RAPPORT
DE M. RAYNOUARD,
SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE
SUR LES CONCOURS D’ÉLOQUENCE ET DE POÉSIE
DE L’ANNÉE 1826.
MESSIEURS,
L’Académie avait à décerner dans cette séance un prix d’éloquence et un prix de poésie.
Le sujet du prix d’éloquence était l’Éloge de Bossuet.
L’Académie pouvait-elle proposer l’émulation des orateurs français un sujet plus noble et plus intéressant.
Bossuet a imprimé à tous ses ouvrages un caractère d’originalité, d’énergie et d’élévation, qui paraissait en lui l’effet de la double inspiration de la religion et du génie.
Dans le siècle de Louis le Grand, il se trouva tout à coup à la hauteur de ce siècle, et il mérita que l’admiration publique renouvelât en son honneur le titre antique et interrompu de PÈRE DE L’ÉGLISE.
Élevant l’éloquence à une dignité religieuse, à une majesté oratoire jusqu’alors inconnues, il se place entre la Providence divine et la faiblesse humaine, pour nous révéler les secrets de la grandeur de l’une et le néant de l’autre.
Dans l’histoire, il reste fidèle à ces hautes inspirations ; il remonte au point le plus élevé où puisse atteindre la pensée, et y rattache la chaîne des terribles et nombreuses catastrophes qui ont successivement changé les destinées de la terre : son style se précipite avec les événements qu’il décrit ; entraîné par son sujet, il entraîne lui-même les lecteurs ; partout il imprime à son ouvrage le sceau de la puissance invisible et suprême dont il annonce et explique les mystérieux décrets.
Grand et sublime écrivain, parce que ses pensées grandes et sublimes imposaient leur autorité et leur force à la langue qu’il façonnait à les exprimer, parce que son talent commandait au style et créait, en quelque sorte, l’instrument nécessaire à rendre ses idées, il n’imita jamais la manière des autres, il eut que celles du génie et de la conviction.
Tel était le genre extraordinaire du talent de Bossuet qu’il eût été un écrivain original et sublime, dans tons les temps, dans tous les lieux, dans toutes les littératures où il aurait eu à remplir une vocation pareille à celle qui fut en France la cause et le moyen de sa gloire.
Quoique les discussions religieuses et les controverses théologiques ne puissent entrer pour beaucoup dans l’éloge académique de Bossuet, il est vrai de dire que les écrits on il discute les droits et les intérêts de la religion, présentent à notre admiration une force de raisonnement, une profondeur d’érudition, une autorité de principes qui laissent peu de place au doute. Le lecteur est tenté de s’écrier à chaque instant : « Cet orateur est éloquent, parce qu’il est convaincu. »
Louis le Grand rendit un hommage d’estime à ce digne défenseur de l’Église et du trône ; ce prince l’affranchit des formalités ordinaires exigées pour l’impression des ouvrages ; les lettres patentes du 12 août 1682 permettent à Bossuet de publier tous ceux qu’il jugera à propos de faire imprimer pour l’utilité publique.
En proposant l’éloge de Bossuet, l’Académie a senti quel genre de talents et de convenances il exigeait mais elle n’a pas hésité dans son dessein d’appeler nos orateurs à payer un nouvel et digne hommage à ce grand homme dont le nom honore la liste des académiciens, et dont l’image décore nos solennités publiques.
Vingt-trois ouvrages ont été soumis au jugement de la compagnie.
Dans un assez grand nombre, le sujet n’est pas suffisamment approfondi, et ce défaut n’est racheté ni par les mouvements de l’éloquence, ni par les ornements du style. Quelques concurrents ont borné leurs efforts à tracer la vie de Bossuet et à exprimer un jugement sur ses ouvrages. Mais l’Académie ne demandait pas que l’on entreprît de refaire ce qu’avait exécuté avec tant de succès un de ses membres, M. le cardinal de Beausset, cet illustre biographe de Fénelon et de Bossuet cet écrivain dont le nom sera désormais prononcé avec les noms vénérés des deux illustres prélats.
Deux discours inscrits, l’un sous le n° 13, ayant pour épigraphe : Jamais homme n’a parlé comme cet homme, et l’autre sous le n° 17, commençant par ces mots : Quelques, années après la mort de Bossuet, ont mérité une attention particulière de l’Académie.
