Rapport sur les concours de l’année 1838

Le 9 août 1838

Abel-François VILLEMAIN

RAPPORT DE M. VILLEMAIN,

SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

SUR LES CONCOURS DE L’ANNÉE 1838,

 

 

MESSIEURS,

Dépositaire de deux grands prix, l’un pour la littérature consacrée à la morale, l’autre pour la vertu manifestée par des actes, l’Académie n’éprouve guère d’embarras que sur la destination du premier de ces prix. Les traits de dévouement et de courage ne manquent jamais dans une grande nation : c’est l’honneur, c’est le droit de l’humanité. Les bons livres, inférieurs aux bonnes actions, sont plus rares ; et on ne saurait en espérer tous les ans.

L’Académie ne rencontrera pas souvent un ouvrage qui réponde tout à fait à la pensée du fondateur et à la sienne, un ouvrage où la vérité soit éloquente et populaire, qui saisisse fortement les âmes, et les entraîne vers un noble but, ou qui élève la raison publique, en la corrigeant de quelque préjugé funeste. De tels ouvrages se comptent à longs intervalles ; mais, toutes les fois que le bien aura été tenté, aura été voulu par l’écrivain, toutes les fois que son zèle a pour inspiration l’intérêt moral de l’homme et de la société, ses efforts méritent estime et faveur ; et on doit quelquefois à de semblables écrits la même récompense qu’aux actions vertueuses.

L’Académie, cette année, Messieurs, ne décerne pas le grand prix légué par M. de Montyon ; mais elle a remarqué plusieurs ouvrages, dignes de mentions et de médailles.

Le premier de ces ouvrages, qui reçoit une médaille de 4000 francs, l’essai sur la Démocratie nouvelle, de M. Edouard Alletz, semble, par le titre, et par l’honorable analogie de quelques principes, rappeler le beau travail de M. de Tocqueville, déjà couronné par le public et par l’Académie. Mais l’imitation est quelquefois un obstacle plutôt qu’un secours ; et ici le nouvel auteur essayait, à quelques égards une tâche plus difficile que celle de son éloquent devancier ; car il veut nous instruire, non de l’Amérique, mais de la France. Il n’a pas, pour nous intéresser, le tableau d’un autre monde, et le curieux contraste de mœurs étrangères. C’est notre état social, nos propres idées, nous-mêmes qu’il entreprend d’analyser à nos yeux. Il se fait notre interprète dans notre pays même, et notre traducteur dans notre propre langue.

Quelles que soient la candeur et la sagacité qu’on apporte à une œuvre semblable, on doit y rencontrer bien des contradicteurs. État politique, état moral, lois, enseignement public, littérature, société, famille, M. Alletz a tout jugé, ou du moins parlé de tout. Il décrit ce qui change encore ; il approuve ce qui n’est pas achevé ; il blâme quelquefois ce qu’il ne connaît pas assez : car qui peut tout connaître ? Il substitue souvent à la réalité les illusions d’un cœur honnête. Mais il a deux mérites incontestables en politique, il aime sincèrement les institutions de son pays, et ne se propose d’autre utopie que leur affermissement et leur progrès ; en morale, il est sévère sans amertume, et vrai sans satire. On peut ne pas toujours partager ses vues on l’estimera d’avoir offert à la France ce portrait d’elle-même, bienveillant, mais non flatté, souvent inexact, mais sincère. On en détachera çà et là quelques vérités toujours utiles à redire sur les droits du jury, sur l’action indispensable de la presse et le bienfait de la publicité. On lui saura gré de n’avoir jamais séparé la morale de la religion et de la liberté, c’est-à-dire, de la sanction qui la couronne et de l’épreuve qui l’ennoblit encore.

Ces motifs ont déterminé l’Académie à distinguer honorablement un ouvrage dont la lecture ne peut exciter dans les âmes que l’émulation du bien, et le sentiment des devoirs privés et publics.

Les livres qui entretiennent de telles pensées sont le meilleur correctif de cette licence d’imagination que M. Alletz reproche à notre temps, et qu’il explique par le scepticisme et l’amour-propre, en la nommant assez bien une terrible manière de faire du bruit.

Opposer à cet abus du talent un talent égal, consacré par un plus noble usage, serait un difficile effort ; mais quelquefois les faits eux-mêmes viennent aider et élever l’écrivain.

Il est des souvenirs historiques, des événements, des personnages qu’il suffit de reproduire, ou plutôt de dévoiler fidèlement à nos yeux, pour porter dans les âmes une impression de grandeur morale et une salutaire admiration de la vertu.

