DISSERTATION SUR L’APOLOGUE EN ACTION.
LUE DANS LA SÉANCE PUBLIQUE DU 30 AOUT 1832,
PAR M. ARNAULT.
Demandez-vous ce que c’est que l’apologue ? Les uns vous diront, c’est une forme allégorique sous laquelle se cache la vérité ; les autres, que c’est un artifice, grâce auquel la vérité perd ce qu’elle aurait de dur pour les gens à qui on a intérêt à la dire sans les blesser ; d’autres, enfin, c’est un mode de démonstration à l’aide duquel la vérité devient plus intelligible pour le commun des esprits. C’est tout cela. De tout temps l’apologue a été employé dans ces buts divers.
Son but, en définitive, est d’offrir à l’homme une leçon dans un fait. Mais cette leçon qu’Esope met pour l’ordinaire au bout d’un récit, d’autres moralistes ne l’ont-ils pas offerte dans une action, et n’est-elle pas plus frappante encore sous cette forme pour tant de gens qui ont moins d’imagination que d’intelligence, et ne comprennent guère que ce qu’ils voient ?
Segniùs irritant animos demissa per aures,
Quam quae sunt oculis subjecta fidelibus.
HOB.
Peut-être me saura-t-on gré d’avoir rassemblé plusieurs exemples qui le prouvent.
N’est-ce pas un apologue que faisaient jouer devant leurs enfants les Spartiates, quand, pour les détourner de l’excès du vin, ils leur montraient des ilotes qu’ils avaient enivrés ? Etait-il un moyen plus propre de leur démontrer à quel point ravalerait en eux la dignité de l’homme libre une passion qui les ferait descendre au niveau de ces esclaves, rabaissés par elle à la condition de la brute ?
Ce peuple, si économe de paroles, trouvait aussi dans ce genre de démonstration le moyen de suppléer à un long raisonnement presque sans parler.
Pendant la guerre du Péloponèse, il avait envoyé près de Tissapherne un agent, dans le but de l’engager à préférer l’alliance de Sparte à celle d’Athènes. L’ambassadeur athénien ayant employé toute son éloquence à vanter l’habileté de ses compatriotes, le Spartiate, ne mettant en parallèle que la droiture lacédémonienne, se contente de tracer deux lignes qui aboutissent au même point, l’une droite et l’autre tortueuse, et les montrant au satrape : Choisis, lui dit-il.
Raillé de ce qu’il jouait aux noix avec des enfants, Esope pose un arc détendu au milieu du chemin « Si vous voulez conserver à cet arc son élasticité, et pouvoir vous en servir en temps utile, ne faut-il pas quelquefois le détendre ? Ainsi en est-il de l’esprit, » dit-il aux railleurs. N’est-ce pas là un apologue en action ?
Sextus Tarquin, qui s’est introduit en fraude chez les Gabiens, demande à son père, par lettres, comment il doit s’y prendre pour se rendre maître de leur ville. Sans confier même à des tablettes, sa réponse que celui qui la portera ne doit pas comprendre, le tyran, que le messager a rencontré dans un jardin, abat de sa baguette les fleurs qui s’élèvent au-dessus des autres. Sextus à qui le fait est raconté en saisit l’esprit, et bientôt Gabie, où les têtes principales sont tombées, est livrée sans défense aux soldats de Tarquin.
