M. Abel-François Villemain, ayant été élu par l’Académie française à la place vacante par la mort de M. le comte de Fontanes , y est venu prendre séance le jeudi 28 juin 1821, et a prononcé le discours qui suit :
Messieurs,
Le soin d’honorer la mémoire des membres que vous perdez est toujours, dans la bouche de leurs successeurs, un hommage rendu à la dignité même des lettres. Pour moi, c’est aujourd’hui l’accomplissement d’un devoir personnel et sacré. Au moment où vos indulgents suffrages ont daigné me choisir, il m’a semblé que par une insigne faveur vous m’aviez admis à prononcer devant vous l’éloge public d’un bienfaiteur et d’un ami. Je me suis involontairement rappelé cette coutume romaine qui, lorsque la mort avait enlevé quelque célèbre citoyen, noble patron de la jeunesse, autorisait un de ses clients, un de ses élèves, à déplorer une telle perte du haut de la tribune, sans autre droit pour y monter que le privilége de la reconnaissance et cette recommandation que laisse après elle une illustre amitié. Je ne puis en effet, Messieurs, me rendre compte à moi-même des faibles titres qui m’ont amené jusqu’à vous, je ne puis jeter les yeux sur les premiers degrés de ma carrière, peu longue et peu remplie, sans y retrouver partout la main tutélaire et la généreuse amitié de M. de Fontanes. Elle m’accueillit au sortir des écoles publiques, et m’y replaça bien jeune encore dans les fonctions de l’enseignement : elle encouragea mes premiers essais, et les suivit dans l’épreuve de ces concours littéraires, qui m’ont quelquefois attiré vos regards ; elle les protégea de son estime ; elle me protégea longtemps moi-même ; elle m’honora toujours.
Et lorsque j’espérais jouir d’une si précieuse bienveillance, lorsque, comparant à la frêle durée de la jeunesse cette maturité pleine de force qui semblait promettre beaucoup d’années à M. de Fontanes, je me confiais au temps et à l’avenir pour lui payer toute ma reconnaissance, il nous est enlevé par un coup soudain ; et je ne pourrai rien pour lui que célébrer son rare talent et son noble cœur, par un éloge que vos regrets ont prévenu, et dont sa renommée n’a pas besoin.
J’aperçois parmi vous, Messieurs, un des plus honorables et des plus fidèles amis de M. de Fontanes, celui même qui me présentait, il y a dix ans, à sa bienveillance ; et le sort l’a choisi pour me recevoir aujourd’hui près de sa tombe.
La vie de M. de Fontanes, que les événements jetèrent dans les grands emplois politiques, avait commencé par ce dévouement aux lettres, par ce pur enthousiasme de l’étude, première vocation et dernière préférence des talents faits pour la gloire. Né avec la passion de la poésie, il y fut encouragé, dès l’enfance, par l’exemple d’un frère, qui mourut fort jeune, à l’aurore du talent, et dont il aimait dans ses derniers jours à répéter le nom et les vers.
M. de Fontanes sortait d’une famille protestante ; il a lui-même rappelé cette origine dans un poème de sa jeunesse à la louange du mémorable édit qui rendait aux protestants les droits de famille et de cité glorieuse réforme, accomplie par le vœu libre et spontané de Louis XVI ! monument d’une justice qui devançait les lois ! Les vers de M. de Fontanes couronnés par l’Académie française étaient dignes d’un si favorable sujet. La philosophie judicieuse et modérée, le respect de la religion, le culte de la gloire et des arts, qui distinguèrent toujours le talent de M. de Fontanes, sont vivement empreints dans cet ouvrage écrit à une époque où la censure amère du passé était facile et populaire. Tout en déplorant la fatale révocation de l’édit de Nantes, qu’il nomme la grande erreur du siècle de la gloire, le jeune poëte offrait un éloquent hommage à l’ombre auguste de Louis XVI ; et en accusant les rigueurs du faux zèle, il célébrait la religion, dont les secours, dit-il dans un beau vers, apportent aux misères humaines :
Ce dictame immortel qui fleurit dans les cieux.
Quelques autres essais déjà sortis de la plume de M. de Fontanes avaient tous également annoncé cette prédilection invariable, ce penchant naturel qui le conduisaient vers l’école littéraire du siècle de Louis XIV, et ce talent qui méritait d’en perpétuer la gloire. Ces premiers essais d’un jeune homme ignoré parurent au milieu de toutes les recherches du faux goût, et de toutes les prétentions paradoxales, qui marquèrent les heureux et derniers loisirs du dix-huitième siècle, dans cette société tout à la fois curieuse et fatiguée des lettres, qui avait pour ainsi dire usé l’esprit comme le bonheur, et que ses lumières et sa frivolité, sa raison et ses vices tourmentaient du besoin d’une immense nouveauté. Dans cette corruption d’Athènes en décadence, M. de Fontanes excita la surprise par la perfection du goût. Ses vers éclatants de pureté semblaient faits sur le modèle des anciens ou de la nature et cette éloquence qui s’est montrée tant de fois égale aux plus nobles sujets et aux plus grands événements, M. de Fontanes en posséda le secret dès qu’il commença d’écrire, et il en répandit toutes les richesses dans son premier ouvrage, dans le discours d’une maturité si précoce et d’une élégance vraiment originale qui précède la traduction de l’Essai sur l’homme de Pope.
