Harangue à la Reine d'Espagne

Le 11 septembre 1679

Claude BOYER

HARANGUE à la Reine d’Espagne prononcée en 1679, par Mr. BOYER alors Chancelier de l’Académie.

 

MADAME,

L’Académie Française qui s’est toute dévouée à la gloire du Roi, son Auguste Protecteur, doit prendre part à celle de V. M. Comme il y a entre vos deux personnes sacrées une étroite liaison, une communication mutuelle de gloire et de grandeur ; nous ne pouvons pas ignorer quels sont les respects et les hommages que nous sommes obligés de vous rendre.

Tout cet éclat qui environne nôtre Grand Monarque, rejaillit sur vôtre personne par le privilège de vôtre naissance qui vous rend la première Princesse de son Sang, la Fille d’un Prince très-accompli, d’un Prince l’Unique et digne Frère de LOUIS LE GRAND, d’un Prince admirable dans tous les temps, intrépide dans la Guerre, aimable dans la Paix : et aujourd’hui, V. M. fait rejaillir sur la personne du Roi, les honneurs que vous recevez en devenant la Reine d’une des plus belles parties de l’Europe, et l’épouse d’un des plus puissants Rois de la Terre.

Mais ce n’est pas assez, MADAME, pour rendre à nôtre Roi la gloire que vous lui devez : il ne faut pas s’arrêter à ce titre de Reine tout éclatant et tout auguste qu’il est. Nous contemplons V. M. sous une idée plus avantageuse, nous la regardons comme le précieux lien des deux premières Couronnes du Monde, comme la dépositaire du grand trésor de la tranquillité publique.

C’est vous MADAME, qui devez contribuer plus que toute autre à la conservation de cette Paix, achetée par tant de larmes, et par tant de sang ; de cette Paix qui est le chef-d’œuvre de nôtre invincible Monarque, le plus grand miracle de son Règne, la félicité de tant de peuples et l’étonnement de toutes les Nations. Après cela, MADAME, que nous reste-t-il à vous dire ? pourra-t-on se l’imaginer, et V. M. elle-même le pourra-t-elle croire, qu’il y a dans son destin quelque chose encore de plus grand et de plus admirable ?

Nièce du plus Grand Roi du Monde, Reine d’un des plus vastes Empires de la Terre, et le gage le plus assuré de la réunion de deux Couronnes ; Ces titres ne suffisent pas pour remplit vôtre éloge : il faut vous regarder, MADAME, comme le prix dont la France veut récompenser l’Espagne du présent qu’elle nous a fait de la Mère et de l’Épouse de nôtre Grand Roi.

L’Espagne nous a prêté le sang d’Autriche qui s’unifiant avec le Sang de Bourbon, a formé nôtre Héros et un Fils digne de lui : la France prête à l’Espagne le Sang de Bourbon, pour donner des Héros à la Maison d’Autriche.

Louis le Grand, Louis le Magnifique ne se contente pas de donner la Paix à la Terre, et de donner en même temps avec elle à la Hollande, à l’Allemagne, et à toutes les parties de l’Europe, la sureté, la liberté, et l’abondance ; il a voulu aussi, MADAME, vous donner à l’Espagne, comme un présent plus grand que la Paix même, et comme le dernier effort de sa Magnificence.

Que d’honneurs, que de grandeurs répandues et ramassées sur V. M. C’est ce que l’Académie Française, n’oubliera jamais ; c’est sous ces traits admirables, MADAME, qu’elle vous fera voir à tout l’Univers dans une des premières places de ce Temple auguste, de ce monument éternel que nos Poètes, nos Historiens, et nos Orateurs élèveront à la gloire immortelle de nôtre Protecteur.