Sertorius, qui au génie par lequel on fait marcher des soldats joignait l’esprit sans lequel on ne gouverne pas les hommes, Sertorius recourait souvent à ce genre d’apologue avec ses troupes. Un jour, voulant leur faire comprendre l’avantage qu’ils avaient à fatiguer par de petits combats l’ennemi contre lequel ils demandaient à grands cris la bataille, « il les fait assembler comme pour les prescher, » dit, d’après Plutarque, Amiot dans son vieux langage, « puis feit amener au milieu de toute l’assemblée deux chevaux, l’un foible extrêmement et déjà vieil, l’autre grand et fort et qui, entre autres choses, avait la cuëue fort espesse, et belle à merveille. Derrière celui qui était ainsi foible, il feit mettre un beau grand homme et puissant ; et derrière le fort cheval, il feit mettre un autre petit et débile qui, à le voir, montrait bien peu de force ; et quand il eut fait un signe qu’il leur avoit ordonné, l’homme qui était puissant et fort prit à deux mains la cuëue du cheval maigre et la tira de tout son effort, comme s’il eust voulu l’arracher ; et l’autre, qui étoit débile, se mit à tirer poil à poil celle du puissant cheval. Quand ce grand et puissant homme eust bien traveillé et sué en vain pour cuider rompre ou arracher la cuëue du cheval foible, et qu’il n’eust en somme fait autre chose que appareiller à rire à ceux qui le regardoient, et qu’au contraire l’homme foible, en bien peu d’heures et sans aucune peine, eut rendu la cuëue de son grand cheval sans aucun poil, adonc Sertorius se dressant sur ses pies : « Voyez, dit-il, mes compagnons et amis, comment la persévérance feit plus que la force ; et comme plusieurs choses inexpugnables à qui les cuideroit forcer tout à un coup, avec le temps se laissent prendre quand on y va petit à petit car la continuation est invincible ; par la continuation, il n’est force si grande qu’à la fin le temps ne mine et ne consume, estant le plus sûr et certain le secours que scauroyent avoir ceulx qui en scavent attendre et choisir l’oportunité et au contraire aussi le plus dangereux ennemy que scauroyent avoir ceulx qui font les choses avec précipitation. »
Le vieux Caton reproduisait sous toutes les formes l’idée qui le dominait Delenda est Carthago, Détruisez Carthage, répétait-il à tout propos. Voulant un jour donner au sénat une idée de la promptitude avec laquelle la ruine de Rome pouvait lui venir de cette république, où Rome avait porté le ravage et dont la paix avait rétabli la fortune, il déploie un pan de sa toge et jette aux pieds des pères conscrits des figues de Libye. Chacun d’admirer, chacun de se récrier sur leur fraîcheur. « La terre qui porte ces fruits, dit-il, n’est qu’à trois journées de Rome. Delenda est Carthago. »
Interrogé sur la cause qui le détermine à répudier Papiria, femme belle et sage dont il a deux enfants : « Regardez ma chaussure, dit Paul Émile, elle est bien faite, il faut pourtant que je la quitte ; personne que moi ne sait où elle me blesse. »
Un jeune homme, que par avance d’hoirie son père avait mis en possession de tout son bien, à l’instigation de sa femme chasse ce vieillard. L’habit de ce pauvre homme tombe en lambeaux. Il demande que pour le défendre du froid pendant la nuit, on lui donne au moins une couverture, la moins bonne des deux couvertures du cheval. Sa bru le permet, et consent que son fils, enfant de dix ans, qui assistait à cette scène, aille chercher ce grossier vêtement. L’enfant part et revient presque aussitôt ; mais il n’en rapporte que la moitié. « Quoi ! s’écrie son grand-père, cet enfant aussi veut ma mort ; il est plus cruel encore que ceux qui lui ont donné le jour. » Étonné de ce que cet enfant enchérit de dureté sur sa femme et sur lui-même, le fils ne peut s’empêcher de le réprimander, « Pourquoi outre-passer mes ordres ? – Papa, j’ai pensé que vous vouliez faire mourir mon grand-père ; j’ai secondé vos intentions. Quant à l’autre moitié de la housse, elle ne sera pas perdue, je la garde pour vous la donner quand vous serez vieux. » Cette leçon, dit le ménestrel qui la raconte, fit rentrer le fils ingrat en lui-même. Il tomba aux genoux de son père, et mérita son pardon en le réintégrant dans la possession de ses biens.
Un fait dont le hasard nous rend témoin est quelquefois aussi un apologue qu’il semble jouer pour notre instruction. « Un roi d Egypte, dit Lucien, dans son dialogue intitulé le Pêcheur, apprit à des singes à danser ; ce à quoi ils réussirent admirablement, cet animal aimant à contrefaire toutes les actions de l’homme. Ce spectacle durait depuis longtemps, quand un facétieux s’avisa de jeter des noix au milieu du quadrille. Oubliant soudain leurs pas étudiés et leur contenance affectée, les danseurs se ruent pêle-mêle, sans avoir égard à leurs beaux habits ni à leurs masques, et, quittant le personnage qu’ils représentaient, ils rentrent dans celui qui leur était propre. »
Le hasard n’enseignait-il pas ainsi à ce roi que sa puissance ne s’étendait pas jusqu’à donner à ses favoris les qualités de la condition qu’il pouvait leur faire ?
