M. le comte de Guibert, ayant été élu par Messieurs de l’Académie française à la place de M. Thomas, y vint prendre séance le lundi 13 février 1786, et prononça le discours qui suit :
Messieurs,
En me rappelant cette noble devise, qui tout à la fois vous marque votre but & vous sert de présage ; en contemplant cette foule de grands Génies en tout genre qui ont répandu leur éclat sur l’Académie, j’ai toujours été alarmé de ce que vous aviez le droit d’exiger pour y être admis ; j’ai toujours frémi sur-tout, à la vue de cette loi, qui en imposant aux Candidats l’obligation de se présenter, commence par soumettre leur prétention à leur propre jugement, & finit quelquefois par faire évanouir de trop flatteuses espérances. Je n’avois garde, sans doute, de murmurer contre un joug sous lequel tant de triomphateurs ont courbé leurs lauriers ; mais il m’inspiroit une muette circonspection. J’aurois voulu m’en approcher, précédé du moins de quelques-uns de ces droits qui les y ont fait passer sans crainte ; j’en attendois de l’avenir. Quel homme ne porte pas dans son cœur des espérances de succès ? Vous m’avez encouragé ; l’amitié m’a tendu la main, l’indulgence a daigné m’accueillir. Sans doute, au défaut de grands talens, aimer les Lettres, honorer les principes des grands Maîtres, adorer leurs chef-d’œuvres, reconnoître que la perfection du langage est ce qui fait vivre les Ouvrages de Littérature ; ces sentimens, dont je fais hautement profession, vous ont paru en moi des titres recommandables : sans doute aussi, Messieurs, vous m’avez tenu quelque compte de cet amour pour la gloire que j’ai ressenti dès mon enfance, & qui dans plusieurs carrières à la fois m’a fait aspirer à l’atteindre. Les passions nobles deviennent honorables par leur constance ; elles n’ont pas besoin d’être couronnées par le succès, pour obtenir quelque estime aux yeux des hommes.
Cette juste défiance de moi-même a été bien augmentée dans cette circonstance par mon respect pour le célèbre Académicien auquel j’ai l’honneur dangereux de succéder : oui, Messieurs, l’honneur dangereux ; car lorsqu’une place a été occupée par un grand talent, lorsque le Public s’est accoutumé à la voir long-temps resplendissante de gloire, il attend, il juge le Successeur avec une force de défaveur & même de sévérité. L’objet de ses hommages n’est plus, la statue révélée a disparu ; mais son piédestal reste, & c’est sa hauteur qui sert de mesure à celui qui ose y monter. Messieurs, toute les fois que la mort vous enlève un grand Génie, entend-t-on le Public, avide de prolonger les témoignages de son admiration, avide sur-tout de les prodiguer au mérite, quand il est descendu au tombeau, souhaiter que sa place restât vacante jusqu’à ce qu’elle pût être occupée par un Génie égal. Si ce souhait étoit accompli, je n’aurois pas aujourd’hui l’avantage de m’asseoir parmi vous. Eh ! quand les places de vos grands Hommes ne seroient pas toujours immédiatement remplies, quand elles attendroient quelquefois des talens dignes d’elles ; ces vides sacrés n’en rendroient l’Académie que plus auguste. Ainsi, dans un beau Temple antique, quelques parties d’Architecture incomplètes, quelques colonnes renversées çà & là, ne font peut-être qu’ajouter à as majesté : l’imagination s’y arrête avec respect ; elle regrette ou recompose ce qui manque, & l’édifice en acquiert un caractère plus solennel & plus grand.
De même que plusieurs d’entre vous, Messieurs, pour lesquels ce jour est une cérémonie funèbre, je n’ai pas le malheur d’avoir à pleurer dans M. Thomas un ami particulier : mais l’estime & l’admiration ont aussi leur douleur. Je le connoissois beaucoup, je le rencontrois souvent, je le recherchois toujours : je m’honore de l’amitié d’une des personnes au monde qu’il aimoit le plus, & la chaîne des affections transmet des contre-coups sensibles. Enfin, qu’il me soit permis de me parer ici d’un souvenir qui me flattera toute ma vie ; il étoit un des Académiciens qui m’avoient le plus souvent invité à me présenter ; & si cette idée touchante de M. d’Alembert, que les Académiciens eussent, en mourant, le droit de donner leur voix, avoit eu son exécution, je puis croire que M. Thomas, qui n’avoit jamais trahi la vérité, qui n’avoit jamais fait des témoignages de son estime une monnoie infidèle, m’auroit assuré ce legs honorable.
Je me hâte, Messieurs, de vous parler de lui seul : car vos regrets, je le sens, doivent plus vous occuper que ma reconnoissance. Mais qui suis-je pour louer dignement M. Thomas, au milieu de ces murs qu’il a si souvent fait retentir d’applaudissemens, en présence d’une Assemblée pénétrée d’estime pour sa mémoire, devant des amis désolés, qui trouveront toujours mes expressions au-dessous de leur perte ? Qui suis-je pour le célébrer, comme Poëte & comme Orateur, à côté du talent qui va prendre la parole après moi, & qui, sous ces deux rapports, pourroit si bien le juger & le peindre : Oh si l’ame tenoit lieu de facultés !… Mon imagination mesure du moins toute l’étendue de la tâche qui lui est imposée ; elle s’enflamme à sa vue ; l’Élysée s’ouvre devant moi ; je me sens pressé par ces grands Hommes que M. Thomas a loués lui-même avec tant d’éclat : leurs Ombres reconnoissantes m’environnent ; elles me crient : « Acquitte notre dette ; nous sommes là pour nous plaindre ou pour t’applaudir ».
Ces beaux Éloges publics, qui ont jeté tant de lustre sur le commencement de la carrière de M. Thomas, se lient, Messieurs, à une époque bien honorable pour vous : jusques-là vos Prix d’Éloquence n’avoient eu pour objet que des sujets de Morale rebattus, des questions oiseuses, & quelquefois, à la honte des Lettres, des amplifications de flatterie, consacrées au pouvoir vivant ; vous conçûtes alors la noble & belle idée de les appliquer aux éloges des grands Hommes de la Nation, c’est-à-dire, de vous faire le Tribunal de la Postérité, de remettre sous les yeux de vos contemporains de grands exemples, de venger souvent le génie & la vertu, des injustices de leur siècle, & d’élever des autels à des mânes illustres qui erroient sans tombeau. Mais cette grande idée pouvoit, dans son exécution, ne pas remplir votre attente, & perdre par là de son éclat. Ainsi, quelquefois l’intention d’un grand monument veut en vain donner l’immortalité à celui qu’elle honore : si le talent de l’Artiste est resté au-dessous du sujet, si le génie n’a imprimé la vie à la matière, s’il n’y a pas apposé le sceau de l’éternité ; le monument solitaire & sans culte, devient presque un outrage, & n’est bientôt plus qu’une ruine oubliée.