À ce titre, un livre d’histoire, et d’histoire contemporaine, a particulièrement occupé les débats de l’Académie ; c’est la vie d’un pontife, du pape Pie VII : et l’Académie n’a cru méconnaître en cela aucune des traditions de philosophie et de liberté qui lui sont chères. Il lui a paru qu’un des spectacles à jamais mémorables qu’avait offerts notre siècle, plus riche peut-être en grands événements qu’en grands caractères, c’était la lutte opiniâtre du pontife de Rome contre le dominateur de l’Europe.

Il ne s’agissait plus, en effet, des ambitieuses prétentions du pouvoir spirituel sur les empires de la terre ; il ne s’agissait plus même de la suprématie pontificale tout entière, mais de la liberté religieuse. C’était la lutte de la conscience contre la force doublée de génie. C’était, sous une forme sacrée, le dernier combat que l’intelligence rendait contre une puissance matérielle, sans contre-poids et sans barrière, qui ne renversait ou ne transférait les trônes, que pour mieux asservir toutes les pensées et toutes les volontés.

L’homme qui ne céda pas à cette prodigieuse puissance, ou qui du moins ne lui céda que dans des bornes convenues, et pour lui résister ensuite avec une inflexible douceur, le vieillard qui, sans soldats, sans défense, sans océan et sans déserts entre la France et lui, osa dire non à l’empereur et opposa les bulles de l’Église au conquérant qui avait brisé les constitutions des peuples, est un des plus beaux caractères qu’on puisse présenter en exemple à l’humanité, pour nourrir en elle le sentiment de sa propre grandeur et de sa liberté morale.

Ce caractère paraît et se soutient dans toute la vie de Pie VII, modéré, timide, indulgent, mais invincible dans sa patience. Pie VII est venu sacrer dans Paris l’illustre et heureux guerrier qui avait honoré les restes mortels du dernier pontife, épargné l’Italie conquise, pacifié la France victorieuse, rétabli l’ordre et la religion. Cédant à la victoire, comme à une volonté visible de Dieu, il est venu couronner empereur ce nouveau Charlemagne, plus extraordinaire que le premier, puisqu’il était sans aïeux. Mais le pontife romain s’arrête là, quoique déjà l’ambition du conquérant demande davantage. Ce consécrateur appelé avec tant de pompe, Napoléon voudrait en faire seulement le premier évêque de son empire. Il lui plairait de prendre Rome pour lui-même, et de donner l’église Notre-Dame au pape.

À peine les caresses et les fêtes du couronnement ont-elles cessé, qu’on murmure tout bas ce projet, et qu’on en obsède le pontife, en différant à dessein son départ. « Tout a été prévu, répond alors Pie VII. Avant de quitter notre ville de Rome, nous avons signé une abdication régulière, valable à l’instant même où nous serions retenu captif : elle est hors de votre pouvoir, confiée à un dépositaire prêt à la publier ; et quand on nous aura signifié ce qu’on médite contre nous, il ne vous restera plus dans les mains qu’un misérable moine, qui s’appellera Barnabé Chiaramonti. »

Devant cette sublime humilité, l’empereur n’insista pas ; et le pontife retourna libre à Rome. Mais son inquiet et puissant néophyte ne l’y laissera point en paix. Cette seconde lutte va durer quatre années, jusqu’au moment que, vainqueur sur de nouveaux champs de bataille, roi d’Italie, dictateur de l’Allemagne, Napoléon, par un décret, réunit Rome à la France, et fait enlever le pape, par quelques soldats, le soir même du jour où, plus noblement occupé, il gagnait lui-même la bataille de Wagram.

Là s’achève le grand tableau de la vie de Pie VII, par sa constance, non plus contre le pouvoir et la séduction, mais contre le malheur, par sa fermeté dans l’isolement et la prison, par sa confiance inaltérable, quand tout l’abandonne sur la terre, quand ses cardinaux même passent du côté de César, et qu’il n’a plus d’autre défenseur avoué devant le conquérant, qu’un modeste conseiller de l’université, le savant Émery, et un membre de l’Institut, le grand artiste Canova. Maintenant, traîné captif de Rome à Alexandrie, à Grenoble, à Savonne, à Fontainebleau, Pie VII va noblement rétracter sa menace de 1805. Le péril est devenu trop grand, l’adversaire trop redoutable, pour qu’il veuille le combattre, en abdiquant. Trop d’âmes ont faibli, pour que Pie VII veuille exposer son Église à la chance d’une succession. Il reste souverain pontife en prison ; il cède même sur quelques points ; et il n’en maintient qu’avec plus d’empire, par ses protestations et ses réserves, l’invincible résistance à laquelle va céder enfin Napoléon, vaincu par la force qu’il avait malheureusement prise pour seul arbitre.