Ainsi, Messieurs, dans la double carrière de l’éloquence et de la poésie s’annonçait, il y a près de quarante ans, un nouvel écrivain, digne de continuer la succession des grands talents, unissant le goût et l’imagination, la correction et l’éclat, et qui surtout semblait retrouver dans ses écrits la langue du dix-septième siècle, cette langue noble et pure, précise et sonore, que Voltaire avait entendue dans la vieillesse de Louis XIV, et qu’il avait parlée si longtemps, et sur tant de modes divers, à la France trop enchantée par sa voix. Voltaire était descendu dans la tombe, sans avoir d’héritier, et ne laissant après lui d’autre élève que son siècle même ; mais la tradition de la licence n’est pas l’héritage du génie ; et cet empire des lettres où Voltaire avait régné, qu’il agitait de sa présence, dont il parcourait à la fois tous les points opposés, parut un moment désert et silencieux après sa mort.
Cependant de grandes renommées soutenaient encore le déclin de la poésie française, et l’enrichissaient de beautés hardies ou brillantes, mais sans lui rendre la pureté de ses premiers modèles. M. de Fontanes, inspiré par des muses plus sévères, porta le goût classique jusque dans la poésie descriptive, où l’abus du talent est si voisin de sa richesse. Le Verger, la Forêt de Navarre, l’Essai sur l’Astronomie, semblaient moins une imitation complaisante de la nouvelle école, qu’un heureux exemple de précision et de pureté qui lui était offert. Que de beautés en effet, Messieurs, dans ces rapides esquisses abrégées par le goût ! Quel art de mêler toujours l’homme à la nature, et d’embellir chaque tableau par la vérité des sentiments, plus rare encore que celle des images ! Le poëme sur le Jour des morts, plein d’une mélancolie religieuse, révéla dans l’âme du jeune poëte une autre source d’inspiration, et fit voir que la sévérité du goût n’exclut pas cette heureuse originalité qui naît toujours d’une émotion profonde. Que de promesses de gloire dans un tel début !
Au milieu de cette douce préoccupation, parmi les amusements du monde et le bonheur de l’étude, M. de Fontanes, animé par sa réputation naissante, et méditant un grand poème, avait à peine touché le terme de la première jeunesse, quand l’approche de nos troubles civils vint saisir tous les esprits, changer et mêler toutes les routes, effacer toutes les traces, et jeter chacun dans les hasards d’une destinée nouvelle. Ces jeux de la littérature et du théâtre, qui faisaient depuis un siècle les principaux événements d’une société paisible, ces académies naguère si puissantes, ces réunions ingénieuses, tous ces travaux d’une civilisation élégante et oisive tombèrent en un moment devant le terrible intérêt d’une révolution commencée.
À la vue de ce grand désastre social, dont le progrès surprit et enveloppa ceux même qui l’avaient préparé, dans ce mouvement rapide qui emportait tant d’esprits imprévoyants, M. de Fontanes se rangea du parti de la royauté tempérée par les lois ; et il resta fidèle à la puissance opprimée, dans ces temps d’orage où le calcul et la peur trouvent plus sûr de la combattre que de la secourir il consacra ses talents à défendre dans une feuille publique la justice inséparable de la liberté, et le trône qui les garantissait l’une et l’autre. Associé quelque temps aux Clermont-Tonnerre et aux Lally-Tollendal, il poursuivit cette honorable tâche au milieu des périls et des violences de l’anarchie ; et il ne s’éloigna de Paris qu’après avoir été témoin de ces crimes qui ne laissent plus au bon citoyen ni le courage de l’espérance, ni l’utilité du sacrifice.
Mais il avait choisi pour retraite le lieu même qui devait être bientôt le plus affreux théâtre de la proscription et de la guerre civile, cette cité de Lyon, sur laquelle la tyrannie révolutionnaire épuisa son acharnement et la fureur de ses décrets. D’heureux liens de famille avaient fixé M. de Fontanes au milieu des désastres de cette ville, dont les infortunés habitants devinrent ses concitoyens. Après la victoire de la Convention, lorsque les horreurs du siège furent remplacées par les vengeances de la paix, lorsque le nom même de la malheureuse ville fut aboli, et disparut dans la poudre de ses maisons incendiées, Lyon n’existant déjà plus que pour fournir des victimes, une plainte hardie s’éleva du milieu de ses ruines. Trois hommes de l’aspect le plus simple et le plus grossier parurent à la barre de la Convention, comme les envoyés de la cité proscrite : on redouta moins dans leur bouche l’éloquence du malheur et de l’humanité ; on osa les entendre. Un d’eux prend la parole ; et, dans son accent rude et vulgaire, le discours qu’il prononce, étonnant mélange de pathétique et de fierté, d’élévation et d’adresse, fait passer impunément sous les yeux de l’assemblée tout le spectacle de ses violences, la saisit d’un trouble involontaire, et l’épouvante elle-même des maux qu’elle a faits : on accueille la plainte ; on ordonne l’examen : un frémissement d’émotion s’est prolongé dans toute la séance. Les uns se rappellent en rougissant le paysan du Danube reprochant au sénat la barbarie de ses préteurs ; d’autres cherchent déjà quel est le dangereux écrivain, le conspirateur secret qui a surpris leur pitié, en empruntant l’organe peu suspect de ces envoyés populaires ce dangereux écrivain, Messieurs, ce conspirateur, c’était M. de Fontanes.