Il falloit donc, Messieurs, que les premiers hommages publics que vous décerniez honorassent votre institution ; il falloit qu’il se présentât, pour la remplir & pour mettre à côté de votre pensée des modèles durables, un homme doué d’une ame élevée & d’un grand talent ; amoureux de la vertu, & la faisant respecter par sa vie ; passionné pour la gloire, & brûlant de la louer, en attendant qu’il pût l’atteindre ; nourri par d’excellentes études ; fortifié par des lectures immenses, & pouvant par conséquent n’être pas étranger aux différens genres de mérite & de profession que vous alliez mettre sur la scène : cet homme se trouva dans M. Thomas. Le choix des sujets de ses premiers ouvrages annonçoit déjà une ame vouée aux idées nobles, & un esprit sans jeunesse : c’étoit un Poëme sur la mort de Jumonville, une Épître sur le Temps. Quand on débute par célébrer la gloire & par réfléchir sur le temps, on donne à penser que le reste de sa vie on cherchera l’une, & qu’on employera l’autre. Il entra dans la lice que vous ouvriez ; & couronné cinq fois de suite, il fallut, pour rendre la parole & l’espérance à ses rivaux, le faire asseoir parmi les juges.
Quelle richesse, Messieurs, quelle variété de tons, de couleurs, de formes, de connoissances dans ces cinq Éloges qui lui valurent vos couronnes ! Quel Écrivain, depuis Bossuet, avoit loué des grands Hommes avec une manière aussi proportionnée à eux ? Quel homme avoit peint leurs actions avec tant de vérité, & leurs pensées avec tant de vraisemblance ? Et pour parler d’un mérite que ne put avoir Bossuet, soit parce qu’il lui étoit interdit par son saint ministère, soit aussi parce que son siècle n’avoit ni ce genre d’esprit, ni cet essor ; quel Orateur mêla jamais à ses discours, & tant de philosophie, & tant de morale publique, & tant de grandes leçons pour ceux qui gouvernent les hommes, ou qui dirigent leurs opinions ?
Entre ces cinq Éloges que vous avez couronnés, quel Ouvrage sur-tout que l’Éloge de Descartes ! quel superbe monument élevé aux Sciences ! Jusques-là ces sujets sévères & abstraits sembloient interdits à l’Éloquence. Qu’il fallut à M. Thomas & d’art & d’esprit, qu’il eut besoin de posséder profondément son sujet, pour allier avec succès des genres en quelque sorte ennemis, pour prêter des couleurs brillantes à des vérités froides, pour associer des images à des faits, des comparaisons à des calculs ; pour faire jaillir, du milieu de l’explication d’un système aussi prodigieux, aussi compliqué, aussi universel que celui de Descartes, tant de grandes idées qui appartiennent à l’Orateur, & qui cependant ne sont point étrangères au grand Homme qu’il célèbre ! À travers ce cahos de tourbillons, de soleils, de mondes, d’immortelles vérités, ou d’erreurs sublimes encore, quels heureux repos pour la pensée du Lecteur, quelles belles masses de morale & de philosophie jetées par intervalle, que ces morceaux sur l’éducation de Descartes, sur ses voyages, sur la persécution qu’il essuya en Hollande, sur sa vie privée, sur cette insatiable curiosité qui lui fit tout étudier, tout examiner, tout connoître, pour arriver à douter & ensuite à créer ! Comme M. Thomas agrandit, par tous ces détails accessoires, le mérite principal de Descartes, & sur-tout l’idée qu’on avoit de son génie ! comme il fait sentir que Descartes, en étant tout ce qu’il fut, auroit pu être aussi tout ce qu’il auroit voulu, si le hasard ou son choix lui eussent donné une autre destiné ! comme il fait tour à tour estimer le caractère de Descartes & aimer son cœur ! comme on jouit de son affliction, quand il apprend la mort de son père & des tendres & pieux remords qu’il éprouve de ne pas lui avoir fermé les yeux ! comme on pleure avec lui cette Francine, cette enfant, fruit d’une foiblesse qui la lui rendoit encore plus chère ! Descartes, le grand Descartes, abîmé dans sa douleur, au point que, la Nature entière resta pendant quelque mois éclipsée pour lui, donne l’idée d’un Souverain qui, dans son désespoir, abdiqueroit l’Empire. Par-tout, dans cet Éloge, M. Thomas laisse percer ce sentiment si rare dans un Orateur, & qui l’unit d’une manière si touchante à son Héros, cet attrait personnel d’admiration & d’amour pour Descartes. On sent qu’il loue celui dont il se seroit fait le disciple & l’ami, s’il eût vécu de son temps : enfin, au lieu que les talens ordinaires s’épuisent dans leur sujet, & n’arrivent vers la fin qu’avec des forces consumées, le génie de M. Thomas se trouve encore trop à l’étroit dans ce bel Éloge ; il y ajoute, en forme de Notes, un supplément peut-être supérieur à l’Ouvrage même ; & dans ce supplément il prend une autre marche, un autre ton : il se dépouille de tout l’appareil de son éloquence, comme d’une force ou d’une parure superflue à son talent ; il devient le rival de Fontenelle, il en prend la simplicité, la finesse, & l’ingénieuse clarté ; en sorte que si l’Académie des Sciences se fut réunie à l’Académie Françoise, dans la pensée d’honorer aussi Descartes par un Éloge public ; M. Thomas, par un ouvrage analogue à chacune d’elle, auroit pu remporter les deux couronnes.
Vous rappellerai-je, Messieurs, le jour où M. Thomas fut admis parmi vous ? Cette réception eut tout le caractère & tout l’éclat d’un triomphe ; ses titres étoient vos jugemens, ses succès vos propres pales. Les Sciences, la Magistrature, l’Armée, la Flotte, toutes ces professions, sur lesquelles son éloquence venoit de jeter un nouvel éclat, l’avoient unanimement recommandé à vos suffrages. Il entra ici comme les anciens Vainqueurs montoient au Capitole, précédés de leurs trophées, & aux acclamations de tous les ordres des Citoyens.
Vous rappellerai-je la belle fin de ce Discours, cette péroraison peut-être inusitée, cette espèce d’élan chevaleresque (car tous les enthousiasmes nobles doivent se rapprocher dans leurs formes), par lequel il jura dans vos mains de se dévouer à jamais à la vérité & à la vertu ? On osa, dans le temps, accuser ce mouvement d’emphase & de faste : mais quand un pareil ferment n’étoit que l’expression de ses principes, quand il en fit la colonne sur laquelle il s’appuya toujours, quand à sa mort, il ne laisse ni une action ni un Écrit qu’on ne puisse placer à côté de ce ferment ; chargé de l’honorable fonction de faire son éloge, je dois sans doute en retracer ici le souvenir : appelé à lui succéder, je voudrois plus ; je voudrois avoir le droit de le renouveler pour moi-même, & de prononcer les mêmes paroles sur son tombeau.
