Discours de réception de Charles d'Orléans de Rothelin

Le 28 juin 1728

Charles d’ORLÉANS de ROTHELIN

DISCOURS

Prononcé le Lundi 28. Juin 1728, par M. l’Abbé DE ROTHELIN, lorfqu’il fut reçû à l’Académie Françoife, à la place de feu M. l’Abbé FRAGUIER.

 

MESSIEURS,

Je connois tout le prix de l’honneur que je reçois quand vous m’accordez vos fuffrages, mais cet honneur deviendroit pour moi un fardeau bien pefant, s’il m’impofoit la néceffité d’égaler l’illuftre Confrere que vous avez perdu.

M. l’Abbé Fraguier joignoit une érudition étendue, exacte & folide, à cette fimplicité de cœur qui accompagne prefque toujours le véritable fçavoir. Ses longues & pénibles études n’avoient en rien altéré la douceur naturelle de fes mœurs. Le tréfor de fes connoiffances étoit ouvert à tous ceux qui l’approchoient ; il ne l’étala jamais avec fafte, jamais il ne le ferma par humeur. Remettre, imperceptiblement dans la route ceux qui s’éloignoient du vrai ; infpirer la perfection du goût fans en faire trop fentir les écarts ; décider nettement fans prendre le ton de maître ; critiquer fans fatire ; s’intéreffer en bon Citoyen au bien de la République des Lettres ; ce font autant de traits marqués qui le caractérifent.

La Langue Grecque & la Langue Latine n’ont point eu de délicateffes qui fuiffnt inconnues à M. l’Abbé Fraguier ; Anacréon & Catule n’auroient pas défavoué fes Poëfies. Ses recherches laborieufes & fon jufte difcernement lui avoient fait découvrir toutes les beautés des Anciens ; il confervoit pour ces modèles achevés la vénération la plus profonde & la plus fincére, mais fon hommage n’étoit point fervile ; il ne croyoit pas profaner fon encens en célébrant ces excellens Modernes qui marchent d’un pas égal avec les plus fameux Perfonnages de l’Antiquité. Nous l’avons vû rendre juftice à l’admirable Auteur de l’Anti Lucrece, il étoit prêt de le rendre à tous ceux qui favoris des Mufes & des Graces, comme ce Génie délicat & fublime, auroient le talent de compofer des Ouvrages dignes du fiécle d’Augufte, ou du fiécle de LOUIS LE GRAND.

Tel étoit, MESSIEURS, le fçavant Académicien qui fait l’objet de vos regrets. Vous avez voulu lui donner un fucceffeur dont le zèle & la docilité fiffent le principal mérite, pour encourager les amateurs des Lettres, & pour leur apprendre qu’on fçait faire des graces fur le Parnaffe, comme on fait y rendre juftice,

J’entre aujourd’hui en partage d’un Titre honorable qui fait l’ambition & la récompenfe des plus grands Maîtres : c’eft une diftinction finguliére qui n’eft dûe ni à la Naiffance, ni à la Fortune ; c’eft une prérogative unique qui égale toutes les conditions, main dans un ordre d’égalité qui les flatte toutes. Comment pourrois-je MESSIEURS, manquer de reconnoiffance, quand je fens toute l’étendue de vos faveurs ?

L’illuftre Compagnie à laquelle vous m’avez affocié, a formé ou raffemblé depuis fa fondation prefque tous les Hommes rares qui ont paru dans les différens Ordres de l’État. C’eft de votre fein, MESSIEURS, que font fortis en foule ces Philofophes, ces Hiftoriens, ces Orateurs, ces Poëtes dont les Ouvrages marqués au coin de l’immortalité, ont porté la gloire de notre Nation plus loin encore que ne l’avoient portée nos Conquêtes, & ont forcé des Peuples ennemis du nom François à préférer à leur Langue naturelle, celle d’un vainqueur dont ils fubiffoient le joug avec peine.

Le même efprit & les mêmes talens regnent toujours parmi vous, MESSIEURS, la perpétuité du fçavoir & du mérite eft attachée à votre Académie.

C’eft fans doute ce que prévoyoit le grand Cardinal à qui vous devez le projet de fon établiffement. Convaincu qu’il n’y avoit pas moins d’honneur à faire fleurir les Lettres dans un Empire, qu’à le faire refpecter par la force des armes, & par la fageffe du Miniftere, il fe chargea de la partie qui le regardoit & vous confia l’autre ; il ne négligea rien pour mériter l’Immortalité, & laiffa à votre reconnoiffance le foin de la lui procurer.

Vous avez répondu parfaitement aux vœux de votre premier Protecteur. Oui, MESSIEURS, le nom du Cardinal de Richelieu, & fes Actions mémorables pafferont avec vos écrits jufques à la Poftérité la plus reculée ; vous feuls avez trouvé l’art de mettre dans un même point de vûe un génie fi vafte & fi univerfel.

Il étoit en même tems tout au-dedans, tout au-dehors du Royaume ; mobile invifible de toutes les Cours, il en regloit la politique fur les vrais intérêts de la France ; par ce principe il retenoit ou relâchoit les rênes qu’il manioit en maître ; il fçavoit ainfi faire de tous les Miniftres Etrangers fes propres Miniftres, & les volontés s’exécutoient dans les Armées de Portugal, de Suede, de Danemarck & de Hongrie, comme s’il eût été en droit d’y donner des ordres abfolus. En un mot le Cardinal de Richelieu étoit l’ame de l’Europe & feul digne d’annoncer LOUIS XIV. au monde.

