INAUGURATION DE LA STATUE DE VOLTAIRE
Le mardi 14 juillet 1885.
DISCOURS
DE
M. V. SARDOU
DIRECTEUR DE L’ACADÉMIE
MESSIEURS,
Je ne viens pas, au nom de l’Académie française, faire ici l’éloge de Voltaire. Cet éloge n’est plus à faire. L’admiration de deux siècles ne laisse rien à dire, qui n’ait été dit déjà. D’ailleurs, il est des renommées si hautes, qu’elles sont au-dessus des critiques et des louanges. La sienne est du nombre, Il est Voltaire !... cela suffit, et vaut tous les panégyriques ; car Voltaire : c’est, pour le monde entier, la guerre aux préjugés, la haine de l’arbitraire, la passion du droit et le plus ardent amour de l’humanité ; tout le génie d’un peuple, concentré dans un seul homme ; toute l’œuvre d’un siècle, résumée dans un seul nom. L’Académie s’associe avec joie à cette consécration nouvelle d’une gloire qui lui appartient, et l’on ne saurait trop féliciter le Conseil municipal de Paris, qui dresse cette statue au cœur même de la ville, pour qu’elle dise bien au passant : Garde-toi des ignorants et des exaltés !... Et, de quelque part qu’ils viennent, proteste contre tous les abus, toutes les intolérances et tous les fanatismes ! »
Après m’être incliné, pour l’Académie française, devant cette image d’un grand homme, si bien placée, entre la maison qui l’a vu mourir et celle qui le voit immortel, — d’une immortalité qu’il ne doit qu’à lui-même, — j’ai aussi le devoir, comme représentant des auteurs dramatiques, de saluer, en lui, l’auteur de Mérope et de Zaïre ; mais surtout le classique audacieux qui n’a pas cru être infidèle à Corneille en nous révélant Shakspeare.
Précurseur en toutes choses et, jusque dans l’art théâtral, révolutionnaire sans le savoir, il frayait ainsi les voies à des nouveautés littéraires qu’il ne pressentait pas, — car il y a loin de Mahomet à Ruy Blas, — et qu’il ne verrait pas sans quelque surprise. Mais il faut accepter les dons du génie sans lui demander compte des intentions. En nous enseignant, avec le drame shakspearien, à ne plus nous renfermer dans l’admiration exclusive des anciens, à nous affranchir de règles tyranniques, à briser le moule étroit qui comprimait l’expansion de notre art national ; en nous apprenant enfin à ne pas accepter son propre théâtre pour modèle, il portait le premier coup à la tragédie classique, cette Bastille ; et préparait le triomphe du romantisme, ce Quatre-vingt-neuf de l’art dramatique. Un tel service mérite beaucoup de reconnaissance et j’en dépose ici l’hommage au nom de tous mes confrères.