Assis parmi vous, Messieurs ; libre, car il avoit rompu tout les liens qui l’enchaînoient à la fortune ; déjà célèbre par de grands succès, M. Thomas pouvoit, comme tant de gens, qui, après avoir employé une partie de leur vie à se faire connoître, en passent le reste à se faire oublier, aller porter dans le tourbillon du monde ce qu’il avoit acquis de gloire, & la dissiper en croyant en jouir : mais les vrais amis de la gloire, ceux qui la regardent comme le bien suprême, ne mettent de prix à l’obtenir, que pour tâcher ensuite de l’accroître ; & sa possession bornée seroit bientôt à leurs yeux comme si elle n’existoit pas. M. Thomas va donc se recueillir plus souvent & plus profondément dans sa solitude ; l’étude va lui devenir plus chère ; l’amitié, si nécessaire aux grands talens, soit qu’elle les conseille, soit qu’elle les console, va plus que jamais devenir sa seconde passion. Vous l’avez adopté, Messieurs ; & ce bienfait il le reconnoîtra en redoublant d’ardeur, en perfectionnant son talent, en veillant de plus près sur sa renommée, qui devient une partie de la vôtre. Quelques yeux avoient été fatigués de l’éclat de son style ; on lui avoit reproché trop de pompe dans ses expressions, un trop grand luxe d’images, trop de mots abstraits ou ambitieux, dans des morceaux d’éloquence qui n’exisgeoient que de l’intérêt & du mouvement : ces défauts, peut-être quelquefois vrais, mais que l’envie a relevés avec complaisance, & que la médiocrité, qui reçoit souvent ses opinions de l’envie, a beaucoup exagérés, étoient l’excès de qualités rares ; ils tenoient à une grande élévation dans les idées & à une vigueur d’expression peu commune ; c’étoit la sève de sa jeunesse qui n’étoit pas encore calmée ; enfin, nous croyons pouvoir le dire à sa justification, ils étoient bien moins les siens, que ceux de plusieurs jeunes gens qui, frappés de ses succès, enchérissoient sur ses imperfections, en croyant imiter ses beautés. Ainsi, M. Thomas essuya l’injustice qu’ont éprouvée plusieurs grands Peintres, à qui la jalousie de leurs contemporains a prêté tous les vices de leur École. Quoi qu’il en soit, il s’examine sans doute, il se replie sur lui-même, il se rend plus sévère que ses ennemis, il ne répond aux critiques que comme le Génie doit toujours y répondre ; il est vrai que lui seul peut s’armer de cet éloquent silence, par des Ouvrages de plus en plus parfaits : grande leçon pour ces hommes inférieurs qui passent leur vie à défendre leur talent, au lieu de travailler à l’accroître, & qui ne sont indociles, que parce qu’ils touchent aux bornes de leurs facultés, & parce qu’ils sont aigris par le sentiment de leur impuissance.
On remarqua en effet, dans l’Essai sur les femmes, avec l’esprit & le jugement qui caractérisent toutes les productions de M. Thomas, une éloquence plus sobre& plus saine. Mais pourquoi cet excellent Ouvrage eut-il plutôt un succès d’estime que d’enthousiasme ? C’est qu’il eut pour lui les hommes, dont le suffrage porte ordinairement l’empreinte tranquille de l’estime, & qu’il n’eut pas pour lui les femmes, dont le sentiment prend si aisément la couleur de l’enthousiasme : elles y trouvèrent le procès trop sérieusement instruit, & les femmes aiment mieux être senties que jugées. L’éloquent Citoyen de Genève avoit été quelquefois pour elles un censeur austère ; il leur avoit parlé avec encore plus de force de la sainteté de leurs devoirs : mais l’amour, qui tient tant de place dans la vie des femmes, en tient aussi tant dans Rousseau ; mais tant de passion, tant de culte, des souvenirs si vifs, un désordre si brûlant, règnent au milieu de ses préceptes ; elles y sentent si clairement qu’un coup d’œil va égarer le Philosophe & mettre l’Aristarque a leurs pieds, qu’elles lui pardonnent tout, & qu’elles ne sont jamais tentées d’appeler de ses jugemens ni même de ses outrages. Dans M. Thomas, au contraire, elles voyent, elles sentent toujours un Sage qui a subjugué son cœur, & qui parle de leurs charmes même, sans regret, sans haine, & sans crainte : avec cela, toutes les femmes qui, revenues des passions ou s’étant élevées au dessus d’elles, seront plus avides de vérité que d’hommages, toutes celles dont le cœur satisfait repose dans le bonheur près d’un objet aimé, doivent goûter un Écrivain qui rend justice à leur sexe par beaucoup de traits neufs & d’expressions heureuses ; qui dit, par exemple, en parlant d’humanité, que les femmes ont sur-tout cette sensibilité d’instinct qui agit avant de raisonner, & qui a déjà secouru quand l’homme délibère : à propos d’amitié, qu’elles devinent le silence, qu’elles consolent plus doucement, qu’avec des instrumens plus fins elles manient plus aisément un cœur malade : à propos de flatterie, que celle des femmes est toujours légère & animée par le sentiment que, même quand elle est outrée, elle n’est jamais vile, parce que la grace & le motif la sauvent du mépris. Elles reliront souvent un Ouvrage plein de raison & de philosophie, qui, par la vertu, l’amitié, & l’étude, veut répandre du calme sur la moitié de leur vie, & du bonheur sur l’autre ; elles se complairont enfin toujours à l’éloquence d’ame & d’esprit avec laquelle il parle & des femmes de Plutarque, & de celles de nos siècles de chevalerie & de gloire, & de celles de nos jours, qui sont peut-être plus féconds encore en modèles d’esprit, d’instruction, & de grace, & où il n’est plus difficile de les citer, que parce que le goût, plus éclairé & plus souvent satisfait, est à la fois embarrassé de les compter & de les choisir.
Mais un Ouvrage de M. Thomas qui ne laissa personne en suspens, qui réunit les suffrages de tous les amis du génie, de l’humanité, & de la vertu, qui força même le vice & la médiocrité à se parer d’une admiration hypocrite, ce fut l’Éloge de Marc-Aurèle. Semblable au Péché, qui dans Milton fuit à la vue de l’Ange de lumière, l’Envie, pour cette fois, se détourna en baissant les yeux. Qu’eût-elle osé critiquer ? Forme, morale, style, rien, dans cet Ouvrage, n’est moderne ; on le prendroit pour une belle traduction de l’antique ; on pourroit le croire récemment découvert sous les ruines du Capitole : on y est en effet transporté dans Rome, on assiste à la pompe funèbre, on la voit, on marche, on s’arrête avec elle. Quelle belle invention que tout le caractère dramatique donné à cet Éloge ! Comme c’est en effet tantôt Apollonius qu’on croit entendre, tantôt un Écrit de Marc-Aurèle même qu’on croit lire ! Quelle admirable adresse de rappeler toutes les grandes actions de ce Prince par les Députés de toutes les Nations qui ont été témoins de sa gloire ou de sa bienfaisance ! En chacun de ces Députés, comme il est peint ! Comme le Germain, l’Espagnol, l’Africain, l’habitant de l’Asie, ont chacun leur costume & leur physionomie ! Que ces hommages arrivans de toutes les régions du Monde, apportés même par des Peuples barbares, donner une grande idée de l’Empire Romain, & une plus grande encore de l’ame de Marc-Aurèle, qui, comme le Soleil ou comme la Providence, pouvoit embrasser tant d’espace & suffire à tant d’intérêts ! Et ce beau groupe de la femme & des enfans de Cassius, qui viennent pleurer leur bienfaiteur dans Marc-Aurèle, contre lequel Cassius avoit conspiré ! Et parmi les principaux Officiers de l’armée, le vertueux Pertinax, l’œil morne & humide, appuyé sur son bouclier, & frappé déjà, dans ses pressentimens, des malheurs de l’Empire, & peut-être des siens ! Mais sur le devant de la scène, rappelez-vous sur-tout, Messieurs, la figure principale de cette grande composition, l’exécrable Commode. Sa contenance est à la fois farouche & impie : seul il ne pleure pas ; il ne dit qu’un mot à Apollonius, & ce mot dévoile son ame. Il écoute avec impatience ; il a supporté malgré lui les conseils du Philosophe au nom de son père ; il s’indigne quand Apollonius ose lui parler au sien ; & tout à coup (dit M. Thomas, complétant ainsi avec quelques touches un tableau qui ne sort plus de la pensée) « il agite sa lance d’une manière terrible : tous les Romains pâlissent, Apollonius se tait & se voile le visage. La pompe funèbre reprend sa marche, & Rome sent en un moment que Marc-Aurèle tout entier est descendu dans la tombe ».
