurs, comment le cardinal de Bausset sut les employer à charmer les vôtres. Sa course n’était pas finie ; la légitimité lui préparait de nouveaux honneurs. Déjà, dans plusieurs circonstances, il avait servi la jeunesse ; placé à la tête de l’instruction publique, ses vues eussent profité à plusieurs générations ; mais une infirmité continuelle ne permettait plus au cardinal de Bausset que d’offrir la ressource des conseils. Combien ils devinrent précieux alors ! Il s’agissait de concilier les intérêts les plus importants et les plus délicats. Que de précautions à prendre ! que de préventions à détruire ! que de négociations au dedans et au dehors ! mais aussi, quelle sagacité dans le cardinal de Bausset ! De concert avec le cardinal de Périgord, dont j’oserais dire ici que la confiance et l’amitié valent à elles seules un éloge, si je n’avais été moi-même le tendre objet de l’une et de l’autre, il parvint à résoudre une grande question, à terminer heureusement un des différends les plus graves qu’aient jamais eus le sacerdoce et l’empire ; et l’Église gallicane, attachée à l’Église romaine par le fond de ses entrailles, a vu tous les rayons de son épiscopat se reporter et se concentrer au foyer commun, pour se réfléchir ensuite sur nous, et plus lumineux, et plus ardents, et plus purs. Pas un évêque qui ne voulût savoir ce que pensait le cardinal de Bausset ; pas un des ministres du temps qui ne le consultât, soit en secret, soit en public ; pas un auteur qui ne fût jaloux ou flatté de son suffrage ; pas un homme de goût ou de talent qui ne désirât l’approcher, et qui ne sortit d’auprès de lui avec une connaissance de plus. Dans la grave réunion des magistrats et des législateurs, presque toujours sa voix était prépondérante, et ceux mêmes qu’il n’avait pas convaincus demeuraient ébranlés. Le judicieux monarque qui régnait, sur la France, Louis XVIII, sut l’apprécier, et il se plut à réunir sur sa tête les deux plus éminentes dignités de l’Église et de l’État. Confesseur de sa foi, il n’avait pas tenu à lui de cueillir la palme des martyrs ; modèle de patience, de longues et cruelles douleurs, lui en firent mériter la couronne. Il est mort également regretté de toutes les classes de la société, où il comptait de vénérables, de nobles, de savants, d’estimables et de nombreux amis.
J’ai dû, Messieurs, m’abstenir de parler des ouvrages du cardinal de Bausset, de l’histoire des deux immortels pontifes dont il a, en quelque sorte, agrandi la mémoire. Cette tâche ou plutôt cet honneur appartient aux oracles et aux-juges ; et celui qui préside aujourd’hui notre exercice littéraire est capable de satisfaire les désirs les plus exigeants. Toutefois qu’il me soit permis d’ajouter aux éloges de l’académicien une parole d’action de grâces et un vœu qu’un évêque ne se lasse point de répéter, et qu’un Français ne se lasse point d’entendre : Bossuet et Fénelon ! béni soit le Seigneur, qui dans sa bonté vous a donnés à notre Église ! astres majestueux et bienfaisants qu’il a fait luire sur elle, l’un comme un soleil étincelant, qui, versant d’un bout à l’autre de sa course des flots de lumière, chasse les plus légères ténèbres devant les investigateurs de la vérité et force ses ennemis les plus rebelles à la reconnaître au grand jour où il les contraint de marcher ; l’autre, semblable au flambeau de la nuit, qui, répandant sa douce et mystérieuse clarté sur les pas du voyageur, le dirige dans son pèlerinage à travers les sentiers paisibles et les routes silencieuses où il aime à se cacher. Bossuet et Fénelon ! précepteurs chers aux princes, maîtres consommés dans l’art d’enseigner et d’instruire ceux qui doivent gouverner la terre ! ah ! daigne le ciel, pour confirmer sur nous ses miséricordes, vous susciter de nobles émules et de fidèles imitateurs ! Puissent votre sagesse inflexible et votre douce persuasion recevoir au sortir du berceau le royal enfant que la France s’enorgueillit d’avoir donné à l’Europe ! Puissent-elles, réalisant la fiction ingénieuse de l’indulgente Minerve cachée sous les traits du sévère Mentor, présider à une éducation d’où dépendent des destinées si hautes, et préparer à nos neveux un long règne de gloire et de prospérité !
Le nom du cardinal de Bausset retentira d’âge en âge avec celui de ces deux grands évêques ; et certes, Messieurs, la place qu’il s’est marquée désormais auprès d’eux dans votre compagnie, est trop élevée pour que j’eusse jamais le premier la pensée d’y monter et de l’occuper.