Le discours n° 13 a même obtenu un grand nombre de suffrages pour le prix ; et s’ils avaient été suffisants, l’accessit aurait été accordé au discours n° 17.
Mais les deux ouvrages peuvent recevoir un perfectionnement que permet d’espérer le talent qui les distingue l’Académie a donc jugé avantageux à la gloire de Bossuet et au succès des concurrents de remettre le prix.
Une mention honorable a été accordée au n° 14, dont l’épigraphe est : Me integrum devovebo veritati.
Le concours étant ouvert de nouveau, l’Académie croit convenable de ne pas faire connaître son opinion sur les beautés ou les fautes particulières qu’elle a remarquées dans les discours soumis à son examen ; il est des circonstances où il importe que le secret de chaque ouvrage soit gardé jusqu’au jugement définitif.
Cependant elle avertit les concurrents qu’elle ne saurait approuver cette profusion de passages et d’expressions qu’ils ont presque tous affecté d’emprunter aux écrits de Bossuet.
Ces nombreuses citations, permises ou tolérées à l’égard des auteurs des biographies, ont rarement du succès dans les ouvrages qui exigent un talent oratoire. Ces expressions heureuses, ces pensées énergiques qui, dans Bossuet, brillent encore du rapprochement des expressions et des pensées qui les ont précédées ou qui les développent, offrent souvent, par leur transplantation isolée, une sorte de disparate qui ne tourne pas à l’avantage de ceux qui les emploient.
Sans prétendre désigner spécialement aucun des concurrents, l’Académie doit annoncer qu’en général ils n’ont pas indiqué, d’une manière satisfaisante, tout ce qui appartient au talent et à la gloire de Bossuet dans ces discussions importantes et délicates, où, placé entre le trône et l’autel., défenseur à la fois et médiateur, il se montra digne de conseiller le prince, d’être l’organe du clergé de France, et de défendre à la fois les droits de la couronne et les libertés de l’Église gallicane contre des prétentions qu’on ne devait combattre et vaincre qu’avec le langage du respect et les égards de la soumission.
Il est même des concurrents qui n’ont pas craint d’avancer que Bossuet avait posé la borne qui sépare les droits nationaux et ceux de la cour de Rome.
C’est là une erreur : cette borne existait.
Le mérite de Bossuet et la gloire de Louis le Grand, ce fut de proclamer solennellement, non pas un droit nouveau, mais un droit antique et respecté, droit qui faisait partie des libertés nationales.
Que les concurrents se pénètrent de l’esprit de Bossuet, et ils apprendront de lui l’art d’allier le zèle avec la vérité, le dévouement avec la justice, le courage avec la modération.
Les motifs les plus justes et les plus honorables avaient décidé l’Académie à proposer pour sujet de poésie :
Les fondations et legs de M. de Montyon en faveur des hospices et des Académies.
Le premier concours n’ayant pas offert à l’Académie un ouvrage qui répondit à tout ce qu’elle attendait des concurrents, le prix fut remis, et le rapport qui annonça cette décision s’expliqua en ces termes :
« Dans cette circonstance, on il s’agit d’un hommage rendu pour ainsi dire, au nom de l’Académie, les juges ont pensé qu’une sage sévérité ne serait pas déplacée ; sans doute, les concurrents, avertis du vif intérêt que l’Académie attache à leurs succès, redoubleront de zèle et d’efforts pour rendre leurs chants dignes de l’homme de bien auquel ils doivent être consacrés. »
Le rapport dont ce passage est tiré présente des détails nombreux sur la personne et sur les intentions de M. de Montyon, et indique la manière dont le sujet pouvait être envisagé, soit dans son ensemble, soit par rapport aux divers bienfaits du fondateur.
