Réponse de Mr. de SAÇY Chancelier de l’Académie au Difcours prononcé
par Mr. Le Marquis de MIMEURE le jour de fa Reception.
MONSIEUR ,
La reconnoiffance que vous venez de nous marquer fi éloquemment , vous nous la devez moins qu’au public. Ses vœux ont devancé nos fuffrages. Si vous aviez crû que dans l’efperance de nous impofer ou de nous furprendre , il fuft permis d’employer des protections refpectables , ou des follicitations dangereufes , perfonne n’auroit pû le tenter plus facilement que vous. Mais perfuadé que ces fecours ailleurs fi glorieux , ne font dans cette occafion affez d’honneur , ny à celuy qui s’en fert , ny à ceux auprés de qui on les emp1oye ; vous avez donné un exemple digne de fervir de regle à tous ceux qui entreront après vous dans la mefme carriere.
En un temps où il femble que pour arriver mefme aux honneurs de l’efprit , on commence à prendre les routes qu’une aveugle ambition a tousjours fuivies , pour parvenir aux emplois & à la fortune , vous avez eu le courage de ne vous point efcarter de celles que la modeftie & peut-eftre (dans la place où je fuis il ne me fiera pas mal de le dire) le refpect deu à cette Compagnie vous prefcrivoient ; vous n’avez fait parler pour vous que la Renommée.
Vous pouviez bien , MONSIEUR , vous en repofer fur elle. Où auriez-vous trouvé des amis qui vous euffent mieux fervi ? A peine parliez-vous , que desja elle parloit de vous. Les merveilles qu’elle publioit de la fineffe & de la vivacité de voftre efprit , de la jufteffe & de la force de voftre raifonnement , de la douceur & de la bonté de vos mœurs , exciterent la curiosité de la Cour. Vous y parûtes à cette Cour délicate , où chacun fans ceffe occupé du plus grand Objet , qui ait peut eftre jamais efté exposé à l’admiration des hommes , femble referver fi peu d’attention pour tout le refte ; & cependant vous y fuftes regardé comme un prodige. On vous y jugea digne de contribuer en quelque forte à l’éducation du Prince , par qui fe doivent perpétuer les grandes deftinées de la France. Vous fuftes attaché à fon fervice , & affocié à fes Eftudes.
Trois Hommes (je ne crains point d’eftre démenti par ceux qui m’entendent) trois Hommes des plus illuftres que la France ait jamais produits , furent chargez d’une éducation qui luy eftoit fi importante.
L’un très-diftingué par une noble & antique race , mais bien plus encore par des mœurs vrayment antiques , & par fon amour pour les Lettres , fembloit n’eftre né que pour faire revivre Mecene à la Cour d’Augufte. Courtisan fans ceffer d’eftre Philofophe , il ne mettoit point la politeffe dans une diffimulation rafinée ; convaincu que rien ne devoit tant plaire au Prince fous lequel il avoit le bonheur de vivre , que la Verité , il alloit tousjours au vray & à l’honnefté fans détour , & fe feroit crû deshonoré , s’il euft payé l’approbation du public de la moindre adulation envers les particuliers.
L’autre joignoit à un genie fublime une profonde connoiffance de l’Hiftoire Ecclefiaftique & Profane , de l’Efcriture &des Peres , mais fur tout il eftoit doüé d’une Eloquence , dont l’antiquité fe feroit fait honneur dans les fiecles les plus celebres , & dont l’Eglife dans celuy-cy , s’eft fait un rempart capable de la défendre éternellement contre une herefie qui a fi long-temps defolé ce Royaume.
Le troisième , d’un efprit naturellement délicat , a pris foin de fe nourrir de tout ce que les Auteurs les plus renommez dans tous les fiecles , & dans toutes les Langues ont de plus exquis. Theologien auffi éclairé que profond , il a fceu arracher de la Théologie les épines qui femblent l’obfcurcir & l’eftouffer , pour y repandre les fleurs d’une fainte & mafte Éloquence , & luy donner toute l’évidence & toute la force de la démonftration. Philofophie , Hiftoire , Poëfie ; quel genre d’érudition luy a échapé ? Quelle antiquité ? Quelle Science a eu pour luy des feçrets impénétrables ? Qui d’entre ceux qui connoiffent les Lettres ignorent fon nom ? Quelle Nation eft affez vaine pour ne nous pas l’envier.