Retenu parmi les ruines de Lyon, il avait inspiré les pétitionnaires : il avait écrit pour eux ce discours, où son talent le trahissait une nouvelle fuite et de nouveaux dangers furent le prix de cette généreuse imposture aisément découverte. La plainte des Lyonnais et l’émotion de l’assemblée passèrent bientôt ; mais l’humanité avait parlé, le crime avait senti sa honte, et le devoir du bon citoyen était rempli. On aime, Messieurs, à s’arrêter sur ce trait d’une honorable vie, et à montrer, par l’exemple d’un homme dévoué à la monarchie, que l’amour de l’ordre n’est pas une faiblesse d’âme, et qu’il se change en intrépidité contre une tyrannie sanguinaire.
Puni de ce courage par un arrêt de proscription, M. de Fontanes fut obligé de cacher sa tête, jusqu’au moment où une première lueur de justice et d’humanité vint ranimer la France. Il reparut alors ; et comme on cherchait parmi les débris de la société à relever quelque apparence d’ordre public, comme la hache de la barbarie s’était arrêtée, et qu’enfin quelque chose d’honorable pouvait être impuni, M. de Fontanes retrouva dans sa patrie les égards et l’inviolabilité qui sont dus au talent. On le choisit, pour remplir une chaire de littérature, dans les écoles qui venaient de se former. Il fut admis dans l’Institut naissant ; et l’éclat de son mérite lui aurait ouvert dès lors une route facile, sous le premier gouvernement qui succédait à l’anarchie de la Terreur. Mais ce gouvernement, tout empreint des vices de son origine, ce Directoire, qui pesait sur la France de tout le poids de sa faiblesse, insultait trop à l’héritage de Louis XIV et de Henri IV. M. de Fontanes n’hésita point à le combattre.
La France offrait alors un des spectacles les plus curieux dans l’histoire morale des peuples. La lassitude du crime avait amené des lois plus douces. Une sorte de trêve avait suspendu les vengeances civiles dans cet intervalle, l’ordre social essayait de renaître. Les maux s’oubliaient rapidement on se hâtait d’espérer, et de se confier au sol tremblant de la France. Une joie frivole et tumultueuse s’était emparée des âmes, comme par l’étonnement d’avoir survécu et on célébrait des fêtes sur les ruines. Ainsi dans les campagnes ravagées par le Vésuve, quand le torrent de flamme a détruit les ouvrages et les habitations des hommes, bientôt la sécurité succède au péril, on se réunit, on se rapproche, et on bâtit de nouvelles demeures avec les laves refroidies du volcan.
Mais cette renaissance de la société en France manifestait en même temps, Messieurs, une grande et salutaire vérité, le retour de tous les sentiments généreux par la seule force de la conscience publique, la liberté servant elle-même à flétrir les crimes commis en son nom un pouvoir illégal vaincu par les principes qu’il avait proclamés, et la patrie entière conspirant pour toutes les idées qui rappelaient la monarchie légitime. Une coalition dans les assemblées nationales soutenait cette cause favorisée par le vœu public ; de nombreux écrivains la secondaient de leur courage et de leurs talents et la France semblait, à mesure qu’elle était rendue à elle-même, se rapprocher de ses rois et revendiquer à la fois leur pouvoir et sa liberté. M. de Fontanes se distingua parmi les écrivains qui luttaient pour un but si noble : avec eux il fit retentir ces mots de religion, de justice et d’humanité, qui sont mortels à toute injuste puissance ; avec eux il proclama le respect pour la vraie liberté, les droits du malheur, la sainteté des tombeaux, avec eux il encourut la proscription et, quand les déserts de Sinnamari furent la réponse que le Directoire opposait aux députés de la France, quand les ministres de la religion et les organes des lois furent frappés ensemble, M. de Fontanes, proscrit et dépouillé, subit un exil, que partageaient d’illustres citoyens, à côté desquels il a siégé plus tard dans les Conseils et dans l’Académie.
Une nouvelle révolution dans nos mobiles destinées rouvrit aux victimes du Directoire le chemin de leur patrie : M. de Fontanes se hâta d’y rentrer. Deux ans d’intervalle avaient changé la France. Un pouvoir oppresseur et méprisé s’était évanoui devant l’éclat d’une fortune nouvelle. L’insupportable horreur des derniers temps, la fatigue d’une si longue instabilité, l’ascendant de la force et la dangereuse popularité de la victoire, tout, dans ce moment, livrait la France au bras puissant assez hardi pour la saisir. Il semblait aux yeux éblouis de la foule qu’on allait commencer une époque de réparation et de repos, où la fidélité même ne perdait pas ses espérances. Les proscriptions avaient cessé. Les exilés de toutes les époques revoyaient leur patrie ; les bons citoyens étaient tranquilles ; les temples étaient rouverts. Plusieurs actes d’une politique habile, quelque bien accompli, beaucoup d’illusions répandues, la dissimulation de Cromwell, et peut-être les promesses de Monck concouraient à séduire et à calmer la France.