Aussi, loin de songer à briguer un honneur qu’il m’eût déjà suffi de mériter, j’accusais de trop aveugles amis d’oublier vos intérêts et de trahir votre gloire. Par une juste abnégation, j’allais renoncer sans retour à l’espoir qu’ils me donnaient comme certain, d’être favorablement accueilli par les maîtres de la littérature française ; et peut-être ne vous a-t-il pas échappé, Messieurs, avec quel embarras et quelle timidité j’ai rempli des devoirs que la bienséance et les égards, autant que vos règles et vos coutumes, exigent de ceux qui se proposent de siéger parmi vous.
J’hésitais donc, lorsque j’ai cru voir la religion applaudir au dessein qui me portait au sénat académique, approuver un projet que j’avais ignoré jusqu’alors, et prendre en quelque sorte sur elle la responsabilité des démarches que, sans elle, je n’aurais jamais entreprises. Serait-ce une illusion ? Il m’a semblé l’entendre m’inviter elle-même à la confiance, m’assurer que la réunion de vos suffrages sur ma tête ne serait, de votre part, qu’une obéissance à sa secrète impulsion ; qu’elle la regarderait comme un hommage de plus, que vous vouliez rendre en ma personne, et que mon élection à l’Académie française deviendrait l’époque de l’heureuse alliance qu’elle allait renouveler elle-même avec les sciences, les lettres et les arts.
Rassuré alors, je n’ai plus hésité, Messieurs, à rechercher un commerce qui me deviendra de plus en plus agréable et utile ; je suis venu et j’ai reçu de vous un accueil qui déconcerterait le mérite le plus recommandable. Maintenant je vous offre mes remercîments et mes services. Je ne suis sûr, il est vrai, que de ma reconnaissance ; pour le reste, je ne puis promettre que des efforts. Fidèle à cette vertu de cœur, je le serai aussi à des engagements que, toutefois, le temps qui affaiblit nos forces, nous rend chaque jour moins capables de remplir. Si je ne puis, à l’exemple de tant de prélats illustres, de tant d’ecclésiastiques distingués, qui appartiennent à votre compagnie, vous apporter des richesses, je chercherai auprès de vous des modèles. Je goûte d’avance l’inexprimable bonheur que doit répandre sur ma vie le spectacle de cette alliance si désirable des lettres, des sciences et des arts, renouvelée et cimentée pour jamais dans cette enceinte avec la religion.
Eh ! quel spectacle en effet, Messieurs, plus capable de porter dans l’âme le sentiment du bonheur, que celui que nous présentent la religion, les lettres, les sciences et les arts se prêtant un mutuel appui et se fortifiant de toute leur puissance ? La religion enflammant le génie par ses inspirations célestes, et en réglant l’emploi par ses invariables préceptes ; donnant les pensées sublimes, et modérant l’enthousiasme ; élevant l’âme jusqu’aux plus hautes conceptions, et la guidant pour l’empêcher de s’égarer dans l’usage des plus nobles facultés de son intelligence ; découvrant à l’homme mille moyens de satisfaire une émulation généreuse, et d’obtenir dans tous les genres une célébrité jusqu’à présent inaccessible ; car elle est la beauté toujours ancienne et toujours nouvelle ; mais aussi la religion le précautionnant contre les précipitations de la médiocrité, contre les inquiétudes de l’ambition, contre les singularités de l’orgueil et contre l’intempérance des passions. À leur tour, les lettres, les sciences et les arts, pleins d’une tendre reconnaissance et d’un respect filial pour cette suprême dispensatrice et cette régulatrice souveraine des talents véritables, s’empressant autour d’elle, afin de recueillir de sa bouche, de lire dans ses yeux, de saisir sur ses traits l’infaillible secret d’une gloire pure et sans mélange ; sortant d’auprès d’elle pour aller écrire ses leçons avec la plume de l’éloquence, les .graver avec le burin de l’histoire, les faire vivre sous le ciseau, les animer sur la toile, et venir ensuite lui faire hommage de ses propres dons.