On a reproché à M. Thomas d’exagérer toujours la grandeur de ses héros : cela est vrai peut-être ; mais ce qui seroit certainement un défaut dans un historien, en est-il un également dans un orateur ? Les éloges publics ayant à la fois pour objet d’honorer les grands Hommes & d’en faire naître ; l’art de l’Orateur ne doit-il pas être, dans ce genre d’Ouvrage, de faire ressortir avec éclat leurs qualités, & de jeter un voile adroit sur leurs défauts ? Ne doit-il pas faire comme ces grands Artistes qui, pour perpétuer des images de perfection & pour empêcher la dégénération de l’Art, ne nous transmettent que des formes accomplies & une nature presque divine ? Ah ! parmi les contemporains de tous les grands Hommes, l’Envie ne résiste déjà que trop à l’admiration ; elle ne se plaît que trop à tâcher de les dégrader & d’affoiblir leur éclat par des parallèles ou par des contrastes ! Ah ! c’est assez sans doute que l’inexorable histoire ait l’autorité de peser leur mérite & d’analyser leur gloire ; il faut du moins qu’un seul jour ils soient loués avec abandon, & c’est à l’Éloquence à leur rendre ce dernier devoir. Oui, l’Éloquence peut ce jour-là, sans bassesse, se laisser aller à son enthousiasme, & embellir, sans être accusée d’imposture ; elle a le droit, en s’emparant de ces restes précieux, de les montrer à l’Univers avec ostentation, & ‘agrandir encore ce qu’elle veut offrir pour modèle. Enfin l’Éloquence, qui n’est que trop souvent de la flatterie quand elle loue les vivans, ne ressemble plus qu’à la gloire, quand, touchante & sublime, elle descend ainsi du Ciel pour couronner un tombeau.
M. Thomas mit le comble à tant de succès oratoires par un Ouvrage sur les Éloges, qui restera à jamais un des plus précieux morceaux de notre Littérature. Dans cet Ouvrage, quelle foule de beautés qu’une analyse aussi rapide que celle-ci ne peut seulement indiquer ! Les unes qui naissent de la magie du style, les autres qui sont produites par la profondeur de la pensée, beaucoup de si imprévues, que pour un talent ordinaire elles n’auroient jamais appartenu au sujet ; tandis que l’imagination & l’esprit de M. Thomas les y attachent par des rapports qui ont à a fois le mérite de la justesse & celui de la création. Quelle prodigieuse érudition, & que cette érudition est heureusement fondue ! Elle enrichit toujours, & elle ne retarde, n’obscurcit, ne fatigue jamais ; c’est un fleuve pur & limpide, qui répète sans cesse de beaux paysages, & qui roule de l’or dans ses ondes : & cet Ouvrage, que M. Thomas auroit pu intituler l’Histoire de l’Éloquence, & que le public en auroit nommé l’École, il lui donna le titre simple d’Essai : car le mérite aime toujours mieux aller en silence au-delà du but, que d’annoncer fastueusement la carrière qu’il veut remplir.
Voilà, Messieurs, ce que le public connoît de M. Thomas : il me reste à l’instruire de ses pertes. Il comptoit un Poëme sur Pierre le Grand, & six chants de ce Poëme, qui devoit en avoir vingt-quatre, sont presque terminés. J’ai quelquefois entendu blâmer le choix de ce sujet ; car la critique est impatiente de jouir, & dévore même ce qu’elle ne connoît pas : mais M. Thomas, voulant prendre son sujet dans l’Histoire moderne, & n’ayant par conséquent ni la ressource du merveilleux, ni celle de la Mythologie, pouvoit-il mieux faire que de chercher, aux extrémités de l’Europe, une Nation & un Héros sortant presque des mains de la Nature ? Il s’ouvroit par là un champ fécond en tableaux et contrastes, en événemens & passions ; tout, dans ce sujet, étoit hardi & favorable, ce qui pour un grand talent se concilie toujours, jusqu’à la férocité du Héros, jusqu’à son despotisme sauvage, jusqu’à ce mélange de lumières avec des mœurs incultes, & ces éclairs de philosophie dans l’ame d’un Gengiskan. Je n’ai entendu que quatre Chants de cet Ouvrage, & il m’en est resté une impression profonde. Notre siècle n’offroit peut-être point de spectacle plus intéressant que celui d’un jeune Souverain à demi barbare, s’arrachant aux ténèbres qui l’environnent, & allant lui-même dérober aux autres Peuples le flambeau des Arts, pour revenir le secouer sur sa Nation engourdie. Mais comme le génie de M. Thomas s’est emparé de cette grande époque de la vie de son Héros ! Il lui fait parcourir les pays qu’il a vus & ceux qu’il n’a pas vus ; c’est le droit du Poète : il avance ou il retarde quelquefois plusieurs années de grands événemens : il suspend la mort de quelques hommes célèbres, pour les faire passer sous les yeux de son voyageur ; c’est encore une hardiesse permise au Poëte. Et que nous importent aujourd’hui les licences chronologiques d’Homère, de Virgile, ou même celles du Tasse, qui, par rapport à eux, est presque notre contemporain ? Ainsi, dans un premier voyage en France, Pierre trouve Louis XIV au comble de sa gloire, & l’Europe en silence devant ses armes : il voit ces fêtes mémorables, ces carrousels héroïques qui remplissoient encore ses délassemens d’images de guerre & de triomphes, Versailles tout brillant de la fraîcheur de sa création, Paris s’embellissant, comme Salente, sous la baguette d’Idomenée. C’est à une partie de chasse, où Pierre assiste sans être connu, & où il tue de sa main un sanglier qui, comme celui d’Erinanthe, répandoit autour de lui la mort & la terreur, que le Monarque François devine le Héros du Nord ; c’est ensuite à la cérémonie de son Audience publique, dans la galerie de Versailles, qu’il lui montre ou lui présente, en lui faisant le portrait de chacun d’eux, ces grands Hommes en tout genre qui se pressent autour de ses regards, &qui rappellent ce beau cercle de demi-dieux peints par Homère autour du Souverain du Ciel. Dans un autre Chant, le Czar fait un second voyage en France, & tout est changé. Ce n’est plus Louis XIV environné de tous ces grands instrumens de sa gloire & fier d’une famille florissante, c’est Louis XIV presque seul dans son Palais, & ne pouvant plus s’appuyer que sur le berceau d’un enfant ; c’est Louis XIV après la paix d’Utrecht, & dont l’étoile a pâli, mais dont l’ame a résisté ; c’est Louis XIV en cheveux blancs & instruit par l’adversité, qui lui raconte ses revers, comme il lui a raconté ses prospérités. Il avoue ses mauvais choix, il déplore ses erreurs, il donne au Czar la grande leçon de l’orgueil corrigé, & d’un caractère supérieur à la fortune.