C’est à cette époque mémorable que M. de Fontanes, sur lequel pesait encore une demi-proscription, fut tout à coup tiré de la retraite, pour prononcer dans une solennité publique l’éloge de Washington. Je ne chercherai pas, Messieurs, si, en célébrant la mémoire de ce vainqueur désintéressé, de ce général soumis aux lois, le consul ambitieux qui s’élevait alors en France n’avait pas voulu s’envelopper d’une gloire étrangère, et couvrir ses desseins sous un faux enthousiasme pour des vertus modestes qu’il se promettait de ne pas imiter. Quelle que fût cette pensée secrète, la mission de l’orateur était belle ; et M. de Fontanes y porta son éloquence et la dignité de son caractère. Tandis que les plus odieux souvenirs étaient encore puissants et armés, il ne craignit pas de les flétrir, en rappelant avec une juste indignation ces pompes barbares et récentes, où l’on prodiguait le mépris à de grandes ruines, et la calomnie à des tombeaux. Il peignit avec force et simplicité la grande âme de Washington, héros qui fut un sage. Il parla dignement des nouveaux et immortels trophées de la France ; mais il ne méconnut aucune autre gloire, ni surtout aucune adversité. Dans ce discours l’éloge même de la puissance devenait un conseil de bien user de la fortune. C’était un nouveau langage, dont la justesse et la dignité semblaient inspirer, et marquer par les expressions mêmes ce retour salutaire à toutes les idées sociales, qui fit d’abord l’espoir et la sécurité de la France.
Une telle influence, Messieurs, ne sera pas contredite dans cette enceinte et parmi les hommes qui savent combien les arts de l’esprit tiennent de près à la paix publique et à la prospérité des empires. De grands troubles civils, en agitant toutes les âmes, en créant des prodiges de crime et d’énergie, en forçant toutes les idées, en passionnant toutes les paroles, menacent la littérature d’une barbarie presque inévitable, surtout lorsqu’ils succèdent à une époque de civilisation avancée et de raffinement littéraire. D’heureux talents peuvent naître et briller encore sur ce terrain sillonné par l’orage mais dans ces premiers moments, la langue se corrompt, le naturel semble vulgaire, la vérité trop faible. Émoussées par les émotions violentes les âmes perdent cette sensibilité vive et délicate, qui fait le bon goût dans les lettres ; et le génie n’a plus de règles ni de juges. Dans ce désordre, qui n’est pas l’originalité, quelle reconnaissance ne méritent pas les écrivains, dont l’exemple rappelle les esprits vers cette élégance judicieuse et noble, inséparable de la civilisation d’un grand peuple !
M. de Fontanes dans l’éloge de Washington avait fait entendre une éloquence élevée sans effort, animée sans passions violentes et toujours fidèle aux sentiments généreux, par la double inspiration du goût et de l’honneur : à la même époque, il porta ce beau caractère de style dans quelques autres écrits d’une nature moins grave, mais qui servirent surtout à développer cette influence de raison et de justesse, dont le besoin succédait au désordre des lettres et de la société. Quelques morceaux de littérature, pleins de l’admiration des grands modèles et qui semblaient écrits sous leur dictée, furent alors une instructive leçon pour l’art de la critique et le talent des écrivains. Le succès en fut grand et populaire. Tant le goût et la vérité avaient presque le mérite d’une innovation piquante ! Ce succès fut bientôt partagé. Les lettres ont eu, depuis vingt ans, une époque nouvelle, dont la gloire est la vôtre, Messieurs. De grands ouvrages ont paru avec l’empreinte éclatante de l’imagination et de l’éloquence. Dans la philosophie morale, dans l’histoire, dans la tragédie, des palmes durables ont été moissonnées. La comédie, qui, grâce à l’un de vous, était restée classique, a mis à profit quelques vices de plus, et s’est élevée souvent jusqu’au naturel. La poésie descriptive a connu la brièveté ; et Delille n’a pas épuisé les derniers trésors de l’élégance et de l’harmonie. La science des lois et les grands spectacles de la nature ont trouvé d’éloquents interprètes. La critique, en jugeant les autres, s’est instruite elle-même, et vous a donné d’ingénieux et habiles écrivains. Enfin, Messieurs, un goût plus simple, une diction plus vraie ont généralement animé la littérature.
Placé si haut dans le rang des orateurs et des poëtes, M. de Fontanes concourut à cet heureux retour. La sévérité de son goût était d’ailleurs sans intolérance, comme sans jalousie. Enthousiaste du génie littéraire, il aima le talent et le succès des autres. On le vit dès lors s’empresser d’accueillir de grandes réputations naissantes, et mêler à d’ingénieux conseils des éloges donnés avec joie on vit son amitié s’accroître par l’illustration de ses amis, autant que par leurs périls, et jouir avec délices de leur gloire, en les défendant eux-mêmes avec courage. Noble caractère, véritablement formé pour les lettres, et rempli de cette générosité qu’elles inspirent Je ne crains pas, Messieurs, de lui rendre cet hommage, au moment où je vais le montrer à vos yeux, renonçant aux loisirs de l’indépendance littéraire, et jeté dans les engagements du pouvoir et de la politique. Les lettres, qu’il honora, n’auront jamais à le désavouer.