Ah ! s’il m’était donné, Messieurs, de soulever un moment devant vous les voiles de l’avenir, et de vous montrer la gloire future de notre patrie sous le règne d’un monarque dont la piété est forte comme la puissance, et dont la foi, plus solide encore que le pouvoir, a résisté aux longues et violentes secousses qui avaient ébranlé son trône et renversé sa couronne ; vous la verriez, cette gloire dont nous devons tous être si jaloux, sortir comme d’une source abondante du sein de cette docte assemblée, où la volonté intelligente d’un roi réparateur a réuni, sous une loi commune, quoique avec des règlements divers, l’élite des sectateurs des sciences, des lettres et des arts, digne cortège d’un prince dont l’Europe a connu le savoir. Oui, que la religion répande constamment sur nous son esprit vivifiant, et sans cesse on verra se reproduire parmi nous les plus étonnantes merveilles. Alors on verra, pour parler avec un de nos célèbres poëtes latins, lever et se multiplier, comme les épis d’une riche moisson, de nombreux apôtres, qui s’élanceront dans la vaste carrière des connaissances humaines, avec ce courage, cette assiduité, cette persévérance que la religion inspire plus que l’amour de la louange, de la fortune ou du plaisir, mais aussi avec ce calme, ce désintéressement sincère, cette-chaste retenue et cette probité vigoureuse qui n’appartiennent qu’à elle. On verra naître et s’affermir le règne du bon goût, qui va s’affaiblissant toujours, et finit par disparaître avec l’empire de la religion. On verra les étincelles du talent dispersées par le souffle des ouragans sacrilèges, se ranimer et se réunir autour d’un institut français et religieux, afin de lui emprunter ses ardeurs et sa lumière, et lui servir en même temps d’aliment perpétuel. On verra enfin se succéder sans interruption, au sein des quatre académies, une suite de maîtres achevés, qui rivaliseront avec ceux qui les ont précédés, et les surpasseront même de tout l’avantage que-leur aura donné une divine influence. Ils atteindront cette perfection idéale, dont on ne se rapproche qu’à mesure qu’on s’en croit toujours plus éloigné, lors même qu’on la poursuit avec une modestie courageuse et un opiniâtre labeur. Ils formeront des disciples semblables à eux, qu’ils enverront comme des hérauts fidèles, proclamer, avec les talents et la vertu, la renommée de la France aux quatre coins de l’univers. Ils auront servi la religion, et la religion ne sera pas ingrate. Ils auront cherché sa gloire, ils trouveront la leur ; elle les récompensera par leurs propres services, en imprimant sur leurs ouvrages le sceau de son unité et son caractère de vérité, principe de tout ce qui est beau et de tout ce qui est bien en la terre comme au ciel.
Non, Messieurs, il me serait facile d’en fournir des preuves irrécusables sans sortir de cette enceinte ; il n’est point de talents naturels que la religion ne développe, qu’elle ne polisse, qu’elle n’encourage, qu’elle ne cultive, qu’elle ne perfectionne. Elle leur communique quelque chose de ce charme inimitable qui lui est propre, et que l’hypocrisie la mieux déguisée ne saurait feindre ; toujours elle les purifie, elle les préserve des erreurs qui trop souvent les déshonorent, et de la ruine où les conduisent quelquefois l’orgueilleuse impiété, le froid égoïsme, l’indifférence glaciale, l’amour-propre en dépit, la jalousie en fureur, et le vice dont les mains honteuses souillent tout ce qu’elles ont touché ; tandis que, par une réciprocité que la religion ne dédaigne pas, les vrais talents ambitionnent toujours de se consacrer à son service, de la mettre partout en honneur, de la soutenir, de la venger et de la propager.
Je ne parle, Messieurs, de l’influence de la religion que sur le monde intellectuel et non sur le monde social, et je ne crains pas d’affirmer que, partout où cette influence se fait sentir, tout ce qui est vrai, tout ce qui est sage, tout ce qui est juste, tout ce qui est bon et aimable, tout ce qui est capable de donner de la réputation et de l’établir, y domine également. Par elle, le style de l’écrivain est châtié, parce qu’elle lui impose le devoir de le soigner davantage ; les mouvements de l’orateur n’ont point d’exagération, parce qu’elle compose son maintien ; la plume de l’historien est fidèle, parce qu’elle en dirige le cours ; le censeur est sans amertume, parce qu’elle tempère la critique ; les lettres gardent leur noble intrépidité, sans dépasser les bornes d’une juste soumission. Le publiciste apprend d’elle à se défendre, par la solidité des systèmes, de l’indépendance et du despotisme, et à éviter ces deux fameux écueils qui se trouvent si près l’un de l’autre pour le pilote qui gouverne sur une mer orageuse. Le profond penseur, guidé par son autorité infaillible, ne se laisse pas égarer par