INAUGURATION DE LA STATUE DE GRESSET
À AMIENS.
RAPPORT FAIT À L’ACADÉMIE
PAR M. NISARD
CHANCELIER DE L’ACADÉMIE,
AU NOM DES MEMBRES DE L’ACADÉMIE
PRÉSENTS À CETTE CÉRÉMONIE[1]
Séance du 24 juillet 1851.
MESSIEURS,
La députation que vous avez bien voulu charger de représenter l’Académie à l’inauguration de la statue érigée en l’honneur de Gresset, par la ville d’Amiens, éprouve un véritable plaisir à vous rendre compte de sa mission.
Arrivés samedi soir, 19 juillet, vos envoyés ont reçu, dès le lendemain matin, la visite de M. Breuil, président de l’Académie d’Amiens, qui leur a exprimé, dans les termes les plus vifs, la reconnaissance de sa compagnie pour le concours que vous voulez bien apporter à l’hommage public rendu au poëte célèbre qui fut son fondateur. Le même jour, il nous réunissait dans un dîner auquel assistaient, avec plusieurs de ses confrères, les autorités de la ville et du département. Nous y avons eu plus d’une occasion de reconnaître que les sentiments de M. Breuil, pour l’Académie, étaient ceux de tous ses honorables convives.
Le lundi 21, sous la conduite de M. Breuil, nous nous sommes rendus à l’hôtel de ville, où devait se tenir la séance publique annuelle de l’Académie d’Amiens. Au moment de notre arrivée, défilait sur la place une brillante cavalcade, suivie de chars portant les emblèmes des diverses industries de la cité. C’était une partie de la belle fête donnée au profit des pauvres, à l’occasion de l’inauguration. Dans la salle, des places d’honneur nous avaient été réservées en face du bureau. Le président de l’Académie a ouvert la séance par un discours sur Gresset ; excellent morceau de critique, où le poète et l’homme ont été appréciés avec beaucoup de finesse et de sentiment. Après lui le secrétaire perpétuel, M. Anselin, a lu une notice historique instructive et élégante sur les travaux de l’Académie, depuis sa fondation. La séance s’est terminée par la lecture, vivement applaudie, de vers très-spirituels, dont l’auteur est un magistrat distingué, M. Berville, compatriote de Gresset, et un de vos anciens lauréats. Dans ces trois morceaux, l’Académie française a été l’objet des allusions les plus flatteuses ; et si vos envoyés ne sont pas des témoins trop prévenus, il leur a semblé que les passages où l’on parlait de vous n’étaient pas les moins applaudis.
De l’hôtel de ville l’assemblée s’est rendue à la bibliothèque publique, à travers une population à la fois animée et paisible. Là, au fond d’une vaste cour d’entrée, dès longtemps remplie de spectateurs, devant le perron de l’édifice, s’élevait, couverte encore d’une toile, la statue de Gresset. La toile est tombée, et une explosion d’applaudissements a salué l’image aimable du poëte, qui n’est pas moins populaire, dans sa ville natale, par la renommée de ses charmants ouvrages que par le souvenir de ses vertus. Une circonstance particulière ajoutait à l’intérêt de cette scène. La statue de Gresset est à la fois l’ouvrage et le présent d’un membre de l’Académie d’Amiens, M. de Forceville, qu’un instinct supérieur, qui s’est révélé tout à coup, de banquier a fait statuaire. Le marbre, qui reproduit avec bonheur un très-bon portrait du temps, représente Gresset assis, la plume à la main, souriant doucement à quelque trait de malice aimable que lui envoie la muse de Ver-Vert et du Méchant.
Après des remercîments adressés par M. Breuil à l’artiste pour un don si précieux, à l’administration et à la ville pour avoir concouru à l’exécution du monument, à la famille de Gresset pour une très-belle médaille commémorative qu’elle a fait frapper, et dont un exemplaire a été offert en son nom à chacun de nous, M. Porion, maire d’Amiens, a pris la parole. En quelques mots simples et expressifs, il a rappelé avec un sentiment de fierté locale bien permis, le noble exemple que donnait Amiens, en élevant, à deux années d’intervalle, des statues à deux de ses plus illustres enfants, Ducange et Gresset. Il a adressé, à son tour, à l’Académie française, au nom de ses concitoyens, des remercîments dont la cordialité nous a pénétrés ; et il y a mêlé, pour les membres de votre députation, des expressions d’estime personnelle dont ils sont heureux de vous rapporter l’hommage.
Le président de votre députation, M. Ancelot, a parlé le dernier. Les fréquentes marques d’approbation qui l’ont interrompu lui ont prouvé que, soit dans le jugement qu’il a porté sur les poésies de Gresset, soit dans les leçons de haute morale qu’il a tirées de sa vie, son discours avait dû exprimer vos sentiments et vos principes, et que la pensée de l’auditoire répondait à la sienne.
Un banquet offert à vos envoyés par l’Académie d’Amiens a suivi la cérémonie de l’inauguration. M. Breuil, qui le présidait, et qui a su trouver pour toutes les parties de son rôle délicat des paroles dont tout le monde a apprécié la parfaite convenance, a fait vivement applaudir un toast à l’Académie française, accompagné d’expressions de sympathie pour notre directeur, M. Dupaty, que la maladie a privé de l’honneur de vous représenter à cette fête. Votre chancelier y a répondu en associant dans le même toast l’Académie d’Amiens, la Société des antiquaires de Picardie et la ville. Il voudrait être sûr que ses paroles ont été conformes à vos sentiments.
Une brillante fête nautique, au confluent de la Somme et du canal de Saint-Quentin, a terminé cette cérémonie, où, parmi tant de choses du plus grand intérêt, deux surtout ont dû toucher plus particulièrement votre députation : l’une est la haute estime que la patrie de Gresset professe publiquement pour l’Académie française : l’autre est le spectacle d’une ville d’industrie et de commerce où l’on élève des statues aux savants et aux poètes, et où une fête littéraire est un sujet d’allégresse publique.
[1] M. Nisard, chancelier de l’Académie, faisant fonction de directeur, et MM. Ancelot et Patin.