Réponse de M. le baron Cuvier
directeur de l'Académie
au discours de M. de Lamartine
DISCOURS PRONONCÉ DANS LA SÉANCE PUBLIQUE
le jeudi 1er avril 1830
INSTITUT ROYAL DE FRANCE
Monsieur,
Oui, Monsieur, l’Académie française doit une justice égale aux divers talents. Toute véritable prééminence est un titre à ses suffrages. Aussi, dans tous les temps, s’est-elle fait un honneur d’appeler dans son sein quiconque a su prêter à la raison un langage digne d’elle ; quiconque a su émouvoir les hommes aux noms sacrés de la vérité et de la vertu ; et si elle a montré quelque préférence, c’est pour les écrivains qui, en respectant la langue et les convenances, ont été assez heureux pour imprimer à leurs ouvrages des formes propres, par leur nouveauté, à saisir plus vivement les esprits. Bossuet, accablant son auditoire de toutes les grandeurs divines ; Racine revêtant des nuances d’un langage céleste ce que le cœur humain peut éprouver de sentiments plus tendres et plus délicats ; Montesquieu, éclairant comme de vives étincelles les ressorts les plus cachés de la machine sociale ; Buffon, peignant le premier la nature dans sa pompe et sa majesté ; tous ces heureux novateurs et bien d’autres encore qui se sont ouvert des routes inconnues avant eux pour arriver à leur gloire, l’Académie s’est empressée de les faire concourir à la sienne ; leurs noms fameux feront à jamais l’orgueil de nos annales.
Je dis plus, Monsieur ; c’est qu’y eût-il la moindre réalité dans ces préventions ou ces passions que la malignité oisive attribue quelquefois si légèrement aux hommes occupés des travaux de l’esprit, un corps placé sous les yeux de la France et de l’Europe serait dans l’heureuse impuissance de se déshonorer, en repoussant celui qui se serait fait à juste titre un grand nom. Le sort du génie, même à l’égard de ces distinctions qu’il aurait peut-être le droit de regarder comme frivoles, ne dépend point des petites jalousies de ses rivaux. En vain le pouvoir, comme il est arrivé quelquefois, aurait-il la faiblesse de se faire l’auxiliaire de l’envie, la voix publique finirait par l’emporter. Mais en se pénétrant de ces vérités consolantes dont l’histoire ancienne et nouvelle de l’Académie a offert des preuves si multipliées, il est une autre vérité qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est que le génie n’est pas dans la nouveauté seulement, mais dans la nouveauté jointe à la perfection.
Heureux l’écrivain qui peut se prévaloir à la fois d’ouvrages originaux et excellents, et de l’assentiment public ! Plus heureux encore celui envers qui un caractère aimable et une vie pleine d’honneur ont rendu toute jalousie et toute prévention impossible.
C’est ainsi que vous nous arrivez, Monsieur ; pour vous l’estime et l’amitié ne sont pas moins vives que l’admiration ; et telle est la nature de vos écrits, qu’ils devaient nécessairement exciter tous ces sentiments.
Lorsque, dans un de ces instants de tristesse et de découragement qui s’emparent quelquefois des âmes les plus fortes, un promeneur solitaire entend par hasard résonner de loin une voix dont les chants doux et mélodieux expriment des sentiments qui répondent aux siens, il est comme saisi d’une sympathie bienfaisante ; il sent vibrer de nouveau ces fibres que l’abattement avait détendues ; et si cette voix qui peint ses souffrances, y mêle par degrés de l’espoir et des consolations, la vie renaît en quelque sorte en lui ; déjà il s’attache à l’ami inconnu qui la lui rend ; déjà il voudrait le serrer dans ses bras, l’entretenir avec effusion de tout ce qu’il lui doit.
Tel a été, Monsieur, l’effet que produisirent vos premières méditations sur un grand nombre de ces êtres sensibles que tourmente l’énigme de ce monde, et qui dans cette profonde nuit où la Providence a jugé à propos de laisser la raison humaine, sur notre origine, sur notre nature et sur notre destinée, éprouvent sans cesse le besoin d’un guide qui les arrache à ce noir labyrinthe du doute, et les transporte vers des régions de lumière et de sécurité.