Mais dans le Chant du voyage du Czar en Angleterre, quelle plus belle invention encore ! Pierre vient descendre à l’entrée de la Tamise : la Liberté se présente à lui ; elle a reconnu le despote, & elle a reculé d’horreur. Enfin elle s’avance, car la Liberté hait le Despotisme sans en être intimidé ; elle prend le Czar par la main : « ‘Viens voir mon ouvrage, dit-elle, admire, & réfléchis ». Et c’est elle alors qui le conduit par-tout, qui l’accompagne, qui l’instruit, qui lui montre de tous côtés le spectacle intéressant de la fécondité, de la force, & de la richesse ; c’est elle qui le ramène au rivage ; & le Czar enivré d’admiration soupire en la quittant, & se courbe devant elle avec attendrissement.
On a souvent loué le Camoëns de la grand idée de ce fantôme qui veut défendre à Gama le passage du Cap, & qui est le Génie de l’Océan Indien : l’intention de M. Thomas, l’intérêt dont elle anime tout ce beau Chant, les grandes vérités qu’elle y mêle sans cesse à de grands tableaux, me semblent mille fois préférables. La pensée de M. Thomas me paroît à celle du Camoëns, ce qu’est l’Apollon du belvédère à la fable du mont Athos taillé en statue.
M. Thomas n’avoit à craindre, dans ce beau sujet, que son étendue même, que la richesse de son imagination, que la quantité prodigieuse de connoissances qui le dominoient tellement, qu’il les y faisoit entrer toutes malgré lui. Tout ce qui est du ressort de l’esprit humain y auroit pris place, & je ne sais ce qui en seroit résulté pour l’effet total. Mais gardons-nous de douter de ce qu’auroit pu faire un homme d’un aussi grand talent que M. Thomas, qui avoit attaché sa gloire à ce Poëme, qui avoit déjà refait les mêmes Chants plusieurs fois, & qui, à l’heureuse faculté de produire, joignoit le don plus rare de se juger avec modestie, & de se corriger avec scrupule. Hélas ! je ne repousserai point ici un souvenir qui vient remplir ma pensée. L’année dernière, à la même époque qu’à présent, il me lisoit ces beaux Chants, & je le suppliois, au nom de sa gloire, de resserrer son sujet ; je lui représentois l’incertitude & la brièveté de la vie. Qui m’eût dit que la sienne touchoit à son terme ? Lui, par la force de son imagination, ne voyoit que la Postérité, & sembloit avoir la conviction secrète de faire reculer devant son talent les bornes de la Nature.
M. Thomas avoit formé le plan d’un autre Ouvrage sur le génie des Peuples à toutes les grandes époques de leur existence ; & personne n’étoit plus propre que lui à remplir ce beau sujet, par la profonde méditation qu’il avoit faite de l’Histoire, & par la saine philosophie qu’il y auroit répandue. On y eût retrouvé souvent le pinceau de Tacite & l’ame de Démosthène. De grands morceaux sur le passé, ou des élans de génie sur l’avenir, étoient plus faits pour M. Thomas, que des Histoires contemporaines : cette ame pure se mêloit trop peu avec les hommes de son temps. Il eût toujours ignoré tant de petites passions, tant de vices sans énergie, tant d’intrigues obscures, qui forment la plus grande partie de nos ressorts modernes.
Doué de cet esprit de philosophie & d’analyse, qui ne peut cultiver un Art sans l’approfondir, & occupé depuis dix ans d’un grand Poëme, il étoit impossible que M. Thomas ne laissât dans la théorie de cette belle branche de Littérature, quelques traces de don passage. En effet, peu de temps avant sa mort, respirant l’air pur de nos Provinces méridionales, l’imagination échauffée par le soleil, par le climat, par ces beaux paysages qu’un ciel plus transparent embellit encore, il a composé un Essai sur le langage poëtique : & dans le style modeste de M. Thomas, on fait ce qu’on doit attendre de ce titre simple d’Essai. Ainsi que dans l’antiquité, les armes, les trophées, tous les restes précieux d’un Héros étoient soigneusement apportés sur sa tombe ; l’amitié religieuse déposera sans doute sur celle de M. Thomas tout ce qu’elle pourra recueillir de lui. Mais, Messieurs, je me crois dans ce moment le droit d’avancer sa gloire & vos jouissances, en vous annonçant que, quoique cet Ouvrage n’eût pas encore reçu la dernière touche du Maître, il est plein de morceaux du premier genre. Je vous citerai, entre autres, un tableau admirable de la Poësie Angloise, un Éloge ou plutôt un Hymne à Milton, car jamais l’enthousiasme ne m’a paru élever l’Éloquence à une si grande hauteur. Je vous citerai avec plus de plaisir encore, parce que cela doit intéresser la Nation & l’Académie, un morceau sur l’Historien moderne de la Nature, & sur l’influence que sons style a eue sur notre Poësie, morceau d’une composition plus sage & plus tranquille que celui de Milton, & que de la magnificence sans faste, de la grandeur sans enflure, de l’imagination sans mensonge, assortissent toujours à l’immortel Écrivain qui en est le sujet. Je vous citerai, & cette citation, heureuse pour moi dans la circonstance actuelle, sera en même temps l’expression de mon sentiment, un morceau où il rend une justice éclatante à l’Auteur du Poëme des Saisons, en regardant ce Poëme, soit par la création & la conduite du plan, soit par la philosophie qui y est répandue, soit par l’heureuse invention de ces épisodes, qui, mêlant sans cesse l’homme au paysage, en animent ou en terminent avec tant d’intérêt tout les tableaux, soit par cette foule de vos ingénieux ou sensibles qui remplissent aujourd’hui la mémoire de tous les esprits délicats & de tous les cœurs aimans, comme un des Ouvrages de ce siècle qui honorera le plus notre Langue & notre Poësie.
Que j’aime, Messieurs, à rapporter ces fragmens des jugemens de M. Thomas sur ses contemporains, consignés dans un Écrit qui respire la vérité & la justice, & qui, par un de ces pressentimens que la raison ne doit peut-être ni rejeter ni croire, est quelquefois empreint d’une mélancolie si profonde, qu’il en prend le caractère d’un de ces saints & derniers épanchemens de la volonté humaine ! Que c’est un spectacle intéressant de voir ainsi un grand talent, tantôt prosterné devant un Génie dont les années ont consacré la gloire, tantôt honorant sans envie celui qui marche son égal ! Que cette déférence ou cette fraternité qui lieroit tous les Gens de Lettres l’un à l’autre, ou par une force de culte, ou par un sentiment d’estime, auroit quelque chose de noble ou de touchant ! que leur confédération seroit alors puissante ! qu’il seroit beau de les voir se récompenser mutuellement par leurs propres suffrages, & s’affranchissant par là des jugemens incertains ou précipités du public, se tenir d’avance lieu de la Postérité !
