HARANGUE au Roi prononcée le 12 Juin 1677 sur son heureux retour et sa glorieuse Campagne, par Mr. QUINAULT, alors Directeur de l’Académie.
SIRE,
À la vue de VOTRE MAJESTÉ triomphante et comblée de gloire, nous sommes saisis d’un excès de joie qui nous interdit presque la parole, et qui ne permet à notre zèle de s’exprimer qu’imparfaitement. Mais, SIRE, ce n’est point dans cette occasion que l’Académie Française doit appréhender de ne paraître pas assez éloquente ; il suffit qu’elle vous parle de vous-même pour être assurée de ne rien dire que de merveilleux. On n’a jamais rien imaginé de si grand que les entreprises que vous venez d’exécuter, et le simple récit de vos Actions est le plus parfait de tous les Eloges.
VOTRE MAJESTÉ s’est dérobée aux douceurs du repos pour courir aux fatigues et aux dangers : Elle n’a pas attendu que le Printemps lui revint ouvrir le Champ où tous les ans Elle va cueillir des Palmes nouvelles ; l’ardeur de son Courage a surmonté les obstacles d’une saison rigoureuse ; sa prévoyante Sagesse a réparé par d’innombrables précautions la stérilité de l’Hiver, et sa Prudence a disputé avec sa valeur à qui se signalerait par de plus grands Prodiges.
Du moment, SIRE, que la Renommée eût annoncé le jour de votre départ, la victoire s’empressa pour vous accompagner, et la Terreur devança votre marche. Le premier éclat de la foudre dont vous étiez armé est tombé sur une Ville superbe dont rien n’avait pu abattre l’orgueil, et toute fière qu’elle était, d’avoir bravé les efforts unis de deux célèbres Capitaines, elle ne vous a résisté qu’autant qu’il le fallait pour vous donner l’avantage de l’emporter de vive force. Ce fut alors que vous éprouvâtes heureusement jusques à quel point vous avez porté l’exactitude de la Discipline militaire : vos soldats combattirent en Héros, tant ils furent tous animés par votre présence ; mais après avoir renversé tout ce qui s’était opposé à l’impétuosité de leur Courage, ils s’arrêtèrent par vos ordres dans la chaleur de la victoire, et n’osèrent toucher aux riches dépouilles que le droit de la guerre leur avait livrées. Il le vous en coûta qu’une parole pour empêcher l’affreuse désolation d’une Ville florissante ; vous eûtes le plaisir de la prendre et de la sauver en même temps, et vous fûtes bien moins satisfait de vous en rendre le Maître, que d’en devenir le Conservateur.
Ce grand succès a été suivi d’un autre encore plus grand, et qui paraissait au-dessus de nos plus hautes espérances : vos Peuples sont accourus en foule à ce spectacle ; ils ont été transportés de joie en voyant sortir les Ennemis que vous avez chassés d’une redoutable Retraite, et ils bénissent tous les jours la main victorieuse qui les a délivrés des courses, des ravages, des incendies, dont ils étaient souvent surpris, et continuellement menacez. Ce n’était qu’à vous, SIRE, que le Ciel avait réservé l’honneur de forcer la barrière fatale qui donnait des bornes trop étroites à votre Empire, et de faire du plus fort Boulevard de l’Espagne un des principaux Remparts de la France.
Cependant, comme si c’eût été encore trop peu pour VOTRE MAJESTÉ, de voir que tout cédait où vous étiez, présent, vous avez entrepris de vaincre même où vous n’étiez pas. Vous avez séparé vos Troupes pour étendre vos progrès en divers lieux ; une partie de Votre Armée a suffi pour gagner une Bataille, et pour achever la Conquête de l’Artois ; et vous avez pris soin qu’un Prince qui a partagé avec vous la gloire de votre auguste Naissance, eût aussi part aux honneurs de votre Triomphe.
Ce n’est pas seulement sur la Terre que la Victoire accompagne vos Armes, elle a volé pour les suivre jusques sur les Mers les plus éloignées. Une Flotte ennemie qui avait sur la vôtre toute sorte d’avantages, excepté celui de la valeur, vient d’être attaquée, et détruite, et ses débris flottants portent la terreur du Nom de VOTRE MAJESTÉ sur les bords les plus reculés du nouveau Monde.
Quel bonheur pour nous d’avoir un Protecteur si glorieux, et qui nous donne à célébrer des évènements si mémorables ! Nous n’avons pas besoin de chercher ailleurs qu’en lui-même un modèle parfait de la Vertu héroïque, et nous sommes certains que l’éclat immortel de sa gloire se répandra sur nos Ouvrages, et leur communiquera le privilège de passer jusqu’à la dernière Postérité. Quand nous décrirons vos travaux, SIRE, nous ne serons point dans l’embarras de n’avoir souvent à Vous offrir que les mêmes louanges que nous vous aurons déjà données, quoi que vous ne cessiez point d’être Conquérant, chacune de vos Conquêtes est toujours achevée d’une manière nouvelle et surprenante ; et les images fidèles que nous en ferons, seront autant de différents Tableaux dont chacun aura sa beauté singulière.
Après avoir connu si avantageusement combien vous êtes redouté de vos Ennemis, reconnaissez avec quel excès de tendresse et de vénération Vous êtes aimé et presqu’adoré de vos sujets. Voyez le ravissement qui se montre dans tous les yeux qui vous regardent ; écoutez les acclamations qui retentissent de toutes parts à votre vue. Il faut toutefois, SIRE, ne vous rien déguiser ; la joie publique n’éclate point tant encore pour le succès de vos entreprises qu’en faveur de votre retour. C’est ce retour si ardemment souhaité qui dissipe nos alarmes ; que nous serions heureux s’il les dissipait pour toujours ! Nous n’avons encore pu considérer votre grand cœur qu’avec une admiration inquiète ; nous n’osons presque vous faire voir de brillants portraits de la Gloire qui vous engage si souvent dans le péril ; elle ne vous paraît que trop belle, et ne vous emporte que trop loin.
Mais, grâces à vos Exploits, nous devons espérer que toutes nos craintes seront bientôt finies. Cette Ligue qui se croyait si formidable est frappée elle-même de la consternation qu’elle prétendait jeter jusques dans le cœur de votre Royaume ; les plus fières Puissances de l’Europe armées, et réunies, ne peuvent s’empêcher d’être convaincues de leur faiblesse contre une Nation que vous rendez invincible : plus elle vous ont opposé d’États, de Princes, de Rois, plus elles ont fourni d’ornements à vos Trophées ; et leurs disgrâces et vos Triomphes doivent leur avoir assez appris que le dessein de vous faire la guerre leur fut bien moins inspiré par leur jalousie que par la bonne fortune de VOTRE MAJESTÉ.
On n’en doit point douter, SIRE, il n’y a plus rien qui puisse sauver vos Ennemis que le secours de la Paix. Vous voulez bien leur laisser encore cet unique et dernier moyen d’arrêter les progrès étonnants de vos armes, et nous applaudissons avec plaisir à votre modération. La France n’a plus besoin que vous étendiez ses limites ; sa véritable grandeur est d’avoir un si grand Maître. Le Ciel à qui nous vous devons, nous a donné dans un seul bien tous les biens ensemble : nous ne lui demandons rien de nouveau ; c’est assez qu’il nous laisse paisiblement jouir de la félicité de votre Règne ; il suffit qu’il ait soin de conserver une Vie glorieuse où notre bonheur est attaché, et qui vaut plus mille fois que la conquête de toute la Terre.