FUNÉRAILLES DE M. LE MARQUIS DE PASTORET
DISCOURS DE M. ROGER,
DIRECTEUR DE L’ACADÉMIE
PRONONCÉ AUX FUNERAILLES
DE M. LE MARQUIS DE PASTORET,
Le 1er octobre 1840
Messieurs,
Si, à la suite d’une cérémonie religieuse, il peut être permis de faire entendre sur une tombe d’autres paroles que celles de l’Église, c’est, nous le croyons, sur la tombe de l’homme de bien dont la perte est aujourd’hui justement déplorée par trois Académies, par tous les esprits élevés, par tous les cœurs fidèles aux lois du devoir et de l’honneur, par les gens de lettres dont il fut l’appui, par les pauvres dont il fut quarante ans l’administrateur et le père, par la société française tout entière, que ses exemples et ses ouvrages ont si longtemps éclairée et raffermie au milieu de nos erreurs et de nos discordes civiles.
Mais, hélas ! quelle faible voix est appelée aujourd’hui à faire l’éloge de M. de Pastoret au nom de l’Académie française ! La douleur qui m’oppresse, l’aspect des lieux où je parle, tout redouble ma crainte et le sentiment de mon insuffisance. Je laisse donc à des voix plus fermes et plus habiles que la mienne le soin de louer en lui le publiciste profond, le savant professeur du Collège de France, l’écrivain fécond et moral à qui nous devons le Traité des lois pénales qui obtint, en 1790, le prix accordé par l’Académie française à l’ouvrage le plus utile aux mœurs, et l’Histoire de la législation, histoire où le vénérable vieillard, parvenu par ses travaux et par ses vertus au siége de l’Hôpital et de d’Aguesseau, conseille, encourage et bénit d’une manière si touchante notre jeunesse studieuse. Je ne suivrai pas non plus M. de Pastoret dans les détails, même les plus honorables et les plus doux à raconter, de sa vie ou privée, ou publique. Je n’apprendrais rien à personne en disant qu’il fut l’époux et le père le meilleur et le plus tendre ; les nobles sentiments de sa famille l’ont d’ailleurs assez récompensé de ce mérite, si c’en est un. Je n’ai, enfin, ni le temps, ni la volonté de m’étendre sur sa conduite politique à la cour des aides, à l’assemblée législative, au conseil des Cinq-Cents, où la proscription du 18 fructidor vint le frapper, pour y avoir défendu les prêtres insermentés, les réfugiés de Toulon, la sainteté du domicile, la liberté des cultes, la liberté de la presse et l’indépendance du pouvoir judiciaire, contre la tyrannie du Directoire. Remarquons toutefois que, si le courage des hommes politiques diminue ordinairement avec l’âge, l’âge a produit sur M. de Pastoret un effet tout contraire. Il s’est élevé et fortifié en vieillissant. Il a aussi mieux choisi le terrain du combat. Jeune, il a honoré sa vie en défendant les libertés du peuple ; vieux, il s’est dévoué noblement aux intérêts de la royauté, non pas seulement de la royauté sur le trône, mais de la royauté dans l’exil. Pourquoi même ne le dirais-je pas ? la dignité de chancelier de France l’avait comblé de joie. Eh bien, cette joie fut surpassée encore par la tutelle des princes exilés.
De tous les emplois dont M. de Pastoret fut honoré sous la restauration, un seul lui inspirait des regrets, c’était sa place dans le conseil général des hospices. Rien de plus simple que ces regrets pour quiconque a connu son ingénieuse et infatigable charité, qui n’avait peut-être d’égale que celle de madame de Pastoret. Mais par quel incroyable délire lui a-t-on ravi cet emploi ?
La fin de M. de Pastoret a été digne de sa vie. Il est mort en chrétien, après avoir reçu les consolations de cette religion dont il avait toujours révéré les doctrines et défendu les ministres.