La réputation de M. de Fontanes l’avait fait élire membre du Corps législatif ; il fut nommé président de cette assemblée et dès lors il se trouva placé dans une situation éminente et difficile, en présence du pouvoir qui régissait la France, et qui s’avançait d’un pas rapide à l’unité de l’empire et à la suprématie illimitée de la conquête.
Est-il besoin de rappeler, ou serait-il possible de taire quel était ce pouvoir ? Que ce soit, Messieurs, un juste hommage à l’époque présente et à la sécurité du trône de caractériser librement, devant un tel auditoire, l’homme extraordinaire tombé de si haut. Telle est la profondeur immense de sa chute, qu’il est déjà sorti du siècle pour entrer dans l’avenir, et qu’exposé du milieu de cette vie à l’impartialité de l’histoire, il encourt l’espèce d’affront d’être jugé sans faveur et sans haine par l’univers, que sa gloire désastreuse a si longtemps agité.
Orateur du Corps législatif, M. de Fontanes porta souvent la parole au milieu des triomphes du conquérant son imagination avait été frappée de cette grandeur inattendue, dans l’ordre rapide où elle s’était successivement manifestée sous ses yeux. Des bords du Nil un homme avait reparu, déjà célèbre par de grands succès dans les combats, illustré même par les revers d’une expédition lointaine et merveilleuse, habile à tromper, comme à vaincre, et jetant sur son retour fugitif tout l’éclat d’une heureuse témérité. Sa jeunesse et son audace semblaient lui donner l’avenir. Ce luxe militaire de l’Orient qu’il ramenait avec lui comme un trophée, ces drapeaux déchirés et vainqueurs, ces soldats qui avaient subjugué l’Italie, et triomphé sur le Thabor et au pied des Pyramides, toute cette gloire de la France qu’il appelait sa gloire, répandait autour de son nom un prestige trop dangereux chez un peuple si confiant et si brave. Il avait rencontré, il avait saisi le plus heureux prétexte pour le pouvoir absolu, de longs désordres à réparer. Son ardente activité embrassait tout, pour tout envahir. Génie corrupteur, il avait cependant rétabli les autels ; funeste génie, élevé par la guerre, et devant tomber par la guerre, il avait pénétré d’un coup d’œil l’importance du rôle de législateur. Il s’en était rapidement emparé dans l’intervalle de deux victoires ; et dès lors, au bruit des armes, il allait exhausser son despotisme sur les bases de la société qu’il avait raffermies. On n’apercevait encore que le retour de l’ordre et l’espérance de la paix. Les maux de l’ambition, l’onéreuse tyrannie d’une guerre éternelle, le mépris calculé du sang français, l’oppression de tous les droits publics se développèrent plus lentement, comme de fatales conséquences, qu’enfermait l’usurpation militaire, mais qu’elle n’avait pas d’abord annoncées.
Et cependant, Messieurs, quatre années s’écoulèrent à peine qu’un grand crime vint souiller cette puissance nouvelle et marquer d’une tache ineffaçable le diadème qu’elle se hâtait de saisir. Ah ! si de tyranniques entraves n’avaient pas pesé dès lors sur les députés de la France, quelque voix se serait élevée sans doute pour accuser cet odieux attentat ! L’homme qui avait osé le commettre n’hésita point à solliciter l’approbation d’une assemblée qu’il tenait asservie et cherchant, pour ainsi dire, à étonner dans une insolente publicité l’horreur du crime qu’il aurait voulu se cacher à lui-même, il en fit donner solennellement avis à la chambre, parmi d’autres communications politiques.
En recevant cet étonnant message, M. de Fontanes, sur le seul point où la puissance coupable espérait une réponse, garda un silence sévère, image de la stupeur et de la consternation de la France ; mais une de ces fraudes auxquelles la force même s’abaisse, quand elle est injuste, lui offrit bientôt l’occasion d’un désaveu plus expressif. Dans la publication légale d’un discours qui suivit de près ce funeste événement, on altéra les paroles de l’orateur on lui prêta une expression douteuse, qui pouvait paraître une lâche excuse. Peut-on oublier quelle fut alors l’ardente réclamation de M. de Fontanes, sa persévérance à faire rétablir les vraies paroles qu’il avait prononcées, et enfin, Messieurs, l’injurieux errata que fut obligée de subir cette orgueilleuse grandeur, devant laquelle s’inclinait et se taisait l’Europe ? Non, Messieurs, que par ce récit je prétende louer M. de Fontanes : il n’avait satisfait qu’au devoir exact de l’honnête homme ; mais ce devoir rempli absout noblement beaucoup de louanges données en d’autres temps à l’éclat de la victoire, aux travaux commencés de la paix, et à l’espérance du bien public.
