INAUGURATION DU MONUMENT ÉLEVÉ
À LA MÉMOIRE DE FRANÇOIS COPPÉE
A PARIS
Le Dimanche 5 juin 1910.
DISCOURS
DE
M. RENÉ DOUMIC
DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE,
PRÉSIDENT DE LA SOCIETÉ DES GENS DE LETTRES
MONSIEUR LE PRÉSIDENT,
MESDAMES, MESSIEURS,
Je n’ai à louer ici ni les mérites du poète, ni le talent de l’auteur dramatique, ni la verve du conteur et du journaliste. Cette tâche appartient à d’autres, à qui je l’envie. Mais la part qui me revient est assez belle, puisque j’ai à montrer en François Coppée le type accompli de l’homme de lettres, un de ceux qui par leur œuvre et par leur exemple ont jeté sur notre profession le plus d’éclat, et le plus sûrement contribué à lui valoir le respect et la sympathie de tous.
Il a aimé la littérature comme on aime : de toute sa vie et de toute son âme. Il lui est resté toujours fidèle depuis le temps où jeune homme, demandant à un emploi de ministère le pain quotidien, il écrivait ses premiers vers sur le papier à en-tête officiel, jusqu’à ce triste soir de sa vie où il trouvait à goûter les vers que lui apportaient de jeunes confrères ses dernières joies. Il l’a aimée pour elle-même, pour elle seule, non pour les honneurs où elle peut nous mener, ni pour un gain dont il se montra toujours souverainement dédaigneux. Mais il avait ambition d’ajouter quelque chose au patrimoine des lettres françaises, de faire part de son âme aux autres hommes et de fixer les émotions qui passent dans une forme qui dure.
Non, certes, qu’il fit de la littérature une sorte d’idole à laquelle il convient de sacrifier tout ce qui n’est pas elle. Son cœur a battu avec tout ce qui vaut d’être aimé : l’art et la nature, la gloire et la patrie, l’œuvre humaine et l’œuvre divine. Et le meilleur de sa tendresse, il l’a réservé pour ceux que si souvent on oublie de regarder, à moins qu’on n’en détourne même les regards : les petits et les souffrants. Le Paris qu’il a, pour ainsi dire, découvert, auquel il a donné droit de cité dans la poésie, c’est le Paris des humbles, celui des faubourgs et des quartiers déshérités. Et s’il l’a tant aimé, ce Paris, n’est-ce pas parce qu’il se souvenait d’y avoir vécu des heures si douloureuses, lorsque, enfermé dans la ville assiégée, il l’avait vue souffrir et partagea sa cruelle angoisse !
Ce qu’il a été pour ses confrères de lettres, tous ceux qui l’ont approché le savent, mais il faut l’avoir approché pour le savoir tout à fait. Quelle admiration pour les maîtres qu’il ne se flattait pas d’égaler ! Et quelle indulgence pour les nouveaux venus, quelle ardeur à découvrir chez eux et à encourager les promesses de talent ! Il s’enchantait de penser qu’en notre pays de France la poésie ne meurt pas, que son histoire offre plus qu’ailleurs une continuité merveilleuse, et que les aînés peuvent défaillir, d’autres surgissent et d’autres surgiront encore pour reprendre et passer en d’autres mains le flambeau qui brille d’une flamme impérissable et sacrée.
Il est un dernier trait qu’on doit publier. Lui, dont la modeste aisance due à son travail confinait presque à la pauvreté, il ne laissa jamais s’éloigner de lui une misère sans qu’il l’eût secourue. Lui qui connut des heures atroces, aucune tristesse ne lui fut confiée qu’il ne trouvât, pour la soulager, les paroles fraternelles. Autant l’écrivain avait de talent, autant l’homme avait de bonté. Et c’est cette bonté qui donnait à ce talent sa marque particulière. Comme on l’a dit du plus pur des poètes : il était tout cœur.
C’est pourquoi, au glorieux homme de lettres, je puis apporter l’hommage qui lui eût été si cher : la communion de tous ses confrères dans un souvenir où il entre de l’admiration, de la reconnaissance, de la tendresse, et où ils mettent, eux aussi, tout leur cœur.