Enfin, Messieurs, pour que l’imagination mesure librement toute la perte que vous venez de faire ; car qui peut calculer ou prévoir ce qu’auroit produit un homme d’un grand talent, travaillant toujours pour la gloire ? Je rappellerai seulement que M. Thomas vous est enlevé dans la force de son âge, & au moment où sa santé, jusques-là si délicate, paroissant raffermie, alloit doubler son temps & ses facultés. Qu’un arbre, après avoir fleuri cent printemps, après avoir répandu ses fruits sur la terre cent automnes, frappé de stérilité par le temps, tombe & disparoisse ; il a rempli sa destinée, il subit à son terme l’inévitable loi : mais un arbre plein de sève, poussant chaque année de nouveaux rameaux, & devant être encore long-temps la richesse & la parure des campagnes, est-il soudain renversé par la foudre ? Faunes, Bergers, Habitans, tout accourt, tout gémit, & le tronc mutilé, devenu religieux, est long-temps couvert de libations & arrosé de pleurs.
C’est en effet un coup de foudre, Messieurs, c’est une maladie violente qui vous a enlevé M. Thomas. Sa frêle constitution sembloit devoir le garantir de ces grands orages de la Nature, qui paroissent réservés aux santés robustes. Mais la Nature, en détruisant comme en créant, se joue des conjectures des hommes. Je suis entraîné, malgré moi, à vous parler de cette dernière scène de sa vie. Tant que la force & la raison lui restent, il est plein de sérénité & de calme ; il s’avance vers la fin, appuyé sur les idées consolantes de Dieu & de l’immortalité. Quand ses yeux se voilent, quand ses facultés se troublent, quand il tombe dans ce délire effrayant qui accompagne la dissolution de tout ; ce délire, où l’ame se montre quelquefois toute nue, où les remords s’emparent si souvent de leur victime, n’est pour lui qu’un songe paisible où s’empreignent toutes les douces ou belles passions de son cœur : il nomme ses amis, il en appelle un sur-tout, il répète plusieurs fois ce vers :
De vie & de bonheur chargez l’air qu’il respire.
& ce vers est d’une Épître que cet ami venoit de lui consacrer, ce vers exprime un des vœux, si cruellement trompés, qu’il avoit élevés vers le Ciel en se séparant de lui. Touchante anecdote, & qui doit, au sein de leurs affections les plus heureuses, faire frissonner tous les cœurs sensibles ! M. Thomas vole au secours de son ami ; à peine jouit-il de l’avoir sauvé, que la mort le frappe lui-même au milieu de sa joie : son ami n’a recouvré la vie que pour le pleurer ; & cette Épître qu’il avoit composée dans l’effusion de sa reconnoissance, devient une complainte funèbre qu’il va prononcer sur son tombeau.
Mais avant de m’éloigner de cette scène de douleur, il faut que j’acquitte & la dette de M. Thomas, & la vôtre, & celle de tous les amis des Lettres & de la vertu, envers l’hôte généreux chez lequel il a terminé ses jours. Je croirois offenser un Prélat voué par état & par penchant à la bienfaisance & à l’hospitalité, si je le louois d’avoir rempli envers un homme célèbre, & qui tenoit à lui par les liens de la confraternité littéraire, un devoir qu’il eût sans doute également pratiqué envers un étranger inconnu & malheureux. Mais toutes les vertus s’embellissent encore par la manière dont elles sont exercées ; mais celles d’un homme éclairé reçoivent de ses lumières un caractère & des formes qui ajoutent à leur charme. Ainsi, la sensibilité profonde qu’il a marquée, la piété, à l a fois délicate & courageuse, par laquelle il a consolé ses derniers momens ; les larmes qu’il n’a pas cru que la sévérité du Sacerdoce défendît d’accorder au talent & à la gloire ; le marbre religieux & sensible dont il honore sa cendre, méritent que je lui adresse ici des remercîmens publics. Massillon & Fléchier eussent fait comme lui ; mais il est beau de marcher sur leurs traces, & quand on les rappelle par son éloquence, de faire aussi souvenir d’eux par ses actions.
Qu’on devient fier de cultiver les Lettres, Messieurs ! Que le cœur respire à l’aise, quand on peut opposer aux calomnies, tant de fois répandues sur elles, un homme dont l’esprit, le talent, les Ouvrages ne composent qu’une partie de ce qui l’honore, & dont mille vertus peuvent couronner l’éloge ! Comment rendrai-je donc assez d’hommage à la vie sans tache de M. Thomas, à ses mœurs toujours conformes à la beauté de sa morale, à ce caractère élevé qui ne se démentit jamais, à ce respect pour l’ordre, qui en même temps ne dégénéra point en servitude, & n’encensa jamais ni les préjugés ni les abus ; à cet amour de la paix, qui est peut-être la vraie Philosophie, & qui l’empêcha constamment de s’engager ni dans aucun parti, ni dans aucune querelle d’opinion : sans doute aussi parce qu’il avoit réfléchi que l’esprit de parti égare bientôt le jugement, & que les opinions soutenues avec éclat finissent toujours par manquer de mesure ou de justice ? Homme excellent sous tous les rapports & dans toute l’étendue de ce mot universel, en louant tes vertus connues, je ne te rends encore qu’une partie de ce qui t’est dû ! Je voudrois que, comme dans l’Éloge de Marc-Aurèle, tes amis, tes parents, tout ce qui eut avec toi quelque relation, eût le droit de venir ici révéler, & tant de mouvemens intimes, & tant de nuances précieuses de ta belle ame. Je ne touche à ton image qu’en tremblant ; je crains d’affoiblir ce que je connois, je regrette ce que j’ignore. Que de traits cachés par sa modestie, ou perdus dans la solitude où il vivoit ! Une femme de ses amies, que l’ingénieuse finesse de l’observation suivante & la pureté du sentiment qu’elle renferme, ne manqueront pas de faire nommer, me parloit, il y a quelque temps, de la vigilance continuelle de M. Thomas sur ses défauts. « Par exemple, me disoit-elle, il aimoit trop la gloire pour n’être pas quelquefois agité par les succès des autres ; mais je ne surprenois cette belle foiblesse de son ame, que par l’excès des éloges dont il accabloit alors ses heureux rivaux. Il en étoit de même de toutes les imperfections qu’il pouvoit avoir ; elles lui faisoient toujours embrasser avec exagération les qualités opposées : en force que je ne me suis jamais aperçu de ses défauts que par ses vertus ».
Tout homme porte en lui des principes dominans qui ne l’abandonnent jamais ; ce sont eux qui le dirigent, qui animent ses discours, qui se peignent dans ses mouvemens, qui percent dans ses Écrits ; ce sont nos ombres fidèles ; ce sont là vraiment nos bons ou nos mauvais Génies. M. Thomas eut les siens, & je les vois sans cesse à côté de lui : ce fut d’abord, & au premier rang, l’amour de la vertu ; elle règne dans tous ses ouvrages, elle y met toujours son empreinte ou son parfum. Le talent sans vertu prend quelquefois cette forme hypocrite ; mais si on lit avec attention ce qu’il écrit, l’effort décèle bientôt le mensonge, & le masque s’évanouit.