la chimère de ses idées métaphysiques, et il sait humilier les obscurités de sa raison devant les ténèbres lumineuses de la foi. S’il ne la perd pas de vue dans la recherche des sciences exactes, l’infatigable calculateur franchit les espaces, s’élance au delà des temps, et par la force même de ses supputations, par l’impossibilité d’épuiser les nombres, il parvient avec elle jusque sur les bords de l’éternité, dont il est forcé d’adorer les abîmes, de craindre les châtiments et de désirer les récompenses. L’astronome, dans sa hardiesse, s’élève jusque dans la région des corps célestes, il en admire le bel ordre, il en suit le cours ; mais, afin de n’être point opprimé par la gloire, il n’entre sous ces pavillons magnifiques qu’avec des mains innocentes, des intentions droites ; il y porte un œil observateur, mais non pas indiscret, et il ne descend de la voûte étincelante que pour venir raconter les merveilles du Créateur, et chanter l’hymne de louanges qu’il a apprise dans les cieux. Le scrutateur de la nature ne se précipite pas en aveugle au milieu des volcans et de ses incompréhensibles phénomènes ; il ne veut pas se hasarder sans guide dans ce dédale obscur où la raison, abandonnée à elle-même, ne rencontre que des mystères en croyant surprendre des secrets ; c’est le livre de la révélation à la main qu’il étudie la nature, qu’il gravit les montagnes, qu’il s’enfonce dans le creux de la terre, et qu’il explique des énigmes, que l’incrédulité la plus subtile ne devinera jamais. Hélas ! il en est dans son propre cœur, que toutes ses théories ne pourraient lui dévoiler, et que la religion lui fait comprendre d’un seul mot. L’heureux habitant du Parnasse trouve des images et des figures dans ces cantiques du saint roi, qui attestent des connaissances si hautes et si variées, et dans les oracles des prophètes, dont le langage répond si bien aux choses qu’ils annoncent ; sa verve se ranime aux seules approches de ce feu divin, toujours elle s’y épure, et, quel que soit le sujet qui l’entraîne, il est sage jusque dans son délire ; avec les pinceaux de la religion il rend les passions plus au naturel ; et le tableau qui sort de ses mains n’est plus qu’une leçon qui les corrige, au lieu de devenir un aiguillon qui les excite et qui les encourage. Il n’est pas jusqu’au poëte léger qui ne lui doive une perfection, sans laquelle toutes les grâces des muses ne sont qu’un présent séducteur, parce qu’elle calme son imagination à ce moment presque imperceptible où il allait abandonner un innocent badinage, et faire divorce avec la raison, pour courir après une .aimable mais trompeuse folie.
Que les arts libéraux ne craignent pas de se voir arrêtés dans leurs progrès, lorsqu’ils auront fait alliance avec la religion. Elle ne condamne que la licence ; elle ouvre devant tout un vaste champ à parcourir ; elle offre à tous des modèles innombrables à imiter. Son histoire est une mine inépuisable qui peut tous les enrichir, il ne lui faut qu’une humble bergère pour les immortaliser ; seulement elle veut qu’ils se souviennent que pour obtenir les palmes qu’elle distribue, il ne suffit pas d’être habile, il faut encore être pudique ; à son école, la harpe de David ne gémit pas sous des doigts profanes, et la lyre d’Apollon, accordée par des mains angéliques, ne rend que des sons aussi purs que mélodieux ; Apelle et Zeuxis savent peindre la beauté sans outrager l’innocence, et la sévère Cornélie peut, sans rougir, contempler et montrer à ses jeunes enfants les chefs-d’œuvre de Phidias.
Salut, ô génie du christianisme ! toi, qui comptas toujours au nombre de tes plus belles conquêtes le royaume de Clovis, de Charlemagne et de saint Louis, et qui, après tant de fautes, après tant de dispersions et de discordes, reparus de nos jours pour réconcilier les lettres, les sciences et les arts avec la religion, comme tu as ensuite réconcilié la France avec la monarchie ! c’est toi qui dictas à un noble chevalier ces pages éloquentes qui préparèrent deux restaurations, monument durable d’une gloire que toutes les faveurs de la fortune et toutes ses rigueurs ne sauraient ni éclipser ni affaiblir : salut ! Achève maintenant ton ouvrage, couronne aujourd’hui nos vœux et nos espérances, étends sur nous ton double sceptre, celui de la science et de la morale. Confirme avec nous le pacte de ton alliance ; prête-nous ton assistance, accepte nos services. Écarte de ce sanctuaire les cœurs déréglés, les âmes irréligieuses ; verse sur nous tous ta chaleur et ton onction ; pénètre, échauffe, inspire ; opère en nous les prodiges des temps anciens, les merveilles des plus beaux jours ; et que sous ton action puissante le règne de Charles X très-chrétien et très-glorieux surpasse en grandeur, en magnificence et en félicité, tous ceux qu’ont admirés nos pères !