Naturam expellas furea, tamen usque recurret.
HOR.
Chassez le naturel, il revient au galop.
Coups de fourches, ni d’étrivières,
Ne lui font changer de manières ;
Et, fussiez-vous embâtonnés,
Jamais vous n’en serez les maîtres :
Qu’on lui ferme la porte au nez,
Il reviendra par la fenêtre.
LA FONTAINE.
Une leçon offerte aussi par le hasard releva le courage d’un des plus grands hommes dont les Ecossais aient gardé la mémoire. Peut-être même est-ce à cette leçon donnée par un insecte que l’Ecosse fut redevable de son affranchissement.
Après avoir perdu six batailles consécutives, Robert Bruce s’était retiré dans l’île de Rochrin, sur les côtes d’Irlande. Il désespérait de sa fortune. Étendu sur un grabat, dans une misérable chaumière, il se demandait s’il ne ferait pas bien de renoncer à la couronne d’Ecosse, et de passer en Palestine pour se racheter, en combattant les infidèles, de l’excommunication qu’il avait encourue en poignardant au pied de l’autel, dans l’église de Dumfries, Commyn le Roux, son compétiteur au trône. Les yeux levés vers le plancher, il se livrait encore à ces réflexions qui l’avaient agité toute la nuit, quand, aux premiers rayons du jour, il aperçoit une araignée qui, suspendue au bout de son fil s’élançait de la poutre auquel il tenait, à une autre poutre pour l’y attacher. Vains efforts ! six fois elle le tente sans succès. Bruce, à qui la victoire était échappée six fois, se trouvait précisément dans la même situation. « Observons la chose jusqu’au bout, « dit-il, et réglons-nous sur ce que fera cette araignée. » L’araignée cependant rassemble tontes ses forces, s’élance de nouveau, atteint la poutre, et y fixe le fil auquel sa toile est aussitôt suspendue. Déterminé par cette leçon, Bruce rentre en campagne. Ce septième effort ne fut pas non plus stérile ; la victoire se rallie à ses drapeaux pour ne les plus quitter ; et l’Ecosse est rendue à la liberté par l’héroïque persévérance dont une araignée lui a donné l’exemple.
Un des plus célèbres conquérants qui aient ravagé l’Asie reçut une pareille leçon d’un escargot. Timur, dans sol adolescence, gardait les troupeaux. Les quittant pour se mettre à la tête d’une horde de Tartares, après avoir obtenu quelques succès, il alla mettre le siège devant une place très-forte. La place lui opposant plus de résistance qu’il n’en attendait, le découragement le saisit. Il abandonne son armée et retourne à ses moutons. Chemin faisant, comme il se reposait sous l’ombrage, ses yeux s’arrêtent sur un objet qui semblait peu digne d’occuper son attention dans un petit moment. Tombé deux fois du haut d’une tige où il s’était élevé avec beaucoup de peine, un limaçon, sans se laisser décourager par ces deux échecs, s’efforçait d’y remonter. Son obstination cette fois fut récompensée. Parvenu au faîte de l’arbuste, il finit par s’y établir solidement. Cela fit rêver le déserteur. Revenant sur ses pas, il ranime l’espérance de ses compagnons, livre un nouvel assaut, prend la place, et, de conquête en conquête, asservit la moitié du monde.
