Réponse au discours de réception d’André Dupin

Le 30 août 1832

Victor-Joseph-Étienne de JOUY

Réponse de M. Victor-Joseph-Étienne de Jouy
au discours de M. Dupin

DISCOURS PRONONCÉ DANS LA SÉANCE PUBLIQUE
le jeudi 30 août 1832

PARIS PALAIS DE L’INSTITUT

 

     Monsieur,

L’usage antique d’honorer les morts par des éloges publics est une des plus sages et des plus salutaires institutions sociales ; mais cet hommage insigne n’est dû qu’aux hommes qui ont éclairé le monde par leurs lumières, et à ceux qui ont illustré leur patrie par de grandes actions ou de grands talents : c’est à ce double titre que George Cuvier a mérité le panégyrique que vous venez d’en faire, et qu’on peut apprécier en peu de mots : l’hommage est digne de celui auquel il s’adresse.

En vous rendant l’interprète de nos regrets, vous en avez, Monsieur, adouci l’amertume. L’Académie n’a pu entendre le discours où vous appréciez avec tant de justice et de talent le mérite de M. Cuvier, sans s’applaudir du choix qu’elle a fait de vous pour son successeur. Louer dignement un grand homme, c’est déjà s’associer à sa gloire.

Quand vous aviez à prononcer l’éloge d’un homme de génie qui s’illustra dans la carrière des sciences, des lettres et de l’administration, si vous n’avez fait qu’indiquer avec une lumineuse précision le rang qu’il doit occuper comme naturaliste dans les plus hautes régions de la science, vous n’aviez pas à craindre que son éloge restât incomplet ; chacune des trois Académies, dont il était membre, viendra successivement acquitter, dans cette même enceinte, une part de la dette que l’Institut a contractée envers la mémoire d’un homme dont le génie embrassa toutes les branches des connaissances humaines.

Considéré uniquement dans sa qualité de naturaliste, M. Cuvier n’a jusqu’ici, parmi nous, de rival que Buffon. Sans prétendre établir un rigoureux parallèle entre ces deux grandes renommées, ne pourrait-on pas dire que l’un voulut tout deviner et que l’autre voulut tout connaître ; que l’un supposait quelquefois la réponse de l’expérience, et que l’autre l’attendait toujours ; que Buffon eut besoin de Daubenton pour aller plus loin qu’Aristote dans la science zoologique, où Cuvier s’ouvrit une route nouvelle dans laquelle il entra seul et qu’il traça dans toute son étendue ?

Si nous nous bornons à comparer le style de ces deux grands écrivains, nous avons d’abord à nous défendre du charme inexprimable dont Buffon s’environne ; cherchant partout à lutter de grandeur et d’éclat avec la nature, il colore ce qu’il observe, souvent même il invente ce qu’il décrit. Quelle que soit la hauteur du point où il s’élève, quelle que soit la profondeur de l’abîme où il pénètre, il vous entraîne avec lui, et subjugue votre raison par le merveilleux accord de la pensée et de l’expression.

Moins éblouissant de coloris, moins prodigue d’images, moins harmonieux dans sa période, le style de Cuvier est surtout remarquable par l’enchaînement des idées, par la souplesse des formes, par toutes les combinaisons d’un esprit dont les finesses n’excluent jamais l’exactitude ; non de cet esprit trop commun de nos jours, qui résulte de la rencontre inattendue des mots, souvent même d’une combinaison puérile de syllabes plus ou moins sonores.

Cette puissance de la parole, dont vous avez fait, Monsieur, un si beau titre de gloire à votre illustre prédécesseur, vous l’avez exercée avec la même supériorité dans une autre carrière. L’art de parler est inséparable de l’art de penser ; le savant qui veut mettre en lumière les secrets de la nature qu’il a découverts, l’avocat qui se propose de révéler les mystères du cœur humain qu’il a pénétrés, se servent des mêmes moyens pour arriver au même but, la découverte de la vérité.

« L’œuvre du génie est un enfantement, disait Socrate : c’est peu de concevoir, il faut mettre au jour. »

Le barreau français, dont vous avez augmenté la gloire, n’a pas toujours été représenté à l’Académie française. Depuis sa fondation, elle n’a compté parmi ses membres que Patru, Barbier d’Aucourt, Target, et ce vénérable Pierre Lacretelle dont le souvenir plus récent nous est si cher, et qui partage, avec Servan, l’honneur d’avoir réconcilié la jurisprudence avec la philosophie.

