Discours prononcé lors de la réception de l'Académie brésilienne des Lettres, à l'Académie française

Le 19 mars 2015

Hélène CARRÈRE d’ENCAUSSE

Réception de l’Académie brésilienne des Lettres

à l’Académie française

Séance du jeudi 19 mars 2015

DISCOURS

DE

Mme Hélène CARRÈRE d’ENCAUSSE,

Secrétaire perpétuel

 

 

 

Monsieur le Président de l’Académie brésilienne des Lettres,
Monsieur le Président,
Monsieur l’Ambassadeur,
Madame le Consul général,
Mes chers confrères de nos deux Académies réunies,
Mesdames et Messieurs,

 

Le mardi 23 janvier 1872, en ce palais que nous devons à la bienveillance du cardinal Mazarin, l’Académie française reçut un auguste visiteur, l’Empereur du Brésil, Pedro II. Il prit part aux travaux de notre Compagnie, comme le font depuis trois siècles et demi les souverains et chefs d’État, très peu nombreux, conviés à nous rejoindre pour une séance fermée, il s’entretint ensuite longuement avec chacun des académiciens et inspira à celui qui était alors Secrétaire perpétuel, Henri Patin, cette conclusion inscrite au procès verbal :

« Des diverses visites de souverains dont l’Académie, dans le cours de sa longue existence, a été honorée, nulle assurément n’aura dû laisser après elle un plus agréable souvenir. »

On comprend aisément le sentiment d’admiration exprimé par notre confrère. Comment l’Académie aurait-elle pu rester insensible à la puissante personnalité de l’empereur Pedro II ? Homme d’État remarquable, il était aussi un empereur-philosophe. Et il tenait, il le disait, à ce que les choses de l’esprit fussent en honneur dans l’Empire.

Le Brésil est une part inséparable de l’imaginaire français. Dès la découverte du Nouveau Monde, la France en a rêvé et des Français se sont embarqués en nombre pour votre pays. Mes confrères, qui vont s’exprimer tout à l’heure, diront ce que furent les liens si étroits entre nos deux pays. Pour ma part, je veux rappeler avant tout ce qui unit nos deux Académies ; certes nous saluons aujourd’hui le Brésil, invité d’honneur du Salon du Livre, mais nous avons avant tout l’immense joie de recevoir l’Académie brésilienne des Lettres. Vous nous êtes, chers confrères brésiliens, très proches. Votre compagnie a été fondée il y a cent dix-huit ans sous la présidence d’un écrivain prestigieux, poète, dramaturge, romancier, Machado de Assis. Peut-être s’est-elle inspirée alors des idées du cardinal de Richelieu lorsqu’il fonda l’Académie française. Comme nous, vous êtes quarante. Comme nous, vous êtes attachés à un rituel rigoureux qui rappelle le nôtre et dont le premier signe est notre costume. Simon Leys, grand connaisseur de la culture chinoise, a dit : « La fréquentation de Confucius m’a appris que les rituels étaient fort nécessaires à la préservation des civilisations. »

Vous siégez depuis 1923 dans un palais qui est la réplique du Petit Trianon. Il vous fut donné par la France après qu’il l’eut représentée à l’exposition commémorant à Rio le centenaire de l’indépendance du Brésil. En y tenant séance vous devez parfois penser que vous êtes transportés à Versailles. Et en allant à Versailles, au Petit Trianon, c’est à vous que nous imaginons faire visite. Comme nous, vous êtes les défenseurs de votre patrimoine linguistique et littéraire, et nos travaux se ressemblent. Mais à la différence de l’Académie française, vous accueillez des membres étrangers. Et vous faites la part belle à la France. Vous comptez parmi vos membres français élus depuis un siècle cinq membres de notre Compagnie. Quatre nous ont quittés hélas, Georges Duhamel, André Maurois, Roger Caillois et Maurice Druon. Mais Jean d’Ormesson qui préside cette séance au nom de nos deux compagnies va dans un instant prendre la parole. Parmi nos autres compatriotes choisis par vous, il en est un dont je veux rappeler le nom, car vous l’aurez consolé de n’avoir pu entrer dans notre Compagnie, c’est Émile Zola. De cette réparation je tenais à vous remercier.

Nous nous sommes rencontrés plusieurs fois au cours des dernières années. En 1998, Maurice Druon avait conduit une délégation de notre académie à Rio à laquelle j’eus l’honneur de participer avec notre regretté confrère Hector Bianciotti. Le 23 juin 2005, votre Académie conduite par le Président Sarney nous faisait la joie de sa visite et nous avons siégé alors comme nous le faisons aujourd’hui dans cette même salle.

Au fil de ces rencontres nous avons pu mesurer notre proximité, nos préoccupations communes, constaté que nos causes étaient les mêmes. Permettez- moi deux citations qui, je le pense, résument ce que nous sommes, vous et nous, et ce qui nous inspire. D’abord cette profession de foi du grand Pesoa rappelée ici même il y a dix ans par le Président Sarney, « J’ai une autre patrie, la langue portugaise », n’est-ce pas aussi ce que disait Albert Camus : « Ma patrie, c’est la langue française. » Ce propos nous incite à élire, comme s’ils étaient français, des membres étrangers dès lors qu’ils ont choisi cette autre patrie, celle de la langue. C’est ainsi que nous venons d’accueillir parmi nous un écrivain haïtien devenu canadien, Dany Laferrière.

 

Votre venue parmi nous, chers confrères, nous est un très grand honneur et nous comble de joie. Pour ce qui unit nos deux pays. Pour les liens fraternels qui existent entre nos deux Académies. Permettez-moi de vous exprimer au nom de toute notre Compagnie notre affectueuse gratitude. Et de vous dire bienvenue parmi nous, chers confrères et même chers frères brésiliens.