Un de ces hommes à qui rien ne semble si facile que les choses difficiles quand un autre les a faites, tout en dînant avec Christophe Colomb, s’efforçait de rabaisser la gloire de sa découverte. « En se dirigeant toujours à l’occident, disait- il, on était bien sûr de rencontrer les terres qui sont entre l’Europe et l’Asie. — Mais, répliquait le pilote génois, il fallait, pour les rencontrer, avoir l’idée d’aller aux Indes par l’occident. — Rien de plus simple encore que cela, reprenait le critique. — Faites-moi tenir ceci debout, dit Colomb en présentant un œuf à cet homme qui ne s’étonnait de rien. Cela ne se peut pas. Cela se peut ; et cassant l’œuf par un de ses bouts, Colomb lui fait prendre la position verticale. Vous conviendrez, maître Christophe, qu’à l’aide d’un pareil procédé rien n’est plus facile. — Soit ; mais ce procédé si simple, encore fallait-il le trouver. »
Un musulman très-hospitalier, et qui voulait que son fils le devînt, lui recommanda par son testament, en lui laissant d’immenses richesses, de faire des maisons partout. Empressé de remplir les intentions de son père, le jeune homme se détermine à bâtir une maison au Caire, une à Damas, une à Bagdad, une à Bassora ; mais il reconnaît, en y réfléchissant, que, si riche qu’il soit, il ne pourra subvenir à tant de dépenses, et se faire des palais dans toutes les capitales. Il ne comprenait pas trop non plus dans quel intérêt son père lui avait donné ce conseil ruineux. « L’intention de votre père, lui dit un vieux derviche qu’il va consulter, est que vous vous fassiez le plus d’amis possible. Ouvrez votre maison aux étrangers qui viennent dans votre ville et quand vous irez dans leurs villes, ils vous ouvriront leurs maisons. Ainsi vous vous serez fait des maisons partout. »
Je tiens cet apologue d’un de mes camarades, d’un de mes vieux amis, d’un de mes confrères, M. Delaborde, qui l’a rapporté d’Orient avec tant d’autres notions utiles. Mais est-ce bien là un apologue ? me dira-t-on. N’est-ce pas plutôt une énigme ?
L’apologue peut quelquefois ressembler à l’énigme par la forme : le Laboureur et ses enfants, par exemple, apologue emprunté à Ésope par la Fontaine ; mais il en diffère essentiellement par le fond, en ce qu’il renferme toujours une leçon, tandis que l’énigme ne cache habituellement, sous sa forme ambiguë, qu’un sens stérile, et n’est guère qu’un vain jeu d’esprit, quand l’esprit s’y mêle, s’entend.
Contraints par la nature de leur gouvernement à déguiser leur pensée, les Orientaux se sont souvent servis de cette forme mystérieuse pour se donner entre eux d’importants avis. Je ne puis résister au désir de le prouver par un fait intéressant, et j’espère qu’on me le pardonnera, quoiqu’il ne se rattache pas tout à fait au sujet que nous traitons.
En 1816, Khorref Mohémed, capitan-pacha, fut chargé de rapporter au sérail la tête de Katib Oglou, pacha de Smyrne. La commission était délicate. Oglou avait été son camarade ; un tendre sentiment les unissait depuis leur jeunesse. Khorref aurait bien voulu ne pas faire couper le cou à son meilleur ami. Il y allait du sien cependant à ne pas contenter Sa Hautesse. Vu la popularité dont jouissait le proscrit, et la crainte qu’on avait de provoquer un soulèvement si on le frappait au milieu de ses administrés, Khorref avait ordre de faire l’exécution à son bord. Qu’imagine-t-il pour empêcher Khatib qu’il a mandé de venir au-devant du coup mortel ? Il lui envoie par le porteur de son message un fusil et un cheval en lui faisant dire de les conserver pour l’occasion. C’était lui donner avis de se garder ou de se sauver. Malheureusement pour lui, Oglou ne comprit pas le sens caché sous ce présent symbolique. Impatient de remercier Khorref de sa politesse, il crut ne pas pouvoir venir assez tôt à ce bord dont on cherchait à l’écarter. Homme consciencieux, le capitan-pacha, après avoir fait ce qu’il devait comme ami, fit ce qu’il devait comme ministre, et le pacha de Smyrne eut la tête tranchée pour n’avoir pas su deviner une énigme.