Ces louanges mêmes, vous le savez, furent toujours tempérées par de généreux conseils et l’art de l’orateur semblait ennoblir jusqu’aux ménagements, qui servaient à rendre la vérité plus utile, en la rendant plus tolérable au vainqueur. Les étonnants succès d’une fortune qui croissait en prodiges, comme en injustices, les impérieuses défiances d’un pouvoir qui croissait en tyrannie n’altérèrent pas cette dignité de la parole : et, lorsque la conquête enveloppait chaque année de nouveaux États, lorsque la fortune de la guerre partageait les trônes aux lieutenants du nouveau César, lorsque l’Europe voyait avec effroi s’avancer sur elle cette dictature, heureusement impossible, puisqu’elle s’est brisée dans la main d’un si hardi capitaine, appuyé sur une si grande nation, alors, Messieurs, M. de Fontanes ramenait avec plus de persuasion et de force les idées de modération et de justice ; alors, il plaignait les grandeurs déchues, les dynasties dépouillées : et ses éloquentes paroles devenaient, par leur générosité seule, une censure de l’orgueilleux abus de la victoire. Quand, du milieu de ces palais où Louis XIV, vainqueur aussi, avait fait admirer à l’Europe sa magnanime politesse, un homme, trop enivré du succès pour bien sentir la gloire, insultait, dans la reine de Prusse, par d’ignobles calomnies la majesté du trône, de l’infortune et de la beauté, M. de Fontanes, interprète du sentiment public, devant l’orgueil de l’usurpation et de la conquête, releva les images abattues de la royauté malheureuse, et rendit un éclatant honneur à ces droits antiques et sacrés, qui ne dépendent pas d’une journée militaire et ne peuvent être abolis par la victoire.
En gardant ce juste respect aux rois vaincus par nos armes, M. de Fontanes, dans plusieurs occasions, ne défendit pas avec moins de noblesse la dignité du Corps législatif, dont chaque triomphe nouveau resserrait aussi les chaînes. Je parle de la dignité, Messieurs ; car, depuis longtemps, la liberté n’était plus. La jalousie du pouvoir s’augmentant chaque jour, elle en vint jusqu’à contester au Corps législatif le titre qu’il portait, et à déclarer que les députés de la France, sans mission et sans droit, n’occupaient que le quatrième rang dans les conseils du souverain. La réponse de M. de Fontanes est remarquable, Messieurs, et ne sera pas oubliée par l’histoire. Après l’avoir prononcée, il ne garda pas longtemps le privilége de parler au nom des représentants de la nation ; mais du moins il n’avait pas laissé avilir dans ses mains le faible et dernier simulacre de ces libertés publiques qui, plus tard, ranimées par l’excès de nos malheurs, devaient dans la même assemblée retrouver des voix généreuses, pour avertir le despotisme de ses dernières fautes et commencer le salut de la France.
M. de Fontanes, dont le rare talent inspirait l’estime lors même qu’il pouvait déplaire, avait été appelé à la direction suprême de l’enseignement par un pouvoir qui savait habilement employer des hommes honorables dans l’intérêt de sa grandeur. Je ne serai démenti par personne, en disant, Messieurs, que ce choix parut alors à tous les pères de famille un heureux événement. M. de Fontanes avait une tâche consolante et laborieuse, beaucoup de mal à prévenir, beaucoup de mal à réparer. Que d’ordres rigoureux n’a-t-il pas adoucis ! quelle autorité salutaire n’a-t-il pas exercée ! Cette unité despotique qui enlevait les enfants à leurs familles, cet envahissement des esprits par l’éducation, furent heureusement corrigés sous la main prudente et paternelle de M. de Fontanes.
L’Université naissante reçut dans ses premières dignités académiques une réunion d’hommes distingués, dont la plupart, Messieurs, appartenaient à vos rangs. M. de Fontanes ne fit, ou ne désigna que des choix estimables ; il en arracha quelques-uns le dernier chef de l’école religieuse, qu’illustra Fénelon, fut appelé dans le conseil de l’Université ; il y retrouva le peintre élégant et fidèle de Fénelon, et l’éloquent auteur de l’Essai sur le Divorce. Des noms éminents dans les sciences naturelles et mathématiques, des hommes distingués par la connaissance des lois, des écrivains célèbres y représentaient toutes les parties de l’enseignement.
À la même époque commencèrent, sous l’inspiration de M. de Fontanes, ces cours publics si favorables à la jeunesse, et où les sciences, la philosophie, l’érudition classique se glorifient d’avoir de dignes interprètes et de studieux élèves. De nouvelles chaires furent fondées M. de Fontanes y nomma Delille, et le brillant historien du dix-huitième siècle. Attentif à recueillir les sages traditions des anciennes écoles, il remit aux mains de l’expérience et il surveilla lui-même cette école Normale, d’où sont sortis tant de jeunes talents et de maîtres habiles, espoir de l’enseignement public.
Enfin, Messieurs, des hommes qu’une honorable opposition éloignait de toutes les carrières, des talents persécutés ou méconnus trouvèrent dans l’Université ce qu’elle doit toujours offrir, la considération et l’indépendance. De vénérables ecclésiastiques furent protégés, défendus. L’Université devint un lieu d’asile : c’était le mouvement de cœur de M. de Fontanes. Les lettres, le malheur, étaient sacrés pour lui. Il aimait le mérite ; l’espérance même du plus faible talent lui était précieuse et si quelque jeune homme n’avait encore en sa faveur que l’amour de l’étude, vous pouvez m’en croire, Messieurs, il lui tendait la main, il lui donnait du courage et de l’appui. Mille exemples ont attesté cette généreuse influence : et, je ne crains pas de le dire, pendant cinq ans l’administration de M. de Fontanes fut un bienfait public pour la religion, pour la morale, pour les lettres et pour la jeunesse.