Pendant que ces grands Hommes n’oublioient rien pour former le Prince qui leur avait efté confié , vous aviez ce bonheur , MONSIEUR , que plus vous apportiez d’affiduité à le fervir , & plus vous vous mettiez en eftat de meriter un jour toute fon eftime ; vous preniez fans ceffe dans tout ce qui échappoit , à fes inclinations héroïques l’amour de la vertu , & dans les leçons délicates qu’ils luy donnaient le gouft des plus excellentes chofes.
Vous en fceutes fi bien profiter , que vous fuftes jugé auffi digne de le fervir dans les nobles travaux où bien-toft après la gloire l’appella , que vous aviez paru propre à l’amufer dans les jeux , & dans les exercices de fon enfance. On vous vit marcher après luy d’un pas ferme dans tous les perils où fon grand cœur le précipita. Mais tefmoin de fon humanité pour les foldats , de fon affabilité pour les Officiers , de fa liberalité envers ses troupes , de fa prévoyance dans les contre-temps , de fa patience dans les fatigues , vous compriftes combien il eftoit vray , que la valeur feule ne forme point le Heros.
Depuis ce temps avec voftre admiration pour un fi grand Prince , voftre zele pour luy s’eft accru , & avec voftre zele , s’eft augmentée fon affection pour vous. Ceux qui avoient efté chargez de l’inftruire font devenus vos meilleurs amis , & fidelle également & aux exemples que vous aviez eus , & aux inftructions que vous aviez receuës , vous avez fait tous vos devoirs de la guerre & de la Cour , tous vos plaifirs des Mufes.
Vos Poëfies Latines qui auroient brillé dans le temps des Horaces & des Tibulles , & qui ont fait paffer de fi bonne heure voftre nom jufques dans les pays eftrangers , n’ont efté pour ainfi dire que les amufemens de voftre enfance ; et vos Poëfies Françoifes pleines de ces graces qui ne font point au pouvoir de l’art , & que feul y peut femer un génie heureux cultivé par des eftudes choifies , & poli par un long ufage de la Cour , font depuis long-temps les delices des perfonnes les plus déliées de la France.
Il n’en falloit pas moins , MONSIEUR , pour nous confoler de la perte que nous avons faite. Monfieur le Préfident Coufin eftoit un de ces hommes que les attraits des Lettres dégouftent de l’ambition & de la fortune ; quoyqu’il fuft entré dans la Magiftrature des fa jeuneffe ; quoy qu’il y euft apporté une folidité d’efprit , & des connoiffances qui luy refpondoient de tous les avantages que les autres y cherchent , fon inclination pour l’eftude luy fit preferer le repos dont jouit le Philofophe , à tout l’efçlat qui environne l’homme public ; dés lors il borna fes veuës aux feules fonctions de fa charge , & comme elles luy laissoient beaucoup de loifir , il le consacra tout entier à l’amour des Sciences.
C’eft à Monfieur Coufin que le public fut long-temps redevable de la continuation de ces Journaux qui excitoient tant de curiofité , & qui caufoient tant de plaifir , parce qu’ils ne paroiffoient précisément faits , que pour foulager ceux qui manquoient ou de temps pour lire; ou de mémoire pour retenir.
Comme il n’avoit pas moins de droiture dans le cœur que dans l’efprit , loin de s’imaginer qu’en faifant l’extrait des Livres il euft acquis le privilege de faire une Satyre , où fans refpect ny Pour la Verité , ny pour la bienféance , il n’euft à fuivre que fes defgoufts ou fes chagrins ; il ne crut pas que cet extrait luy donnaft feulement le droit de s’ériger un Tribunal , d’où il peuft prononcer un jugement innocent & modefte.
