DISC0URS prononcé le 20. Mars 1710. PAR M. LE PRÉSIDENT DE MESMES, lorfqu’il fut receu à la place de Monfieur le Comte de Crecy.
MESSIEURS,
Depuis que l’inflitution de l’Académie Françoife a fait naiftre tant de juftes de fins defirs d’eftre admis dans une Compagnie auffi illuftre ; entre les Prétendants les plus empreffez, qui ont eftté appellez à cet honneur, aucun n’y a jamais efté plus fenfible que je le fuis.
Je reconnois cette gloire precieufe que vous refpandez fur ceux qui ont le bonheur de vous eftre affociez. On acquiert par vos fuffrages le droit de jouïr pendant la vie de la reputation de tous les Académiciens. On partage avec eux la veneration du Public ; & mefme cette brillante immortalité, noble recompenfe de vos veilles & de vos travaux.
Un nom efcrit fur vos Regiftres, eft un nom qui ne perit point ; le mien s’y lira dans tous les fiecles : mais il faudra qu’on y life en mefme temps le principal fondemen de ma reconnoiffance. Il feroit peut eftre un reproche pour vous, fi en m’exemptant de faire mes preuves, & vous relafchant en ma faveur de la feverité de voftre ufage, vous n’aviez efperé qu’il en reviendroit quelque avantage pour l’adminiftration de la juftice.
Cette confideration, MESSIEURS, vous avoit infpiré la mefme indulgence pour mon Pere, & pour quelques autres Magiftrats, qui, perfuadez comme moy, à quel point il eft utile aux Miniftres de la Juftice de joindre l’eftude de l’eloquence à celle des Loix, font venus à l’Académie cultiver l’art de bien parler, fi puiffant fur les hommes, & quelquefois fi neceffaire pour authorifer la raifon.
Je ne puis croire, MESSIEURS, que vous m’ayez fait l’honneur de jetter les yeux fur moy par aucun autre motif. Pour devenir ce que vous avez tous merité d’eftre, il faut en effet s’eftre diftingué dans le monde fçavant. On ne fe prefente ici, on n’y entre qu’avec quelque Ouvrage exquis à la main, & vous voulez bien m’y recevoir les mains vuides.
Vous me difpenfez des Loix refpectables, que vous avez receuës du fameux Cardinal de Richelieu voftre Fondateur, voftre premier Protecteur. Ce grand homme fe regardant comme le premier Académicien, creut que le moyen le plus feur, pour obliger les autres à l’obfervation des regles, qu’il fe propofoit de leur prefcrire, eftoit de s’y affujettir luy-mefme.
Il nous refte de luy d’excellents Ouvrages, qui prouveront à la pofterité, que, penfant à former cet illuftre Corps, il avoit auparavant efprouvé les forces de ce rare Genie, auffi propre pour la véritable eloquence, que pour l’heureux gouvernement des Eftats.
Dans le defir naturel à tous les hommes de fe furvivre à eux-mefmes, & de tranfmettre leur memoire aux fiecles à venir ; fa profonde penetration luy fit juger, qu’il n’avoit qu’à depofer fon nom dans vos Annales, & engager voftre reconnoiffance à le celebrer dans vos fçavantes Affemblées.
Le grand Seguier, qui fut choifi parmi vous pour luy fucceder, n’eut pas un moindre foin du talent de la parole. Il ne l’employa pas feulement comme un digne chef de la Juftice doit faire, pour la defenfe des droits de l’Eglife & de l’Eftat. Il fit toute fa vie fes délices d’une douce focieté avec les gens de Lettres, il les anima tousjours par fon exemple, & il les fouftint par fa protection & par fes bienfaits.
Pardonnez-moy, MESSIEURS, un mouvement de complaifance, peut-eftre un peu trop flateur, qui me fait remarquer dans mes Anceftres la mefme inclination pour les fciences, le mefme attachement & les mefmes foins pour les Sçavants.
Ces réflexions ont fans doute, contribué à vous déterminer en ma faveur. Mais que dis-je, MESSIEURS ? pourquoy n’avoir pas regardé d’abord le principal motif de voftre choix ? vous avez conceu quelque opinion d’un homme, que les bontez du plus grand Roy du monde ont eflevé, avant le temps prefcrit par les Loix, à une dignité, qui demanderoit la fageffe la plus confommée.
Le zele inviolable de mes Peres, leurs divers fervices, fi je l’ofe dire, leur invariable devouëment pour les interefts de l’Eftat, & pour la Perfonne facrée de nos Rois, m’ont alors tenu lieu de merite, & les graces dont il a pleu à Sa Majefté de me combler, m’attirent la diftinction dont vous m’honorez aujourd’huy.
Je comprends en mefme temps qu’il m’eft tres-glorieux de fucceder à un homme du plus haut merite. Monfieur le Comte de Crecy a fait briller fes talents dans la plufpart des Cours de l’Europe. Le choix du Roy pour tant d’emplois importants, qu’il a tousjours dignement remplis, la réputation & le fuccés de fes Ambaffades, honorent fa memoire au delà de ce que pourroit faire le Difcours le plus eftudié.
Je fçai, MESSIEURS, que voftre éloquence eft principalement confacrée à la gloire de voftre augufte Protecteur ; & qu’on n’entre point parmi vous, fans entrer dans les mefmes engagements. Mais une voix auffi foible que la mienne, pourroit-elle fe faire entendre dans des concerts, formez par les maiftres de l’Eloquence.
Je me connois, je connois la grandeur du fujet de vos éloges ; & quand, pour exprimer une partie de ce que je fens, je dirois que, tel que nous avons veu le Roy dans la profperité de fes armes, tousjours victorieufes fous fa conduite, tel nous le voyons aujourd’huy, que tant de Nations jaloufes de fa gloire fe font reünies contre luy, & que les faifons mefmes ont femblé fe fouflever contre l’Empire François ; qu’aurois-je dit, qui ne foit de beaucoup inférieur à la grandeur & à la nobleffe de fon caractere ?
Il fçait ce Prince, auffi diftingué par fa pieté, que par la preéminence de fa Couronne, que les bons & les mauvais fuccés viennent tous de la main du Maiftre des Rois ; & c’eft de là qu’il tire ce conftant amour pour la Religion & pour la faine doctrine, ce fonds inefpuifable de reffources dans les temps les plus difficiles, cette inefbranlable fermeté d’ame, cette force d’efprit tousjours fuperieure à l’inconftance & aux caprices de la fortune.
Nous touchons peut-eftre au moment de voir enfin le calme fucceder à la tempefte, & comme c’eft aux vertus de cet augufte Monarque, que nous fommes redevables des efperances que le Ciel nous en donne, ce fera auffi à fa piété & à fa fageffe que nous devrons l’accompliffement.
Cependant, MESSIEURS, fenfible, comme je le dois à l’honneur qu’il vous plaift de me faire, je vous fupplie d’eftre perfuadez, que, quoique l’extreme reconnoiffance que j’en ay, foit au deffus de tout ce que j’en puis dire, je ne laifferay pas de croire, qu’elle eft encore au deffous de voftre bienfait.
Heureux ! fi des obligations indifpenfables me permettoient de venir, auffi fouvent que je le fouhaiterois, joüir & profiter d’un commerce également utile & agréable.