Funérailles de M. Michaud, à Passy

Le 1 octobre 1839

Pierre-Antoine LEBRUN

DISCOURS DE M. LEBRUN,

CHARGÉ DES FONCTIONS DE SECRÉTAIRE PERPÉTUEL,

PRONONCÉ AUX FUNÉRAILLES

DE M. MICHAUD,

À Passy, le mardi 1er octobre 1839.

 

MESSIEURS,

Lorsque nous nous réjouissions, hier encore, d’avoir vu l’Académie française, pour la première fois depuis son origine, passer trois années entières sans pleurer un seul de ses membres, nous nous attendions peu à ce coup, subit autant que douloureux, qui vient de nous frapper. Depuis longtemps, le confrère si regrettable dont nous entourons le cercueil ne paraissait plus dans nos assemblées ; mais, accoutumés que nous étions à craindre pour lui, et à voir sans cesse une frêle nature et une santé chancelante suffire de grandes entreprises, à de longs voyages, à une vie pleine de labeur, et à toute l’activité d’une vive intelligence, nous ne pouvions nous décider à croire que ce fil si délié fût enfin près de se rompre, et la durée même de nos craintes nous était devenue une assurance. L’Académie, Messieurs, et les lettres françaises ont fait une perte bien sensible. C’était un homme rare, rare dans tous les temps et surtout dans le nôtre, que cet écrivain pur, simple et vrai, chez qui l’imagination était compagne d’un sens si droit ; la raison, d’un esprit si plein de charme et de grâce, et qui sut parler avec le même goût et la même élégance, la langue de la poésie et celle de l’histoire ; talent élevé et supérieur, honorable caractère, homme du commerce le plus aimable, bon et excellent confrère. L’auteur du Printemps d’un Proscrit et de l’Histoire des Croisades a droit aux regrets de toute la littérature, et ses ouvrages vivront. Mais que le souvenir du poète, de l’historien, du voyageur, et j’ajoute du publiciste, se taise en ce moment pour ne laisser parler que nos souvenirs intimes. C’est à eux surtout que s’attachent à cette heure nos regrets; c’est à l’homme bon, simple et bienveillant que s’adresse ce dernier adieu de ses confrères. Si quelque hommage pouvait le toucher encore, ce ne serait pas assurément celui qu’on offrirait ici à sa renommée. La gloire paraît bien peu de chose, prise du point de vue du cercueil. Il n’y a plus ici de propre à nous toucher que les larmes que nos amis répandent à l’instant de la séparation suprême, et les espérances de cette immortalité qui n’est pas sur la terre.