ACADÉMIE FRANÇAISE.
SÉANCE PUBLIQUE ANNUELLE
DU JEUDI 20 NOVEMBRE 1890.
RAPPORT
DE
M. CAMILLE DOUCET
SECRÉTAIRE DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE
SUR LES CONCOURS DE L’ANNÉE 1890.
MESSIEURS,
Dans sa piquante notice sur l’Académie française, notre illustre ami Sainte-Beuve écrivait, il y a de cela vingt-trois ans : « Les Prix d’éloquence ne sont pas toujours des Éloges, ce sont le plus souvent des Discours, des Études critiques sur des écrivains célèbres ou distingués. »
Déjà l’Éloge avait fait son temps ; déjà la matière semblait épuisée, le genre abandonné ; et, depuis lors, il faut le reconnaître, c’est pour la critique que, d’année en année, le goût public s’est prononcé de plus en plus ; c’est au libre examen, à la recherche des documents et à leur étude minutieuse que la mode a donné raison. Nous en sommes là aujourd’hui. Mais que demain l’occasion lui soit offerte de glorifier hautement quelque grand génie oublié, toujours maîtresse de son choix, l’Académie sera heureuse d’appeler l’Éloquence à son aide et de rouvrir encore pour elle le concours, qui garde son nom.
S’il ne fut pas de ceux dont on peut tout louer à la fois, Joseph de Maistre se place à double titre, parmi les écrivains, célèbres ou distingués, auxquels Sainte-Beuve nous disait tout à l’heure que des études critiques étaient, à bon droit, consacrées.
Pour bien juger un étranger, pardonnons-lui d’abord de n’avoir pas toujours aimé la France. Celui-ci l’admira souvent et souvent lui rendit justice, dans la belle langue élégante, claire et sonore que la France lui avait apprise.
Les concurrents ne se borneront pas à voir dans Joseph de Maistre l’écrivain brillant qu’ils pourraient louer sans réserve ; comme diplomate, comme philosophe politique et religieux, il leur appartient tout entier ; avec ses vertus et ses défauts ; avec les paradoxes de son esprit et les contradictions de son caractère ; avec enfin, pour son honneur, dans la bonne ou dans la mauvaise fortune, l’austérité de ses mœurs et la dignité de sa vie.
C’est, dans toute l’acception du mot, une Étude sur Joseph de Maistre que l’Académie indique comme sujet du prochain concours d’éloquence dont le prix sera décerné en 1892.
Pour le concours qu’elle vient de juger cette année et dont j’ai maintenant à vous entretenir, elle avait donné simplement comme sujet : les Contes de Perrault ; chacun étant libre de l’entendre à sa manière, de le traiter suivant son goût.
Plus nombreux encore que d’habitude, les concurrents nous ont prouvé que le choix de l’Académie avait su leur plaire.
Sur les cinquante-six manuscrits envoyés à ce concours, cinq avaient été considérés tout d’abord comme dignes d’être soumis à un second examen : ils portaient les numéros 3, 5, 33, 46 et 47. Après plusieurs séances consacrées à en entendre la lecture, l’Académie, à son tour, en retenait définitivement trois qui d’eux-mêmes semblaient se classer dans l’ordre suivant : 3, 46 et 33. Chacun d’eux avait son mérite particulier ; aucun d’eux n’avait le même.
Écrit certainement par une plume exercée, le numéro 33 ne manquait pas d’élégance et son entrée en matière, vraiment charmante, avait commencé par le signaler à l’attention de ses premiers juges. Malheureusement il ne tardait pas à s’égarer dans le détail ; entraîné au delà des limites de son sujet, l’auteur avait trop fait en voulant trop bien faire. La comparaison d’ailleurs, qui, dans toute espèce de concours, a toujours te dernier mot, assurait un rang supérieur aux deux autres études, portant les numéros 3 et 46.
Entre celles-là, Messieurs, l’hésitation n’a pas été de longue durée ; rarement on n’a pu voir un même sujet traité si différemment, par deux écrivains, de talent sans doute l’un et l’autre ; niais de talents contraires, n’ayant rien qui les rapprochât, ni dans le fond, ni dans la forme.