Et cependant, Messieurs, ces deux puissances ennemies ne se haïssaient pas. Pie VII avait aimé, et il aimait encore l’éclat et le génie de cet incomparable jeune homme, qu’il avait vu commencer en Italie sa carrière de vainqueur de l’Europe. Bien plus, le pape respectait ce qu’il avait jadis consacré lui-même, cette impériale légitimité de la gloire que Napoléon portait en soi seul, qu’il n’a transmise à personne de sa race, et qui s’est retirée tout entière avec lui.

Napoléon, à son tour (car l’affection se mêle parfois au calcul politique), Napoléon, soit par vieille sympathie du conquérant pour le prêtre, soit par un élan naturel d’imagination italienne et religieuse, aimait le pape qu’il a persécuté. Jamais, dans son plus grand pouvoir, et dans son impatience contre cette volonté non moins forte que la sienne, il ne lui échappa d’expressions dédaigneuses ou violentes sur Pie VII. Dans l’orageux passage de son triomphe des Cent jours, il lui adressa de nobles vœux, et le demanda pour médiateur. À Sainte-Hélène, malade et mourant, il se souvenait encore de lui, et le trouva fidèle, comme un secours qui ne vient pas de la terre. Rome demeura l’asile de la famille proscrite du grand homme déchu. Pie VII lui-même, près du terme de ses longs jours, proféra des paroles de douleur et de paix sur la fin cruelle de Napoléon, sur cette expiation prématurée de tant de gloire ; et ces deux âmes ont pu se trouver ensemble devant Dieu.

Certes, Messieurs, il n’est pas, dans les annales de nos jours, d’épisode plus instructif et plus moral. L’historien qui a choisi ce sujet, M. Artaud, en avait conçu la grandeur ; et il a recueilli toutes les notions originales qui peuvent la mettre en lumière. S’il n’est pas toujours impartial (et il faut l’être, même à l’égard de la force, surtout quand elle n’est plus), s’il a le tort d’être quelquefois moins gallican que Bossuet, et plus romain que Pie VII, son livre n’en offre pas moins une touchante lecture, animée sans cesse par les paroles et par la douce et noble physionomie du vertueux pontife.

L’esprit religieux et moral porté dans l’histoire, d’autres écrivains l’appliquent à l’étude même des maux et des besoins actuels de la société ; et c’est une des intentions que voulait surtout favoriser le fondateur de nos prix. Chaque année, l’Académie reçoit et juge des ouvrages où la philanthropie se mêle à la statistique, pour proposer d’importantes réformes. Ces ouvrages, ne fussent-ils que des essais ou des recueils d’expériences, méritent l’encouragement public.

Dans un temps où la législature, après avoir adouci les peines portées par la loi, doit s’occuper encore de ceux qui les subissent, l’Académie a distingué avec intérêt l’ouvrage de M. Marquet-VasseIot, d’un homme préposé depuis longtemps à la surveillance d’un vaste établissement de détention, dont il semble avoir fait une école pénitentiaire. Son livre, l’École des condamnés, nous offre les conférences mêmes du directeur de la prison avec ceux qu’il garde, et qu’il tâche de guérir. On éprouve un sentiment de respect, en voyant une vie si complètement dévouée à des devoirs si tristes et, d’après les témoignages les plus certains, on ne peut que bénir un travail qui a porté des fruits salutaires dans le séjour du crime, et qui a été récompensé par le bien qu’il a produit, avant de l’être, trop faiblement, par des médailles et des éloges.

