Conférence à l’Institut français de Pékin
le 14 décembre 2014
Allocution de M. Jean-Christophe Rufin,
de l’Académie française
Quelques petites remarques si vous me permettez d’abord par rapport à l’anglais. Il ne faudrait pas croire que nous sommes les ennemis de l’anglais. Dans la langue française, il y a un certain nombre de mots qui ont été créés par le génie de la langue, à partir d’influence étrangère et notamment de l’influence anglaise. Le mot paquebot par exemple qui désigne les gros bateaux vient de packet boat. La redingote vient de riding coat., le chemin de fer c’est la traduction assez imaginative de railway... Au cours des siècles il y a eu un travail fait naturellement par la langue pour adapter des mots de toutes origines, y compris des mots anglais. Ce contre quoi nous essayons de résister, ou tout au moins de proposer une alternative, c’est l’envahissement direct par des mots qui tout simplement n’ont pas de traduction, n’auraient pas de traduction et qui par conséquent devraient être utilisés. Là on entre dans le cœur de la mission de l’Académie : proposer dans la langue française des mots suffisants pour exprimer tout ce dont on a besoin dans les sciences, dans les arts, pour l’expression qu’elle soit littéraire ou technique. C’est ça qui est important.
Deuxième remarque par rapport à la question de la langue nationale. La langue officielle de la République française est le français, donc nous avons une langue nationale qui est supposée parlée par tout le monde, ce qui ne veut pas dire qu’il ne peut pas exister de langues régionales, mais elles n’ont pas le même statut. Je dis ça par opposition à ce que vous disiez tout à l’heure sur les langues régionales ou les langues minoritaires, nous n’avons pas ce problème. Nous travaillons exclusivement sur la langue française puisque c’est celle de la nation. Je ne dis même pas de la République car l’institution à laquelle nous appartenons a été créée en 1614 avant la République par la monarchie et au fond la construction de la nation française s’est faite autour de la langue entre autres, mais beaucoup autour de la langue et finalement nous en avons été les instruments.
Troisième remarque : la question de notre compétence technique. Les quarante membres de notre compagnie ne sont pas des spécialistes de la langue, e ne sont pas des lexicographes, ce ne sont pas des grammairiens, cela peut arriver mais ce n’est pas nécessaire, ce n’est même pas d’ailleurs spécifié. Ce sont des femmes et des hommes qui sont élus, cooptés pour leur compétence, pour leur créativité et l’utilisation de langue. Alors certains sont des écrivains, d’autres peuvent être de grands scientifiques qui ont aussi contribué à la langue dans le domaine scientifique, il y a des juristes, il peut y avoir des militaires, il peut y avoir des religieux, on a un évêque par exemple et dans certaines périodes de l’histoire il y en a eu beaucoup plus. Bref ce ne sont pas des spécialistes au sens strict de la langue, ce ne sont pas des universitaires lexicographes. Notre dictionnaire comme il a été dit est un dictionnaire d’usage. Ce n’est pas un dictionnaire encyclopédique, ce n’est pas un dictionnaire de spécialisation. Nous ne devons pas décrire tous les mots qui par exemple s’attacheraient à la biologie ou à. l’informatique ou à la science. C’est ce que l’on appelait au XVIIIe siècle l’honnête homme c’est-à-dire le personnage virtuel cultivé dans ce qu’il a à savoir et dans les mots qu’il utilise. C’est ça qui nous intéresse. Il y a par exemple des mots de la physique ou de la biologie qui peuvent finalement entrer dans cette catégorie, par exemple le mot prion, pour certains virus, comme pour la maladie de la vache folle. Le prion est un mot que vous pouvez trouver dans des magazines courants, donc le prion n’est plus considéré comme un mot encyclopédique c’est un mot d’usage et dont nous avons l’utilité.
La dernière remarque que je voudrais faire concerne les dictionnaires, parce qu’il y a le nôtre, mais enfin il y en a beaucoup d’autres et ils ont chacun leur approche. Le nôtre n’est pas contraignant, il n’est pas obligatoire. Nous ne sommes pas un organe de police de la langue. Nous proposons un usage, nous proposons des définitions, mais nous ne les imposons pas. Surtout ce qui est le plus important que tout, je crois, dans le dictionnaire de l’Académie, et c’est ce qui nous prend du temps d’ailleurs, c’est qu’il faut nettoyer la langue, le dictionnaire, de tout ce qui n’est plus utilisé. Ceci fait une grande différence avec les dictionnaires notamment anglais, le Oxford Dictionnary, par exemple, qui est le dictionnaire anglais que l’on pourrait considérer comme notre équivalent et qui utilise absolument tous les mots anglais. Nous, on va considérer que le mot doit avoir une certaine généralité dans son utilisation, qu’il soit parlé par un groupe suffisamment large, de façon suffisamment ancienne, de façon suffisamment régulière, donc nous avons un dictionnaire vivant. Evidemment si on fait ce combat de coqs qui consiste à dire combien on a de mots dans notre langue, nous sommes perdants. Nous avons beaucoup moins de mots que les Anglais parce que nous n’avons plus que des mots utiles et vivants.