Sans doute il était difficile de réunir dans un cadre heureux des objets aussi variés, et même quelquefois aussi disparates ; de réduire à un seul tableau poétique et animé, tant de faits qui ne se groupent point naturellement entre eux : nais la difficulté vaincue eût rehaussé le triomphe du poète, et l’Académie ne devait ni ne pouvait s’interdire l’espérance d’un tel succès. Elle se flatta d’avoir à couronner dans l’ouvrage qui obtiendrait le prix, un mérite plus grand encore que le mérite poétique, puisque l’auteur qui eût réuni toutes les conditions indiquées, serait devenu en quelque sorte l’organe et l’interprète de l’Académie elle-même, et aurait acquitté en partie la dette de la reconnaissance nationale.
On ne peut disconvenir que la remise du prix n’ait produit d’heureux et utiles résultats. Quelques ouvrages ont reparu avec des améliorations remarquables ; et bien que les vœux de l’Académie n’aient pas été entièrement remplis, elle n’a pas cru devoir ouvrir un troisième concours, elle a envisagé les diverses pièces sur lesquelles elle avait à prononcer, comme s’il ne s’était agi que d’un concours ordinaire
L’Académie a eu à prononcer sur vingt-neuf ouvrages.
Le prix a été adjugé à la pièce inscrite sous le n° 20, et qui porte pour épigraphe : Qu’on me dise si la gloire attachée au meilleur discours qui sera couronné, est comparable au mérite d’en avoir fondé le prix.
Le rapport de l’armée dernière avait désigné en ces termes l’ouvrage couronné aujourd’hui.
« Cette pièce est une épître à J.-J. Rousseau sur son Discours contre les arts et les sciences.
« L’auteur l’adresse au philosophe, dans l’espoir de le réconcilier avec les sciences, les arts et les hommes, en lui exposant le tableau de la bienfaisance de M. de Montyon.
« L’ouvrage contient quelques passages très-remarquables, soit par la noblesse des pensées, soit par la manière de rendre poétiquement des détails vulgaires ; mais le sujet y est à peine indiqué. On pourrait croire que les tableaux qui se succèdent étaient déjà tracés par l’auteur, et qu’il a voulu les rapprocher dans un cadre, en rappelant quelquefois le nom de Montyon. »
Ce concurrent a corrigé assez heureusement son premier ouvrage. D’une part, il a ajouté à sa composition tout ce qui y manquait d’essentiel relativement aux fondations et aux legs de M. de Montyon ; de l’autre, il a sacrifié quelques passages : le succès des suppressions a même fait regretter qu’elles n’aient pas été plus nombreuses.
L’Académie, en lui décernant le prix, a récompensé le mérite poétique qui éclate en plusieurs parties, toujours traitées avec un talent distingué, lors même qu’elles ne sont pas essentiellement liées au sujet.
L’auteur est M. Alfred de Wailly, professeur au collége royal de Henri IV.
L’Académie a accordé l’accessit à la pièce n° 15, portant pour épigraphe : Je l’essaye, un plus savant le fasse ;
Et des mentions honorables,
À l’Ode n°28, dont l’épigraphe est Transiit benefaciendo ;
À une Épître adressée à M. le baron de Montyon, inscrite sous le n° 13, portant pour épigraphe : Donnez aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel ;
Au poème n° 4, intitulé : La fête anniversaire de Mauriac, et dont l’épigraphe est : Vera laus uni virtuti debetur ;
Et enfin, à une Ode n° 29, ayant pour épigraphe : un peu de bien, c’est mon meilleur ouvrage.
Voici quelques fragments de ces cinq pièces.
Fragments des quatre pièces qui ont obtenu des mentions honorables, et de celle qui a obtenu l’accessit.
FRAGMENTS DE L’ODE N° 29.
L’Académie a distingué dans cette ode les deux strophes suivantes :
La première est relative au prix de Statistique.
Ici de nos savants la troupe industrieuse
De Cérès, de Bacchus déroule les trésors,
Apprend l’art de dompter la terre paresseuse,
Raconte quels tributs s’échangent dans nos ports ;
Nous dit combien de fois la mort et l’hyménée,
Se combattant toujours sans se vaincre jamais
Ont jeté tour à tour sur le front de l’année
Des fleurs ou des cyprès
La seconde, au prix de Physiologie.
L’autre des corps vivants dévoile les mystères ;
Dit comment d’un sang pur le flot réparateur
En fluide vermeil, court gonfler nos artères,
Rougir nos fronts d’amour, de joie ou de fureur ;
Par quel art merveilleux la mémoire féconde
Enrichit le cerveau des trésors du savoir,
Par quel secret ressort l’œil réfléchit le monde
Dans son étroit miroir.
