Panégyrique du Roi prononcé le jour de la distribution des Prix

Le 25 août 1689

Paul TALLEMANT le Jeune

PANÉGYRIQUE du Roi prononcé en l’année 1689, par Mr. l’Abbé TALLEMANT le jeune, Directeur, le jour de la distribution des Prix.

 

LE croira-t-on dans toute l’Europe, MESSIEURS, qu’on ne s’occupe ici que de fêtes et de distributions de prix ? Tous les Potentats armés contre nous sont dans des agitations continuelles ; ce ne sont que conseils, qu’assemblées, que marches de troupes de tous côtés : et nous tranquilles, et sans inquiétude, nous regardons à loisir le progrès des beaux-arts, nous disputons d’éloquence, et de Poésie, et ne connaissons la guerre que dans les Relations qu’on nous fait de l’embarras de nos Ennemis, et des avantages continuels que nous remportons sur eux. Uniquement attentifs au Sage qui nous gouverne, nous vivons dans une pleine confiance ; semblables à ceux qui dans un vaisseau au milieu de la mer agitée, méprisent le vent et l’onde, tant qu’ils voient le Pilote tranquille ; bien informés que la tourmente même sert souvent plus qu’un zéphyr favorable qui n’enfle les voiles que faiblement. En effet, MESSIEURS, notre Auguste Monarque sur la bonne foi des Traités vivait dans une tranquillité profonde, cet ordre admirable établi dans tous ses États, l’Erreur bannie pour jamais, ne lui laissaient presque plus de nouveaux sujets de gloire à espérer ; et voilà que de toutes parts des Ligues formées l’obligent à reprendre les armes, vont lui fournir de nouveaux sujets de victoire, et donner lieu à de nouveaux Triomphes. Qu’il me soit permis aujourd’hui que la Poésie vient d’être couronnée d’en emprunter quelques traits et quelques couleurs pour vous peindre mieux la noirceur du complot formé par tant de Nations contre la prospérité de la France. Il me semble de voir la jalouse Envie dans l’Antre malheureux où elle fait sa retraite ; comment pourrait-elle souffrir le bonheur dont nous jouissons ? la félicité d’autrui fait toute sa peine, et elle n’en a jamais vu de si parfaite que la nôtre ; la gloire et la vertu lui blessent les yeux, et elle ne les a jamais vues si heureusement rassemblées ni briller avec tant d’éclat qu’en la personne de LOUIS LE GRAND. Elle s’afflige donc avec excès, elle secoue ses horribles serpents, et se promet notre ruine assurée, tant est violent le désir qu’elle a de nous accabler. Elle part furieuse, le flambeau à la main, et savante dans l’art de persuader elle se déguise dans les différentes Cours où elle aborde. Ici elle paraît sous le masque de l’ambition, elle ne promet pas moins que des couronnes, et réveille toute la noire Politique d’un Prince, par les plus superbes espérances qui puissent flatter sa vanité ; là elle prend tour l’éclat de la Gloire, elle anime la vaillante ardeur d’un jeune Héros par tout l’honneur qu’offrent les armes en se mesurant avec le plus grand Roy de l’Univers ; chez la plupart de ces faibles Souverains dont l’Allemagne est remplie, elle inspire une crainte effroyable, chez d’autres un noble désir de se signaler et peut-être de s’agrandir, ou au moins un espoir de mieux subsister dans le trouble, et dans le commun embarras ; elle en entraîne des plus puissants par des liaisons inévitables dans le déplorable état de leurs affaires, et la malheureuse qu’elle est se sert même du voile de la piété pour aveugler les plus saints. Vous avez peine à vous imaginer sans doute, MESSIEURS, sous quelle apparence de bien elle a pu armer contre nous un Prince que la main de Dieu semblait mener à la réunion des deux Empires. Il quitte une gloire certaine, il néglige des avantages, presque incroyables, il redonne aux Ennemis du nom Chrétien le temps de se reconnaître, pour revenir peut-être avec plus de succès le faire fuir encore de sa Capitale, c’est là, MESSIEURS, ce qui a le moins couté à l’Envie, elle n’a pas pris la peine même de se déguiser, elle n’a fait que souffler son venin, et peindre avec de vives couleurs tout l’éclat de la Gloire qui environne le plus parfait des Monarques : C’en est assez pour allumer la guerre : tant de différents intérêts s’unissent ensemble pour notre perte, et la jalouse s’applaudit de voir toute l’Europe en fureur et armée uniquement pour nous nuire. Que cet appareil terrible alarme peu les Français ! La Providence éternelle répand toutes ses bénédictions sur nous, et donne à un Roi plein de piété, un esprit de prévoyance, qui nous met dans une sûreté toute entière.

