Messieurs,
Nous devons aux sentimens d’estime & d’amitié, qui nous unissent autant que le titre d’Académiciens, l’extrême douleur que nous cause la perte de nos Confrères, & les regrets que nous faisons éclater jusques dans la réception de leurs Successeurs. Mais, instruits comme nous le sommes, que ces évenemens, plus ou moins précipités, sont également dans l’ordre de la Providence, il y auroit de l’injustice à ne cesser de se plaindre de leur inévitable fatalité, & à ne vouloir jamais y trouver de justes sujets de consolation.
Sans ces révolutions, si souvent imprévues, ou accompagnées de circonstances singulières, l’Académie, toujours bornée à un petit nombre d’hommes choisis, auroit-elle eu l’avantage de posséder depuis son établissement, tout ce que la France a produit de plus distingué par l’érudition, le goût & la politesse ?
L’éloquent Prélat dont il n’y a pas encore un an que le nom a heureusement passé dans nos Fastes, n’y auroit-il point absolument échappé ? Et vous, MESSIEURS, quelque recommandables que vous soyez par d’ingénieux Ouvrages, en quel tems y seriez-vous parvenus ?
M. l’Evêque de Blois, a qui vous succédez ici, MONSIEUR , y avoit été admis dans sa plus brillante jeunesse ; il avoit à peine vingt-cinq ans, que la voix publique & les suffrages de l’Académie lui déférèrent unanimement le Laurier destiné à couronner de rares talens ou de longs travaux. Déjà, il joignoit à une grande connoissance des Langues sçavantes, la plus heureuse facilité à s’exprimer dans la nôtre, & cette sorte d’éloquence indépendante des expressions, que la Nature prend quelquefois plaisir d’attacher aux regards, au son de la voix, à la seule représentation. Critique judicieux, Censeur délicat, le fruit de ses recherches passoit sans faste dans ses discours, & cette Académie n’est pas la seule qui en ait profité.
Je rappelle en simple Historien, le détail que j’ai déja fait ailleurs de ses talens. Il vous étoit réservé, MONSIEUR, de mettre la dernière main à son éloge, de nous le peindre Tendre, Généreux, Compatissant, Fidèle à ses devoirs, & toujours aussi Aimable que Vertueux. Pouviez-vous mieux justifier notre choix qu’en acquittant ce que nous devions nous-mêmes à la mémoire de votre Prédécesseur ?
Achevez de le remplacer par vos sentimens pour l’Académie, par votre assiduité à ses Assemblées, & si nous sommes en droit d’exiger quelque chose de plus, par votre empressement à marquer au Prince qui vous honore d’une protection si distinguée, notre respect, notre reconnoissance & notre admiration.
Les Muses seules sembloient le disputer aux Grâces ; un bruit de guerre se fait entendre, & il vole à la Gloire. Objet d’étonnement pour le vulgaire, qui croit que la Gloire, les Grâces, les Muses, sont autant de rivales, jalouses de former séparément des Héros qui leur appartiennent en propre, au lieu qu’elles y travaillent de concert dans le Sang de CONDÉ, & que la Religion même s’intéresse au succès.
Jusqu’ici, MONSIEUR, vos Ecrits ne lui ont montré la vertu que sous un aspect riant, parée de fleurs, prêtant des charmes à la raison, & désarmant les passions jusques dans le sein des plaisirs. Il s’ouvre une nouvelle route ; & pour ne le point perdre de vue, vous vous élèverez sans peine au Grand & au Sublime dont son ame vous fournira le modèle.
Pour vous, MONSIEUR , digne héritier de l’esprit & de la tendresse d’un Confrère, dont le souvenir nous sera toujours cher, ce n’est ni à ce titre-là que vous avez sollicité nos suffrages, ni la première fois que vous y avez eu part. Mais, il faut l’avouer, la place que vous occupez enfin, est une de celles que nous comptions le moins avoir à remplir.
L’Académie ne se console qu’avec peine de la perte de ceux qu’elle voit céder à la fatale nécessité des ans, après lui avoir été long-tems utiles & s’être couverts d’une gloire qu’ils sembloient ne pouvoir plus augmenter.
M. l’Evêque de Langres nous est enlevé à la fleur de l’âge, dans les premières années d’une résidence nécessaire, & lorsqu’il se flatoit le plus de pouvoir bientôt se livrer à la douceur de nos Exercices.