FRAGMENT DU N° 4.
L’auteur du n° 4 a choisi un cadre qui offrait quelques avantages.
Il suppose qu’autour de l’obélisque élevé par la reconnaissance publique à M. de Montyon, dans la ville de Mauriac, les habitants célèbrent une fête anniversaire, et que le magistrat prononce l’éloge du bienfaiteur du pays.
Cette idée était heureuse, mais la difficulté des transitions se fait trop sentir dans un discours où les mouvements ne devaient pas être souvent admis ; ce magistrat ne pouvait guère employer les tournures, les figures et les expressions hardies que l’inspiration permet au poëte.
Les fondations de M. de Montyon sont fidèlement décrites et célébrées dans ce poème. L’auteur y a rappelé assez heureusement le prix de vertu obtenu l’année dernière par Roch-Martin.
On se souvient que cet ancien militaire, beau-frère de trois aveugles, fut récompensé pour son dévouement à les secourir ; il se privait de son propre nécessaire afin de ne pas les abandonner à la pitié des étrangers, et il lui arriva plusieurs fois de tomber de défaillance au milieu des efforts qu’il faisait pour gagner leur pain.
Nul travail n’est permis à ces infortunés,
A subir le repos leurs bras sont condamnés.
De leur frère adoptif l’héroïque constance
S’efforce d’adoucir leur cruelle indigence.
Ils pourraient, protégés de leur infirmité,
Implorer des mortels la sainte humanité
Mais lui, plus généreux, bienfaiteur domestique,
Les affranchit du joug de la pitié publique ;
Il veut suffire seul, sans amis, sans secours,
A fournir l’aliment qui soutiendra leurs jours ;
Souvent il leur apporte un pain qu’il se refuse ;
Il redouble d’efforts, mais son zèle l’abuse :
Il s’épuise, il succombe, et ressaisit en vain
L’instrument du travail échappé de sa main.
FRAGMENTS DE L’ÉPITRE N° 13.
L’auteur, qui avait paru dans le concours précédent a retravaillé son ouvrage avec succès ; malheureusement il s’adresse sans cesse à M. de Montyon, et cette forme a nui à l’ensemble ; mais l’Académie a rendu justice à de nombreux détails.
Il célèbre le dévouement des femmes :
La pudeur est en vous plus belle que la grâce,
O femmes ! Préférer, près du sein maternel,
La misère innocente au luxe criminel.
Entourer de vos soins l’enfance et la vieillesse,
l’amour de Dieu seul vouer votre jeunesse,
Chérir, comme un trésor, la chaste pauvreté,
Ce sont là vos vertus : c’est plus que la beauté...
Il parle ainsi de l’effet de l’exemple :
Pourtant, si l’éloquence avec ses traits de flamme
Grave l’amour du bien dans le fond de notre âme,
Le langage des yeux est encor plus savant ;
L’exemple est un conseil, mais un conseil vivant.
Montyon ! tu sentis qu’offert à notre estime,
L’aspect seul des vertus sert de reproche au crime,
Et ton zèle éclairé dota du même prix
Les belles actions, comme les beaux écrits.
Il dit au sujet du prix de physiologie :
Mystérieuse énigme, éternel phénomène,
Qui tourmentent sans fin l’intelligence humaine,
De système en système égarant les esprits,
Et, toujours expliqués, ne sont jamais compris !
Les vers suivants désignent un des prix relatifs à l’art de guérir :
À ta voix le scalpel, savamment façonné,
Prête un secours rapide au génie étonné.
L’acier, industrieux dans sa cruelle adresse,
Nous fait perdre en douleur ce qu’il gagne en vitesse.
Il décrit heureusement des inventions nouvelles, telles que les ponts suspendus, les bateaux à vapeur, etc.
Plus loin, ces fils tendus, sans arche pour soutien,
Balancent sur cette onde un pont aérien.