L’éloge public a pour objet les actions publiques de celui auquel on le décerne ; les travaux du savant, de l’orateur, de l’homme de lettres, sont ses actions, c’est par elles qu’il doit être loué.

La plus simple analyse des nombreux ouvrages que vous avez produits m’entraînerait bien au delà des limites où je dois me renfermer ; je ne parlerai donc ni d’un recueil immense de Mémoires et de Consultations, dans lequel les jurisconsultes de tous les temps et de tous les pays puiseront les renseignements de toute espèce que vous avez si laborieusement recueillis, ni d’une collection de nos lois entreprise par ordre du gouvernement impérial, et destinée à préparer une meilleure classification et une refonte générale de nos codes.

En parlant de votre ouvrage en deux volumes sur la Profession d’avocat, je me bornerai à l’indiquer comme le code d’une des plus honorables professions que vous avez noblement exercée, et vers laquelle, vous l’avez déclaré vous-même, vos plus chères pensées se reporteront toujours avec délices.

Je ne ferai mention de vos principaux opuscules, Réflexions sur l’enseignement du droit, Manuel des jeunes avocats, Précis historique du droit français, Notions élémentaires sur la justice, le droit et les lois, que pour signaler comme un bienfait envers les jeunes gens qui se destinent à la carrière du barreau, le soin que vous avez pris de leur rendre l’étude du droit facile, en déblayant, pour ainsi dire, la route qu’ils ont à parcourir.

C’est également en vue d’être utile à la jeunesse française, dans la personne d’un prince qui marche si noblement à sa tête, que vous avez publié les Notions élémentaires sur la justice, le droit et les lois, ouvrage entrepris pour servir de prolégomènes au cours de droit du prince royal, quand son auguste père, comme s’il eût eu le pressentiment de l’avenir qui lui était réservé, voulut que son fils étudiât les lois et qu’il y apprît à respecter les droits d’autrui aussi bien qu’à connaître et à défendre les siens.

C’est aussi pour l’usage de ce jeune prince que vous avez composé l’écrit intitulé : De l’Improvisation appliquée aux discours des princes, et dont l’héritier du trône a si heureusement pratiqué les règles dans les allocutions patriotiques qui ont signalé ses voyages.

Cette partie du monde savant qui s’occupe plus spécialement du droit public et des hautes théories législatives n’oubliera pas qu’elle vous doit des éditions nouvelles de plusieurs anciens ouvrages justement estimés, et auxquels les notes et les dissertations que vous y avez jointes ajoutent un nouveau prix.

Telle est l’édition de Pothier, que vous avez publiée en 1825, dans laquelle on remarque un discours préliminaire sur la vie et les ouvrages de ce célèbre professeur où brillent au plus haut degré cet esprit d’analyse et cette puissance de logique qui forment le caractère distinctif de votre talent.

La dissertation historique sur les divers systèmes de philosophie ancienne et moderne que vous avez introduite dans l’ouvrage de Burlamaqui (Principes du droit de la nature et des gens), est une œuvre littéraire non moins remarquable par les qualités du style que par la hauteur des vues, par la profondeur et la finesse des observations.

Par la nature même de vos travaux, vous avez été quelquefois dans l’obligation de faire à la science et à la vérité rigoureuse le sacrifice de quelques ornements ; mais il est digne de remarque que, parmi vos productions du genre le plus sévère, il en est peu que l’homme de lettres et le philosophe ne puissent lire avec autant d’intérêt et de fruit que le publiciste et le jurisconsulte.

S’il était vrai que les titres littéraires fussent encore aujourd’hui les seuls qui donnassent entrée à l’Académie française, nous les aurions trouvés inscrits en cent endroits, dans vos Observations sur plusieurs points de notre législation criminelle, dans votre Opuscule sur les magistrats d’aujourd’hui et sur les magistrats d’autrefois, et dans presque tous vos plaidoyers, modèles d’éloquence, où l’on admire tous vos plaidoyers, modèles d’éloquence, où l’on admire des vues hardies, des aperçus piquants, des rapprochements ingénieux, des esquisses qui ont tout le mérite de tableaux achevés, des coups de pinceau d’une telle vigueur, que l’on y retrouve tout un homme, toute une époque ; de ces traits, en un mot, dont vous semblez vous être réservé le secret.

