COMPLIMENT
FAIT À M. D’ARGENSON, Garde des Sceaux de France, le 22 Février 1718, par Monsieur l’Abbé Massieu, alors Chancelier de l’Académie.
MONSEIGNEUR,
Si l’Académie Française paraît devant vous, ce n’est pas simplement pour rendre un hommage extérieur aux deux places éminentes, où le choix du Prince, & votre mérite viennent de vous élever ; c’est pour payer un tribut de sentiments sincères, à vos qualités personnelles. Soutenues de l’autorité souveraine, dont vous êtes le Dépositaire, elles nous remplissent des plus douces espérances.
Nous savons déjà, combien elles nous ont été utiles dans le poste important que l’on vous avait confié. La tranquillité & le bon ordre, qui malgré la difficulté des temps règnent dans Paris, & qui semblent avoir transformé en une seule famille la plus grande Ville du monde, sont le premier fruit de vos travaux. Ce que vous avez fait pour la Capitale, annonce ce que vous allez faire pour tout le Royaume. Et que ne peut-il pas se promettre d’un génie Supérieur, capable des plus grandes vues, sûr dans le choix des moyens, fertile en expédients & en ressources ; qui sait joindre à la justesse du projet la promptitude de l’exécution ; & ajouter une application infatigable à une prodigieuse facilité ? L’assemblage de tant de grandes qualités, répond à la France d’un avenir heureux. Mais nous que ne devons-nous pas en espérer, pour les Sciences & les beaux Arts ?
Vous les aimez, MONSEIGNEUR, vous en connaissez tout le prix. L’honneur que vous avez fait à une de nos Académies, & qui (permettez-nous de le dire) excite dans les autres une jalousie délicate, est une preuve assurée de l’estime que vous avez pour les Lettres. Aussi que ne leur devez-vous pas, MONSEIGNEUR ? Ce font elles qui ont cultivé ces talents sublimes, que vous avez reçus de la nature, C’est d’elles, que vous tenez en partie cette Éloquence persuasive, qui sait prendre toutes les formes & qui s’énonçant tantôt avec force & tantôt avec grâce, toujours avec dignité & dans les termes les plus convenables & les plus propres, règne souverainement sur les esprits. Ce sont elles, enfin, qui vous ont enrichi d’un nombre infini de belles connaissances ; qui vous ont dévoilé tous les siècles ; qui vous y ont fait voir les grandes leçons & les grands exemples de Gouvernement, que les Sages nous ont laissé dans tous les temps ; qui vous mettant sous les yeux & les règles les modèles, vous ont rendu vous-même un modèle excellent dans l’Art de conduire les peuples.
Tant de sujets que vous avez de vous louer des Lettres, nous font espérer, MONSEIGNEUR, que vous serez leur appui ; & qu’en particulier vous honorerez de votre protection une Compagnie, qui rapportant toutes ses vues à la gloire de la Nation, consacre son temps à illustrer les Lettres Françaises, & à perfectionner une Langue, qui vous fait toujours un nouvel honneur, toutes les fois que vous la parlez.