Œuvre d’érudition, composée avec soin, correctement écrite et sentant la bonne école, mais l’école ! l’étude inscrite sous le numéro 46 eût été à peu près complète, si parfois, prenant trop au sérieux un honnête besoin de louer, l’auteur n’eût quelque peu dépassé la mesure dans ses appréciations littéraires, dans ses jugements sur les hommes et sur les choses.
Parvenu à la fin de sa tâche, il conclut avec beaucoup de grâce et de mesure, en comparant au bon La Fontaine celui qu’il appelle aussi le bon Perrault ; le louant mieux, à coup sûr, par ce rapprochement qui s’explique, que quand lui- même il écrivait un peu plus haut : « c’était Shakespeare tout à l’heure et maintenant c’est Homère. » Deux bien grands noms, dont il ne faut pas abuser !
L’auteur du numéro 3 invoque aussi le nom d’Homère ; c’est par lui qu’il entre en matière ; mais quel autre usage il en fait ! « Un Homère bourgeois, dit-il, s’est emparé, il y a deux cents ans, de héros aussi célèbres qu’Ulysse et qu’Agamemnon ; mais dont l’histoire était restée confiée à la mémoire des simples et des enfants ; il a dit leurs aventures dans une série de petites épopées populaires qui sont des œuvres de génie, si l’on veut bien admettre qu’il y a des génies de toutes les tailles et que celui de Perrault est le petit Poucet de la famille. » Homère bourgeois ! Voilà Perrault mieux à sa place et la place est très bonne encore.
Cela fait, l’auteur du numéro 3 ne se contente pas, comme beaucoup d’autres, d’analyser, avec plus ou moins de raison et d’esprit, les charmants contes du grand conteur.
Perrault, pour lui, n’est pas seulement un causeur aimable, ami des petits enfants, qui ne songe qu’à les amuser ; c’est un philosophe, qui a vu et qui nous fait voir de vrais hommes de son temps, dans ces récits du temps passé.
« Perrault, dit-il, a pris tout autour de lui les modèles de ses petits acteurs. C’est pourquoi l’on sent que ses personnages sont ressemblants ; il a fait poser ses amis, ses voisins, le gros financier d’en face, les paysans qu’il a rencontrés à la campagne, les principicules qu’il a aperçus en visite à Versailles » ; et il ajoute : « Plusieurs d’entre eux sont encore vrais aujourd’hui. »
Je ne suis pas bien sûr que telle ait été l’intention de Charles Perrault et sa façon de procéder ; c’était plus simplement, je crois, et sans trop v chercher malice, qu’il racontait ses contes et qu’il les racontait si bien.
Dès la première page et sans hésitation, l’auteur du numéro 3 s’élève à un niveau supérieur et n’en descend pas. Étude ou discours, son travail procède de l’une et de l’autre ; constamment soutenu, son style est élégant et facile, ses pensées sont toujours claires, ses jugements sont toujours fins, et justes presque toujours ; quelque chose de féminin et de viril, qui bientôt allait s’expliquer, distingue enfin dans son ensemble cette œuvre vraiment originale et lui prête le double charme de la force unie à la grâce.
Bien qu’elle subît ce double charme, l’Académie avait à tenir compte des mérites réels qu’elle avait reconnus dans les deux autres manuscrits.
Faisant à chacun sa part, elle décerne :
1° Un prix de deux mille cinq cents francs à l’étude inscrite sous le numéro 3 avec cette devise tirée de Pascal : Nous allons voir que toutes les opinions du peuple sont très saines.
2° Un prix de quinze cents francs au travail numéro 46, portant pour devise : Nudi sunt et recti et venusti.
Elle accorde enfin une mention honorable au numéro 33, en tête duquel est placée cette épigraphe, qui a tout à la fois la grâce d’un éloge et l’autorité d’un jugement :
Livre unique entre tous les livres, mêlé de la sagesse du vieillard et de la candeur de l’enfant ! L’accompagnement naturel de sa lecture serait le bourdonnement d’un rouet, le branle assoupissant d’un berceau.
Je ne puis, Messieurs, vous en faire connaître l’auteur : l’enveloppe qui cache encore son nom ne pouvait être ouverte sans qu’il le demandât lui-même. Il ne l’a pas demandé.
Ayant, en revanche, le droit d’ouvrir les deux autres enveloppes, nous nous sommes empressés de le faire, et nous avons mieux compris alors pourquoi les deux œuvres récompensées différaient tant l’une de l’autre.
