Discours de réception de Louis Cousin

Le 15 juin 1697

Louis COUSIN

DISCOURS prononcé le 15. Juin 1697. par Mr. COUSIN, Prefident en la Cour des Monnoyes, lorfqu’il fut reçû à la place de Mr. l’Evefque d’Acqs.

 

MESSIEURS,

Si pour m’acquiter de ce que vous attendez de moy aujourd’huy je n’avois qu’à vous faire un remerciment, je ne manquerois pas de paroles ; elles fe prefenteroient d’elles-mefmes pour vous tefmoigner ma reconnoiffance. Mais la couftume de voftre illuftre Compagnie, & l’exemple de ceux qui y font entrez avant moy m’engageant, foit par devoir, ou par bien-feance, à parler de ceux qui ont eu le bonheur de l’eftablir, ou la generofité de la proteger, j’apprehande avec raifon que ce que j’en pourray dire ne reponde pas à la dignité du fujet, & ne vous faffe reconnoiftre que voftre choix ne repare pas voftre peine.

Tout eftoit recommandable dans l’Académicien que vous regrettez ; illuftre naiffance, heureux naturel, érudition, politeffe. Fon profond fçavoir, & fon fidele attachement à tout ce qu’enfeigne la Morale la plus pure ; à tout ce que prefcrit la difcipline la plus exacte le firent élever au plus haut rang de l’Eftat Ecclefiaftique.

La neceffité de fes contions le priva pour quelque-temps des avantages de voftre Societé, après quoy déchargé du poids de l’Epifcopat, & delivré des foins qui en font infeparables, il employa fon loifir à recueillir ce qu’il y a de plus éclatant, & de plus folide dans les preuves fur lesquelles d’anciens Peres, & mefme de célébres Ecrivains de ce temps-cy ont eftabli les preuves de la Relgion Chreftienne, & à les fortifier de nouvelles Reflexions qui en découvrent de plus en plus l’évidence & la certitude.

Affidu à vos Affemblées, il y rechercha avec vous la perfection du langage, & y trouva des armes capables de rendre fon Eloquence, invincible, & de la faire triompher du menfonge, & de l’erreur.

On ne fçauroit affez eftimer l’importance de ces exercices. Lorfque d’excellens efprits refolurent fous le regne precedent de s’en faire une occupation ordinaire, les plus éclairez prirent leur deffein pour un prefage de l’accroiffement des Sciences dans le Royaume, & le Cardinal de Richelieu qui prévoyoit mieux que nul autre les fruits qui en devoient naiftre, en favorifa l’execution, & l’appuya des marques de l’autorité publique. Auffi eftoit-ce un genie du premier ordre qu’un defir ardent, & infatiable de gloire portoit fans ceffe aux plus hautes entreprifes.

L’Europe avoit changé de face depuis qu’il avoit efté appellé au Miniftere, fes Confeils avoient dompté la Rebellion, defarmé l’Herefie, abbatu les Ennemis de la France, reculé fes Frontieres, fecouru fes Alliez, augmenté l’Autorité du Roy, & imprimé la terreur de fon nom à toutes les Nations.

Il fembloit n’avoir plus rien à fouhaiter, fi ce n’eft que tant d’exploits furprenans ne fuffent pas enfevelis dans l’oubly, comme l’avoient efté les plus belles actions des anciens François, qui ayant furpaffé les Grecs, & les Romains en valeur, ne les avoient pas égalez en reputation, pour n’avoir pas poffedé comme eux les Arts qui confervent la mémoire des plus grands évenemens.

Ce fameux Miniftre qui n’avoit jamais épargné ny peine ny dépenfe, quand il s’eftoit agi de les rendre floriffans, n’eut garde de laiffer échapper une auffi favorable occafion que celle que luy offroit l’Académie naiffante, de porter à la derniere perfection l’art de bien parler qui pouvoit le mieux tranfmettre à la pofterité ce qu’il avoit fait de plus grand pour l’intereft de fa Patrie, & pour le fervice de fon Prince.