La Ligue se forme depuis plusieurs années, Louis en détruit tous les projets en un moment, le Dauphin vole vers la Frontière, prend Philisbourg, soumet toutes les villes du Rhin en trois semaines, coup d’essai ! Digne du Fils d’un tel Père ; déjà la plupart de ces Princes qui ont ému la querelle ont senti la pesanteur de nos coups, plus d’un Electeur cherchera sous les herbes les magnifiques débris de ses Palais ; la Justice de Dieu a fait tomber sur eux les horribles calamités qu’ils nous préparaient. Et lorsqu’avec grand bruit enfin nous les voyons assemblés, nous les laissons sans crainte errer longtemps inutilement, et borner toutes leurs fortes menaces à se consumer au siège d’une Ville qui craint peu leurs attaques, et qui leur prépare une longue et vigoureuse résistance. Qui n’aurait crû que tant de Nations jointes ensemble devaient nous faire trembler ? et qui aurait cru que la France seule pût soutenir tant d’Ennemis, et les réduire même à la nécessité de se défendre ? au bruit de la trompette, des troupes innombrables de soldats se rangent sous les Drapeaux, plus de quatre cent mille hommes sont sous les armes en peu de temps, la discipline s’y établit sans peine, et tout est prêt pour vaincre par tout : sous mille différents Chefs, mille différentes armées se présentent avec grand appareil, on les attend de tous côtés sans embarras, et même avec joie ; nos places sont bien munies, nos armées sont lestes et nombreuses, et il reste encore des Troupes qui brûlent du désir de s’y joindre et de se signaler. Venez braves Allemands, tous couverts des lauriers que vous avez moissonnez avec beaucoup de gloire ; plus vous avez eu de force contre le formidable Ennemi du Christianisme, moins vous en aurez contre le défenseur de la Religion ; la justice de vos armes était la source de vos victoires, l’injustice de la guerre où vous êtes engagés sera la source de votre perte. Quel changement incroyable ! un Empereur Chrétien devient le Chef des Protestants ! les Souverains favorisent les révoltes et l’usurpation ! Il semble que Dieu ait permis au démon de troubler tout l’Univers, et on voit en même temps que sa main toute puissante par une protection visible éloigne de nous le trouble et les alarmes, et laisse la fureur et la guerre chez nos Ennemis. Ne craignez rien, Peuples qui vivez sous l’auguste Empire de Louis LE GRAND, Dieu qui voit la droiture de son cœur n’assemble tant de Nations contre lui que pour le faire triompher avec plus de gloire, il n’abandonnera pas un Roi dont la justice conduit tous les desseins, et dont la piété règle toutes les démarches. Quel est en effet le sujet de tous ces mouvements ? Un Prince nommé Electeur est injustement opprimé ; Une illustre Princesse ne peut obtenir les biens qui lui appartiennent par les droits les plus sacrés du sang et de la nature. Un Roi malheureux est chassé de ses États par une noire trahison ; voilà ce qui nous met les armes à la main. Que veulent tous ces Peuples ligués contre nous ? Favoriser l’injustice, chasser un Electeur légitimement élu, confirmer un Usurpateur dans un Trône ; ce sont à la Vérité des Ennemis ; mais les Rois sont les Protecteurs des opprimés, Dieu sera notre force : notre Monarque armé de la justice de sa querelle méprise tant de troupes ramassées ; rien n’ébranlera sa fermeté, et il ne cèdera ni au temps ni au nombre puisque la raison est pour lui. Politique humaine, vous demanderiez quelques ménagements ; c’est ce que Louis croit tout-à-fait indigne de la grandeur de son âme et de sa générosité. L’injustice se déclare par tout, et en même temps ; il faut tout soutenir avec force, il faut pourvoir à tout, rien n’est impossible au cœur de ce Héros, nous ne pouvons douter que Dieu ne daigne bénir de si sages entreprises.

