Réponse de M. l’abbé de Voisenon,
au discours de M. de Roquelaure,
Évêque de Senlis
Monsieur,
Les noms respectables des Prélats qui ont fait l’ornement de l’Académie, enrichissent nos fastes. Les Fénelons, les Bossuets, les Fléchiers, les Massillons étoient nés pour imprimer par-tout les traces de l’admiration ; ils ont prouvé que les Lettres ne sont point incompatibles avec la gravité de votre état.
Ce sont elles qui forment le cœur, qui policent l’esprit, qui rectifient les mœurs ; elles nous sauvent des dangers de l’oisiveté ; elles sont le délassement des hommes qui sont en place ; elles prêtent des graces au printemps de l’âge ; elles tiennent compagnie à la vieillesse, & la consolent.
Ô amour des Lettres ! tu seras toujours le charme de la vie, le trésor de tous les momens. Malheur à ceux qui te négligent ! ils passent lourdement leurs jours dans l’ennui ; ils le méritent bien : il ne faut pas les plaindre, mais il faut les craindre ; l’apathie de leur désœuvrement fait des martyrs de tous ceux qu’ils rencontrent.
Vous connoissez, Monsieur, tout le prix de la Littérature. Dès votre plus tendre jeunesse, vous vous êtez nourri de la lecture des meilleurs Auteurs ; vous avez étudié les sources dans lesquelles ils ont puisé ; vous rendez hommage aux beautés de Virgile ; vous possédez Horace, & vous admirez notre Poète François qui eut l’art de l’embellir en le prenant pour son modèle. Vous ne vous êtes pas borné à la Langue Latine, vous avez voulu connoître les richesses de la Langue Italienne & de la Langue Angloise ; vous vous êtes mis a portée de découvrir tous les larcins & vous êtes aussi instruit que des Princes étrangers qui voyagent.
Vous avez l’éloquence de tous vos emplois. En qualité d’Évêque, vous instruisez, vous consolez, vous recourez ; en qualité de Magistrat que le Roi a jugé nécessaire d’admettre en son Conseil, vous répandez des lumières sur les causes les plus compliquées ; votre entretien ne se sent pas de la sécheresse des affaires ; vous plaisez & vous imposez.
Vous savez allier des choses presque incompatibles : attaché à la Cour par votre place, vous n’en veillez pas moins exactement sur le diocèse fortuné qui vous est confié : jamais vos diverses fonctions n’altèrent en vous la dignité du caractère épiscopal. Vos talens pour la parole se sont manifestés dans votre Oraison Funèbre de la Reine d’Espagne.
Chargé de porter comme un monument auguste & respectable le cœur de Monseigneur le Dauphin, vous vîtes tous les assistans émus, sentir, partager l’affliction qui pénétroit votre ame & leurs cœurs attendris s’attachèrent à celui dont vous étiez le dépositaire. Mais j’ai peut-être mal fait, Monsieur, de rappeler une perte si cruelle pour toute la Nation, & pour vous en particulier. On sait combien ce Prince vous distinguoit ; il vous chérissoit ; il travailloit sans cesse à vous rendre inconsolable. Je viens de rouvrir une plaie dont la cicatrice n’est pas encore formée : quelquefois aussi la douleur cherche de l’aliment ; en est-il un plus consolant que de voir la consternation universelle nourrir & justifier celle où l’on est plongé ?
Une scène plus rare & non moins intéressante, plus digne de notre admiration que de nos regrets, va bientôt vous donner, Monsieur, une nouvelle occasion de déployer votre éloquence. La Providence semble vous avoir ménagé cet événement, qui sera dans l’Histoire une époque aussi célèbre qu’étonnante. La Fille d’un Roi de France préférer à la pourpre du Trône un cilice de Carmélite ! Aux yeux du siècle, c’est un grand sacrifice ; aux yeux de la Religion, c’est une abjection sublime qui prouve la force de la grâce ; aux yeux de la raison, qui fait peser les avantages & les inconvéniens du monde, c’est peut-être le choix du bonheur.
La Cour est un cahos où, parmi les passions & les vices, on voit souvent briller les plus grands exemples de vertu ; ils y sont aussi nécessaires pour purifier les cœurs, que les rayons du soleil le sont pour purifier la terre.
Vous habitez ce séjour orageux, Monsieur, ce pays de manœuvres cachées, de haines sourdes & caressantes ; & vous y avez introduit l’amitié, cette passion si douce, dont les Courtisans prennent l’accent, afin de la mieux trahir : votre ame fut toujours ouverte à ses charmes, vous en goûtez les délices, vous courez au devant des services qu’elle exige, des devoirs qu’elle impose ; vous êtes fidèle à vos engagemens ; vous faites mieux, vous obligez avant d’en prendre. Vous êtes essentiel & franc au milieu de ceux qui sont tout le contraire, & vous ressemblez aux Médecins, qui semblent avoir la prérogative de vivre dans le mauvais air, sans gagner la maladie.
L’Académicien auquel vous succédez, Monsieur, le respira long-temps sans en être attaqué. M. de Moncrif eut le secret de se faire du bien, sans faire du mal à personne. Il nous fit éprouver que la douceur des mœurs, l’égalité du caractère, le liant de l’esprit ne sont pas moins nécessaires dans une Compagnie que les talens. Il possédoit tous ceux qui tiennent à l’agrément. La Poësie naïve, jadis si florissante, a perdu en lui son dernier modèle ; & dans l’instant de sa mort, les Graces décentes & négligées ont détaché les fleurs que cet Auteur aimable leur offroit en hommage ; & de cette parure champêtre, elles ont formé des guirlandes pour orner le tombeau de celui qui les avoir cueillies. Où trouver à présent cette simplicité gauloise ? Elle n’est plus dans nos écrits, parce qu’elle n’est plus dans nos cœurs. La Poësie est devenue une coquette ; elle a changé son ingénuité contre des minauderies ; elle n’a plus que de l’esprit, & l’esprit tout seul n’est que la fausse monnoie du talent.
M. de Moncrif s’étoit préservé de cette contagion & dans ses vers & dans sa parole ; on en voit la preuve dans ses Essais sur les moyens de plaire. Il a mis en préceptes, Monsieur, ce que vous mettez tous les jours en action. Il étendit sur tous les objets son amour pour l’humanité. On a de lui une lettre sur ce genre d’usure odieux & décrié, qui rend si vils & si méprisables ceux qui l’exercent. M. de Moncrif propose des expédiens pour en conserver les avantages, sans être à charge aux malheureux que l’indigence oblige d’emprunter. Je me rappelle encore une autre lettre sur la Prédication ; il y recommande aux Prédicateurs de ne pas faire des sermons trop longs. Je crois que cet avis regarde tous ceux qui ont l’honneur de parler en public. Je me hâte d’en profiter, afin que ceux qui m’écoutent peut-être depuis trop long‑temps, lui aient obligation, même après sa mort.