Réponse au discours de réception de Pierre Daru

Le 13 août 1806

Antoine-Vincent ARNAULT

Réponse de M. Antoine-Vincent Arnault
présidant l'Académie

au discours de M. Pierre Daru

PRONONCÉ DANS LA SÉANCE PUBLIQUE
le mercredi 13 août 1806 (25 Thermidor an XIV)

PARIS PALAIS DU LOUVRE

    Monsieur,

Que pourrai-je ajouter à ce qui a été dit sur l’illustre collègue auquel vous succédez ? Avant que, dans cette assemblée, vous eussiez acquitté le tribut d’estime dû à ses talents, une dette non moins sacrée avait été payée sur sa tombe ; un de ses amis, un des nôtres, avait retracé en peu de mots les vertus de l’homme que la société vient de perdre. La vie littéraire et privée de M. Collin se trouve tout entière dans ces deux discours, dans celui de M. Andrieux et dans le vôtre : l’un contient l’histoire de son cœur, l’autre celle de son esprit ; et la réunion de ces deux ouvrages forme le plus complet comme le plus véridique de tous les éloges.

Nous pouvons donc détourner un instant notre attention de la perte que nous ayons faite, pour la porter sur l’acquisition qui la répare. Plus heureuses que les familles, les sociétés se renouvellent sous la faux de la mort, et leur consolation est une conséquence de leur malheur même.

Depuis longtemps, Monsieur, nos vœux vous appelaient à cette place où les suffrages vous ont enfin porté. Si nous regrettons de ne pas vous y avoir vu arriver plus tôt, l’utilité que nous eussions retirée de votre commerce n’est pas la seule cause de ce regret. Depuis que votre nom s’est trouvé pour la première fois sur la liste des candidats, l’honorable et rapide avancement de votre fortune a changé votre condition civile. Aux yeux de quelques gens n’aurait-elle pas changé vos droits ? Telle est du moins notre appréhension, d’après laquelle il nous a fallu quelque courage pour être justes. Jouissez, Monsieur, de la victoire que vous remportez sur tant d’estimables concurrents ; vous ne la devez qu’à vous-même. Vous leur avez été préféré, non parce que vous êtes, mais quoique vous soyez dans une place importante, et votre admission parmi nous est une des plus éclatantes preuves de notre impartialité.

Ce n’est pas que l’homme en place, qui même ne se serait pas livré à des occupations spécialement littéraires, ne pût entrer à juste titre dans la société qui vous adopte. Cette société aurait moins de droit au respect si, composée exclusivement d’hommes illustrés par des ouvrages de littérature ou d’imagination, elle repoussait ceux qui, à la tribune, au barreau, dans les conseils, auraient appliqué l’art d’écrire à des matières plus graves. Elles ne durent point être fermées aux d’Aguesseau, aux Séguier, les portes de cette Académie, où Racine siégea entre Colbert, ministre d’État, et Noviou, premier président du parlement de Paris ; de cette Académie dont la liste peut être regardée comme le nobiliaire de la France éclairée, et se compose des noms les plus illustres dans toutes les professions qui ne commandent pas la barbarie dans le style, permettent l’esprit, et ne croient pas leur dignité incompatible avec les charmes de l’éloquence.

Peut-être même nos illustres prédécesseurs ont-ils porté trop loin la bienveillance qu’ils ne pouvaient refuser à ceux qui parlaient avec élégance la langue dont ils voulaient conserver et propager la pureté. Plus d’une fois ils ont admis dans leurs rangs des hommes qui avaient le mérite de posséder ce langage léger et facile de la cour la plus aimable et la plus polie de l’Europe, mais qui n’avaient que ce mérite. Ils ne se sont pas toujours aperçus à temps, que l’art de dire agréablement des riens n’est guère étudié que par celui qui n’a que des riens à dire, et que l’homme qui s’exprimait avec tant de grâce et d’aisance mettait rarement la main à la plume sans compromettre son purisme, par des négligences ou des hardiesses qui n’étaient pas toujours heureuses.

Au reste, le sort de ces académiciens nommés sur parole a été de n’occuper qu’une fois l’attention publique ; sans gloire au milieu des honneurs, et loin de réfléchir l’éclat du corps dont ils complétaient le nombre, ils y ont existé sans paraître : tels que ces pièces de remplissage employées par l’imprimerie à figurer les lacunes ; espèce de vides matériels, qui font corps avec les caractères, mais ne concourent pas comme eux à la propagation des idées.

Je m’étendrai peu, Monsieur, sur vos titres académiques. Insister sur des éloges que vous seriez obligé d’entendre, ce serait vous faire un supplice de votre triomphe.

La poésie française vous doit une traduction complète des œuvres d’Horace. C’est à ceux qui connaissent le poëte latin a apprécier le poëte français qui a suivi dans toutes ses excursions l’un des génies les plus variés qui aient existé, et reproduit dans notre langue cet auteur, qui, tour à tour gracieux, mordant, enjoué, sublime et toujours philosophique, a chanté sur tous les tons, a fait résonner toutes les cordes de la lyre.

Et, qui le croirait ! cette entreprise, qui semble avoir été l’objet de votre unique occupation, n’est que le fruit de vos amusements ; c’est dans vos moments de loisir que vous avez terminé un travail qui aurait rempli la vie d’un autre et ce travail, enfin, n’était pour vous qu’un délassement des fonctions administratives !

Nouvelles preuves de la compatibilité des lettres avec les occupations les plus sévères et les plus arides ; nouvelles preuves de l’absurdité de cette opinion, tant accréditée parce qu’elle est dans l’intérêt de tant de gens, opinion d’après laquelle quiconque a fait preuve de supériorité dans les lettres, aurait dès lors manifesté son incapacité pour tout travail moins difficile ; opinion d’après laquelle partout, hors dans cette enceinte, on interdirait à l’homme de génie ses prétentions autorisées dans le commun des hommes.

Votre existence politique et celle d’un grand nombre de nos collègues, qui n’ont pas trouvé dans leurs talents des obstacles à leur élévation, prouvent heureusement que cette opinion n’est pas sur le trône. Elle n’est jamais entrée que dans les têtes étroites dont elle ne sortira jamais. En effet, ceux qui suffisent à peine à une chose concevront-ils qu’on en puisse entreprendre plusieurs avec succès ? mais que disent-ils donc du chef qui, tout en gouvernant la France, embrasse par son génie tous les intérêts du monde, les règle par sa volonté, et trouve encore des moments à donner à l’étude des sciences et à la culture des beaux-arts ?

Encore un mot. Vous pensez, Monsieur, que l’amitié a pu influer sur votre nomination. Cette présomption est fondée ; mais elle ne doit pas être accompagnée de crainte. La préférence que vous obtenez, vous ne la devez point à un sentiment aveugle. Vous comptez, il est vrai, parmi nous plusieurs personnes qui se sont plu à fortifier par un nouveau lien celui qui les unissait à vous ; mais ce premier lien n’avait-il pas été formé par vos talents mêmes ? Ne sont-ce pas les qualités de votre esprit qui ont attiré vers vous ceux que les qualités de votre cœur vous ont attachés ? Oui, Monsieur, j’aime à le répéter ici, c’est à l’amitié que vous êtes redevable de notre choix ; mais c’est à l’estime que vous avez dû notre amitié.