L’étude portant le numéro 46, à qui l’Académie a décerné, en seconde ligne, un prix de quinze cents francs, semblait s’annoncer comme étant l’œuvre distinguée d’un travailleur et d’un érudit. En effet, Messieurs, l’auteur de cet estimable travail est professeur agrégé au lycée de Caen : il se nomme M. Auguste Salle.
Le nom d’Arvède Barine vous est plus connu ; personne n’a le droit de l’ignorer : l’Académie, en couronnant ses premières œuvres, a contribué à mettre en lumière son rare talent de critique et de penseur.
Aujourd’hui, Messieurs, aucun de ses juges ne songeait à lui attribuer la paternité, la maternité si vous l’aimez mieux, du manuscrit qui nous avait le plus frappés et dans lequel nous admirions, je le répète, ce quelque chose de féminin et de viril tout à la fois, qu’on retrouve dans toutes les œuvres de ce brillant écrivain qui, décidément, a l’honneur d’être une femme.
Madame Arvède Barine est l’auteur de l’étude inscrite sous le numéro 3. L’Académie lui décerne un premier prix de deux mille cinq cents francs.
En fondant les deux prix qui portent son nom, M. le baron Gobert instituait généreusement un concours annuel pour le morceau le plus éloquent d’Histoire de France et pour celui dont le mérite en approchera le plus. Ce sont ses propres expressions. Ainsi, dans ce nouveau concours, l’éloquence dont j’ai déjà trop parlé, se trouvait associée de droit à l’histoire.
Permettez, Messieurs, qu’à son tour, avec autant d’autorité que de compétence, l’éloquent rapporteur du concours Gobert prenne devant vous la parole.
L’éloquence, disait-il, est un don si rare, et l’application dans les ouvrages historiques doit en être faite même avec tant de sobriété, pour éviter de tomber dans la déclamation, que, si nous interprétions avec trop de rigueur la pensée du baron Gobert, nous aurions vraiment peu d’occasions de décerner le prix dû à sa générosité.
À défaut de l’éloquence proprement dite, c’est le Rapporteur qui parle, ce que M. Gobert a voulu récompenser, ce sont les ouvrages historiques qui ne sont pas le simple exposé de faits, mais qui se recommandent par des qualités d’ordre littéraire, comme l’art de la composition, le talent de raconter avec netteté et avec intérêt, un ton d’une noble simplicité qui sache s’élever avec la grandeur même du sujet à traiter, et, par-dessus tout, la faculté de comprendre et de faire comprendre à chaque moment la complexité d’une situation, l’enchaînement des causes qui l’ont amenée et qui doivent en déterminer le dénouement, le caractère des hommes qui s’y trouvent mêlés, les passions qui les animent et les mobiles qui les font agir. C’est cet ensemble de qualités qui distinguent une œuvre historique d’un simple travail d’érudition.
Plusieurs de ces mérites se rencontrant dans un ouvrage considérable en trois volumes in-folio, intitulé : histoire de la participation de la France à l’établissement de l’indépendance des États-Unis, c’est à son savant auteur. M. Doniol, que l’Académie décerne le grand prix Gobert dont le montant s’élève à dix mille francs.
Le sujet est d’une réelle importance puisqu’il s’agit du dernier grand acte politique et militaire de l’ancienne monarchie française. M. Doniol l’a conçu très largement, et envisagé sous toutes ses faces. On est assez porté à supposer que la résolution prise par le gouvernement de Louis XVI d’intervenir, à main armée, en faveur de l’indépendance des colonies américaines, a été, non un acte de politique réfléchi, mais une concession faite à un entraînement de popularité. Louis XVI et son ministère paraissent ainsi, en quelque sorte, à la remorque et non à la tête du mouvement.
Combattant cette opinion dont, pièces en main, il prouve la fausseté, M. Doniol nous démontre clairement, que l’idée de profiter des difficultés créées au gouvernement anglais par l’insurrection de ses colonies pour relever la France des pertes cruelles que lui avait imposées le traité de 1763, était un plan très sérieusement réfléchi et poursuivi longtemps avec persévérance avant d’être mis à exécution. C’est au dernier ministre des affaires étrangères qu’ait eu l’ancienne monarchie, qu’une tâche si glorieuse était réservée.