Dirai-je ce vaisseau qui d’un essor agile
Remonte le courant de ce fleuve docile ;
Ce long tube de fer et ces fourneaux d’airain,
Ce charbon allumé par un feu souterrain ;
Cette prison brûlante où l’onde renfermée
Se dissout en vapeur, tourbillonne en fumée ;
Cet axe infatigable, et les orbes roulants
Dont le double contour s’attache à ses deux flancs ?
Un bois faible et léger dompte l’eau par la flamme,
Franchit les airs sans voile, et fend les mers sans rame,
Et, se guidant lui-même, offre au regard charmé
L’aspect miraculeux d’un navire animé
Qui brave les écueils et se rit des tempêtes,
Du commerce aux cent bras agrandit les conquêtes.
II dit ensuite de l’enseignement mutuel :
Il chante sur sa lyre, et le flambeau des arts,
Transmis de main en main, brille de toutes parts.
L’enfant sert à l’enfant et d’élève et de maître :
Pour tout rendre meilleur, l’homme veut tout connaître,
Et le vieillard lui-même, oublieux du passé,
S’étonne d’applaudir au siècle commencé.
Ailleurs il caractérise l’aumône par ces vers :
Car l’aumône est cet ange au souris gracieux,
Gardien de ces clefs d’or qui nous ouvrent les cieux.
Pour s’aimer ici-bas et s’entr’aider en frères,
Les grands ont des trésors, le pauvre a des prières.
Le passage suivant terminera ces citations :
Tel fut, ô Montyon, ton zèle diligent.
L’humanité voua ta vie à l’indigent ;
Tu meurs ; et l’indigent, nommé ton légataire,
Semble un fils qui reçoit l’héritage d’un père.
L’auteur de cette Épître est M. Bignan, qui a paru avec succès dans plusieurs concours académiques.
FRAGMENTS DE L’ODE N° 28.
Vertu, talent, dieux de la terre,
Qui vous a décerné ce culte solennel ?
Oh ! quel interprète du ciel
Viendra du fondateur révéler le mystère ?...
La mort. — La mort l’arrache à son obscurité ;
La mort dévoile en lui la faible humanité ;
Mais d’une main puissante et juste.
Au livre des noms glorieux
Elle écrit : Montyon et la terre et les cieux
Ont salué ce nom auguste.
Le fils des rois, aux jours prospères,
Admit dans ses conseils ta rigide équité ;
Courtisan de l’adversité,
Tu suivis ses destins loin du sol de tes pères.
Ah ! Du moins, en fuyant, de tes trésors nombreux.
Tu sauvas une part, celle qu’aux malheureux
Dispensaient tes mains secourables.
Tu restes pauvre et consolé
Et parmi nous encor les dons de l’exilé
Viennent chercher des misérables.
O Montyon tant que ces bords
Verront solenniser les fêtes du génie
Ta mémoire sera bénie
Et des cœurs généreux nourrira les transports.
Du céleste séjour où plane ta pensée,
Ici, sur la vertu par toi récompensée
Abaissant des yeux satisfaits
Tu verras devant ton image
L’équitable avenir déposer un hommage
Éternel comme tes bienfaits.
FRAGMENTS DE LA PIECE N° 15, QUI A OBTENU L’ACCESSIT,
L’auteur a supposé qu’un vieillard du Cantal racontait aux habitants des hameaux les vertus de Montyon, leur bienfaiteur.
D’autres célébreront sa vie,
Moi je la conterai, c’est tout ce que je peux.
Ce poème est écrit d’un style simple et même négligé, qui joint à des traits d’esprit des naïvetés piquantes. Quelques passages rappellent les formes faciles et le ton familier de la Fontaine.
Nous allions tous mourir, quand le ciel favorable
Envoya parmi nous un mortel secourable :
Montyon, ce grand homme, aussi sage qu’humain
Était notre intendant ; comme un ange propice,
Il parut ; il donna soudain
Mieux que de l’or, mieux que du pain :
Il donna du travail. Fondez cet édifice,
En canal bienfaisant transformez ces marais
Construisez ce chemin, réparez’ cet hospice ;
Ce torrent détruit vos guérets,
Qu’une digue l’arrête, et qu’un pont le franchisse.
