Rapport sur les concours d’éloquence et de poésie de l’an XIII

Le 25 août 1806

Jean-Baptiste-Antoine SUARD

Rapport sur les concours d’éloquence et de poésie de l’an XIII.

DE M. SUARD
Secrétaire perpétuel de l’Académie française

 

 

 

M. le secrétaire perpétuel fait le rapport suivant sur les prix proposés au concours de l’an XIII.

La classe de la langue et de la littérature française avait proposé pour le concours de l’an XII trois prix, l’un de poésie, les deux autres de prose.

Elle n’avait déterminé aucun sujet pour le prix de poésie, dans l’espérance qu’en laissant aux concurrents la liberté de choisir eux-mêmes le sujet et le genre de poëme qui s’accorderaient le mieux avec la nature de leur esprit et de leur talent, une telle facilité exciterait une émulation plus générale et produirait un plus grand nombre de bons ouvrages. Cette épreuve n’a pas eu le succès qu’en attendait l’Académie ; le résultat cependant n’a pas trompé toutes ses espérances. Cent dix pièces de vers ont été envoyées au concours. Plus de cent de ces pièces ont été trouvées fort au-dessous du médiocre. Dans le reste quelques-unes ont offert des lueurs de talent, mais avec des imperfections et des négligences inexcusables. Quatre seulement ont fixé l’attention de l’Académie, quoique avec des degrés de mérite inégaux ; aucune n’a paru digne d’être couronnée.

Les pièces n°39 et n° 82 ont balancé les suffrages des juges, non pour le prix, mais pour le degré de distinction qu’elles paraissent mériter. La première est une Épître sur l’amour maternel, ayant pour épigraphe :

« J’aurai du moins l’honneur de l’avoir entrepris. »

LA FONTAINE.

Le n°82 est une Épître d’un habitant de la compagne à un habitant de la ville, avec cette épigraphe :

« Parvum parva decent : mihi jam non regia Roma,
« Sed vacuum Tibur placet aut imbelle Tarentum. »

HORACE, épître 7, liv. Ier.

Ces deux épîtres, très-différentes par le ton et le fond des idées, différent également par la nature des beautés et des défauts qui les caractérisent. Malheureusement le genre des défauts que la classe y a remarqués ne lui a pas permis de décerner le prix à aucune des deux ; mais elle les a jugées dignes l’une et l’autre d’une mention très-honorable. Elle a pensé aussi que quelques fragments de ces deux pièces seraient entendus avec plaisir par cette portion éclairée du public que le goût des lettres et des talents rassemble aujourd’hui dans cette enceinte. Un membre de la classe s’est chargé de faire une analyse de ces deux épîtres, dont on entendra la lecture après celle de ce rapport.

Les deux autres pièces de vers qui ont paru mériter aussi Une mention honorable, sont le n°32, dont le titre est : François Ier, roi de France, poëme, ayant pour épigraphe :

« Vous le verrez toujours au chemin de l’honneur. »

Henriade, ch. 8.

L’autre, n°70, est une Épître à Forlis, jeune médecin, ayant pour épigraphe ces deux vers de l’Épître même :

« Persuader, Forlis, est un don précieux ;
« La voix que l’âme entend semble venir des cieux. »

Ces deux ouvrages offrent dans quelques détails des beautés réelles et même d’un ordre distingué ; mais ce qu’on a aimé à y louer n’a pas paru racheter ce qu’on a droit d’y désirer ou d’y reprendre.

Les deux prix de prose proposés au concours étaient l’Éloge de Boileau et celui de Dumarsais. Deux fois le concours a été ouvert pour ces deux prix, sans que la classe ait reçu aucun ouvrage qui lui parût digne d’être couronné. Ce troisième concours a été plus heureux pour l’Éloge de Boileau. La classe a reçu vingt-trois ouvrages sur ce sujet, et elle a décerné le prix à la pièce n°21, ayant pour épigraphe :

« Tout reconnut ses lois, et ce guide fidèle
« Aux auteurs de ce temps sert encor de modèle. »

Art poét, ch. ler.

L’auteur est M. Louis-Simon Auger, attaché au ministère de l’intérieur. Il avait concouru pour ce prix les deux années précédentes. Au dernier concours, son ouvrage avait obtenu une mention honorable, et l’on en avait lu à cette tribune des fragments qui avaient justifié le jugement de l’Académie. Il était naturel de présumer que le même sujet étant remis au concours, l’auteur obtiendrait aisément le prix, si, en faisant disparaître les imperfections qu’on avait remarquées dans son ouvrage, il y ajoutait de nouvelles beautés. Nous devons le féliciter de sa persévérance et de son succès ; et lui-même doit remercier l’Académie de la sévérité qu’on lui a peut-être reprochée, puisqu’il en est résulté un éloge de Boileau, digne d’un si beau sujet, un ouvrage qui, par une analyse intéressante et lumineuse des immortelles beautés de ce grand écrivain, offre une excellente leçon de goût aux jeunes talents qui se destinent à la poésie ; car c’est leur avoir fait faire un grand pas vers la perfection que de leur apprendre à la sentir et à l’apprécier dans les ouvrages qui en offrent les modèles. C’est aux écrits de Boileau qu’on peut appliquer surtout ce qu’il dit lui-même de ceux d’Homère :

« C’est avoir profité que de savoir s’y plaire. »

Comme on doit faire dans cette séance lecture de la pièce couronnée, je ne me permettrai aucune réflexion sur les différents genres de mérite qui lui ont fait décerner le prix.

La classe a distingué deux autres Éloges de Boileau, l’un n°6, ayant pour épigraphe :

« Sit igitur sanctum apud vos humanissimos homines
« hoc poetae nomes quod nulle unquam barbaria violavit. »

Cic, pro Arch.

et l’autre, n°20, ayant pour épigraphe : « Les vers forts et harmonieux, faits de génie, quoique travaillés avec art, pleins de traits et de poésie, seront lus encore quand la langue aura vieilli, en seront les derniers débris. » (LA BRUYÈRE, Disc. à l’Acad. fr.)

La classe a jugé ces deux discours dignes d’une mention honorable. Elle a regretté que l’auteur du second ne lui ait envoyé qu’un ouvrage imparfait, qu’il n’a pas eu, dit-il, le temps d’achever. Le mérite peu commun qu’elle a trouvé dans cette esquisse annonce un homme de goût et un écrivain exercé.

Le grand nombre des ouvrages que la classe a eus à examiner pour les prix de poésie et pour l’Éloge de Boileau, ayant absorbé tout le temps de ses séances, il lui a été impossible de s’occuper de l’Éloge de Dumarsais ; elle a été obligée d’en renvoyer l’examen à ses prochaines séances.

Elle se propose d’en annoncer le résultat dans une assemblée publique qu’elle tiendra pour la réception d’un de ses nouveaux membres, et qui vraisemblablement n’est pas éloignée.