FRAGMENT
D’UN POËME SUR LES BEAUX-ARTS,
LU DANS LA SÉANCE PUBLIQUE DU 15 AVRIL 1813.
PAR. M. PARSEVAL-GRANDMAISON.
CHANT DE LA POÉSIE.
Par l’attrait du passé, de volupté saisie,
Elle aime (la Poésie) à-revoler vers son antique Asie,
A revoir Babylone et l’altière Sidon,
Où l’ombre de Sichée appelle encor Didon ;
Elle aime à voir encor la Troade envahie,
Et Sion tressaillant à la voix d’Isaïe,
Et le divin Tabor, et le terrestre Éden.
Oh ! qui la portera vers ce pieux Jourdain,
Ou du plus saint des rois la harpe détendue,
Aux rameaux du palmier murmure suspendue !
Souvenir immortel du gendre de Laban,
Religieux Siva, vieux cèdres du Liban,
Combien vous lui plaisez ! Sur vos augustes faites,
Monts sacrés, offrez-lui les ombres des prophètes.
Ne pourrai-je plus voir, à travers vos sapins,
Dans un nuage errer leurs fantômes divins,
Et du Cédron, roulant parmi vos roches saintes,
Le torrent n’a-t-il plus sa douleur et ses plaintes ?
Mais, sans chercher au loin des souvenirs si chers,
La France offre à nos yeux la source des beaux vers.
Là, m’égarant au fond d’un bois mélancolique,
Je crois revoir encor Bradamante, Angélique,
Roland, le bon Roger, tous les preux du vieux temps ;
Je vois les grands châteaux pleins de faits éclatants.
N’entends-je pas au pied de leurs nobles tourelles,
Le gothique refrain des tendres pastourelles ?
Ces vallons, ces hameaux, où s’écoulaient leurs jours,
Tous ces lieux enchantés nous content leurs amours ;
Aux bords de ce ruisseau, non loin de ces vieux saules,
Des bardes ont chanté les souvenirs des Gaules ;
Là, brûlant de chercher quelques périls nouveaux,
Des chevaliers errants et par monts et par vaux,
Peut-être, en ces sentiers tous noircis de bruyère,
Ont promené jadis leur gloire aventurière ;
Peut-être, apercevant ce gothique manoir,
De quelque grand fait d’arme ils ont nourri l’espoir.
Je les vois s’avancer, la visière baissée,
En invoquant la dame objet de leur pensée.
Le cor résonne, un pont s’est abaissé soudain ;
Ils entrent, sont reçus par un vieux paladin,
Dont les filles leur font nu accueil plein de charmes,
Leur versent l’hypocras, et détachent leurs armes.
Dirai-je du château les fêtes et les jeux ?
C’est le jour où le paon reçoit d’augustes vœux
Des preux, recommandés par une gloire insigne,
Des templiers fameux, des chevaliers du Cygne ;
Des troubadours galants, témoins de ce beau jour,
Chantent leurs grands exploits, et surtout leur amour.
C’était peu cependant de ces fêtes vulgaires ;
Dans les brillants tournois, simulacres des guerres,
Il fallait voir, aux yeux d’un public enchanté,
Rivaliser l’amour, l’audace et la beauté :
Là, Français, Espagnols, Anglais et Scandinaves,
Accouraient tous en foule au rendez-vous des braves.
Les dames à l’envi, rayonnantes d’atours
Des échafauds dressés déjà couvrent les tours ;
Déjà cherchent des yeux les guerriers dont l’armure
Présente leur couleur, brille de leur parure.
Déjà, prêt à voler, chaque escadron rival
Attend que du combat ‘résonne le signal ;
Cet héroïque amour, dont les âmes sont pleines,
Fait battre tous les cœurs, brûle en toutes les veines.
Un cri soudain s’élève : Honneur aux fils des preux !
Tout part. La lance au poing., cent guerriers valeureux
S’élancent, pleins d’ardeur, se heurtent, se renversent ;
Les casques sont brisés, les armes se dispersent.
Un héraut crie à tous, échauffant ces combats :
Imitez vos aïeux, ne dégénérez pas.
Bientôt cartels mêlés, jeux, castilles, redoutes,
Pas d’armes, carrousels, combats, brillantes joutes,
Par l’éclat des hauts faits, des coups prodigieux,
Enivrent tous les cœurs, ravissent tous les yeux.
Chaque belle animant celui qui l’intéresse,
Lui jette un bracelet, une écharpe, une tresse.
Enfin un guerrier seul a le prix du tournois :
Déjà mille beautés se disputent son choix" ;
Déjà récompensé de sa valeur extrême,
Il cueille un doux baiser sur la bouche qu’il aime ;
Et son roi, qui l’embrasse, honorant son grand cœur,
Remet entre ses mains la palme du vainqueur.