Il dit, et le fléau, vaincu par ses trésors,
Est contraint d’embellir, de féconder ces bords,
Naguère en proie à ses ravages,
Et nous laisse en fuyant plus heureux et phis sages.
D’un si rare bienfait le bruit se répandit.
Au sauveur du Cantal le bon roi Louis-Seize
Des premiers, dit-on, applaudit.
Montyon par son ordre à la cour se rendit.
Montyon à la cour n’était pas à son aise
Comme parmi les indigents.
Dans ce pays, auprès de bien des gens
Sa bonhomie eut peine à trouver grâce.
Un jour qu’il attendait (ainsi le temps se passe)
De maints jeunes seigneurs il se vit entouré.
L’un raillait son habit gothique,
L’autre sa longue canne, ou son soulier carré,
Mais la vaste rondeur de sa perruque antique
Attira surtout les regards
Et les brocards....
Ainsi notre intendant fut admis à la cour.
Mais, quoi ? dans ce nouveau séjour
Quel rôle était le sien, et qu’y pouvait-il faire
Il y fit ce qu’on n’y fait guère
Disent nos frondeurs du Cantal
Beaucoup de bien et point de mal.
Le mérite dans l’infortune
Trouvait auprès de lui des secours assurés.
Aux Français, de lumière et de gloire altérés,
L’Académie alors tenait lieu de tribune.
Dans cette lice des esprits,
Si quelque heureux concours, signalant maint ouvrage
Avait fait exprimer an docte aréopage
Le regret de n’avoir qu’un prix
Soudain un anonyme, ou deux, ou trois, ou quatre
D’autant de concurrents couronnaient les travaux
Et pour des triomphes nouveaux
Les encourageaient à combattre.
De tant de bienfaiteurs les talents étonnés
Au prix de mille efforts cherchaient à les connaître ;
Il n’en était qu’un seul, et vous le devinez.
Jours brillants, jours heureux, trop prompts à disparaitre
Bientôt aux délices des arts
Succédèrent pour nous les civiles tempêtes ;
La foudre gronda sur nos têtes ;
D’où vint-elle ? de toutes parts.
On couvèrent ses feux ? voilà le grand problème.
Qui fut coupable ? hélas ! tout le monde, et moi-même
Tout berger que j’étais, que sais-je ? envers l’État
Peut-être ai-je commis quelque énorme attentat.
Plaignons, sans accuser : c’est, je crois, le plus sage,
Ou faisons mieux encore, accusons le destin.
En butte aux fureurs de l’orage,
La famille des rois, de rivage en rivage,
Porta son exil incertain.
Montyon la suivit, et déjà sa prudence
Avait chez l’étranger transporté maints trésors,
Non pas pour lui ; mais de nos bords
Il partait entouré des enfants de la France,
Et son cœur dans l’exil prévit la bienfaisance.
Que dis-je ? envers lui-même avare et rigoureux,
Dans chaque besoin qu’il surmonte
Il puise quelque aumône ; émigré pour sou compte,
Riche encor pour les malheureux.
Enfin la France désarmée
Rendit le diadème aux enfants de Henri.
Alors Montyon attendri
Revit de ses aïeux la terre bien-aimée.
Il y recommença le cours de ses bienfaits ;
Pour que la charité fût pour lui plus féconde,
Comme une science profonde,
Il en étudia les devoirs, les effets.
Il voulut rendre heureux l’habitant des chaumières.
Mais comment du bonheur lui frayer le chemin ?
Est—ce par un or vil répandu dans sa main ?
Non ; c’est en lui donnant des vertus, des lumières.
Des lumières ? pardon ! le mot m’est échappé.
Dans quelque docte verbiage
Un autre plus adroit l’aurait enveloppé.
Moi, je parle comme au village.
Amis, vous le savez : de cent malheurs divers
os lumières, dit-on, menacent l’univers.
Le péril est pressant, Dieu le sait ! je proteste ;
Quant à moi qu’il échappe à ma simplicité.
Eh quoi donc ? tout savoir n’est-il pas vérité !
La vérité serait un poison si funeste !
Montyon ne le croyait pas ;
Non. Pour la soulager, instruire l’indigence,
Fut l’emploi de ses jours. Que dis-je ? le trépas
N’interrompt point sa bienfaisance.