C’est La Fontaine qui le dit, et nous savons qu’il parlait un excellent français et qu’il écrivait ses fables sans une faute… Alors, pourquoi « court vêtue », alors que justement il nous dit qu’elle était « légère », que nous devinons que sa jupe était « courte » (et son « cotillon simple » et « ses souliers plats », ajoute-t-il avec précision…) ?
C’est un problème un peu délicat, mais qui paraît, dès qu’on a réfléchi un instant, d’une parfaite logique.
Il suffit de se convaincre que, lorsque deux adjectifs se suivent pour former ce qu’on appelle « un adjectif composé », le premier a pour fonction de modifier le sens du second : mais, du coup, il perd son statut de simple adjectif pour devenir l’équivalent d’un adverbe, par conséquent invariable. Perrette, avec son pot au lait sur la tête n’est pas seulement « vêtue » : elle est court vêtue. L’adjectif court s’est mué en adverbe pour modifier le sens du participe vêtue. Elle avait mis sa jupe pour être fin prête, pour remplir son pot d’un lait tout frais tiré et son panier d’œufs frais pondus ; dans chacun de ces adjectifs composés, le premier n’est plus un adjectif : c’est un adverbe.
Quand cette jeune fille rêveuse était nouveau-née, elle rêvait déjà…
Mais cette règle, si logique qu’elle soit, garde une certaine souplesse : c’est que les adjectifs sont parfois un peu fantaisistes… Si grand s’est longtemps montré inflexible, on écrit très bien aujourd’hui : « Elle avait les yeux grands ouverts, et elle sortait de l’étable par la porte grande ouverte, puisqu’elle était fin prête… », certains n’en font qu’à leur tête. Nouveau n’est invariable que pour les bébés nouveau-nés. Quand les adjectifs ou les participes sont substantivés, l’adjectif qui les précède perd son statut d’adverbe et s’accorde naturellement avec eux. Il arrive que les nouveaux mariés soient moins regardants et acceptent que les nouveaux arrivants leur apportent des roses fraîches cueillies…
Philippe Beaussant
de l’Académie française