Réponse de Mr. l’Abbé de Caumartin, au Difcours de Mr. l’Evêque de Noyon, prononcé le jour de fa Réception.
Monsieur,
Si les Places de l’Academie Françoife n’étoient confiderées que par les Dignitez de ceux qui les ont remplies, nous n’aurions ofé vous offrir celle dont vous venez de prendre possession, & peut-eftre n’auriez-vous pas eu même tout l’empreffement que vous avez témoigné pour l’avoir. Le Confrère que nous avons perdu ne devoit rien à la fortune : Riche dans toutes les parties qui font un veritable homme de Lettres, il n’avoit aucuns de ces titres éclatans qui relevent de fon fuccesseur: son Efprit aisé & pénétrant, lui avoit fait acquérir une facilité merveilleufe pour la compofition de fes propres Ouvrages, & une Critique très-exacte pour la Correction de ceux des autres ; rien ne fortoit de fes mains qui ne portât ces deux Caractères; & nous nous fouvenons avec plaisir, ou pluftôt avec douleur, de l’ufage qu’il en faisoit dans nos Exercices ordinaires. C’est ce qui nous le fait regretter avec juftice, & nôtre confolation feroit foible, fi elle n’étoit fondée que fur la difference de vos conditions. Nous connoiffons ce fang Illustre en qui toutes les grandeurs de la terre fe trouvent assemblées, & qui tient par tant d’endroits à tant de Maifons Souveraines. Nous vous voyons revêtu du titre Auguste qu’un de nos Rois a dit eftre le plus glorieux qu’on pût donner à un Fils de France : nous refpectons en vous le facré Caractère que le Fils de Dieu a laiffé dans fon Églife, comme le plus grand de fes bienfaits. Et cependant, Monsieur, ce n’est pas à toutes ces qualitez éclatantes, que vous devez les suffrages de nôtre Compagnie. C’est à un efprit plus noble encore que vôtre fang, plus élevé que vôtre rang. Nous ne craignons point de vous déplaire, en vous dépouillant, pour ainfi dire, de tant de grandeurs. Eft-ce d’aujourd’hui que vous marchez fans elles, & la Dignité d’Académicien eft-elle la premiere où vous eftes parvenu comme un autre homme qui ne feroit pas né ce que vous eftes ? C’est un pompeux Cortege qui vous accompagne, & qui ne vous meine pas. Vous le prenez, vous le quittez felon qu’il vous convient, & il eft de l’intereft de votre gloire de vous en détacher quelquefois, afin que les honneurs qu’on vous rend, foient attribuez qu’à vôtre seul merite.
La Place que vous occupez aujourd’hui, vous étoit deuë depuis long-tems. Cette Eloquence dont nous fommes encore tous éblouïs, & dont vous avez créé le modéle, vous accompagne par tout. Ce n’eft point dans vos Harangues, ce n’est point dans vos Sermons qu’elle fe renferme ; on la retrouve dans vos Lettres, & dans vos converfations les plus familières. Les figures les plus hardies & les plus marquées, celles que les plus grands Orateurs n’employent qu’en tremblant, vous les répandez avec profufion, vous les faites paffer dans des Païs qui jusques ici leur étoient inconnus ; & ces Ordonnances veritablement Apoftoliques, deftinées au feul gouvernement des ames, au lieu d’une fimplicité negligée qu’elles avoient avant vous, font devenues chez vous des chefs-d’œuvres de l’Efprit humain. Pendant que l’Eglife voit avec edification dans ces sages reglemens la verité de la Doctrine, la pureté de la Morale, l’intégrité de la Difcipline, l’autorité de la Hiérarchie établie, fouvent & confervée dans le Diocefe de Noyon depuis l’heureux temps de vôtre Epifcopat, nous y voyons encore ces divifions exactes, ces juftes allufions, ces Allegories foûtenuës, & furtout une methode qu’on ne voit point ailleurs, & fans laquelle on fuivroit difficilement des Idées auffi magnifiques que les vôtres. La veritable éloquence doit convenir à la perfonne de l’Orateur : la vôtre ne laiffe pas ignorer à ceux qui vous entendent ou qui vous lisent, d’où vous venez & ce que vous eftes. Si vôtre ftile eft noble, il eft encore plus Epifcopal. Par tout vous faites voir d’heureufes applications de l’Ecriture, des doctes citations des Peres, vous les poffedez tous, & s’il y en a quelqu’un qui fe prefente à vous plus ordinairement que les autres, c’eft par la fympathie des imaginations fublimes que la Nature n’accorde qu’à fes favoris. Que de puiffants motifs à l’Academie pour vous choifir, & quel bonheur pour elle de pouvoir en vous affociant, fatisfaire en même temps à la juftice, à fon inclination, & à la volonté de fon Auguste Protecteur ! Il fait mieux que perfonne ce que vous valez, il vous connoit à fond, il aime à vous entretenir, & lors qu’il vous parle, une joye fe répand fur fon vifage dont tout le monde s’aperçoit. Il a fouhaité que vous fuffiez de cette Compagnie, & nous avons répondu à fes defirs par un confentement unanime. Après l’éloquent Panegyrique que vous venez de faire de ce grand Prince, je n’obscurcirai point par de foibles traits, les idées grandes & lumineufes que vous en avez tracées : je dirai feulement que pendant qu’ils foutient feu le droit des Rois, & la caufe de la Religion, il veut bien encore eftre attentif à la perte que nous avons faites, & la reparer dignement en nous donnant un fujet auquel fans lui nous n’aurions jamais ofé penfer. C’eft à vous, Monsieur, à joindre vos efforts aux nôtres pour lui en temoigner nôtre profonde reconnoissance.