HARANGUE AU ROY SUR LA PAIX,
Prononcée le 17. Juin 1713.
PAR S. E. M. LE CARDINAL DE POLIGNAC, alors Chancelier de l’Académie
SIRE,
L’Académie françoiſe ne parut jamais avec tant de joye aux pieds de VOSTRE MAJESTÉ, qu’Elle y vient en ce jour, conduite par ſon zele ordinaire & par l’intereſt ſingulier qu’Elle prend à la Paix. Les Muſes dans tous les temps ont aimé le repos & la tranquillité ; ſi quelquefois elles chantent les combats pour celebrer la vertu des Heros, bientoſt aprés elles deplorent le tumulte des armes, qui fait languir les beaux Arts ; mais quand la Paix revient ſur la terre avec tout l’eſclat & tous les avantages de la Victoire, c’eſt alors qu’elles ſont au comble de leurs deſirs.
Qui l’auroit creu, SIRE, qu’aprés neuf ans de malheurs, où, juſqu’à la nature, tout ſembloit avoir conjuré voſtre perte ; vous deuſſiez en ſortir plus glorieux, reſtablir dans vos Eſtats le calme qu’on leur avoit ſi long-temps refusé, conſerver vos plus belles conqueſtes, affermir des Couronnes ſur la teſte de vos Enfants, en donner meſme à vos Alliez ! Effet prodigieux du courage & de la prudence, dont l’Antiquité, ne vous avoit point laiſſé d’exemple !
Il nous l’avoit bien promis, le Dieu de Juſtice & de miſericorde, qu’il abbaiſſeroit le ſuperbe, & qu’il eſleveroit l’humble de cœur. Nous l’avons veu tout d’un coup faire ſucceder le jour le plus brillant à la nuit la plus tenebreuſe, changer les cœurs qu’il tenoit en ſes mains, les ſouſmettre par degrez aux Loix de la raiſon, rejetter ceux qui vouloient la guerre, & confondre leurs vains projets. Pendant que VOSTRE MAJESTÉ tousjours attentive, mais ineſbranlable, ſouſtenoit avec fermeté les eſpreuves de la Providence, ne reflechiſſoit ſur les maux que pour les reparer, plus ſeconde en reſſources que la fortune en diſgraces, preſte à s’expoſer aux plus grands perils, pluſtoſt que de s’abandonner à de foibles conſeils, & ne cherchant le retour de ſes anciennes proſperitez, que pour haſter le ſoulagement de ſes peuples.
Qu’il me ſoit permis de reveler aujourd’huy les miracles de voſtre ſageſſe & de voſtre magnanimité dont j’ay eu le bonheur d’eſtre teſmoin, & de voir inſenſiblement croiſtre & meurir les fruits precieux : Eh ne faut-il pas qu’un ſi fameux evenement ſoit tranſmis par nous à la poſterité ? Superieur aux forces de l’Eloquence, aux ornements de la Poëſie, au moins il paſſera dans la ſimplicité de l’Hiſtoire juſqu’à vos deſcendants, pour leur ſervir de modelle, & pour leur apprendre l’uſage qu’on doit faire des adverſitez & des ſuccés.
Car c’eſt ainſi que vous avez conſommé ce grand Ouvrage ; les Princes de l’Europe deſabuſez par voſtre confiance, ramenez par voſtre bonne foy, deſarmez par voſtre moderation, ceſſent enfin de vous combattre ; ils ne l’auroient jamais entrepris, ſi la grandeur de voſtre Puiſſance leur avoit laiſſé connoiſtre & goûter toutes vos vertus. Quelques-uns ont encore peine à ſe rendre, mais on les verra bientoſt revenir de leur enchantement ; & tous ceux qui n’ont admiré juſqu’ici VOSTRE MAJESTÉ qu’avec crainte, l’admireront deſormais comme nous avec amour.