INSTITUT DE FRANCE.
ACADÉMIE FRANÇAISE.
FUNÉRAILLES
DE
M. SAINT-RENÉ TAILLANDIER
Le mercredi 26 février 1879.
DISCOURS
DE
M. LE Baron DE VIEL-CASTEL
DIRECTEUR DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE.
MESSIEURS,
Il y a neuf jours, nous conduisions M. de Sacy à sa dernière demeure. M. Saint-René-Taillandier était avec nous. Il a pu nous suivre jusqu’au cimetière éloigné où s’est accomplie cette triste cérémonie. Il était en pleine santé, dans la force de l’âge, et il semblait, même plus jeune qu’il ne l’était en réalité. Il vient de nous être enlevé presque subitement par une de ces terribles maladies contre lesquelles la science est trop souvent impuissante.
En bien peu de jours, l’Académie française a été deux fois cruellement frappée. Comme M. de Sacy, M. Taillandier était un de ses membres les plus assidus, un de ceux qui prenaient le plus de part et qui s’intéressaient le plus à ses travaux ; tous deux, bien qu’ils eussent rempli dans l’État des fonctions importantes, étaient essentiellement, et avant tout des hommes de lettres dans le meilleur sens, dans le sens le plus élevé de ce mot.
Leurs aptitudes étaient différentes. M. de Sacy excellait par sa profonde connaissance de la langue française et par l’art délicat et exquis avec lequel il la maniait. Un des principaux mérites de M. Taillandier consistait dans la possession des langues étrangères. Pour ne parler que de l’Allemagne, peu d’hommes ont aussi bien connu l’histoire, la littérature, la philosophie, le caractère singulier d’un peuple sur lequel, pendant si longtemps, nous nous étions fait, clans des sens divers et contradictoires, des idées si éloignées de la vérité. Les nombreux articles qu’il a publiés dans une revue célèbre et qu’il a réunis ensuite pour en former des livres excellents nous ont ouvert à cet égard des horizons nouveaux en appropriant aux habitudes de l’esprit français des notions que nous eussions difficilement et imparfaitement comprises s’il nous avait fallu les chercher à la source où il les puisait lui-même, clans les écrits de nos voisins d’outre-Rhin.
Ce n’est pas ici qu’il convient d’expliquer, avec tous les développements que comporterait un tel sujet, la très- grande valeur de ces productions littéraires. En présence d’une tombe ouverte, d’autres préoccupations s’imposent à mon esprit. Ce que je crois devoir louer dans le confrère que nous avons perdu, c’est une bienveillance dont la parfaite aménité de ses manières était l’aimable expression ; ce sont des qualités morales d’un ordre plus élevé encore, l’honnêteté, la droiture de ses principes et les convictions religieuses dont il était animé, ces convictions qui, de l’aveu des sceptiques intelligents et non prévenus, contribuent si efficacement, mène sur cette terre, au bonheur de l’existence. Un de ces sceptiques, un des plus éminents, un très-grand esprit n’a-t-il pas dit que homme est meilleur lorsqu’il croit, parce qu’il est plus heureux ?