Réponse au discours de réception de l’abbé François Arnaud

Le 13 mai 1771

Jean-Baptiste VIVIEN de CHATEAUBRUN

Réponse de M. de Chateaubrun
au discours de M. l'abbé Arnaud

DISCOURS PRONONCÉ DANS LA SÉANCE PUBLIQUE
le lundi 13 mai 1771

PARIS PALAIS DE L'INSTITUT

Monsieur,

Vous avez donné, il y a quelque temps au Public, des Variétés Littéraires, mélange curieux, aussi amusant qu’instructif. C’est le Jardin des Muses, si je puis le nommer ainsi; on y trouve des fleurs dont le coloris est immortel ; des fruits qui flattent le goût, & qui nourrissent agréablement l’esprit & la raison.

Mais me trompé-je, Monsieur ? est-ce un prestige qui m’a séduit ? est-ce la vérité qui m’éclaire ? En nous parlant de l’élocution, n’avez-vous pas joint l’exemple au précepte ? Votre style m’a singulièrement affecté. Il est par-tout noble & soutenu ; il est figuré, mais il est clair ; il a le ton de la Poësie, mais il en a la douce harmonie. Vos épithètes n’y sont point oisives, elles enrichissent toujours le mot qui les appelle. Vos images ne sont point de simples ressemblances ; c’est l’objet même que vous peignez. Oui, Monsieur, en entrant à l’Académie, vous y apportez la perfection du langage, que communément on vient y chercher. Combien en aurois-je besoin, Messieurs, dans la circonstance où je me trouve ! Je dois, & je vais vous tracer succinctement l’éloge d’un Confrère très-regretté. Pardonnez, Messieurs, à ma vieillesse si les foibles accens de ma voix ne répondent pas à mes désirs.

M. de Mairan, dort la mémoire nous sera toujours chère, était homme de condition ; il en avoit tous les sentimens ; il les cultiva par une excellente éducation & par un goût décidé pour l’étude. Né Géomètre comme Pascal, il en avoir la justesse d’esprit, la précision, la profondeur, l’élévation. Il écrivit de bonne heure, & ses essais furent des chef-d’œuvres. Il marcha à pas de géant dans les sciences abstraites, & plana plus d’une fois à la suite de Descartes & de Newton. M. de Mairan fut un homme célèbre, dans un âge où les meilleurs esprits s’efforcent de le devenir. De là l’empressement de l’Europe savante à le connoître, à le consulter : de là les Académies les plus renommées lui ouvrirent leurs sanctuaires & l’appelèrent au partage à leur gloire & de leurs travaux.

De quelque genre de littérature dont chacune de ces Académies s’occupât, le génie vaste & facile de M. de Mairan faisoit face à tour. Dans ce commerce de richesses littéraires, combien de ferrets arrachés à la nature ! quelle masse de lumière ne résulta pas d’un si noble travail !

Son Ouvrage sur l’Aurore boréale lui procura, principalement dans le Nord, autant d’admirateurs que de Lecteurs : il en développe les causes véritables & les phénomènes si variés. De­là, sans perdre son objet de vue, il remonte aux temps héroïques; il devient l’interprète ingénieux des rêves sublimes d’Homère ; il le suit sur le mont Olympe ; il construit avec lui, dans cette Aurore lumineuse, les palais brillans des Déesses & des Dieux. Dans le Nord, Physicien exact & profond ; sur l’Olympe & avec Homère, Mythologiste plein d’agrément.

Mais bientôt son génie donne à sa physique une plus grande étendue. Dans son traité de la Glace par la voie de la congélation & du dégel, il analyse tous les corps, il en pénètre la nature, il en compose l’Univers, il laisse à sa raison humaine tous ses droits, il n’en condamne que les abus.

Suivez-le sous un autre hémisphère. Lisez ses correspondances avec l’Empire des Chinois. Observateur pénétrant, mais Historien toujours sincère, il les juge en homme impartial. Voyez avec quelle modestie il interroge, avec quelle adresse il instruit. Ses doutes sont des preuves, ses conjectures sont des démonstrations. Rien n’échappe à son ardente curiosité ; ni la mesure de leur capacité pour les sciences, ni les découvertes qu’ils y ont faites, ni les préjugés dont ils sont nourris, ni les principes de leur Gouvernement : il perce l’obscurité des temps, il recherche leur origine ténébreuse, & ramène leur chronologie aux bornes où ils doivent la renfermer.

Mais pourquoi chercher M. de Mairan si loin de nos regards ? Voyez-le de plus près, pour en connoître mieux le prix : voyons-le dans l’Académie des Sciences succéder à l’emploi de M. de Fontenelle, & le remplir avec éclat.

Quel nom à prononcer dans la Littérature, Messieurs, que celui de Fontenelle ! Fontenelle, l’ami des grâces, l’organe de la raison, dont les Ouvrages sont le dépôt de l’esprit, si j’ose ainsi le dire. Tous deux grands Peintres, tous deux également sages dans le dessein, il y avoit quelque différence dans la manière. Le pinceau de M. de Fontenelle étoit délicat, la touche de M. de Mairan plus austère. Mais arrêtons-nous, Messieurs ; c’est avoir fini l’éloge de ces deux hommes rares que de les avoir comparés.