Il pensa en arriver autant à Darius, lors de son expédition de Scythie, non qu’il manquât d’esprit, mais parce qu’il avait l’esprit de travers. Heureusement son ami Gobrias comprit-il l’avis que lui donnaient les Scythes quand ils lui envoyèrent par un ambassadeur muet un oiseau, une grenouille, un rat et cinq flèches. Darius avait vu dans cet étrange présent un témoignage de soumission. Gobrias y vit une déclaration de guerre à mort. Il avait deviné. Il est bon quelquefois qu’il y ait des esprits justes dans le conseil des rois.
Revenons à l’apologue. Un des moyens que Pierre le Grand voulait employer pour introduire la civilisation dans son empire était de faire voyager sa noblesse dans les pays les plus civilisés de l’Europe, espérant qu’elle rapporterait de France, d’Angleterre et d’Allemagne, les mœurs qu’il désirait substituer à celles de ses boyards. Dolgorouki, dont il recherchait l’approbation en toute chose, pensait, lui, que ces voyages ne réformeraient pas des hommes faits, et qu’ils étaient moins propres à les corriger de leurs vices qu’à leur en faire contracter de nouveaux. Mais comme le czar, loin de se rendre à cet avis, le pressait avec quelque impatience de lui en démontrer la justesse, il prend une feuille de papier, celle-là même ou se trouvait l’ukase que Pierre allait publier, la plie silencieusement, passe fortement l’ongle sur le pli, puis il demande à l’autocrate si, avec toute sa puissance, Sa Majesté parviendra jamais à effacer la trace de ce pli ? L’apologue n’avait pas pour but cette fois de déguiser la vérité à un despote ; Pierre le comprit et se rendit.
Dans des temps plus rapprochés de nous, Franklin aussi se servit de l’apologue pour donner une semonce à l’un des ministres les plus machiavéliques qui aient jamais dirigé le ministère anglais. Ce gouvernement déportait les condamnés dans les colonies américaines. Après avoir en vain réclamé contre cet usage, Franklin envoya à Robert Walpole, alors chef du cabinet, quatre caisses remplies de serpents à sonnettes, en l’invitant à les faire mettre en liberté dans le parc de Windsor, afin, disait-il, que l’espèce s’en propageât et devint aussi avantageuse à l’Angleterre que les condamnés l’avaient été à l’Amérique septentrionale.
Jusque dans les écoles de philosophie, nous voyons des questions résolues par apologue en action. Platon définit l’homme un animal à deux pieds et sans plumes. Diogène jette dans l’assemblée un chapon plumé, et Platon est réfuté.
Un sophiste nie le mouvement, un philosophe se met à marcher. Un pyrrhonien nie la douleur, un réaliste la lui prouve à coups de bâton. Pour démontrer qu’il n’y a d’homme vraiment libre que celui qui n’est pas sous l’influence des passions, ou, si l’on veut, que l’homme en proie aux passions est le jouet de volontés qui lui sont étrangères, un Athénien tire de dessous sa robe une petite figure de bois ou de carton, et la faisant mouvoir avec des fils qu’il tend ou relâche à son gré, ce dont on peut conclure que les pantins sont aussi une invention renouvelée des Grecs : Ces fils, dit-il, sont des passions qui nous entraînent de côté et d’autre.
Duceris ut nervis alienis mobile lignum.
HOB. Sat.
Ces derniers traits vous semblent-ils des démonstrations plutôt que des apologues ? Il n’en sera pas ainsi de celui qui me reste à vous raconter ; de celui par lequel, las de disputer avec des échappés de l’école du baron d’Holbach, à l’aide de deux dés, l’abbé Gagliani leur fit avouer qu’une intelligence suprême présidait à l’ordre constant qui régit l’univers, et que ses adversaires attribuaient au hasard. Cette ingénieuse démonstration m’a fourni l’idée première d’un apologue que je vais vous lire. Mais, avant, concluons.
Un fait dont on peut tirer une moralité soit qu’on le raconte, soit qu’on l’exécute, est un apologue. Tout drame est un apologue. C’est une collection d’apologues que la mythologie. L’histoire elle-même est-elle autre chose qu’une série d’apologues recueillis pour l’instruction de la postérité, après avoir été joués plus ou moins sérieusement, et tant bien que mal, par des animaux entre lesquels se trouvent quelquefois des hommes ?