Les tristes abstractions de la philosophie les laissent froids comme elles ; ils ne se rassurent point avec ces esprits légers qui, dans l’impossibilité de résoudre ce terrible problème, cherchent à s’en distraire par l’insouciance et l’oubli ; et ce grand poëte de nos jours à qui vous avez départi avec tant de noblesse ce qui lui est dû d’éloge et de blâme, et qui n’a voulu voir dans notre univers que le temple du dieu du mal, ils repoussent avec effroi en lui l’ange du désespoir.
En vous, Monsieur, dès votre apparition, ils ont salué d’un commun accord le chantre de l’Espérance.
Aussi énergique que votre émule dans la peinture des maux de la vie, aussi pénétré de la vanité de nos plaisirs, de la rapidité avec laquelle ils s’écoulent, ce rayon consolateur, qui n’a pu luire pour son esprit, a éclairé le vôtre, et votre talent l’a fait briller aux yeux de vos semblables.
L’espérance est votre muse, l’espérance, sœur de l’imagination. Ces deux fées, qui, presque seules ici-bas, nous soutiennent et nous animent, est-il étonnant qu’elles se soient disputé, à qui animerait plus vivement pour vous la nature tout entière ; que votre génie, inspiré par elles, ait enfanté tant de créations gracieuses, sublimes, ou terribles ; également grand, soit qu’au tombeau des Scipions, il pèse la cendre des héros, soit qu’il entende résonner ces harpes d’or que Dieu lui-même écoute, ou qu’il nous montre le malheur comme un vautour pressant l’univers de sa serre cruelle ? L’image de la volupté elle-même, toute étonnée de se trouver au milieu de tant de grandes images, de tant de sérieuses pensées, n’y perd rien de son charme. Vous seriez presque un séducteur, si la leçon ne venait chaque fois mettre un terme à l’enchantement, d’autant plus sévère qu’elle y fait un plus grand contraste.
En effet soit que vous fassiez parler la douleur ou le plaisir, c’est toujours pour nous conduire à la sagesse. Toutes ces études que vous faites de vous-même, tous ces divers aspects sous lesquels vous envisagez l’homme et le monde, vous ramènent à la même vérité. Jamais l’emblème du miel placé aux bords du vase ne se réalisa mieux ; on vous lit, attiré par l’éclat de la poésie la plus brillante, et l’on se trouve avoir fait un cours d’une profonde philosophie.
Peut-être tous vos lecteurs ne sont-ils pas demeurés convaincus, et sans doute vous ne vous étiez pas flatté de terminer des disputes qui durent depuis que les hommes raisonnent. Ce n’est probablement pas dans la vie présente que nous arriverons à l’évidence sur cette Théodicée qui, au pied des rochers de l’Idumée, divisait, il y a plus de trois mille ans, Job et ses amis, et sur laquelle de nos jours encore les Leibnitz, les Clarke et les Newton ne se sont point accordés. Les opinions ont donc pu demeurer diverses sur vos doctrines, mais il n’y en a eu qu’une sur votre talent. Si tous n’ont pas déféré au philosophe (et quel est le philosophe qui aurait joui d’un pareil avantage ?), à cette magie puissante qui commande à tous les êtres, qui fait mouvoir les mondes, qui évoque les ombres, les anges et les démons, qui tour à tour, et à votre volonté, nous charme et nous effraye, chacun a reconnu le poëte.
Vous-même, Monsieur, êtes-vous entraîné comme vos lecteurs ? participez-vous à ces délicieuses émotions que vous savez si bien leur communiquer ?
Je vous avoue que je le crois, et c’est dans vos ouvrages mêmes que j’en prends la persuasion. Cette langue à laquelle on nous avait si peu accoutumés, qui exprime si simplement les pensées les plus hautes, sans recherche, sans antithèses ; qui coule de source et va toujours au cœur, ne peut appartenir qu’à une âme transportée dans les régions sublimes où elle nous appelle. A la noble pureté de votre style, à l’harmonie enchanteresse et continue de vos vers, on sent que votre esprit a entendu ces concerts d’un monde idéal dont vous parlez, et qui font paraître la réalité si petite et si méprisable. Oui c’est ainsi que les intelligences supérieures doivent s’entretenir des grands mystères !