Dans le lumineux récit que fait M. Doniol de ses habiles négociations, M. de Vergennes apparaît comme le digne successeur des Lyonne et des Torcy. Le roi Louis XVI y reçoit lui-même un honneur inattendu. Faible et indécis dans la politique intérieure, nous le voyons, en face des grandes décisions à prendre, aussi résolu que son ministre, et toujours prêt à le soutenir.
En racontant les événements qui bientôt devaient tromper les espérances de l’infortuné monarque, M. Doniol a eu le courage de se placer au-dessus des passions et des préjugés de parti, pour se montrer, jusqu’à la fin, ami respectueux de la justice et de la vérité ; il l’a fait simplement et dignement, dans un très bon style, avec cette clarté qui, véritablement, est l’éloquence de l’histoire.
Le second prix Gobert est décerné à M. le vicomte de Broc, pour une savante étude historique en deux volumes, intitulée : la France sous l’ancien régime.
Comme M. Doniol, M. le vicomte de Broc, mettant de côté toute prévention personnelle, a traité, avec une rare modération, un grand bon sens, une équitable impartialité, un de ces sujets délicats que la politique dispute à l’histoire et pour lesquels se passionnent, presque toujours, au delà de la justice, ceux qui précisément croient le plus parler en son nom.
Dans son, premier volume, M. le vicomte de Broc étudie, avec un soin scrupuleux, les institutions politiques de la France ; ses usages et ses mœurs, dans le second.
Des documents certains, des renseignements directs, et d’abondantes citations permettent au lecteur de tout juger par lui-même.
On a dit, à l’honneur de ce livre, qu’aucun autre ne pourrait donner une idée plus complète et plus exacte, de ce que fut, dans la dernière moitié du XVIIe siècle, l’état moral et politique de la France.
J’aime à le redire à mon tour.
Sur la fondation Thérouanne, dont le montant annuel est de quatre mille francs, l’Académie décerne en première ligne un prix de trois mille francs à une importante étude historique consacrée par M. le vicomte de Meaux, à la Réforme et la politique française en Europe, jusqu’à la paix de Westphalie.
Les mille francs restant disponibles sont attribués à un intéressant travail intitulé : les Manieurs d’argent à Rome, dont l’auteur est M. Antonin Deloume, professeur à la Faculté de Droit de Toulouse.
Les Manieurs d’argent : Sous ce titre, tout neuf alors, un ancien magistrat, doublement célèbre comme orateur et commue écrivain, M. Oscar de Vallée, publiait, il y a quelques années, une savante étude de meurs dont le grand succès fut de ceux qu’on n’oublie pas.
Ce que M. de Vallée avait fait pour notre société moderne, M. Antonin Deloume vient aujourd’hui de le faire pour l’ancienne société romaine.
Après avoir exposé clairement la situation économique de la vieille Rome, exagérant peut-être l’importance politique de ses manieurs d’argent, il nous les montre, dans les convulsions suprêmes de la république, devenus les maîtres de tout, de la justice, des finances, et des suffrages du peuple.
Il arrive enfin à cette conclusion, dont il faut faire son profit, que les mœurs et la constitution de la société romaine ont péri ensemble, ruinées par l’invasion subite de la richesse, par l’influence corruptrice des grandes fortunes, mal gagnées trop vite, à tout prix !
Ce livre est l’œuvre honnête et fun jurisconsulte et d’un moraliste.
Déjà, dans un de ses premiers ouvrages, M. le vicomte de Meaux nous avait présenté le tableau des luttes religieuses soulevées en France pendant le XVIe siècle par l’introduction de la Réforme, et nous l’avions vu, sans surprise, rendre franchement hommage au grand acte de sagesse et de tolérance par lequel Henri IV avait su y mettre un terme, en promulguant l’Édit de Nantes ; Ce sont les conséquences de cette pacification religieuse que M. le vicomte de Meaux met en lumière dans l’ouvrage que l’Académie couronne.
Au début du XVIIe siècle, la France, par suite de l’Édit de Nantes, est le seul pays d’Europe où les questions soulevées par la Réforme se trouvent momentanément résolues. Partout ailleurs, la lutte religieuse dure encore ; partout les cultes rivaux sont en présence, armés tous deux l’un contre l’autre. Dès 1618, la guerre éclate, et, pendant trente années, elle va sévir avec fureur.