La seconde passion de M. Thomas fut l’amour de la gloire ; ce fut elle qui le rendit ennemi du tumulte & ami de la retraite ; ce fut elle qui, plaçant toujours devant ses yeux le colosse imposant de la Postérité, lui rendit si indifférens, & les succès de société, & ces jugemens d’un jour, & ces louanges de parti, qui n’arrivent jamais à aucune critique, & qu’il s’abaissa encore moins à critiquer les autres. Le temps et la vérité lui parurent toujours devoir mettre tout à sa place ; il sembloit croire aussi que les Gens de Lettres ont, ainsi que les Magistrats, une sorte de dignité qui se conserve mieux loin du monde, & que, semblables aux éclairs, qui sont plus imposans quand ils fendent le sein d’un nuage, leurs Ouvrages frapperoient davantage s’ils sortoient du mystère & du silence de la solitude.
Qu’on oppose à ce portrait de M. Thomas, brûlant de l’amour de la gloire & ayant disposé toute sa vie pour elle, le tableau de l’Homme de Lettres qui n’aspire qu’aux jouissances momentanées de la réputation. Celui-ci sacrifie toujours la durée à l’éclat, & la vérité à l’effet ; il produit sans cesse, parce qu’il veut continuellement entretenir le public de lui, & rien ne mûrit dans ses mains, parce qu’il est dévoré de l’impatience de cueillir : toujours inquiet, toujours ombrageux, il passe sa vie à écouter autour de lui le bruit qu’il croit faire ; il assigne des règles, il distingue les genres ; il pose ses limites ; & il oublie que le Génie franchit quelquefois avec bonheur ces barrières importunes. Il pâlit des succès, & il les analyse pour les réduire au niveau des siens. L’infortuné ! Comme s’il ne pouvoit exister de mérite qu’à ses dépens ; comme si la carrière de la gloire n’étoit pas une partie commune, un champ inépuisable, où les moissons peuvent sans relâche succéder aux moissons !Comme s’il n’étoit pas plus beau de s’élever au milieu des rivaux qu’on honore, que de planer sur sa médiocrité, & de dominer dans un désert !
Enfin, M. Thomas n’est plus, Messieurs ; mais si quelque chose peut vous rendre un jour des hommes qui lui ressemblent, si quelque chose peut réparer dans l’avenir les grands désastres qu’éprouve depuis quelque temps notre Littérature ; c’est ce culte de la gloire auquel il fut si fidèle. Eh ! qui plus que vous doit s’occuper de le ranimer & de l’étendre ? L’Académie n’est-elle pas un de ses Temples ? Le dépôt de ce feu sacré ne vous est-il pas en partie confié ? Vous avez été formés sous ses auspices : la plus belle époque de votre Histoire, celle où tant de grands Hommes remplissoient vos places ou les sollicitoient, est liée aux jours les plus glorieux de la France. Si la Langue Françoise règne en Europe, la gloire de la Nation a influé sur ses succès. Vous êtres le Tribunal de la Poësie et l’Éloquence chez un Peuple où les idées élevées ne paraîtroient plus que gigantesques, où la froide analyse auroit pris la place de l’imagination, & où, sous prétexte de se rapprocher de la raison, de la vérité, & de la nature, la gloire auroit perdu ses autels ?
Ah ! ne croyez pas, Messieurs, qu’aveuglé par d’ambitieuses illusions, ou par la passion d’une Science que je cultive, je n’appelle gloire que celle qu’on poursuit la flamme & le fer à la main, à travers les gémissemens de l’humanité : j’entends par l’amour de la gloire, dans une Nation, cette émulation générale qui se répand depuis le Trône jusques dans toutes les classes de la Société, qui anime tous les Arts, qui relève toutes les professions : car toutes tiennent à la gloire d’une Nation, soit par des rapports de grandeur, soit par des rapports d’utilité publique. Quand une fois cet élément de vie, ce germe précieux, circulent dans toutes les branches du Corps politique ; alors tout fermente, tout prend du mouvement : chacun tend à se distinguer dans ce qu’il fait ou dans ce qui lui est confié ; les classes supérieures, les Beaux-Arts, les professions libres, en pensant à la gloire ; les classes inférieures, les Arts mécaniques, en pensant à un but de perfection, qui devient aussi un genre de gloire pour les Citoyens obscurs qui l’atteignent : il n’émane plus du Trône même que des idées nobles ou bienfaisantes ; cet esprit se communique aux Administrateurs ; ils ont toujours devant leurs yeux le Peuple qui souffre ou qui est heureux par eux, & l’Histoire qui les juge : l’amour du bien les accompagne dans leur retraite ; ils se rattachent, par la méditation, à la chose publique qui leur échappe ; & s’ils ont conçu de grands projets, ils les consignent dans d’immortels Écrits, & en font un legs à la Postérité.
Peut-être y aura-t-il un jour sur le globe, & l’Amérique semble devoir offrir ce phénomène, des pays où la raison perfectionnée, des lumières supérieures aux nôtres, la possibilité de paix durables, les principes républicains, rendront l’amour de la gloire ou moins nécessaire, ou même dangereux peut-être : mais notre vieux Continent a le besoin de ce prestige, & si nous cherchions à l’en bannir, nous n’en deviendrions que plus corrompus, & nous perdrions en même temps tout ce que nous avons d’éclat.
Les honneurs rendus par les Lettres & par les Arts aux hommes qui méritent l’admiration ou la reconnoissance publique ; voilà quelle est aujourd’hui parmi nous l’expression & la récompense de la gloire. Veillez, Messieurs, sur la dispensation de ces hommages ; que le talent, que le marbre, que l’airain, ne soient jamais prostitués à vouloir immortaliser le pouvoir sans vertu ou le bonheur sans mérite ; recevez les ordres de la Postérité, qui seule a le droit d’élever des statues ou de décerner des éloges : mais avertissez le public, qui quelquefois se méprend, qui souvent exagère, qui, depuis quelque temps, égaré par la disette des grands Modèles, embrasse avec transport tout ce qui a une apparence de succès ou un moment d’éclat ; rappelez-lui qu’en prodiguant indifféremment & la même espèce & la même mesure d’applaudissemens à ce qui est bon ou à ce qui est médiocre, à ce qui est vertueux ou à ce qui est simplement honnête, à ce qui est réellement grand ou à ce qui ne l’est que de convention, à ce qui est utile ou à ce qui l’amuse ; il confond toutes les nuances, tous les degrés, & affoiblit lui-même l’honorable éclat de ses suffrages. Enfin, Messieurs, en rendant la louange plus juste & par conséquent plus rare, en la voilant toujours de grace ou de délicatesse, faites-la respecter par ceux même auxquels on la donne ; faites que les Princes l’aiment & la désirent : car si la flatterie les a dégoûtés de la louange, quels seront leurs liens envers nous, & que reste-t-il à notre disposition, que l’hommage ou le silence ?