Voudriez-vous vous y arracher, Monsieur ? Ce que des éditeurs empressés de satisfaire l’avidité du public nous ont dit sur les lacunes de vos derniers écrits, aurait-il quelque fondement, et serait-ce pour des occupations d’un intérêt plus immédiat que vous négligeriez ces nobles productions de votre esprit ?
J’espère, pour l’honneur des lettres, qu’il n’en sera rien. Chacun de nous a sans doute à remplir des devoirs respectables envers son prince et son pays ; mais ceux à qui le ciel a accordé l’heureux don du génie, le talent de dévoiler la nature, ou celui de parler au cœur, ont des devoirs qui, sans contrarier en rien les premiers, sont, j’ose le dire, d’un ordre tout autrement relevé. C’est à l’humanité entière c’est aux siècles à venir qu’ils en doivent le compte.
Combien, parmi ces personnages qui passent successivement au pouvoir, n’en est-il pas qui ont vu le bien qu’ils avaient fait ou projeté, dissipé comme un songe devant les projets non moins rapidement évanouis de leurs successeurs ! Une vérité, au contraire, une seule vérité découverte, un seul sentiment généreux gravé par l’éloquence dans le cœur des hommes, contribuera, pendant des siècles, et sans que rien puisse l’empêcher, au bien-être de générations innombrables, et portera le nom de son auteur jusqu’à la dernière postérité.
Ainsi pensait votre illustre prédécesseur.
Entré presqu’à la fois dans les deux carrières qu’il a parcourues si honorablement, il n’a point sacrifié l’une à l’autre, et même c’est par celle des lettres qu’il a commencé sa vie, et qu’il l’a terminée.
Pardonnez-moi, Monsieur, si, en m’écartant un peu de votre opinion à son sujet, j’ose croire que la variété de ses travaux a tenu plutôt à l’étendue de ses facultés qu’aux circonstances extérieures ; qu’il a été lui, plus encore que l’homme de son siècle ; et surtout que, pour arriver aux premiers rangs de son état, les bouleversements de la révolution ne lui auraient pas été nécessaires.
Une tête puissante comme la sienne devait se faire jour dans tous les temps. Le monarque qui, dans Colbert, obscur serviteur de l’un de ses ministres sut démêler le futur restaurateur de la prospérité de la France, n’aurait pas méconnu la vaste capacité de M. Daru, qui avait débuté par des postes plus apparents que Colbert, et il se serait bien gardé de la laisser oisive.
Elle ne pouvait pas échapper davantage à l’homme des temps modernes, qui a su le mieux tirer parti des talents. Aussi, dès qu’il l’eut connu, soit qu’il s’agît de pourvoir aux besoins des combattants, ou de recueillir avec ordre les fruits de la victoire, ou de préparer pendant les courts intervalles de la paix des victoires nouvelles, M. Daru fut-il toujours employé en chef. Intendant d’armée, commissaire pour l’exécution des traités, administrateur des pays conquis, ministre, partout il déploya la même force de tête et la même vigueur de caractère. Car là, rien ne ressemble à ces fonctions paisibles qui s’exercent à loisir dans l’ombre du cabinet. Après le général, c’est sur l’administrateur de l’armée que pèse la responsabilité la plus grave, la plus instantanée. Ces multitudes d’hommes dévoués qui ont fait d’avance à leur pays le sacrifice de leur sang et de leur vie, ne lui demandent que leurs besoins physiques, mais ils les demandent impérieusement. Suivre par la pensée leurs masses diverses dans tous ces mouvements compliqués que leur imprime le génie du chef ; calculer à chaque moment leur nombre sur chaque point ; distribuer avec précision le matériel dont on dispose ; apprécier celui que peut fournir le pays ; tenir compte des distances, de l’état des routes, y proportionner ses moyens de transports, pour qu’à jour nommé chaque corps, la plus petite troupe, reçoive exactement ce qui lui est nécessaire ; voilà une faible idée des devoirs de l’administrateur militaire. Qu’il se glisse dans ses calculs la moindre erreur, et les plus heureuses combinaisons de stratégie sont manquées ; des foules de braves périssent en pure perte ; la patrie même peut devenir victime