Voyez avec quelle dignité, avec quelle joie, avec quelle magnificence il reçoit ce Prince infortuné qui n’a aucun asile dans le monde. C’est en vain que ce Monarque plein de vertu a tout hasardé pour la vraie Religion, il ne trouve que des Ennemis dans tous les Princes Chrétiens, à peine a-t-il reçu quelque froide louange de son zèle par celui qui devait intéresser tous les Catholiques à le soutenir, et il n’y a que la France qui lui tend les bras, qui environnée d’Ennemis ne craint point de s’en faire encore de nouveaux pour le rétablir. Ce jeune rejeton que la calomnie a vainement voulu dégrader, est aussi précieux à Louis que ses propres enfants, la Reine sa mère ne s’aperçoit guère de son exil, contente au moins dans son infortune de pouvoir élever sans crainte un fils qui lui est si cher, et de respirer en liberté loin des révolutions tragiques et soudaines, dont son Royaume est le continuel théâtre. Le beau spectacle, MESSIEURS, et bien digne de la grandeur de notre Monarque ! lorsqu’on vit ces deux Rois courir aux embrassements ; quel cœur ne fut point touché de voir le malheur de l’un, et la générosité de l’autre ; l’un prêt à courber les genoux devant son unique défenseur, l’autre l’embrassant avec tendresse, et donnant des larmes à son infortune. Vertus peu connues des Grands, Amitié, Bonté, Compassion, vous triomphez dans le cœur de Louis : Jugeons de la peine que lui a donné le déplorable état d’un Roi trahi et détrôné par tout ce qu’il a fait pour lui donner quelque consolation, a-t-il rien oublié de tout ce que l’amitié la plus tendre pouvait imaginer, les plus petits soins qui ne sont pas les moindres signes d’une véritable tendresse y ont été employés ; et si quelque chose pouvait faire oublier la perte d’une couronne, c’est sans doute, un si noble et si généreux accueil ; mais ce n’est pas là que se borne la protection de LOUIS LE GRAND : Il faut rétablir ce Roi dans son Trône, tout semble s’y opposer, un petit nombre de sujets fidèles manquent même d’armes pour se pouvoir déclarer, tous les Trésors publics ont été pillés : Marchez vers vos États, vaillant Prince, allez rassembler ceux qui vous attendent, et qui vous aiment, et rien ne vous manquera pour soutenir leur zèle, on pourvoit à tout avec profusion, vos Troupes auront tous les recours qu’elles peuvent attendre, mille vaillants Officiers Français vont aider de leur prudence et de leur valeur les braves soldats qui sont à vous, une flotte invincible favorisera tous vos desseins, le Dieu vengeur mettra la main à ce grand Ouvrage.

A voir l’application incroyable, de notre Roi, et les dépenses qu’il fait pour rendre une couronne à son légitime maître, dirait-on que toute l’Europe armée cherche à percer la Frontière de son Royaume. Quelle générosité ! de s’oublier presque soi-même, et s’employer entièrement pour autrui ! quelle noble fierté ! qui dédaigne le nombre des Ennemis ! quelle piété enfin ! qui s’attache à la justice, et qui fait toutes choses pour elle ? Espérons tout, MESSIEURS, de la divine bonté sous un Prince si sage et si grand en toutes choses ; déjà ces flottes terribles dont on nous menaçait ont plié devant nos vaisseaux. Ces imaginaires Rois de la Mer joints ensemble se mettent à l’abri de leurs ports ; et fuient devant nous ; déjà un des Royaumes de la grande Bretagne, est tout fidèle à la Religion et à son Roi ; la crainte et la défiance s’emparent de l’Usurpateur, le désordre règne par tout ; déjà toute cette multitude qui devait inonder nos Provinces et porter le feu et la flamme dans le sein de nos États, est obligée de chercher la subsistance dans son propre pays. Voilà de grands efforts bien inutiles, de grands projets bien mal soutenus ; nous en attendrons la suite sans inquiétude. Cependant, MESSIEURS, continuons nos exercices avec plus d’assiduité que jamais, et applaudissons-nous sans cesse du bonheur que nous avons de vivre sous un Règne si fécond en miracles, et où nous voyons croître à tout moment et le vrai culte de Dieu, et la gloire de la Nation.