L’Académie devait remarquer également, cette année, le travail de MM. Terme et Monfalcon, sur une question que l’éloquence d’un poëte illustre a portée récemment à la tribune nationale. Les Enfants trouvés, cette déplorable imperfection de nos sociétés modernes, qui a remplacé une barbarie atroce des sociétés antiques, ont inspiré de savantes recherches et des projets de réforme à deux hommes appelés par leurs fonctions à s’occuper de ce devoir public, dans une grande ville du royaume. Leurs vues, précises et sévères, ne s’accordent pas toujours avec celles qui s’offrent à la première inspiration du talent et du zèle : et cependant leur charité, plutôt éclairée que rigide, est tendre au malheureux, indulgente pour la faiblesse. En montrant, dans une belle introduction, ce que le christianisme a fait pour humaniser la société, ils indiquent tout ce que la civilisation peut faire encore pour éclairer l’emploi et perfectionner les bienfaits de la charité même. Cet ouvrage mérite d’être lu partout ; mais la justice qu’il obtient ici sera doublement sentie dans la ville de Lyon, où on connaît non-seulement le livre de MM. Terme et Monfalcon, mais les vertus qui leur ont servi, pour ainsi dire, à le composer, leur zèle assidu près des malheureux, et leur infatigable activité d’administrateur et de médecin dans la direction de deux grands établissements de charité.

À côté de ces graves travaux sur des questions d’économie sociale, l’Académie n’a pas craint d’accueillir des écrits moins sérieux, qui s’adressent au cœur par l’imagination. Pour agir utilement sur les mœurs, il faut plaire et surtout il faut être lu. L’Académie d’ailleurs n’écarte pas les femmes de ses concours et c’est d’elles qu’on peut attendre, avec les délicatesses de la science du monde, ce charme heureux qui donne tant de puissance aux leçons de la morale, et répand sur le devoir même et sur le sacrifice l’attrait de la passion.

Un roman, Emmerik de Mauroger, a paru mériter une distinction qu’avait prévenue le suffrage public. L’auteur, madame de Cubières, a voulu et a su corriger le dangereux exemple si éloquemment donné par Rousseau. Elle n’a pas joint, comme dans les caractères de Julie et de Saint-Preux, la faute et la vertu, la séduction et la probité. Elle n’attache l’intérêt et l’estime qu’à la probité véritable, qui respecte l’innocence d’une autre, comme son propre honneur. On n’analyse pas un roman, surtout quand il a réussi ; mais l’intention sérieuse et pure d’Emmerik de Mauroger explique le succès, que le talent seul d’écrire n’aurait pas obtenu.

Il ne faut pas seulement d’ingénieuses lectures pour les gens du monde ; il faut des lectures salutaires et faciles pour la classe la plus nombreuse, qu’on appelle au bienfait de la première instruction. Une simple nouvelle, une leçon de probité populaire, contée par madame Swanton Belloc, avec un naturel exquis, a vivement intéressé, et fait souhaiter à l’Académie que ce même talent expressif et animé, qui a si heureusement traduit la belle poésie des Anglais, imite et surpasse quelques-uns de leurs ouvrages de morale usuelle et domestique. L’imagination est nécessaire pour gagner les âmes jeunes et simples ; et c’est un noble emploi que de la consacrer à l’enseignement moral, et je dirai presque au plaisir du pauvre.

L’Académie décerne une médaille de 3,000 francs à chacun des ouvrages que nous venons de nommer, et une médaille de 2,000 francs à l’auteur de Pierre et Pierrette et du recueil de la Ruche.

Messieurs, une grande variété est admise dans la forme et l’objet des ouvrages que l’Académie accueille, sans les avoir appelés. Le cercle est plus étroit pour ceux dont elle-même propose le sujet. Elle s’y montre plus sévère ; elle en est plus directement responsable ; deux idées la préoccupent alors : exciter les graves et fortes études, maintenir la pureté de la langue et du goût.

Quelquefois, elle proposera un texte ou un nom qui exige de longs travaux sur des monuments peu connus, et ne permet le talent qu’au prix d’une laborieuse recherche de la vérité. Quelquefois elle ne fera que recommander l’étude facile et la délicate analyse de quelqu’un de ces modèles de naturel et d’éloquence qui sont si près et si loin de nous. L’Académie propose pour son prochain concours l’éloge de madame de Sévigné ; et elle décerne aujourd’hui le prix de l’éloge du chancelier Gerson, d’un docteur du moyen âge, qui fut un grand homme dans la vie contemplative et dans l’action, mais dont il fallait déterrer la statue, pour vous la montrer.

Cette pénible tâche n’a pas été stérile. L’Académie a fait travailler et penser quelques hommes de talent. Parmi les ouvrages assez nombreux qu’elle a reçus, trois discours, différents de forme et inégaux pour l’importance, ont dû fixer son examen.

