Discours de réception du duc de Saint-Aignan

Le 16 janvier 1727

Paul-Hippolyte de BEAUVILLIERS, duc de SAINT-AIGNAN

DISCOURS

Prononcé le Jeudi 16. Janvier 1727.

Par M. le Duc DE S. AIGNAN, Pair de France, lorfqu’il fut élu par Meffieurs de l’Académie Françoife à la place de feu M. BOIVIN.

 

MESSIEURS,

Le defir de la gloire a toujours diftingué ceux que votre choix a favorifés. Je me fens forcé de dire qu’il eft en moi comme héréditaire, puifque c’eft le feul titre que j’aye à vous préfenter aujourd’hui.

Fils d’un pere qui a eu pour elle la paffion la plus forte & la plus connue, je lui dois les fentimens qui me l’ont fait chercher par les différentes routes qui peuvent y conduire. Aprés avoir fervi dans les armées pendant la guerre, la paix m’a fait entrer dans une nouvelle carriere, & le feu Roi par fes bontés, n’a pas voulu que ma jeuneffe y fût un obftacle : il me reftoit d’afpirer à l’honneur que je reçois en ce jour ; fouvent mon ambition en a formé le projet ; mais pour donner l’effor à de pareils defirs, j’ai toujours attendu que quelques marques de votre indulgence pour le fang d’un de vos plus fidéles éleves, vinffent m’en infpirer la confiance.

En effet, dans les autres routes qui menent à la gloire, la volonté ou le zéle peuvent fuffire. Il eft même des hazards heureux, fur lefquels celui qui fe défie de fes propres talens, peut fe repofer. Ici, il n’eft de fuccès qu’en méritant vos fuffrages, ou en intéreffant vos bontés : vous me les faites éprouver, MESSIEURS, dans toute leur étendue : quelle reconnoiffance ne vous dois-je point ?

Quand je porte mes regards fur cette illuftre Affemblée, qui réunit tout ce qu’il y a de talens & de génies du premier ordre, dans tous les genres & dans tous les états ; quand ces monumens érigés à la mémoire des grands perfonnages aufquels vous devez votre établiffement & vos progrès, me font fouvenir que je vais être infcrit dans ces mêmes Faftes, qui ont à leur tête les noms de RICHELIEU & de SEGUIER, les expreffions me manquent ; il ne me refte que des fentimens : femblable à ces enfans, qu’une heureufe adoption appelloit autrefois à partager des biens qu’ils n’auroient pas même ofé demander à la fortune, je ne fçai, MESSIEURS, que connoître mon bonheur, & en repaffer fans ceffe dans mon efprit les circonftances flatteufes.

Vous avez pénétré mes vœux fecrets, vous m’en avez tenu compte ; vous faites plus, vous me permettez d’occuper la place d’un de vos plus célébres Académiciens. L’illuftre M. Boivin, ce digne dépofitaire des Manufcrits de la Bibliottheque du Roi, s’étoit enrichi des tréfors dont le foin lui avoit été confié, & en avoit enrichi la Littérature. Les Langues fçavantes n’avoient pour lui rien que de familier ; une douceur de mœurs, une fimplicité digne des premiers âges (qualités fi rares dans les hommes qui fçavent au-delà des autres) ajoutoient .un nouveau mérite aux talens qui le diftinguoient. Vous n’exigez pas de moi, fans doute, que je vous dédommage de ce que les Lettres perdent en fa perfonne ; mais déja plein de zéle pour leur gloire, le goût qu’il m’eft permis aujourd’hui de dire que j’ai pour elles, me fera partager plus vivement vos juftes regrets ; je n’en fentirai que mieux combien la perte qu’elles ont faite eft difficile à réparer.

Oui, MESSIEURS, tout m’avertit des talens qui me feroient néceffaires dans ce moment, où vos ufages, & plus encore le devoir de la reconnoiffance, demandent que je vous parle de LOUIS XIV. de ce Prince le modèle du grand & de l’héroïque, & qui au milieu des plus étonnans fuccès, a crû fi juftement que vous protéger, c’étoit s’affûrer l’immortalité. Mais fi nommer les Héros fuffit pour leur éloge ; que ce foible hommage m’acquitte d’un tribut fi légitime, & que je reconnois fi fupérieur à mes forces. C’eft à vous, MESSIEURS, qu’il appartient de le peindre à la poftérité, tel qu’il a paru aux nations aufquelles il a fait refpecter fes armes, tel que l’ont admiré les peuples dont il a fait la gloire & la fûreté, tel enfin que l’ont éprouvé ceux de fes fujets que fes bontés ont approché le plus prés de fa perfonne. Le portrait de l’homme ne fera rien perdre au portrait du Héros. Pour moi qui ne fçaurois me flatter de contribuer à un fi grand tableau, qu’en vous offrant ce que des traditions domeftiques peuvent m’avoir appris des traits intéreffans, je me contenterai de l’avantage d’être des premiers à fentir dans vos éloges le vrai de fes qualités héroïques ; & j’y reconnoîtrai par tout un Roi auffi occupé à tranfmettre à fes enfans fes vertus, que fa Couronne ; fupérieur aux événemens par l’égalité de fon ame ; plus grand dans les malheurs que dans la profpérité ; digne enfin des miracles de fon régne.

Chaque jour va vous le rendre, MESSIEURS, ce grand Roi ; celui que le Ciel nous a tant de fois confervé, l’a pris pour modéle, & les fages mains qui l’ont formé, & qui le guident, ont développé en lui les femences des mêmes vertus. Appellé dans les premiers Confeils de ce jeune Monarque, il m’a été permis de concevoir plutôt, & d’une maniere plus affûrée, ces efpérances qui fe confirment à tous les inftans pour fa gloire & pour notre bonheur. La juftice, l’égalité, le fecret & la Religion formoient déja fon caractere, & les graces de l’enfance la plus aimable, n’ôtoient rien à la majefté du rang le plus augufte. Elles ont crû avec lui, ces vertus qui feront la félicité de fes peuples : vous les rendrez célébres, MESSIEURS, ou plutôt vous les avez déja célébrées. Chaque trait de vos éloges pour LOUIS XIV. appartiendra à LOUIS XV. votre Protecteur & votre Roi.

Il fçaura comme lui faire fleurir les Sciences & les Arts. Il eft bien jufte qu’il leur rende ce que leur a enlevé la mort prématurée du Dauphin fon Père, que les deftinées n’ont fait que nous montrer, & dont la France & la Religion attendoient de fi grandes chofes. Vous n’avez pas oublié qui étoit celui qui lui avoit le plus infpiré tout ce qui devoit contribuer à nous rendre heureux. Qu’il me foit permis en vous le rappellant, de m’acquitter d’une partie de tout ce que je dois à fa mémoire ; plus tendre & plus bienfaifant que le meilleur de tous les peres, il ne m’a jamais traité que comme un fils bien cher, & m’a comblé de fes dons : fouffrez ce monument d’une jufte reconnoiffance, & daignez le regarder, MESSIEURS, comme le garand des fentimens que je conferverai à jamais pour la grace que vous me faites aujourd’hui.