d’une seule de ses fautes, à ce terrible jeu de la guerre, où le plus petit accident a quelquefois des conséquences si funestes. Mais, avec cette responsabilité presque égale, quelle différence dans les moyens ! Le général dispose du ressort tout-puissant de l’honneur, bien sûr, à ce mot, de tout obtenir de soldats français. Trop souvent le chef de l’administration ne peut employer que des spéculateurs sans honte, qui n’ont d’honneur que le gain, dont les profits croissent avec les embarras, et chez qui en faire naître passe pour le plus grand raffinement de l’industrie, non moins à surveiller, non moins menaçants pour le soldat et pour le trésor que toutes les forces de l’ennemi. Et ces difficultés déjà si grandes dans les temps ordinaires, dans quelle proportion ne s’accrurent-elles pas sur les immenses théâtres où se sont faites les guerres de notre temps, et lorsque, avec une rapidité presque miraculeuse, d’innombrables armées se portaient en quelques semaines au centre du pays ennemi ? Quelle continuité d’action ! que de nuits passées au travail ! Que d’inquiétudes et de soucis amers ! Incurie des subordonnés, indiscipline des troupes, rapacité des chefs, plaintes des peuples, humeur du maître, il fallait savoir tout endurer, tout sacrifier à un objet unique, au salut de l’armée.
Tel fut toujours M. Daru. Ces deux mots de son chef, que vous avez rapportés, le caractérisent complètement. Rien ne l’ébranlait, ni au physique ni au moral ; dans les succès comme dans les revers, son corps d’athlète demeurait aussi sain, aussi frais que sa tête ; toujours même précision dans ses ordres, même clarté dans sa gestion, clarté qu’au besoin il savait, avec une sagacité merveilleuse, porter sur la gestion des autres ; dissipant dès le premier examen tous les nuages, dévoilant en peu de temps les pratiques que l’on avait espéré couvrir de ténèbres impénétrables. Je n’ai pas besoin de rappeler la preuve éclatante qu’il a eu récemment occasion de donner de ce talent.
Après de longs services dans cette administration, un autre poste lui avait été conféré, poste de confiance et comparativement de repos ; mais, au retour de cette invasion de funeste mémoire, entreprise contre son avis, et dans laquelle des fléaux sans nombre justifièrent sa prévoyance on exigea de lui de reprendre ses anciennes fonctions, et cela, lorsque tout déjà était désespéré, lorsque déjà le destin avait prononcé son arrêt, et que notre malheureuse armée était irrévocablement condamnée à ce désastre, dont rien n’approche dans l’histoire, depuis les temps de Cambyse, ou depuis ceux d’Attila.
Devancer l’armée le plus souvent à pied, bravant pendant plusieurs jours un froid de 28 degrés, recueillir pour elle le peu que l’ennemi n’a pas enlevé, ou que n’ont pas détruit ces multitudes d’où le malheur a fait disparaître la discipline ; tâcher de remettre un peu d’ordre dans cet immense désordre, voilà tout ce qui lui fut possible. Mais il se remontra dans toute sa force, l’année suivante, lorsque la France, qui venait de perdre une année de trois cent mille hommes, en reproduisit, comme par enchantement, une autre presque aussi forte, sacrifiée en quelques mois au même esprit de vertige qui avait détruit la première.
Eh bien, cet homme, que l’histoire de notre temps présentera sans cesse comme un ressort principal, comme un instrument essentiel de ces expéditions gigantesques et répétées, dont aucune histoire n’offre d’exemple, est le même qui a fait tant de vers agréables, qui a traduit le plus varié, le plus difficile des poëtes, et qui, s’il se proposait en cela un but peut-être impossible à atteindre, en est cependant approché plus qu’aucun de ses devanciers ; c’est le même qui a mis dans un jour tout nouveau l’histoire de ce gouvernement sombre et cruel, auquel les crimes les plus atroces et les vices les plus bas étaient indifférents, pourvu qu’ils l’aidassent à se maintenir, et dont la chute honteuse était presque nécessaire pour justifier la Providence de lui avoir accordé tant de siècles de durée.
