Réponse au discours de réception de l’abbé Alary

Le 30 décembre 1723

Jean-Baptiste DUBOS

Réponse de M. l’Abbé DUBOS, Secretaire Perpétuel de l’Académie Françoife au Difcours prononcé par l’Abbé ALARY.

 

Il eft vrai, MONSIEUR, vous n’apportez pas ici les titres qui déterminent ordinairement l’Académie dans les élections. Vos Ouvrages n’ont paru encore qu’aux yeux de vos amis ; mais vous nous apportez des talens qui juftifient bien notre choix : une érudition capable de faire honneur à des Sçavans qui auroient vécu deux fois l’âge où vous êtes ; un jugement auffi folide que fi vous aviez employé tout votre tems à l’étude des fciences, dont le principal merite eft de nous accoutumer à raifonner avec jufteffe ; une docilité qui vous fait écouter comme vos maîtres ceux qui veulent vous confulter ; enfin une douceur d’efprit qu’on ne fçauroit prifer affez dans une Compagnie comme la nôtre, où l’on décide à la pluralité des fuffrages, les queftions que fon travail y fait naître fans ceffe ; c’eft-à-dire, les hommes étant ce qu’ils font, où l’on difpute fouvent. Voilà pourquoi tous nos fuffrages fe font réunis en votre faveur. Cette prédilection que les hommes ont naturellement pour le genre de mérite qui eft le leur, n’a fait pancher perfonne en faveur de vos Concurrens. Les Poëtes mêmes ont crû qu’ils devoient vous préférer à des Poëtes.

Cependant, MONSIEUR, la vérité m’oblige à tomber d’accord, que la prévention a eu part à votre élection. Dès long-tems les deux freres illuftres dont vous avez parlé fi dignement, vous avoient annoncé ici comme un fujet qui mériteroit bientôt que l’Académie penfât à l’acquérir. Le plus jeune de ces freres avoit même voulu vous défigner Académicien avant fa mort, par l’adoption réïtérée dont vous venez de renouveller le fouvenir. Cette marque de l’eftime la plus parfaite, & de l’amitié la plus tendre que vous donnoit un homme aux fentimens de qui nous étions en habitude de déférer prefque toujours, acheva de nous déterminer à vous élire inceffamment. On peut avouer fans rougir, l’empire que de pareilles préventions ont pris fur nous. Oui telle eft notre vénération pour la mémoire de M. l’Abbé de Dangeau, qu’il donnera fon fuffrage dans nos élections long-tems encore apres fa mort.

Déja nous vous regardions comme un homme que nous voulions adopter, lorfqu’un de nos Confreres, un Prélat doué fpécialement de ce don, qu’un grand Pape nomme le premier des talens naturels, le difcernement des efprits, vous appella pour l’aider dans l’éducation d’un Roi très-Chrétien, à qui dès fon enfance il faut enfeigner tant de chofes, que les autres hommes n’étudient que dans leur jeuneffe. La joie que fent un pere qui entend louer fon fils par des inconnus, n’eft gueres plus vive que l’étoit la nôtre, quand nous apprrenions que vous reuffiffiez ; qu’obligé par votre fonction à exiger de l’application d’un enfant couronné, vous ne laiffiez pas d’en être toujours fouffert fans peine, & même d’en être quelquefois fouhaité. Son inclination pour vous étoit trop bien fondée, pour finir avec fon enfance.

Quelle fatisfaction pour nous, de rencontrer dans notre Candidat un fujet déja fi agréable à notre Protecteur ! De trouver que notre jugement foit fi conforme à celui du grand Prélat, dont les inftructions ont tant contribué à rendre ce Prince capable dès fa quatorziéme année de gouverner, & de faire de lui-même les choix les plus judicieux. Il perd à l’imprévû le Prince éclairé, qui durant long-tems avoit été le dépofitaire de fon autorité, & qui l’étoit encore de tous fes fecrets. Le jeune Monarque eft affligé ; mais il n’eft point abattu. Il voit auffi-tôt fur qui l’intérêt de la France demande qu’il fe répofe déformais du foin de faire exécuter fes volontés. Il charge de ce noble foin un autre Prince, trop jufte pour prendre des réfolutions qui ne foient pas équitables, & trop ferme pour varier dans celles qu’il aura prifes.

Heureufe Maifon de France, vos Chefs ont toujours trouvé parmi vos rejettons leurs plus grands Capitaines & leurs plus grands Miniftres ! Vous êtes moins illuftre dans la fociété des Nations par un Régne de neuf fiécles confécutifs fur le plus renommé des Peuples qui la compofent, que par les grandes qualités de vos Princes.

C’eft pour rendre la Langue Françoife digne de les louer, que nous tâchons à la perfectionner encore. Venez donc, MONSIEUR, partager notre travail avec des Poëtes & des Orateurs avoués du Public ; avec des Écrivains ferieux qui n’ont point ennuyé notre fiécle. Je ne dirai point avec des hommes revêtus des dignités les plus éminentes. Elles n’ont pas été de leur élection. Nous choisimes votre Prédéceffeur, plutôt parce que fon efprit élevé & rempli d’agrémens, comme de douceur, nous promettoit qu’il feroit ici un digne Académicien & un Confrere aimable, que parce qu’il étoit ailleurs un grand Magiftrat. Qu’il remplit bien notre attente ! Quelle affabilité il apportoit ici ! Avec quel plaifir l’écoutions-nous ? Le moindre d’entre-nous lui étoit cher. Auffi la durée de notre amitié & de notre vénération égalera la durée de fa mémoire, qui ne fe perdra jamais. Pourquoi la mémoire des Perfonnages illuftres par la difpenfation des loix, feroit-elle moins durable que celle des Guerriers celebres ? Ceux qui arrêtent par des châtimens l’avidité des Compatriotes corrompus, qui répriment leurs violences par des fupplices, rendent-ils à la Patrie un fervice moins important que ceux qui repouffent l’invafion des ennemis étrangers ? Hercules, Thefée Héros que les premiers Poëtes ont chantés, & que nos Poëtes chantent encore, n’avez-vous pas rendu vos noms immortels en affûrant le repos de la Société par la punition de ces fameux Brigands, que l’hiftoire fabuleufe a métamorphofé en monftres.

Vous l’avez déja dit, MONSIEUR, votre Predeceffeur étoit né pour la Charge dont il étoit revêtu à fa mort. Mais combien de talens renferme le génie propre à l’exercice d’une dignité qui donne le droit de reprendre ceux dont les Arrêts décident du fort de leurs Concitoyens, & la liberté de faire entendre à fon Roi un langage fi différent du langage flatteur des Courtisans. Aucun de ces talens ne lui manquoit. Il avoit encore ces qualités extérieures, qui non feulement concilient aux Magiftrats la faveur des perfonnes incapables de juger des hommes autrement que par les apparences ; mais qui les rendent auffi plus refpectables, même aux yeux des Sages. Nous avons donc vû Monfieur de Mefmes en vénération au Public. Nous l’avons vû chéri de ceux qui lui étoient fubordonnés dans l’augufte Tribunal où il préfidoit. En d’autres lieux, il fut toujours applaudi, même quand il ne perfuada point ; & plus d’une fois il fçut y annoncer des refus fans déplaire.