Renfermé dans ses grandes et paisibles fonctions, M. de Fontanes, sans participer aux événements politiques, vit s’accomplir la révolution qui brisait le joug appesanti de la France, et lui rendait enfin ses rois et sa liberté ; il partagea le vœu de la patrie. Combien cet esprit éclairé, cette imagination amie des traditions et des souvenirs, devait recevoir avec enthousiasme les fils de Louis XIV et de Henri IV, éprouvés par tant d’infortunes, et rapportant sur le trône toutes les vertus du malheur !
Vainement la Providence sembla-t-elle se démentir et permettre au monde de douter de sa justice ; vainement le génie de la guerre, tout à coup ranimé, traversa-t-il le sol attristé de la France, pour disparaître, en laissant après lui les longs désastres de son retour d’un moment : M. de Fontanes resta fidèle à la cause qu’il avait embrassée. Il vit dans la royauté affermie malgré tant d’orages la sauvegarde de tout ce qu’il aimait, la paix, la morale, les arts. Il avait cessé, dès la première époque de la restauration, d’occuper à la tête de l’enseignement public cette grande place, à laquelle il manquera longtemps, et où il avait fait le bien que dans les mêmes circonstances aucun autre n’aurait pu faire : il n’avait plus l’occasion de parler à la jeunesse ce noble langage toujours si puissant sur elle. Mais dans la Chambre des Pairs et dans vos séances, il fit plus d’une fois entendre les sentiments qu’il avait dans le cœur, pour la monarchie et pour la France. On n’a point oublié le jour où, recevant parmi vous le défenseur de Louis XVI, il lui décerna ce juste et éloquent éloge, auquel la postérité pourra seule ajouter quelque chose.
La raison élevée de M. de Fontanes, non moins que sa loyauté, lui montrait dans l’inviolabilité du trône légitime une condition de l’ordre social en Europe : il pensait qu’après les violentes et profondes secousses qui avaient ébranlé tous les États, dans cette vieillesse des sociétés qui se confond avec leurs progrès, à ces époques où le monde inondé de systèmes et de soldats se débat entre deux puissances inégales, la spéculation et la force, il n’y avait de barrière contre les ravages de la force, et de sûreté pour la civilisation, que dans la reconnaissance d’un droit antérieur, qui servit à fixer, à consacrer les formes nouvelles de l’ordre politique, et fut la sanction de la liberté, comme la source du pouvoir.
Tel est, Messieurs, l’immortel bienfait de la Charte. Tel est l’ouvrage accompli par le roi, par ce monarque fondateur qui paraîtra dans l’avenir tout ensemble l’auguste héritier et le chef nouveau de sa dynastie, juge éclairé des temps et des hommes, dont la haute modération est une supériorité de lumières autant qu’une vertu de cœur, et qui, de cette sphère impartiale où il est placé, jette un regard vigilant sur la France agitée sans péril dans le cercle régulier de la loi. Persécuté par la fortune comme Henri IV, il a montré la majesté dans le malheur, la sagesse dans le pouvoir et l’amitié sur le trône. Protecteur des arts comme Louis XIV, il fait plus que les protéger, il les cultive, il les éclaire ; et son règne leur ouvre une époque de paix et d’indépendance où la dignité morale des institutions doit élever le talent, où la tribune doit inspirer les lettres, où l’éloquence doit s’agrandir par la défense du trône et de la liberté publique. Quelle gloire pour un souverain, Messieurs, après des révolutions si funestes et si longues, de préparer ce second avenir d’un grand peuple, de fonder, d’unir à jamais par les libertés et les lois cette société que l’anarchie avait détruite, que le despotisme avait rebâtie, et non pas ranimée, et de la transmettre chaque jour plus puissante et plus heureuse à sa dynastie révérée !
Nul Français ne ressentit avec plus d’émotion que M. de Fontanes ce retour de la monarchie. Toutes ses opinions politiques, ainsi que son talent, étaient empreintes de l’influence des lettres et se liaient aux souvenirs de leur plus illustre époque. Il aimait la royauté comme l’antique protectrice, comme la noble amie des arts et du génie français. Il aimait son pays comme une terre de gloire, patrie naturelle de tous les talents fertile en guerriers, en grands hommes, donnant à l’Europe sa langue, ses lois et ses mœurs, quelquefois heureuse avec imprudence, malheureuse avec dignité, et, dans toutes les fortunes, puissante par l’illustration de tant de souvenirs, parmi lesquels il retrouvait cette splendeur des lettres qui lui était si chère.