Il les aimoit, & il étoit digne de les aimer, par l’élévation de son génie, par le fonds & la variété de ses connoissances, par l’exemple d’un Père, né lui-même pour le bonheur des Lettres, comme pour la perfection des Arts & la sagesse des Conseils ; par le seul nom de ses Ancêtres, les MONTAUSIERS, les RAMBOUILLETS, dans la Maison de qui s’étoient formés les VOITURES, les BALSACS, les VAUGELAS, & tant d’autres Hommes illustres.
Joignez, s’il se peut, MONSIEUR, ce que nous espérions de lui à ce que nous attendons de vous ; & que n’en devons-nous point attendre, après l’élégante traduction que vous avez donnée de ce Poëme , que l’Angleterre met au-dessus d’Homère & de Virgile, & que nous leur préférerions comme elle, si nous ne consultions que le choix, l’intérêt & la grandeur du sujet ?
On diroit que l’Auteur même, jaloux d’une réputation plus étendue & moins suspecte, vous auroit aidé à transporter dans notre Langue le feu de ses Pensées & de ses Expressions, la hardiesse de ses Métaphores, & l’esprit de ses Allégories ; car ce ne sont pas les membres épars du Poète, c’est Milton tout entier que vous nous avez rendu.
Qu’il me soit permis, MESSIEURS, de vous exposer une réflexion que la lecture de cet Ouvrage m’a souvent fait faire.
Un travail agréable, toujours heureux, toujours utile, auroit, sans doute, fait à jamais partie de la félicité de l’Homme, s’il s’étoit conservé dans le précieux état d’innocence où il avoit été créé : charmé de voir le fruit de ses soins, lui fournir sans cesse de nouveaux sujets d’hommage & de reconnoissance, il ne pouvoit y attacher une trop grande idée de satisfaction & de bonheur. Tout travail n’est donc pas la fuite ou la peine de la désobéissance de notre premier Père ; il est seulement vrai qu’à mesure que nous nous sommes plus éloignez de notre céleste origine, les difficultés se sont accumulées autour de nos moindres travaux ; que leur peu de succès, ou l’espéce d’ingratitude, dont nous craignons qu’ils ne soient suivis, nous en inspirent d’avance le dégoût, & que loin de tâcher à le vaincre par un généreux effort, nous nous accoûtumons insensiblement à n’en accuser que nos tristes destinées.
Venez, MESSIEURS, nous aider par votre exemple, à détruire un préjugé, qui tenant notre ame captive, l’aviliroit, au point de lui faire oublier qu’elle est une portion de la Divinité même, & que le plus sûr moyen de l’y réunir, consiste à l’occuper d’une maniére digne d’Elle.
Tel est le véritable objet de nos occupations. Si nous nous appliquons à polir, à, perfectionner le langage, ce n’est pas dans la seule vûë de flatter l’oreille par des sons harmonieux, de donner plus de justesse & de clarté à la Prose, un vol plus hardi & moins téméraire à la Poésie ; c’est principalement, pour rendre les preuves de la vérité plus fortes & plus sensibles, les images de la vertu plus respectables, & mériter l’attention de la Postérité, autant par la délicatesse du pinceau, que par l’importance & la majesté du sujet.
Nous avons à lui apprendre, Qu’il est des Peuples assez heureux, pour n’admettre aucune différence entre le zéle & le devoir, entre l’amour de la Patrie & la gloire du Souverain ; Qu’il est des Ministres sages & puissans, simples, affables & tranquilles, au milieu du mouvement qu’ils donnent à l’Univers entier ; Qu’il est des Rois Magnanimes, qui sacrifient leurs plus grands intérests au repos & à la tranquillité publique, & que rien n’arrête, dès qu’il faut venger la Splendeur du Trône qu’on offense, ou secourir des Alliés qu’on opprime ; des Rois, enfin, qui ne veulent être couronnés par les mains de la Victoire, qu’après l’avoir été par celles de la Justice & de la Piété.
À M. de Moncrif.
Dans l’Académie des Belles-Lettres.
S. A. S. Monseigneur le Comte de Clermont.
à M. Dupré de S. Maur, cousin germain de M de Valincourt.
Le Paradis perdu de Milton.