Plein de défiance pour fes propres lumieres , il apprehendoit qu’en croyant donner une décifion fondée & légitime , il ne donnaft une fantaifie , ou une opinion erronée , & qu’en fe hazardant à guider ceux qui s’abandonneroient à fa foy , il ne les égaraft.
Attentif à l’efprit des Inftituteurs de ce Recueil , il ne fe regarda jamais ny comme le juge , ny comme le censeur du Livre dont il parloit , mais il fe fouvint tousjours qu’il n’en eftoit que l’Hiftorien.
Les devoirs d’un fage Hiftorien furent toute fa regle , il fçavoit qu’on ne luy demande que du choix , de l’ordre , de la clarté , de la fidelité , & que le plus grand de tous fes vices c’eft d’eftre partial ou malin.
Il n’eft pas eftonnant qu’avec une conduite fi moderée , il fe foit concilié l’eftime de tous les gens de Lettres. Mais ces fortes d’Ouvrages ne fervirent qu’à le délaffer d’eftudes infiniment plus importantes. Quand je fonge aux threfors dont il a enrichi nos Bibliotheques , peu s’en faut que je ne demande , s’il eft poffible qu’un feul homme ait pû fuffire à tant & à de fi longs travaux. L’Hiftoire du bas Empire qui n’eftoit auparavant connuë que des Sçavants capables de la puifer dans un grand nombre de volumes Grecs où elle eftoit renfermée , eft par fes excellentes Traductions devenuë fi celebre fous le titre de l’Hiftoire Byzantine , & fi commune par toute la France , qu’elle ne nous eft aujourd’huy guere moins familiere que la noftre.
Tel fut , MONSIEUR , l’homme illuftre que vous venez remplacer : je ne vous parle point de la douceur de fon commerce ; ce n’eft pas une des qualitez que nous cherchons le moins dans un Confrere , & c’en eft une qui nous rendra fa mémoire éternellement précieufe. Auffi que pourroit-on apporter de plus fouhaitable dans une Compagnie comme celle-cy ? Les Eftudes peuvent nous affembler , 1’efprit nous plaire ; le fçavoir nous inftruire ; mais les mœurs & les manieres peuvent feules nous lier.
Nous fçavons , MONSIEUR , tout ce que nous devons attendre de l’agrément des voftres : ainfi nous ne pouvons trop nous preffer de vous rendre affidu parmy nous ; que voftre gouft pour les Lettres , que voftre amitié pour nous vous en faffe ménager les momens. Ayez pour l’Académie la mefme ardeur qu’on voit briller fi vivement encore aujourd’huy dans le digne fang de fes illuftres Fondateurs. Ne vous permettez jamais de regarder voftre élection comme un titre qu’il eft permis de negliger dés qu’on a fceu l’obtenir , mais comme une obligation que vous voulez remplir , ou , (fi voftre modeftie l’aime mieux) comme un avantage dont vous efperez de profiter. Si vous ne pouvez nous donner place entre vos devoirs , comptez-nous entre vos plaifirs. Où en trouver de plus utiles ? Il n’y a perfonne entre nous qui , fi vous l’interrogez , ne vous advouë de bonne foy , qu’il n’eft jamais forti de nos Affemblées , que plus inftruit qu’il n’eftoit quand il y eft entré. Où vous en promettre de plus honneftes ? Nous ne travaillons fans ceffe qu’à perfectionner une Langue deftinée à immortalifer les merveilles du Regne de noftre augufte Protecteur.
Quel délaffement plus glorieux pour vous , MONSIEUR , après avoir fous fes aufpices cueilli des lauriers dans les champs de Mars , devenir avec nous luy en faire des couronnes dans ce Palais , où fa magnificence ouvre un azile aux Mufes. Vous nous y verrez difputer à l’envy cet honneur : mais malgré tout noftre empreffement à celebrer fes Vertus , vous nous entendrez (ce qui eft de toutes les louanges la plus touchante ) faire plus de vœux encore pour fa vie , que d’éloges pour fa gloire.