Ce même homme encore, dans deux grands corps de l’État, a traité avec étendue et solidité des questions nombreuses et importantes de haute législation.
Ajouterai-je, mais sans doute le public m’excusera, voyant où je parle, qu’également attaché à ses devoirs de tous les degrés, ce même homme, membre de deux grandes académies, s’y est toujours montré des plus laborieux et des plus assidus ; que, les associant dans son attachement, il consacrait à la gloire de l’une le talent qui l’avait fait appeler à l’autre, et qu’il a passé les derniers jours d’une trop courte vie à chanter, avec les merveilles des cieux, la merveille non moins grande du génie de l’homme, qui a été capable de deviner leurs lois ? Ce fut encore pour lui une étude toute nouvelle. Le traducteur d’Horace, l’historien de Venise, pour célébrer les découvertes immortelles des Copernic, des Kepler, des Newton et des Laplace, se vit obligé de devenir leur élève.
Et que l’on ne croie pas qu’il choisit pour tant de travaux politiques, littéraires ou scientifiques, les intervalles que les affaires de son administration laissaient entièrement libres. Avec M. Daru, tout marchait de front. Il composait au bruit des armes ; quelque excès d’occupation l’empêchait il de méditer ou d’écrire, il songeait à recueillir des matériaux pour des compositions futures. Son poëme.sur les Alpes a été fait pendant cette campagne si agitée, où Masséna repoussa une invasion imminente. C’est au milieu de tout le fracas de la catastrophe de Venise, qu’il conçut le plan de son histoire ; et, dans le partage de ses dépouilles, le seul butin qu’il se réserva furent ces documents si importants qui en forment les preuves. Le plan de son histoire de Bretagne avait été conçu dans des moments plus orageux encore, quand la France déchirait ses entrailles. Pour son Horace, il ne le quittait point à chaque campement, au moindre bivouac, il trouvait quelques moments à lui consacrer. C’est ainsi que, dans les prisons de la terreur, presque en vue de l’échafaud, il adressait à son geôlier cette épître si plaisante, si digne d’Horace, et d’Horace le stoïcien, car vous avez bien dit, Monsieur, qu’il y en a deux, où il lui prouvait que c’était lui, geôlier, qui était prisonnier, tandis que le poëte, sous les verrous, parcourt libre et gai l’univers.
M. Daru lui-même nous donne le secret de cette activité que rien n’a pu interrompre : il est tout entier dans ces belles paroles d’une de ses premières préfaces : que, dans les circonstances les plus pénibles de la vie, il est un noble emploi du temps, qui rend à l’homme tout ce qui lui appartient de bonheur et de dignité.
Oui, Monsieur, ce noble emploi du temps, le travail de l’esprit est, je ne dis pas, la consolation que la Providence nous accorde dans tous nos malheurs (car il est des malheurs où nulle consolation n’est possible, et vous nous en offrez un triste exemple), mais, de tous les adoucissements qu’elle nous a ménagés, le plus sûr, le plus à la disposition du sage. Que, s’il lui est encore accordé d’y joindre l’amitié, quelle contrariété de la vie ne supporterait-il pas avec ces deux soutiens ?
Ce furent l’amitié et l’amour du travail qui réunirent dans l’origine les membres de l’Académie française, et, depuis sa fondation notre compagnie a toujours été consacrée à ce double culte. Venez, Monsieur, l’y partager avec nous ; venez y partager nos vœux pour le bonheur de la France qui en est inséparable. Peut-être trouverez-vous dans nos exercices quelques distractions à vos douleurs ; peut-être aussi devez-vous croire moins qu’un autre, que votre triomphe soit devenu tout à fait étranger pour celle à qui votre piété filiale aurait été si heureuse d’en faire l’hommage. Si les habitants des demeures célestes prennent quelque part aux événements de ce monde, c’est sans doute lorsqu’ils voient honorer par les hommes ceux qui ont toujours fait un noble usage des dons du ciel.