Si je ne parle pas ici de celui de vos ouvrages dont vous devez être le plus fier, De la libre défense des accusés, c’est qu’il appartient plus au caractère de l’homme qu’au talent de l’écrivain, et que pour louer dignement un pareil écrit, il suffit de dire : Il fut publié un mois avant le jugement du maréchal Ney.

Craindrai-je, Monsieur, d’être taxé de partialité envers un nouveau confrère, en disant qu’aucun orateur du barreau, parmi ceux qui ont parcouru cette carrière avec le plus d’éclat, n’a mieux prouvé que vous cette assertion de Quintilien : C’est le cœur qui fait l’homme éloquent . En effet, c’est à cette source intarissable pour vous, Monsieur, que vous avez puisé ces inspirations du sentiment, ces élans de l’âme, ces traits brûlants qui s’enflamment par leur rapidité même, et portent dans tous les esprits la conviction dont le vôtre est pénétré.

Cette noble influence de la parole, vous l’avez exercée devant les tribunaux à cette époque déplorable où la France eut à subir deux fois ce que Fox appelait le plus grand des fléaux pour un peuple, une restauration.

Dans ces jours d’un si pénible souvenir, vous n’avez pas balancé, Monsieur, à vous porter le défenseur des victimes que le pouvoir avait choisies parmi les amis les plus ardents de l’honneur national et des libertés publiques.

Pour compléter votre éloge sur ce point, et vous assurer du moins la reconnaissance de la postérité, ne suffit-il pas de répéter ici que dans ces temps de malheur, sous la tyrannie d’un pouvoir de droit divin imposé à la France par un million de baïonnettes étrangères, vous vous êtes fait un devoir de répondre à l’appel de toutes les infortunes ; que vous avez défendu tour à tour la gloire militaire de la France dans la personne de plusieurs de ses plus illustres généraux, la liberté de la presse et de la pensée dans la personne des écrivains qui s’en montraient les plus fermes appuis ? Ne suffit-il pas d’ajouter que du haut de la tribune judiciaire, en butte au même coup dont vous cherchiez à préserver vos clients, vous n’étiez pas moins occupé de démasquer une faction toute-puissante que de défendre contre elle la vertu proscrite, et l’honneur français indignement persécuté ?

Hélas ! votre courageuse éloquence n’a pu sauver la plus illustre des victimes dont la patrie lui avait confié la défense ; mais elle a fait appel à la postérité. La postérité ne s’est pas fait attendre, et déjà sa voix a confirmé l’arrêt contemporain rendu par votre bouche.

J’insisterais, Monsieur, sur les nombreux services que vous avez rendus aux hommes de lettres, plus particulièrement en butte aux inimitiés du pouvoir, si j’avais un intérêt moins direct à en multiplier les preuves ; mais en parlant des écrivains arrachés par vous aux fureurs du réquisitoire, il ne me serait pas permis de passer sous silence les obligations personnelles que vous m’avez imposées, et l’éloge alors, paraissant dominé par le sentiment de ma propre reconnaissance, perdrait quelque chose de ce caractère d’indépendance que l’intérêt public peut seul lui imprimer.

Non content de défendre vos contemporains contre d’odieuses accusations, vous avez poursuivi l’injustice à travers les siècles passés. Remontant à la première année de l’ère chrétienne, vous avez révisé le procès du Christ, et démontré jusqu’à l’évidence la plus incontestable que l’accusation dirigée contre le juste par excellence n’était au fond qu’un procès politique ; que le divin accusé, voyant son pays opprimé par l’armée d’occupation des Romains, abruti par l’intolérance théocratique des prêtres juifs, prêcha une nouvelle religion, fondée sur la tolérance et sur l’égalité.

Accusé par le grand prêtre, et traduit devant un gouverneur étranger, l’Homme-Dieu lui-même devait succomber : il succomba, mais sa morale est restée ; elle vivra autant que le monde.

On a longtemps répété que l’esprit des lettres, et même celui des sciences, étaient incompatibles avec l’esprit des affaires ; la médiocrité envieuse avait trop d’intérêt à soutenir cette absurde proposition pour ne pas l’accréditer de toute sa puissance. Eh ! quelle puissance, Messieurs, que celle de la médiocrité ! elle a dû cependant céder sur quelques points à la grande révolution qui s’est opérée dans le monde politique.

L’art de gouverner les hommes n’est plus un art muet ; la liberté, en lui rendant la parole, a fait de l’éloquence une des premières qualités de l’homme d’État ; c’est encore à ce titre, Monsieur, que vous et votre illustre prédécesseur avez été appelés dans la carrière politique où vous avez tous deux paru avec tant d’éclat ; où vous, Monsieur, avez fait preuve de ce courage civil, le premier ou du moins le plus rare des courages.

