INAUGURATION DE LA STATUE DE M. ROYER-COLLARD
À VITRY-LE-FRANÇOIS
le 24 novembre 1847
MESSIEURS,
Lorsque l’Académie française daigna me confier le soin de présider, je ne prévoyais pas que cette marque de bienveillance m’appellerait à l’honneur dangereux de la représenter devant vous, et de vous remercier d’avoir bien voulu nous associer à l’hommage que vous rendez au généreux citoyen qui fut à la fois la gloire du pays qui l’a vu naître, et de l’Académie dont il était membre.
C’est avec empressement que nous venons renouveler au milieu de vous le juste tribut que nous avons déjà payé à sa mémoire !... L’étendue et la perfection du beau travail où son éloquent successeur apprécie, avec une merveilleuse sagacité, les hautes qualités de son esprit et les glorieuses luttes de sa vie publique, nous dispensent de revenir sur des faits qui vous étaient bien connus, quand vous éleviez le monument dont Vitry-le-François fait aujourd’hui l’inauguration.
Hommage touchant et mérité, qui honore également ceux qui le décernent et celui qui en est l’objet.
Les cités de Rouen et de la Ferté-Milon ont élevé des statues au génie de l’art dramatique ; Montbelliard au génie de la science ; d’autres villes au génie de la guerre et de l’industrie ; Vitry-le-François en élève une au génie de la raison et de la liberté ; reines futures des siècles ; reines qui brilleront un jour sur le même trône, et que vous couronnez d’avance, par une prévoyante intelligence du développement de la perfection sociale où M. Royer-Collard avait entrepris de nous conduire.
Effrayé des horreurs d’une terreur sans pitié, des misères d’une victoire sans terme, des impérities d’une monarchie sans lumières ; mais fortifié par la culture des lettres, et la méditation des grands écrivains ; éclairé par une philosophie spiritualiste, qu’il professa glorieusement vers la fin de l’empire ; inspiré par des sentiments religieux qui devaient être un jour les sentiments de Rome, il examina les graves questions que la révolution avait fait éclore, et s’attacha, sans retour, au principe du droit de chacun, combiné, par une législation savante, avec l’exercice du droit de tous ! ...
C’était la transformation de l’ordre social, passant, des règles capricieuses de l’arbitraire, aux règles immuables de la justice ; c’était la consécration du droit divin des peuples, indiqué par l’Évangile et combattu depuis tant de siècles par le déchaînement perpétuel des passions humaines !...
M. Royer-Collard défendit ces doctrines généreuses, avec toute la puissance de sa raison, toute la conviction de sa foi, toute la force de son éloquence ! Il excita un tel enthousiasme, que six colléges vous disputèrent, mais vainement, car il vous aimait l’honneur de l’avoir pour député !...
Malgré le silence de sa vieillesse, malgré l’oubli qui suit trop souvent la mort, cet enthousiasme ne s’est pas éteint ; la douleur l’a réveillé dans vos âmes ; un souvenir reconnaissant a fait sortir de sa tombe ce monument de gloire ! Voilà sa récompense ! Elle dira plus haut que moi les services qu’il rendit l’humanité.
Les grandes idées, les idées qui viennent de Dieu, sauvent les peuples qui s’y rattachent, et sont les plus grands bienfaits qu’il soit permis à l’homme de répandre sur la terre.
M. Royer-Collard n’assista pas au triomphe complet de ses idées ; mais quel eût été son bonheur, si plus tard il eût pu les voir traverser les Alpes, et, emportées sur les ailes de l’Esprit saint, descendre au trône de saint Pierre, dans le cœur d’un pontife qui, du haut du Vatican, déliait ses peuples d’un esclavage de quinze siècles, leur prêchait la liberté au nom du divin maître, l’envoyait au monde, bénie de sa main apostolique, et nous montrait sous la tiare, la charité de l’homme de Dieu, unie à la prudente fermeté de l’homme d’État !
Quel ravissement n’aurait-il pas éprouvé en voyant le pasteur des peuples, saisi de l’esprit des prophètes, entraîner les princes intelligents de l’Italie dans la sainte alliance de la monarchie, de la liberté et de la religion qui les unit !
Quelle consolation pour lui s’il avait entendu dans les murs de Gênes les acclamations qui venaient d’accueillir une réforme bienveillante ; s’il avait entendu le prince, encore absolu, s’écrier, avec une émotion qu’on ne saurait décrire : Mes peuples ! mes frères ! Mes frères ! mot divin !...
Les plus grands rois avaient appelé leurs sujets, mes enfants ; aucun souverain ne les avait appelés mes frères !
Ce mot est acquis comme une conquête aux doctrines de M. Royer-Collard ! Et, par une coïncidence providentielle, il passait du cœur d’un roi sur ses lèvres, au moment où vous alliez dévoiler cette statue, ouvrage d’une main habile, et dont nous ferons l’inauguration, en élevant vers elle tous les sentiments de respect et d’amour que nous avaient inspirés le dévouement et la probité politique du généreux député, qui voulait rendre la France aussi grande par le droit et la raison, qu’elle l’avait été par la victoire.
Féconde en nobles leçons pour le présent, cette statue ne restera pas muette dans l’avenir ; et quand des étrangers viendront la visiter, elle leur dira : Gardez bien dans le sanctuaire de vos consciences, les vertus que vous avez acquises dans les lieux qui vous ont vus naître ; et si la fortune et les honneurs vous appellent dans ce grand centre de civilisation, où se croisent tant d’intérêts, de passions et de vices, mais aussi, tant de vertus et de lumières souvenez-vous que l’on peut arriver à la grandeur sans les dignités, à la renommée sans les richesses ; souvenez-vous que l’on peut traverser la corruption sans se laisser corrompre, et que l’on peut mériter des statues, sans sortir de la modestie de l’homme de lettres et de la simplicité de l’homme de bien.
Maintenant, Messieurs, me permettrez-vous de me rendre l’interprète de vos sentiments, donc j’ai trouvé le secret dans les confidences éloquentes où M. Royer-Collard vous rendait compte de ses travaux.
Si l’on vous demande pourquoi vous lui avez élevé cette statue, vous répondrez : Parce qu’il consacra au triomphe du droit et de la vérité, la raison puissante qu’il avait reçue de la nature ; parce que, dans un siècle trop préoccupé des intérêts matériels, il montra le plus rare désintéressement ; parce qu’il fut un grand orateur, un grand philosophe, et, ce qui est bien au-dessus d’un grand orateur et même d’un grand philosophe, parce qu’il fut un grand citoyen !...