Rapport sur le concours d’éloquence de l’année 1833

Le 9 août 1833

Antoine-Vincent ARNAULT

RAPPORT DE M. ARNAULT,

SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

SUR LE CONCOURS D’ÉLOQUENCE DE L’ANNÉE 1833,

 

 

Du courage civil, de ses différents caractères, des services qu’il rend à la société, de ses droits à la gloire et à la reconnaissance publique. Tel est le sujet du concours d’éloquence, sujet proposé pour la seconde fois.

Entre seize ouvrages, envoyés à l’Académie cette année sur cette matière, quatre ont particulièrement occupé son attention. Ces compositions ne sont pas dénuées de mérite à beaucoup près ; mais un examen approfondi lui ayant démontré que les défauts l’y emportaient par trop sur les beautés, elle n’a pas cru pouvoir leur accorder une distinction, aucun d’eux ne soutenant la comparaison avec la seule pièce qu’elle ait distinguée dans le concours de l’année dernière, où le même sujet avait été traité, avec ce n° 6 à qui toutefois elle n’avait décerné qu’une mention.

Le programme qu’elle a publié dès 1831, et que son secrétaire perpétuel avait si judicieusement et si ingénieusement développé, n’a pas été plus heureusement rempli cette année que l’année précédente. Elle engage donc les concurrents qui se présenteront à le méditer et à méditer aussi les conseils qu’ici même, il y a un an, à pareil jour, leur adressait l’homme à jamais regrettable qu’elle avait choisi pour son interprète, conseils d’un homme d’esprit et de cœur, qui, dans plus d’une circonstance de sa vie honorable sous tant de rapports, a donné des exemples de cette vertu dont il définit si bien le caractère.

« Qu’est-ce, disait-il, que le courage civil ? C’est la vertu de remplir courageusement les devoirs que nous impose la place où nous nous trouvons dans la société, sans nous laisser détourner de ces devoirs ni par aucune crainte, ni par aucune séduction, ni par les menaces des hommes, ni par les coups de la fortune. »

Faisant ensuite l’application de cette définition à des faits connus, il prouve que le courage civil peut se rencontrer dans tous les états, dans toutes les conditions chez les rois comme chez les sujets, dans les juges comme dans les accusés, dans les militaires comme dans les citoyens.

Rappelons à cette occasion ses observations sur une erreur qui s’était manifestée dans le concours précédent et qui s’est reproduite dans celui-ci. Elle est relative au courage militaire. Quelques concurrents ont cru ne devoir assigner que la seconde place à cette vertu, où ils voient surtout un effet de la chaleur du sang et de l’organisation physique. Ces causes peuvent caractériser un certain genre d’intrépidité. Mais n’y a-t-il pas de différence entre le courage et l’intrépidité ?

Ne confondons pas avec l’immobilité de la matière, avec l’impétuosité de la machine, qui attendent ou vont au-devant d’un danger qu’elles ne conçoivent pas, la vertu qui, au milieu du danger qu’elle étudie, qu’elle analyse, non-seulement se combine avec toutes les facultés de l’intelligence mais les accroit, les exalte, multipliant dans ses suppositions les moyens d’attaque pour n’omettre aucun moyen de défense. Il est mu par un autre principe que la chaleur du sang, cet homme qui, calme et froid au milieu d’une bataille, pense pour tant de gens qui ne savent qu’agir, et dirige par son génie tant d’automates privés de réflexion.

Le courage n’existe que là où il y a volonté réfléchie, et victoire de cette volonté sur l’instinct de la conservation. Conséquence des sentiments les plus généreux et des affections les plus tendres, le courage est une vertu par laquelle l’intérêt de l’honneur prévaut dans individu sur celui de sa conservation, par laquelle l’intérêt général l’emporte sur l’intérêt particulier ; c’est la vertu triomphant d’abord de la nature, qui vous fait affronter une mort honorable pour échapper à une vie honteuse ; c’est par cette vertu que l’intelligent cavalier diffère du cheval qui n’est que docile en partageant les périls de son maître, et qui, en retournant à la bataille, ne tremble pas, parce qu’il ignore que c’est au danger qu’il retourne.

L’homme, lui-même, qui ne connaît pas l’intensité du danger qu’il affronte, n’a pas droit à la qualification de courageux. Il était courageux l’officier à qui Kléber a dit : « J’ai besoin que quelqu’un se fasse tuer là, vas-y, » et qui y est allé : les soldats qui l’ont suivi, et qui ne savaient pas qu’ils y devaient rester, n’étaient qu’intrépides. L’intrépidité ne connaît pas la crainte, le courage la surmonte.

Dans toutes les professions, dans toutes les circonstances, le courage est la vertu de première ligne. Dire que par la vertu qu’il apporte à remplir ses devoirs, l’homme civil s’élève an niveau des militaires les plus courageux, c’est justice, au-dessus, c’est injure.

Le courage civil et le courage militaire ne sont que des effets différents d’une même vertu appliquée à des circonstances différentes. L’un n’est pas moins admirable que l’autre, et l’homme courageux par excellence est l’homme qui les réunit.

Enfin, déprimer le courage militaire, n’est-ce pas déprimer la gloire française, sur laquelle il a jeté tant d’éclat, et qui l’a faite aussi grande et aussi complète qu’une nation puisse le désirer ?

Ne désespérant pas qu’un sujet si fécond pour le moraliste, et si brillant pour l’orateur, ne puisse être enfin traité de manière à satisfaire pleinement aux conditions du programme, l’Académie remet au concours, pour l’année 1834, le sujet du Courage civil, mais le remet pour la dernière fois. Ce prix sera remporté sans doute. Craindre que cette fois encore il n’y ait pas lieu de l’adjuger, ce serait faire injure aux auteurs des ouvrages que l’Académie a lus, ouvrages parmi lesquels plusieurs ont moins besoin d’être refaits que perfectionnés : ce serait faire injure aussi à l’époque présente, que de paraître douter qu’un grand écrivain dédaignât traiter un sujet qui tient essentiellement à l’honneur national.