Une injuste censure avait quelquefois accusé M. de Fontanes de négliger sa première gloire, parce qu’on voyait rarement sortir de sa plume des productions toujours désirées et cependant à toutes les époques de sa plus haute fortune, d’heureux vers lui étaient échappés. Cette publicité, qu’il semblait craindre, il l’avait bravée pour défendre le talent d’un illustre ami contre les rigueurs de la critique et l’inimitié du pouvoir ; et on avait aussitôt reconnu les accents doux et purs de cette voix qu’on se plaignait de ne plus entendre. Nul talent n’eut en effet un caractère à la fois plus classique et plus personnel à l’auteur. M. de Fontanes avait porté l’élégance jusqu’au point, où elle devient une création littéraire. Un petit nombre d’écrits marqués de cette empreinte heureuse et rare suffisaient à sa renommée. Il intéressait par son style, par cette poésie naturelle avec art, correcte avec nouveauté, qui reproduisait la ressemblance, et non pas l’imitation des modèles. Dans son éloquence, dont les formes faciles et pures annonçaient une langue si polie, il avait mêlé quelque chose de poétique et d’élevé, qui rappelait les grands orateurs sacrés du dix-septième siècle. Ses vers, d’un tour noble, harmonieux, concis, se portaient naturellement sur les pensées religieuses ; ils en recevaient l’inspiration. Majestueuse et rapide dans l’épître où il a célèbre l’éloquence des Livres saints, cette inspiration est attendrissante et naïve dans le poëme de la Chartreuse ; une tristesse pleine de douceur et de poésie anime cette espèce d’élégie la mélodie des paroles s’y confond avec l’émotion de l’âme et on croit entendre au loin quelques sons à peine affaiblis de la lyre de Racine.
M. de Fontanes travaillait avec soin ses beaux vers ; un goût difficile l’a ramené sur plusieurs ouvrages de sa jeunesse, qu’il a refaits et embellis. Souvent il se plaisait à lutter contre les poëtes de l’antiquité ; et ses fragments de traduction sont des chefs-d’œuvre, dont il n’a pas toujours réclamé la gloire. Combien ne devait-on pas espérer que ses loisirs donneraient encore d’heureux fruits pour les lettres ! il avait lu dans vos séances des odes, dont l’élévation et l’harmonie rappellent l’école de Rousseau. On savait qu’il avait souvent repris avec ardeur la composition d’un poème sur la Grèce délivrée ; sujet d’un favorable augure pour les amis de la gloire et des arts. Plusieurs chants étaient achevés avec cette perfection de détails, qu’il ne séparait pas de l’imagination poétique.
Il était plus que jamais préoccupé par le goût de l’étude et des vers. Cette impression répandait sur ses entretiens et dans tous les traits de son caractère un charme d’enthousiasme, de naturel et de bonté, qui lui était particulier. On voyait de toutes parts en lui l’homme supérieur et l’excellent homme. On voyait une âme, dont tous les sentiments étaient généreux et rapides comme les instincts mêmes du talent. Jamais on ne réunit à plus de vivacité une tolérance plus aimable. Personne ne concevait mieux toutes les opinions désintéressées et sincères. Personne n’appréciait davantage la fidélité à d’autres amitiés que la sienne. Mais surtout quelle grâce et quel feu dans ses discours, lorsqu’il parlait des grands modèles de notre admirable littérature ! quel sentiment délicat, quel ingénieux emploi de leurs beautés ! quelle mémoire éloquente !
Pardonnez, Messieurs, ce langage ; il n’y a pas longtemps que la voix de M. de Fontanes était encore tout animée de cette chaleur et de cet enthousiasme. Même après la première atteinte d’un mal funeste, ses amis l’ont vu libre d’inquiétude, rendu tout entier à la vie, revenant à ses souvenirs de littérature et d’éloquence, et l’âme ardente, attentive, récitant quelques vers de nos grands poëtes, dont son imagination était sans cesse entretenue. Il allait publier un de ses premiers ouvrages qu’il avait revu avec tout l’effort et toute l’expérience du talent, et qui devait soutenir une honorable rivalité. Son imagination était tout occupée de ces heureuses et paisibles idées qu’inspirent les lettres. Hélas ! l’ouvrage, qu’il venait d’achever, devait paraître trop tard pour lui-même ; et cet heureux retour vers les poétiques inspirations de sa jeunesse avait été son dernier adieu à la vie. Une entière sécurité de quelques heures fut suivie d’un danger sans espérance ; et, au milieu des promesses divines de la religion, ses dernières pensées obscurcies des ombres de la mort n’eurent que peu de temps pour s’arrêter sur la douleur de sa respectable épouse, et de sa fille qu’il léguait en mourant à l’auguste intérêt du roi.
Perte cruelle pour l’amitié, pour les lettres, et surtout pour ceux à qui M. de Fontanes accordait cette estime invariable et cette active bonté que rien ne remplace dans la vie ! Puissent du moins les regrets publics s’attacher longtemps à une si honorable mémoire, et récompenser ainsi ce beau caractère dont toutes les vertus étaient des mouvements de cœur, et ce beau talent qu’on doit admirer comme un modèle de goût et d’élévation, ou plutôt qu’il faut pleurer maintenant, puisqu’il était l’expression et la vive image de celui que nous avons perdu, de cette âme si bienveillante, si généreuse, si supérieure à l’envie, et si naturellement passionnée pour tout ce qu’il y a de grand et de bon sur la terre.