Le numéro 6, qui porte cette épigraphe, Veritas Deus, annonce une étude sérieuse du sujet, et une imagination faite pour le comprendre et l’aimer. Nulle part, la vive empreinte de tendresse mystique qui se mêlait à la raison sévère et courageuse du chancelier n’a été mieux saisie. L’auteur, pénétré des écrits de Gerson, a su retrouver partout ses actions dans ses maximes. Par là, il a montré d’une manière ingénieuse et neuve que cet homme, à la vie simple, mais éclatante, qui avait été magistrat, ambassadeur, qui avait lutté contre les factions sur la place publique et dans les conciles, qui avait arraché l’abdication de deux papes dans l’intérêt de l’Église, proposé avec hardiesse de sages réformes, et tout bravé pour la vérité, était aussi, était nécessairement le pieux solitaire, l’admirable anonyme qui écrivit l’Imitation de J.-C., et que tant de paix et de douceur était sorti du milieu de tant d’orages.

Ce discours, curieux par les détails et souvent vrai par l’émotion, est malheureusement incomplet ou subtil dans quelques parties. L’Académie, en réservant à l’auteur, M. Fouinet, la mention la plus honorable, a regretté qu’un talent si digne d’estime n’ait pas porté plus de méthode dans la composition, et plus de simplicité correcte dans le langage.

Ce mérite a frappé dans le numéro 5, ayant pour épigraphe ces paroles de Gerson lui-même : Homo contemplativus simul et activus. La division facile qu’elles expriment a guidé l’auteur. Le sujet, dans cet ouvrage, est traité avec plus de justesse que de force, plus de clarté que d’éclat, sans être assez approfondi, mais sans être exagéré. À une époque où la prétention et l’effort gâtent quelquefois le talent, un ordre d’idées naturel et judicieux, un langage vrai dans sa modeste élégance, surtout une candeur d’expression qui supplée parfois à la science, et se fait reconnaître plus vite, ont séduit des suffrages même sévères. Ce discours offre, dans des proportions qui ne sont pas sans art, une attachante variété de récits, de réflexions, d’analyses ; et, lu tout entier, il occupe l’esprit sans fatigue. L’Académie l’a jugé digne d’un prix.

Un autre ouvrage en même temps commandait de plus haut l’attention. Je parle du numéro 7, qui a pour épigraphe cette phrase d’un philosophe célèbre[1] : C’est toujours la mauvaise philosophie et la mauvaise théologie qui se querellent. Ce discours, dans un cadre étendu, embrasse le sujet entier, dont il n’éclaire pas également toutes les parties. On y sent du savoir, de l’âme et du talent ; on y voudrait une marche plus rapide et parfois un goût plus sûr. Nulle part, cependant, Gerson n’a été mieux compris et mieux peint. Dans quelques considérations sur la science particulière qui fut l’exercice et la forme de la pensée du chancelier, parce que cette science représentait alors l’activité même de l’esprit humain, on reconnaît l’intelligence philosophique et ferme du panégyriste. L’attrait qu’il paraît éprouver pour les méditations mystiques de Gerson lui sert à mieux pénétrer l’histoire de cette époque, où la contemplation préparait l’enfantement de tant de grandes choses ; où, par exemple, un autre théologien, le maître et l’ami de Gerson, Pierre d’Ailly, écrivait un traité de cosmographie religieuse, qui, suivant une remarque récente de l’illustre Humboldt[2], fut la lecture assidue et l’inspiration la plus efficace de Christophe Colomb cherchant l’Amérique. Tant, à ces époques de renouvellement, l’enthousiasme a servi la science et élevé la raison !

Avoir saisi et marqué cette influence n’est pas un mérite vulgaire. L’Académie a toutefois hésité entre cet ouvrage et le précédent ; et voulant récompenser des qualités diverses, elle partage le prix. Un ministre du roi, directeur actuel de l’Académie, a prié S. M. de doubler le prix partagé.

L’auteur du numéro 7 est M. Prosper Faugère, déjà nommé dans un concours, et qui a de beaucoup surpassé son premier succès. L’auteur du numéro 5 est M. Dupré Lasale, jeune homme de vingt-deux ans, qui doit attendre beaucoup encore du travail et du temps.

Avec deux candidats couronnés, et une vaste question traitée par eux, il ne sera possible de lire que des fragments de chaque ouvrage. C’est une épreuve insuffisante, défavorable, à laquelle l’assemblée suppléera par sa bienveillance.

 

 

[1] M. Cousin.

[2] Histoire de la géographie du nouveau continent, t. III et IV.