Il crut que fi fes actions avoient place dans vos Livres, elles s’y conferveroient plus feurement que fur le marbre, & fur le bronze, & que les Ouvrages que vous confacreriez à fon nom feroient des monumens plus durables que les Palais, les Temples, & les Villes qu’il avoit bafties.

Le Chef de la Juftice fuivit les fentimens, & les inclinations du premier Miniftre, entra dans la Compagnie qu’il avoit formée, & en fut après luy le Protecteur. Souvent il defcendoit de fon Tribunal pour affifter à vos Conferences, & après avoir prononcé des Arrefts dans le Confeil il alloit vous propofer fes doutes, & écouter vos décifions.

La France voit revivre aujourd’huy toutes fes grandes qualitez dans le célébre Magiftrat qui remplit fa place, & qui prefte comme luy au Roy des paroles dignes de la majefté de l’Empirre. Les Lettres reçoivent en toutes occafions des marques de fon eftime, & les fçavans en toutes profeffions reffentent des effets de fa bienveillance.

Quelque fenfibles que vous ayez efté, MESSIEURS, à la perte de Monfieur le Chancelier Seguier, Vous avez deu en eftre confolez par la generofité de LOUIS LE GRAND. Quand vous avez ceffé de vous affembler dans l’Hoftel du premier Officier de la Couronne ; vous avez commencé à le faire danse le Palais du plus puiffant Roy de la terre. La gloire de cette feconde Maifon eft plus grande que celle de la premiere. Les Perfonnes les plus diftinguées dans l’Eglise, dans l’Epée, & dans la Robe s’empreffent à l’envi d’y entrer, & fufpendent les fonctions les plus éclatantes de leurs Charges pour n’y exercer point d’autre empire que celuy de la raifon, & pour n’y employer point d’autre autorité que celle de la parole. La fortune de l’Académie fuit celle de l’Eftat, & le progrés de la Langue répond au cours des profperitez publiques. Animez par les évenemens extraordinaires du Regne de SA MAJESTÉ, vous redoublez voftre zele pour en inftruire le fiecle prefent, & la pofterité la plus éloignée, & pour leur apprendre qu’elle a aboli les combats finguliers, reprimé le luxe, refrené la licence, reformé les Loix, reftably le Commerce, banny l’Herefie, affuré le bonheur de fes fujets, & rendu plufieurs fois la Paix à l’Europe.

Nous jouïrions encore de cette Paix, fi elle n’avoit efté troublée par la fureur d’une Ligue qui remplit de confufion le monde Chreftien. Mais les defordres qu’elle caufe, vous font un nouveau fujet, MESSIERUS, de relever les incomparables vertus du Prince qui la deconcerte, & qui fouftient feul contre elle les droits de la Royauté, & les interefts de la Religion.

Les Ennemis vaincus fur Mer & fur Terre, fentent la vanité de leurs projets, & la foibleffe de leurs efforts, & femblent ne fe plus affembler que pour eftre fpectateurs de la prife de leurs Villes, & des autres fuccés de nos entreprifes.

La moderation du Vainqueur, met feul des bornes à fes Conqueftes, & luy fait preferer le repos après lequel l’Europe foûpire aux triomphes que luy promet la juftice de fa caufe, la fageffe de fes Confeils, la valeur de fes Armées, & la fidelité de fes peuples. L’équité des conditions qu’il propofe, fait efperer une heureufe conclufion des Conferences commencées, dans lefquelles vous avez la fatisfaction, MESSIEURS, de voir que de trois Ambaffadeurs qui portent la parole pour la France, il y en a deux de voftre Corps.

Faffe le Ciel, que leur prudence concilie les interefts oppofez de tous les Partis, & ramene après de fi furieufes tempeftes le calme que nous defirons. Pendant que vous l’emploirez, MESSIEURS, à rendre le jufte hommage de vos louagnes à l’invincible Monarque qui le procure ; je chercheray les occafions de vous marquer combien je fuis fenfible à la grace que vous me faites, de me donner part à ce glorieux employ, & pour m’en rendre digne je tâcheray de vous imiter, & de fuivre vos avis, & vos exemples.