Il le laiffa dans l’enfance, mais dans la route de cette Grandeur dont l’éclat a relevé depuis la Majefté du Trône même. On a vû des Princes ambitieux étonner l’Univers par fon ombre & par la rapidité de leurs victoires ; mais ils fçavoient conquerir les Provinces fans fçavoir les gouverner ; leur faux Héroïfme eft démafqué, & l’Hiftoire fert plûtôt à perpétuer le fouvenir de leurs fureurs que de leurs triomphes. LOUIS uniffoit au titre de Conquérant toutes les qualités d’un vrai Roi : Né pour être l’amour de fon peuple & la terreur de les ennemis, le Ciel lui avoit prodigué fes dons les plus précieux ; il poffédoit fa Couronne par le droit du Sang, il la méritoit par fes vertus. Ce grand Prince a difparu il étoit mortel, mais il regne encore partout. La diffolution, la licence, l’injuftice, l’héréfie, l’impiété & tous ces monftres qui doivent étouffer les Rois, tremblent au feul nom de LOUIS : Nom ! cher à la vertu, à la Religion, aux Arts, aux Sciences, aux Lettres.

Celui qui pofa les fondemens de votre Academie, l’avoit en quelque façon, MESSIEURS, laiffée en minorité. Après fa mort le Chancelier Seguier vous fervit comme de Tuteur : il dicta lui-même vos Statuts, & donna chez lui un azile à votre Compagnie naiffance & prefque errante dans fes commencemens. Le nom de ce Magiftrat intégre étoit déja placé dans le Temple de Thémis, vous avez eu foin de le graver dans le Temple de Mémoire ; c’eft-là qu’on rendra un hommage éternel à fes vertus, & c’eft-là que nous lifons à la tête de fes éloges, qu’il a été choifi par vous & parmi vous, MESSIEURS, pour fuccéder au Cardinal de Richelieu dans une place que LOUIS LE GRAND n’a pas dédaigné d’occuper après lui.

Jufques alors votre haute deftinée n’avoit pas été remplie, la protection du Trône vous étoit due, LOUIS XIV. qui faifoit fon emploi le plus noble du bonheur de fes Sujets, comprit bientôt que les Lettres à qui les hommes doivent la douceur de la Société, méritoient fon attention particuliere ; en fe déclarant Protecteur de l’Académie il mit le comble à votre gloire ; cette qualité devint pour l’avenir comme un Apanage de la Couronne, & le titre de Pere des Lettres fut pour jamais inféparable de celui de Pere du Peuple.

C’eft ici, MESSIEURS, que votre reconnoiffance a rendu vos talens tributaires des Vertus éminentes de LOUIS. Vous leur avez confacré les efforts de l’Hiftoire, de l’Eloquence, & de la Poëfie, mais vous avez mille fois éprouvé que vos forces n’égaloient pas votre zéle. En vain vous entreprenez encore chaque jour de nous tracer un portrait fidéle de ce parfait Souverain ; ce chef-d’œuvre eft au-deffus de l’Art, il étoit réfervé à la nature. C’eft elle qui a tranfmis avec le Sang l’ame Héroïque de LOUIS XIV. à fon digne Succeffeur ; auffi voyons-nous que notre jeune Monarque ne s’étudie qu’à fuivre en tout la volonté de fon Augufte Bifayeul, ou connue par les effets, ou interprétée par la prudence. Une telle conformité dans les penfées & dans les actions, ne peut naître que de la conformité parfaite de l’efprit & du cœur.

Quel fera donc un jour LOUIS XV. quand il développera en entier un caractere formé avec tant de foin fur les exemples du grand Roi qu’il s’eft propofé par goût & par réflexion pour fon unique modèle ? Déja une piété folide, un fecret impénétrable, un difcernement merveilleux, préfagent à l’Europe attentive toutes les qualités néceffaires aux Maîtres du monde, pendant que fa douceur & fa bonté nous annoncent qu’il fera le Pere de fes Sujets. Quelle confolation pour ceux qui n’ont pas vû LOUIS XIV. fur le Trône, de pouvoir l’admirer dans LOUIS XV. Quelle fatisfaction pour vous, MESSIEURS, d’y trouver le même Protecteur & le même Bienfaicteur.

Vous poffédez parmi vous un grand bien fûr de ce que j’ofe promettre. C’eft ce Prélat refpectable fur qui LOUIS LE GRAND après avoir acquis par un long Regne une connoiffance parfaite des talens & du mérite des hommes, jetta les yeux pour faire paffer l’héritage de fes vertus Royales, à l’héritier de fa Couronne. L’efprit de Religion, l’intégrité des mœurs, l’exacte probité, fixeront le choix d’un Monarque fi prudent ; il connut que ce fage Modérateur ne fe démentiroit jamais, non pas même dans tous les degrés d’élévation où fa vertu pourroit le conduire.

Tel eft en effet l’homme défintereffé qui a fçû éviter un titre pompeux capable de remplir la plus vafte ambition d’un fujet, & qui fatisfait de la confiance & de la tendreffe de fon Maître, ne veut que les fatigues du Miniftere, & n’en aime que les devoirs.

Ses foins nous ont procuré le repos dont jouit la France & l’Europe avec elle. La Guerre quelque glorieufe qu’elle puiffe être, eft toujours accompagnée de maux funeftes ; la Paix eft le fruit précieux des victoires les plus éclatantes ; nous en goûtons les avantages fans les avoir achetés par notre fang, ni par nos larmes ; nous recevons la récompenfe fans avoir ni travaillé, ni attendu.

Faffe le Ciel, pour le bonheur de la France, que les confeils de ce Miniftre pacifique reftent gravés à jamais dans le cœur de fon Augufte Eleve ; & que l’éducation du Dauphin, que nos vœux demandent avec tant d’ardeur, foit confiée à des mains auffi pures, & formée fur des principes auffi folides & auffi fages.