Nos annales militaires comptent des milliers de héros, et les noms des l’Hôpital des Molé, des Bailly, des Malesherbes, des Lanjuinais, des Boissy d’Anglas rempliraient à peine une page de nos annales.

Oui, Monsieur, je n’hésite pas à le dire, le courage civil est le plus généreux, parce qu’il est le plus désintéressé, parce que sa gloire contemporaine, alors même qu’il l’obtient n’a qu’un bien faible écho dans l’avenir ; il est le plus périlleux, parce qu’il reste plus longtemps en butte aux coups du pouvoir ennemi contre lequel il s’exerce.

Il est un genre d’éloquence que le gouvernement représentatif a créé parmi nous, et dans lequel vous vous êtes acquis une incontestable supériorité : je veux parler de l’improvisation en matière politique. La définition que vous venez d’en faire, et dans laquelle vous avez si heureusement signalé ses difficultés, ses écueils et ses avantages, ne me laisse que le soin d’apprécier le mérite de celui qui s’est montré l’égal du petit nombre des grands orateurs anciens et modernes qui l’ont précédé dans cette orageuse carrière. Sans doute on ne peut espérer que l’orateur le plus habile, dans un discours improvisé dont son adversaire vient de lui fournir le texte à l’instant même, s’exprime avec cette élégance soutenue, avec cette correction parfaite que l’on serait en droit d’exiger de lui dans une harangue dont il aurait eu le loisir de méditer chaque phrase, de peser chaque mot, mais peut-être est-il également vrai de dire que l’inspiration du moment, que la violence même du choc de l’opinion qu’il combat, peuvent seules lui suggérer tel rapprochement inattendu, tel trait de génie que le calme de la réflexion n’aurait pu lui fournir.

L’écrivain le plus profond, méditant dans le silence du cabinet sur cette puissance occulte des jésuites, qu’une seule pensée dirige et dont l’action se fait sentir en même temps sur tous les points du globe, cet écrivain, dis-je, pourra voir se multiplier sous sa plume éloquente des pages où il essayera d’expliquer ce phénomène, sans rencontrer le trait sublime qu’une inspiration soudaine suggérait au défenseur du Constitutionnel dans un procès de tendance que ce journal avait à soutenir : tourmenté du besoin de faire sentir aux juges le danger toujours croissant d’une secte qui menaçait de tout envahir : « Eh quoi ! Messieurs, leur dit-il, vous ne sentez pas les coups de cette longue épée dont la poignée est à Rome, et la pointe partout. »

Quel ami de l’art oratoire n’a point admiré, Monsieur, dans votre plaidoyer pour l’abbé de Pradt, cette magnifique péroraison où, traçant à grands traits les diverses luttes du despotisme et de la liberté, après avoir montré que l’Europe a toujours subi les mêmes métamorphoses à toutes les époques de l’histoire, vous vous écriiez : « Ainsi, Messieurs, l’Europe entière a tour à tour été grecque, romaine, barbare, féodale ; l’Europe entière sera constitutionnelle. »

Tous ceux qui vous ont suivi et observé aux deux tribunes publiques où votre voix s’est fait entendre, savent que c’est principalement dans les répliques ex abrupto, au moment où votre esprit vient d’être stimulé par la contradiction, que vous vous livrez à cette verve entraînante à laquelle il est si difficile de résister : c’est elle qui vous inspire tant de mots heureux, tant d’expressions pittoresques semblables à celles dont vous vous servîtes dans la défense du Journal des Débats poursuivi par le ministère du 8 août : « Ministres, songez-y, disiez-vous, les coups d’État sont les séditions du pouvoir. » On sait comment ces mêmes ministres ont profité de l’avertissement.

