Réponse au remerciment de M. Linant

REMERCIMENT par M. DE LINANT, à Messieurs de l’Académie Françoise, au sujet de trois Prix de Poésie que l’Académie lui avoit adjugés.

MESSIEURS,

Vous m’avez fait l’honneur de couronner trois de mes foibles essais, & vous m’avez permis de vous en remercier. Cette dernière grace me fait encore mieux sentir le prix des trois autres ; c’est rendre ma reconnoissance extrême, que de me permettre de la rendre publique.

Mais, MESSIEURS, des remercimens ne vous suffisent pas ; vos récompense ne font données que pour exciter à mieux faire encore. On ne peut reconnoître vos bienfaits, qu’en faisant de bons ouvrages. En un mot, votre indulgence une fois accordée, met dans la nécessité de n’en avoir plus besoin.

Ce n’est qu’en suivant vos conseils, que je puis profiter de vos exemples ; mais il faudroit encore que j’eusse vos talens. Si je n’ose me flatter de les acquérir, je me flatte du moins de les connoître : c’en est assez pour m’enhardir à les célébrer.

Ainsi que le Héros ([1]) du Chantre ([2]) des Latins
Se saisit du rameau promis par les destins,
Pour pénétrer dans les plaines heureuses,
Où parmi les lauriers par leurs mains moissonnés ;
De tant de demi-Dieux les ames généreuses
Coulent des jours si fortunés :
Tel j’ai conquis une Couronne
Que forment trois rameaux par vous-mêmes tissus ;
Et j’entre dans des murs que la gloire environne,
Où le Lycée est à côté du Trône,
Où par les Rois les talens font reçus.
Pour prix d’une foible victoire,
Un instant près de vous je puis donc me montrer,
Sur le Char d’Apollon au Temple de Mémoire
Ses Ministres m’ont fait entrer.
Là, parmi les Mortels, les Dieux daignent descendre
Au bruit des doux concerts que vos voix font entendre.

Sur tous les Arts par Minerve inspiré,
Un Sage que les jeux entourent,
Y montre le Savoir de mille fleurs paré.
Les Graces, les Plaisirs à ses leçons accourent,
Ravis que Fontenelle à leurs charmes livré,
Soit encor le flambeau de ce siècle éclairé.

Quel autre à ses côtés, par un ton énergique,
Vers l’ame qu’il agite & l’esprit qu’il surprend,
S’est ouvert une route unique ?
Déjà les honneurs qu’on lui rend
L’ont mis près des auteurs maîtres du Dramatique.
Et nos neveux diront : Corneille est toujours grand,
Racine tendre, & Crébillon tragique.

Que de talens en ces lieux réunis !
L’un, par des fictions ([3]), à la raison nous livre ;
L’autre ([4]), en riant, nous invite à la suivre ;
Du génie & de l’art tous font sentir le prix :
De leurs nouveaux succès Pope ([5]) & Milton ([6]) surpris,
Transportés parmi nous, pour nous semblent vivre.
Le Taffe ([7]), Cicéron ([8]), redonnent leurs Ecrits,
Et renaissent François pour illustrer Paris.

Mais, ainsi que du sort une loi souveraine
Entraîna du Troyen les pas audacieux,
Loin des champs où sans bruit le Léthé se promène,
Ainsi plus inflexible, une autre loi m’entraîne
Loin de ce séjour glorieux,
Où, pour prix des talens, on s’approche des Dieux.
Ce n’est qu’un seul instant qu’en votre sanctuaire
Il m’est permis de pénétrer.
Mais rendons à mes vœux le destin moins contraire ;
Pour n’en sortir jamais, méritons d’y rentrer.