FUNÉRAILLES DE M. PARSEVAL-GRANDMAISON.
DISCOURS DE M. LEBRUN,
DIRECTEUR DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE,
PRONONCÉ AUX FUNÉRAILLES
DE M. PARSEVAL-GRANDMAISON,
Le mardi 9 décembre 1834.
MESSIEURS
Nous ne nous séparerons pas des dépouilles mortelles de François-Auguste Parseval-Grandmaison, sans déposer au bord de cette tombe l’hommage d’un dernier et solennel adieu. Je prends la parole au nom de l’Académie française ; j’apporte ici l’expression d’une profonde douleur. Nos pertes se succèdent avec une rapidité toujours croissante. À peine la terre a-t-elle recouvert un de nos cercueils, qu’elle se rouvre aussitôt pour un autre, et cette famille, que quarante membres composent, a incessamment quelqu’un des siens à pleurer. Le nouveau coup qui vient de la frapper était l’un des plus douloureux qu’elle pût maintenant recevoir. Nous avons vu disparaître du milieu de nous l’un de nos vénérables doyens, l’élève, l’héritier et l’ami de Delille. Cette perte, si sensible pour les lettres, a droit de l’être surtout pour ceux qu’attachaient à lui comme nous les liens d’une longue et douce confraternité. Près de le quitter pour jamais, tout ce qui nous le rendait cher revient à la fois à notre mémoire, et moins encore les mérites qui nous le faisaient estimer que les qualités qui nous le rendaient aimable. Nous oublions presque un moment le chantre de Philippe-Auguste, et l’auteur des amours épiques, de ces belles études des grands poètes par lesquelles l’élève de Delille et de Boileau se préparait à lutter avec Voltaire, pour ne nous souvenir d’abord que de l’excellent homme, du confrère facile et bienveillant, de l’ami simple et vrai que nous avons perdu. Que ceux qui l’ont suivi depuis le commencement jusqu’à la fin de sa carrière, viennent dire tout ce qu’eut de noble et de pur sa vie, dévouée aux arts et aux lettres, à la famille, aux affections: tout ce que son âme avait de bonté, son esprit d’élévation, son caractère d’aménité et de candeur : sans ostentation, sans envie, heureux des succès des autres, ami encourageant de la jeunesse vrai poète par les mœurs comme par la pensée, distrait pour toute chose qui n’était pas la poésie ou l’amitié.
L’amitié le pleure ; la poésie ne lui a jamais non plus manqué jusqu’au dernier moment ; elle lui a caché les difficultés de la vie et même les approches de la mort. Il s’occupait de vers peu d’heures avant sa fin ; il y mettait son âme aimante et son affection pour ses confrères ; il y a quelques jours à peine, il faisait encore confidence à l’Académie d’un chant de ce poème achevé sur son lit de douleur, ce poème auquel il attachait une espérance qui ne sera point trompée, ce tableau brillant de l’expédition d’Égypte, cette épopée nationale dont il a vu lui-même de ses yeux agir tous les héros, et dont il a puisé les couleurs, au temps de sa jeunesse, dans le pays et dans le ciel même de cet Orient dont elle est la peinture. Et tandis que nous applaudissions ses vers, et que nous nous étonnions d’y retrouver une chaleur, une sève si jeune encore, il mourait.
Dans un autre temps et dans une autre enceinte, nous pourrons parler de ces ouvrages, destinés à recommander son nom à l’estime et à la mémoire. À cette heure et en présence de ce cercueil, nous n’avons pas la force de parler d’autre chose que de nos regrets.