Rapport sur les concours d’éloquence et de poésie de l’an XII

Le 25 août 1805

Jean-Baptiste-Antoine SUARD

RAPPORT SUR LES CONCOURS D’ÉLOQUENCE ET DE POÉSIE
DE L’AN XII.

DE M. SUARD
SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE,

 

 

La classe de la langue et de la littérature française avait trois prix à décerner dans le cours de cette année :

Un prix d’éloquence, dont le sujet était l’Éloge de Boileau ;

Un prix de grammaire, dont le sujet était l’Éloge de Dumarsais ;

Un prix de poésie, dont le sujet était : La vertu est la base des républiques.

L’éloge de Boileau avait été proposé par l’Institut en l’an IX ; mais aucun des discours envoyés au concours n’ayant mérité le prix, le même sujet avait été proposé de nouveau pour le concours suivant, qui n’a pas eu une issue plus heureuse que le précédent. Parmi un grand nombre d’ouvrages qui ont concouru pour ce prix, aucun n’a paru à la classe digne de l’obtenir. Un seul a été jugé digne d’une mention honorable ; un des membres de la classe s’est chargé d’en faire un extrait et d’en lire quelques fragments, dont le mérite a fait regretter à la classe que l’ouvrage entier n’eût pas été traité avec le même soin et le même succès. Ce discours, enregistré n° 12 a pour devise :

« Tout reconnut ses lois, et ce guide fidèle
« Aux auteurs de ce temps sert encor de modèle. »

C’est le même ouvrage qui avait été distingué dans le concours de l’an XI, et qui avait déjà obtenu une mention honorable.

Le concours pour l’éloge de Dumarsais n’a présenté que trois discours : les deux premiers étaient trop faiblement conçus et trop négligemment écrits pour suspendre longtemps le jugement de la classe ; mais le troisième a paru mériter toute son attention. L’auteur a conçu son sujet d’une manière vaste, et le talent dont il l’a traité annonce un grammairien philosophe, profondément versé dans cette métaphysique du langage qui s’attache à démêler les fils déliés qui unissent la parole et la pensée ; il a analysé avec beaucoup de précision et de lumière le mérite et le caractère des ouvrages du grammairien célèbre dont il avait à honorer la mémoire. C’est à regret que la classe a refusé le prix à un ouvrage qui suppose tant de lumières et de talents, mais le principal mérite qu’elle croit devoir encourager dans les ouvrages destinés à concourir aux prix qu’elle décerne, c’est l’art de composer et d’écrire. L’art de la composition consiste à bien saisir l’esprit de son sujet ; à le renfermer dans ses justes limites ; à en distribuer avec goût les différentes parties, en subordonnant toujours les idées accessoires à l’objet principal. L’art d’écrire ne demande pas seulement la correction et la clarté dans le style ; il consiste aussi dans le choix des expressions et des tours ; dans la variété des formes et du mouvement, et dans un emploi des ornements du langage, proportionné avec goût au sujet que l’on traite et aux idées qu’on veut exprimer.

C’est sur ces deux points que l’éloge de Dumarsais a paru défectueux. Loin de se renfermer dans les limites prescrites à un ouvrage de ce genre, l’auteur a fait un long ouvrage où il a fait entrer des détails très-savants, niais qui, sans être étrangers à son sujet, y étaient au moins surabondants. Une histoire critique et philosophique de la grammaire et des grammairiens, depuis Platon jusqu’à Condillac, n’était pas nécessaire pour analyser et apprécier les ouvrages de Dumarsais, et les services éminents qu’il a rendus à la langue française et à la philosophie. L’auteur est entré aussi dans les détails d’une théorie métaphysique, dont les résultats ont paru quelquefois vagues et susceptibles d’une discussion qui n’appartient point à classe de la langue et de la littérature. Quant au style de ce discours, quoiqu’il soit en général correct et facile, et qu’en plusieurs endroits l’auteur ait montré le talent d’exprimer avec clarté, quelquefois même avec élégance, des idées très-abstraites, la classe aurait désiré que le style fût plus continûment soigné, plus concis, plus varié dans ses formes, et qu’il eût plus de mouvement et de couleur.

Enfin l’Académie, considérant qu’un prix destiné à être décerné dans une assemblée publique, pour servir d’encouragement aux gens de lettres, ne devait être accordé qu’à un ouvrage susceptible d’être lu dans cette assemblée et d’y être écouté avec intérêt ; que par conséquent l’étendue devait en être proportionnée au degré d’attention qu’on a droit d’attendre d’une réunion nombreuse de personnes de tous les états ; qu’il fallait surtout s’y interdire des détails scientifiques, qui ne sont pas indispensables et peuvent ne pas être à la portée du plus grand nombre de ceux qui les écoutent : toutes ces considérations ont déterminé la classe à ne point adjuger le prix de l’Éloge de Dumarsais, et à le remettre au concours ; elle a arrêté en même temps qu’il serait fait une mention honorable de l’ouvrage dont nous venons de parler, qui est enregistré n° 3, et qui porte pour devise ce vers d’Horace :

« Dicendi rectè sapere est principium et fons. »

 

Le concours du prix de poésie a eu un résultat plus satisfaisant, quoique bien peu de vrais talents se soient présentés dans la lice. De quarante deux pièces envoyées au concours, trente-neuf ont été rejetées à la première lecture ; deux ont été lues une seconde fois, et ont paru trop médiocres pour mériter aucune distinction. Une seule, s’élevant beaucoup au-dessus des autres, a bientôt réuni tous les suffrages de ses juges. Le choix heureux du sujet, la justesse des pensées, l’élévation des sentiments, la noblesse, la précision et l’élégance du style, le grand nombre de beaux vers dont, elle est pleine, ont déterminé la classe à lui décerner le prix. L’auteur n’avait pas joint son nom à son ouvrage ; mais il s’est fait connaître à la classe ([1]). Sa pièce a pour titre : Socrate dans le temple d’Aglaure, et pour épigraphe :

“Virtutem videant.”

PERSE, sat. III.

 

 

[1] C’est M. Raynouard (du Var).