FUNÉRAILLES DE M. ANDRIEUX
DISCOURS DE M. LE COMTE DE CESSAC,
MEMBRE ET DIRECTEUR DE L’ACADÉMIE,
PRONONCÉ AUX FUNÉRAILLES
DE M. ANDRIEUX
Le dimanche 12 mai 1833.
MESSIEURS,
Pourquoi cette réunion de tant de personnages honorables, de tant d’hommes illustres ? pourquoi le deuil de l’âme est-il peint sur tous les visages, dans tous les regards ? pourquoi éprouvons-nous le besoin d’exhaler nos regrets, de soulager notre cœur par des hommages funèbres ?
C’est que nous avons là, sous nos yeux, la dépouille mortelle d’un être excellent que nous espérions posséder longtemps encore ; c’est qu’on n’apprécie jamais mieux les hommes doués de toutes les qualités de l’esprit et du cœur, qu’au moment où ils cessent de vivre. Il en est d’eux, comme de la santé, comme de la lumière du jour : ce sont des biens de tous les instants, mais dont on sent encore plus vivement le prix au moment où l’on vient de les perdre.
Andrieux fut un de ces hommes rares, un de ces hommes modèles dont la perte ne se répare point. C’est à ses anciens amis, à nous qui avons vécu dans son intimité et qui avons vieilli avec lui ; c’est à nous de rendre hommage à ses vertus privées, à l’aménité de son caractère, à l’élévation de ses sentiments, à la pureté de ses principes, à sa philosophie pleine de tolérance, à son amour de l’humanité et à sa cordiale affection pour ses collègues. Nous pouvons attester, sans craindre d’être démenti, qu’il ne fut jamais de meilleur époux ni de meilleur père ; que jamais personne ne porta plus loin ces vertus domestiques ; gages de l’union de la famille et du bonheur intérieur.
Si nous le suivions au conseil des cinq-cents, au tribunat, à la cour suprême, nous le verrions zélé, mais sage défenseur des libertés publiques, sachant apprécier avec justesse les droits de la nation et les besoins de son gouvernement. À la cour de cassation, il se montrerait de même doué des vertus, des connaissances et des talents dont la magistrature française a, dans tous les temps, fourni de glorieux exemples.
Les ouvrages littéraires d’Andrieux sont trop renommés en Europe, trop connus en France, pour que j’aie besoin de les rappeler ici. Eh ! qui ne rend pas hommage au bon sens parfait, à la finesse charmante, à la piquante, mais douce malice, à l’exquise élégance qu’il a répandus dans tous ses ouvrages !
On aimait à entendre ce conteur facile et naïf qui, au milieu de ce siècle grave et raisonneur, semblait être un des derniers représentants du véritable esprit français, et chez qui les formes séduisantes d’un ingénieux badinage s’allièrent toujours aux lumières d’une ferme et profonde raison.
Avec quel empressement ne suivait-on pas ses leçons de littérature ! Ce n’était point un grave professeur, dissertant magistralement dans sa chaire ; c’était presque un bon père de famille causant amicalement avec ses enfants ; niais cette causerie, pleine de naturel et d’abandon, n’en était pas moins instructive. Il ornait la science ; il savait la rendre aimable. Sa mémoire, enrichie d’une solide érudition, lui fournissait sans cesse mille anecdotes piquantes, dont il augmentait toujours l’agrément et le charme par sa manière de les conter.
Dans toutes les places qu’il occupa, son but constant fut d’en remplir les devoirs avec le zèle le plus parfait. Peut-être m’est-il permis d’insister sur ce point, à moi qu’il a longtemps et si puissamment secondé, lorsque j’avais l’honneur de diriger l’école Polytechnique ; c’est là surtout que j’ai pu juger de son désir ardent d’éclairer la jeunesse, et de former de bons citoyens pour la patrie. J’aime à le dire, il ne se bornait pas à orner l’esprit de ses élèves de connaissances littéraires, il s’attachait aussi à perfectionner leur âme, à former leur moralité, à leur inculquer des sentiments d’honneur et de vertu. En voyant toute cette noble jeunesse entourer aujourd’hui son cercueil, il reçoit la plus douce des récompenses.
Après soixante-quatorze ans d’une vie laborieuse et irréprochable, nous venons de perdre, hélas ! cet homme de bien, cet écrivain célèbre, qui n’inspira jamais que de l’estime, de la bienveillance, de l’affection, à ses proches, à ses collègues, à la France entière. C’en est fait ; désormais nous ne l’entendrons plus, nous ne le verrons plus. Andrieux est allé rejoindre Ducis, Picard et Collin d’Harleville, ces amis si chers, dont il parle dans ses ouvrages avec la sensibilité la plus touchante. Ainsi s’éclaircissent chaque jour les rangs de cette génération littéraire qui a continué pour la France la gloire et l’éclat du dix-huitième siècle.
Andrieux, mon vieil ami, j’avais toujours espéré que tu répandrais quelques fleurs sur ma tombe, et moi je ne puis verser sur la tienne qu’un tribut de larmes et de regrets. Tu n’avais, il est vrai, nul besoin de nos éloges ; mais c’est une dernière consolation pour ceux qui t’ont connu, qui t’ont aimé, de rappeler, à l’aspect de ton cercueil, toutes les qualités qui honorèrent ta vie, et qui nous rendront à jamais inconsolables de ta perte.