Les interruptions, qui fatiguent et déconcertent souvent les orateurs, produisent sur vous, Monsieur, un effet directement contraire. Il y a peu d’exemples d’une interpellation subite qui n’ait été pour vous l’occasion d’une de ces vives reparties qui font repentir l’interrupteur de son imprudence. Dans une cause où il s’agissait encore de défendre les lumières contre l’invasion des ténèbres, vous citiez ces deux vers où l’auteur des Étourdis parle de ces hommes qui,

Au char de la raison s’attelant par derrière,
Veulent à reculons l’enfoncer dans l’ornière ;

vous hésitiez sur le dernier hémistiche, et quelques-uns de ceux de vos auditeurs qui se rendaient la justice de se croire personnellement attaqués, s’apprêtaient, par un léger murmure, à jouir de votre embarras ; plusieurs voix vinrent à votre secours et achevèrent la citation commencée. « Je ne craignais pas de rester court, dîtes-vous en regardant vos interrupteurs ; ces vers sont dans toutes les mémoires. »

Si la faculté brillante de l’improvisation assure, dans les luttes de la tribune publique, d’immenses avantages à celui qui la possède, on ne peut nier qu’elle n’ait aussi ses inconvénients. Semblable aux flots du torrent, la parole improvisée ne s’arrête pas dans sa course, et porte souvent la pensée au delà du but que l’orateur se proposait d’atteindre. Pressé de combattre un principe, de réfuter un argument, le bouillant orateur, que sa conviction domine, que son ardeur entraîne, pourra quelquefois serrer de trop près son adversaire, sans s’occuper assez, peut-être, des convenances logiques qui pourraient embarrasser sa marche et retarder son triomphe.

Ces écueils de l’improvisation, vous avez su les éviter, Monsieur, et votre talent, dont vous restez toujours maître, gouverne votre imagination jusque dans ses plus fougueux élans.

Cet art si puissant de la parole, et la juste appréciation de vos forces intellectuelles, avaient ainsi marqué votre place dans le sanctuaire de la justice, dans le sanctuaire des lois et dans celui des lettres. Jeune encore, vous vous êtes fait un nom célèbre dans cette triple carrière. La nature ne refuse le temps qu’à ceux qui ne savent pas l’employer, et il est rare que l’homme de génie ne vive pas assez pour sa propre gloire. Pascal mourant à trente-cinq ans avait atteint le point le plus élevé de sa course.

En considérant l’éloquence dans ses rapports politiques avec la science du gouvernement, quel autre méritait mieux d’être admis aux honneurs de la tribune que l’orateur célèbre qui réunit les sentiments du citoyen et le courage du patriote à la science profonde du jurisconsulte ?

Les plus illustres avocats de l’antiquité ont pris rang dans l’histoire parmi les plus grands hommes d’état ; ils avaient plaidé au prétoire pour le salut de leurs concitoyens, avant de plaider au sénat pour le salut de la république.

Désormais l’Institut national., rappelé à sa véritable destination, n’est pas seulement chargé d’enregistrer les progrès de l’esprit humain dans les sciences, dans les lettres et dans les arts ; ses travaux réunis doivent surtout concourir aux progrès de la raison publique.

Vers le milieu du dernier siècle, le puissant génie qui lui imposa son nom, Voltaire, avait préparé cette noble alliance entre les hommes qui cultivent en commun l’immense domaine de la science. « Un temps viendra, dit-il, où les lettres populariseront la science ; la science à son tour éclairera les arts ; et les uns et les autres tendront à perfectionner la science du gouvernement. »

Ce temps est venu : un lien fraternel, comme vous l’avez observé, Monsieur, unit et resserre le faisceau académique, et l’Institut poursuit le cours de ses paisibles conquêtes.

S’il est vrai que ces triomphes ne peuvent être obtenus que dans le repos de la gloire des armes, la nation française, à qui la victoire a si longtemps prodigué ses faveurs, peut aujourd’hui sans craindre de porter atteinte à sa renommée militaire, déclarer à la face du monde que la liberté, l’indépendance et la paix sont le but et le terme de son ambition.

Croyons-en les paroles de l’homme de la renommée, du souverain qui régna quinze ans par la victoire sur la France et sur l’Europe : « L’audace détruit, le génie élève ; la sagesse, la fermeté, le bon sens conservent et perfectionnent. » C’est sur cette pensée, que ne mit pas toujours en pratique le grand homme qui la mit en lumière, c’est sur l’inviolable respect des lois et des libertés nationales, que Louis-Philippe a fondé son gouvernement. Mais empressons-nous de le dire, les biens inappréciables qu’il nous assure, objets de si longs, de si prodigieux efforts, ne pouvaient naître pour nous que sous le règne d’un roi-patriote, d’un roi dont l’illustre Bolingbroke avait cru ne tracer qu’un portrait imaginaire, et dont le peuple français, dans les immortelles journées de juillet, a couronné le modèle.

Bornons là son éloge, tous les cœurs français l’achèveront.

Pectus est quid disertos facit.

Letters on the Idea of a patriot king.