Je ne crois pas, Messieurs, m’écarter de ces principes, & je suis sûr que vous ne me désavouerez pas, quand, après plus d’un siècle, je viens louer encore ce grand génie à qui vous devez votre établissement. L’Histoire a le droit de blâmer quelquefois sa politique, & souvent ses moyens ; mais l’Éloquence se complaira toujours à retracer ce caractère imposant, cette ame ardente pour plusieurs genres de gloire ; & la philosophie, qui ne mériteroit plus ce nom si elle jugeoit avec la passion de la haine, doit mêler quelque indulgence à sa condamnation, en réfléchissant à l’esprit de son temps & aux circonstances qui l’environnèrent.
Je louerai avec plus de penchant ce Roi qui, par lui-même ou par les grands Hommes qu’il fit naître ou qu’il employa, ce qui a plus d’analogie qu’on ne pense, a donné son nom à tout un siècle, & son impulsion à plusieurs siècles après lui. On le flatta sans doute pendant sa vie ; ces voûtes ont mille fois, depuis sa mort, retenti de son éloge : mais gardons-nous d’ôter aux Princes qui voudront aspirer à la gloire, l’espérance qu’elle soit éternelle, & ne les refroidissons pas pour elle, en osant dépouiller ceux qu’elle a couronnés. Je lui apporte donc ici mon foible tribut. Je viens de visiter les frontières du Royaume ; & j’ai marché par-tout sur les traces de sa grandeur. Par-tout des ports, des places de guerre, des arsenaux, de grandes communications ouvertes ou méditées, attestent qu’il possédoit cet esprit de suite & de prévoyance qui est si supérieur à l’esprit de conquête, & qui a manqué à tant de Conquérans. On a toujours parlé du poids des dettes sous lequel il nous laissa accablés ; mais on n’a pas assez mis en compensation tous ces grands établissemens, toute cette force réelle, puisqu’elle est nécessaire, dont il nous a enrichis. Enfin, les Poëtes & es Peintres de son temps l’ont toujours représenté sous l’emblème de Jupiter tonnant ; il eût mieux mérité leur apothéose sous celui de Jupiter conservateur.
Mais, ce qu’il m’est bien plus doux de célébrer, ce que les Muses & la Philosophie peuvent louer sans aucun mélange de terreur ni d’amertume, c’est un Souverain qui, jeune encore, a déjà été trois fois le modérateur de l’ambition & le protecteur de la foiblesse ; qui a toujours voulu la paix, & qui n’a jamais craint la guerre ; qui maintenant, sans aucune vue d’agrandissement, uniquement pour l’amour des hommes, & d’après des instructions dressées de sa propre main, envoye ses vaisseaux chercher la solution de plusieurs problèmes intéressans, & porter à des Peuples inconnus, non la foudre & des fers, mais ses bienfaits & nos Arts. Si une telle pensée devoit être conçue par un Souverain qui étonne les Navigateurs même par ses connoissances profondes sur toutes les parties du globe, tous les détails humains & généreux, qui en accompagnent l’exécution, étoient dignes d’un Prince qui, aimant ses Enfans comme un simple Citoyen, & ses Peuples comme un Père, voudroit étendre jusqu’aux extrémités de l’Univers, le bonheur que donnent les vertus morales ; & qui, déjà bon de son propre mouvement, trouve sans cesse, dans l’auguste Princesse qui embellit son Trône, la rivale & la compagne de sa bienfaisance. Ainsi, quand M. Thomas, dans ce beau monument qu’il a élevé aux mânes de feu M. le Dauphin, osoit, comme s’il eût été dépositaire des pensées de ce grand Prince, conseiller à l’enfance de son fils d’aimer les Sciences & d’employer un jour la puissance du Trône au bonheur du genre humain ; il n’avoit fait que pressentir sa destinée, & prédire ce qui s’accomplit sous nos yeux.
Je termine ici, Messieurs, un Discours trop long sans doute. Ami des Lettres, plutôt que Littérateur, ayant toujours écrit par instinct plutôt qu’avec méditation, il ne m’aapartenoit point de discuter devant vous ni les règles du langage, ni les principes de l’Éloquence : j’en recevrai parmi vous les leçons & les exemples. J’ai suivi les mouvemens de mon ame ; j’ai loué l’homme que j’admirois ; j’ai fait sentir avec abandon la distance qu’il y avoit entre lui & moi ; je vous ai entretenus de l’amour de la gloire ; c’étoit la seule qualité par laquelle je pouvois, à vos yeux, me rapprocher de mon Prédécesseur. Peut-être, en parlant d’elle, me suis-je trop livré à mon enthousiasme : mais ce n’est pas vous qui devez trouver cet enthousiasme un défaut. Plus heureux que moi par la gloire, il vous sied peut-être d’en parler avec plus de calme ; mais vous ne devez pas l’aimer avec moins d’ardeur. Ah ! je l’adorois avant que vous m’admissiez parmi vous, & c’étoit là tout mon éclat. Combien, en entrant dans cet auguste lieu, ce sentiment s’est augmenté ! Il est des pensées dont la commotion rapide & brûlante donne aux objets la force de la présence, & exerce sur l’ame tout l’empire de la réalité. Ici respira Corneille ; ici Racine s’honora de prononcer son éloge ; ici parlèrent Bossuet & Fénelon ; ici fut assis le Législateur des Nations, le profond Montesquieu : mais ce dont mes propres yeux ont gravé dans ma mémoire un souvenir qui ne s’effacera jamais ; ici Voltaire régna sur son siècle : à cette place même, que les ombres de la mort environnoient déjà, cette même Assemblée entendit ses derniers accens, & lui rendit, vivant, tous les honneurs de l’immortalité. Ah ! devant ces grandes images, je n’ai pas, comme César, le droit de montrer mes larmes : mais tel est le beau privilège de la gloire, que son culte honore même ceux de ses adorateurs qu’elle a peu favorisés. Noble & sublime passion, toi qui seule peut vaincre & remplacer toutes les autres ; toi que les succès enflamment encore, & que les revers ne font qu’animer ; toi qui peux prolonger le court passage de l’homme sur la terre, & ajouter à sa fragile vie la durée des siècles, souffre donc qu’encore une fois je me vante d’être rempli de toi ! Ah ! si je ne t’ai jamais aussi vivement sentie, jamais aussi tu ne m’as donné plus d’espérances ! Votre exemple, Messieurs, cette communication fréquente avec tant de talens & de Génies divers, vont élever & féconder ma pensée. Mais quand mon enthousiasme resteroit stérile, votre gloire, au défaut de la mienne, me consolera, & répandra sur ma vie le doux reflet de ses rayons. Oui, je le dis du fond de mon cœur, & quelle belle passion que celle qui peut ainsi guérir l’homme de l’envie & l’élever au-dessus de la vanité ! Si l’Académie fait à l’avenir des choix plus heureux que celui qu’elle a bien faire de moi ; si vos chef-d’œuvres se multiplient & m’ombragent chaque jour de nouveaux lauriers ; si la génération qui s’approche console les Lettres de toutes les pertes qu’elles ont faites ou dont elles sont encore menacées ; si, toujours le dernier & le moins connu de votre illustre Société, mes yeux peuvent voir renaître un siècle littéraire qui efface encore le siècle passé, je ne me plaindrai pas de ma destinée, & j’applaudirai, en mourant, à la gloire dont je serai environné.