Funérailles de M. le comte Bigot de Préameneu

Le 2 août 1825

Pierre DARU

INSTITUT ROYAL DE FRANGE.

ACADÉMIE FRANÇAISE,

FUNÉRAILLES

DE M. LE COMTE BIGOT DE PRÉAMENEU.

 

Le 2 août 1825 ont eu lieu les Funérailles de M. le Comte BIGOT DE PRÉAMENEU (Félix-Julien-Jean), Membre de l’Académie Française.

Après le service funèbre, M. le Comte DARU, Membre et Directeur de l’Académie, a prononcé le discours suivant :

 

MESSIEURS,

QUEL est celui de nous qui, en entrant dans cette enceinte, ne tourne ses regards vers une pierre où il a déposé ce qu’il avait de plus cher ? Quelle est la douleur qui ne devient plus vive, lorsque les yeux se reportent vers une tombe nouvelle qui va se fermer sur un homme avec lequel nous avons vécu ? Cependant il est pour nous une idée consolante ; c’est celle de la postérité qui semble attendre sur le bord de la tombe ceux qui ont consacré leur vie à d’utiles travaux. Nous ne les déposons pas ici tout entiers ; ils laissent après eux des monuments qui protégeront leur mémoire. Mais ici notre douleur récente ne nous permet que d’offrir le tribut de nos regrets au confrère que nous avons perdu; ailleurs, un juste hommage sera rendu à ses travaux.

M. le comte Bigot de Préameneu ne fut pas moins digne de nos regrets comme homme privé que comme académicien et homme public. Ses vertus domestiques, l’aménité de son caractère, lui firent conserver dans une longue vie, souvent orageuse, cette tranquillité d’ame qui lui permit d’amasser de vastes connaissances, et qui devint profitable à la patrie, lorsqu’elle réclama ses lumières et son dévouement.

La tranquillité d’ame dans la vie privée fut, dans la vie publique, une fermeté courageuse ; et ce courage, qui était celui de la raison et de la vertu, se signala dès la seconde de nos assemblées législatives.

Les lumières de M. Bigot de Préameneu le firent distinguer dans la plus éminente de nos cours de justice, où il a siégé parmi tant d’hommes honorables par leur savoir comme par leur équité, et dans le Conseil-d’État, où il eut la gloire d’être le coopérateur des Tronchet, des Portalis, des Malleville, des Cambacérès, dans la rédaction de ce Code qui a survécu aux révolutions des empires, parce qu’il est .un monument de la sagesse des temps et des progrès de la raison humaine.

Appelé à un ministère d’autant plus difficile que sa mission était de rétablir des rapports long-temps interrompus, entre la puissance ecclésiastique et le gouvernement séculier, il y exerça, par ses vastes connaissances, et surtout par son affabilité bienveillante, la plus honorable comme la plus sûre influence.

Rentré dans la vie privée, l’autorité dont il avait été investi ne méritait pas ses regrets ; mais il n’avait pas renoncé à faire du bien. Cette réunion de citoyens illustres par leur bienfaisance éclairée, qui, depuis vingt-cinq ans, a travaillé avec tant de constance et de succès à l’amélioration des hospices de Paris, le compta parmi ses membres les plus assidus et les plus laborieux.

Lorsque les résultats si satisfaisants de cette expérience déterminèrent le gouvernement à appliquer le même mode d’administration à l’amélioration des prisons, le zèle de M. Bigot de Préameneu ne lui permit pas de refuser sa part Tune si noble tâche. Il a eu le regret de voir interrompre, par un changement de système, les travaux auxquels il concourait avec une ardeur que son âge n’avait point affaiblie.

Cette ardeur était la même depuis près de trente ans pour nos travaux académiques, et particulièrement depuis que ses fonctions politiques avaient fait place à ce loisir dont le sage sait toujours profiter. C’était parmi nous que M. le comte Bigot de Préameneu s’était réfugié, après avoir été battu par les orages du monde. Les sciences et les lettres ont ce noble avantage d’offrir à ceux qui les cultivent un port où ils trouvent la sûreté et la dignité qui leur appartient. M. Bigot de Préameneu y trouva aussi autant d’amis qu’il eut de confrères; et cette amitié respectueuse, mêlant aujourd’hui ses larmes aux larmes des pauvres, vient déposer sur sa tombe les regrets si justement dus à l’homme de bien qui a rendu d’éminents services à la patrie.