En France, rien de pareil : les deux cultes vivent en paix, sous la tente qu’Henri IV a élevée sur leur tête, pour les abriter l’une et l’autre : de là, pour la France, dans la tourmente qui va bientôt agiter l’Europe, une situation à la fois originale et indépendante. Après s’être tenue, pendant quelques années, à l’écart de la lutte, elle s’y engage à son tour quand l’intérêt de sa grandeur l’exige. Devenue alors l’arbitre des deux partis, par une action prépondérante qui l’a placée au premier rang, elle termine enfin le conflit qui partageait l’Europe épuisée. Établie sur des bases solides, la paix est son œuvre et sa gloire.
C’est cette action de la France que M. le vicomte de Meaux trouve un plaisir patriotique à nous raconter ; il le fait avec l’élégance de langage qui distingue tous ses écrits ; avec la hauteur de vues et la liberté d’esprit que nous admirions jadis dans l’un de nos plus illustres confrères dont il fut presque le fils : M. de Montalembert lui a légué cet héritage.
L’Académie, dans ce concours, avait réservé, en outre, deux ouvrages qu’elle eût voulu pouvoir couronner ; deux ouvrages dus l’un et l’autre à deux généraux français qui s’honorent, comme le disait Alfred de Vigny, de sortir du fourreau leur plume, quand leur épée doit y rentrer.
Pleins d’anciens et glorieux souvenirs de nos guerres heureuses, racontés avec chaleur, avec sincérité, avec émotion, ces livres ont sérieusement fixé l’attention de l’Académie qui, je le répète, limitée dans ses ressources, a eu le regret de ne pouvoir leur décerner que la plus honorable de ses mentions. L’un est intitulée : Autour du drapeau tricolore, par M. le général Thoumas ; l’autre a pour titre : Souvenirs de la guerre de Crimée. M. le général Fay en est l’auteur.
Les bons livres ont cela de mauvais qu’on ne peut plus les quitter une fois qu’on s’est mis à les lire ; quand on se met à en dire du bien, s’arrêter n’est pas plus facile. Je m’en aperçois un peu tard en songeant aux nombreux ouvrages dont je vais avoir à vous rendre compte : ils nous entraîneraient trop loin, vous et moi, si, me livrant au plaisir de les louer, je faisais à chacun d’eux, sans modération, la part que tous ont méritée.
Voici trois concours qui, plus que jamais, ont mis leurs juges dans un véritable embarras : l’Académie, vous le savez, voudrait toujours que les prix de chaque fondation fussent décernés en leur entier, sans partage. L’an dernier même, elle put se vanter un moment d’avoir obtenu ce résultat ; aujourd’hui, Messieurs, il a paru juste, et par conséquent nécessaire, de procéder tout différemment.
Le montant des trois concours : Bordin, Marcelin Guérin et Guizot, s’élève ensemble à la somme de onze mille francs. Treize ouvrages, parmi beaucoup d’autres, ayant été jugés dignes d’une récompense, c’est par un grand travail de réduction et d’amputation que, sans enrichir aucun d’eux, on a pu les honorer tous.
Sur les trois mille francs du concours fondé par M. Guizot, deux prix de mille francs sont décernés, l’un à un ouvrage sur Tourville et la marine de son temps (1642-1701), par M. J. Delarbre ; l’autre à une Étude sur Montaigne, accompagnée de notes, glossaire et index, par MM. H. Motheau et D. Jouaust.
Deux autres prix de cinq cents francs chacun, aux ouvrages suivants :
La Mission de Talleyrand à Londres en 1792, par M. Georges Pallain.
La Source, député de la Législative et à la Convention (1763-1793), par M. Camille Rabaud, président du Consistoire de Castres.
Sur les trois mille francs montant annuel de la fondation Bordin, l’Académie décerne :
1° Un prix de quinze cents francs à M. Alfred Marchand, pour un volume de critique littéraire, intitulé : les Poètes lyriques de l’Autriche.
2° Trois prix, de cinq cents francs chacun, aux trois ouvrages suivants :
Vauvenargues, par M. Maurice Paléologue ;
Chapelain et nos deux premières Académies, par M. l’abbé Fabre ;
La Renaissance de la Poésie anglaise (1798-1889) et les Poètes modernes de l’Angleterre : deux volumes, par M. Gabriel Sarrazin.
Enfin, sur la somme de cinq mille francs annuellement due à la générosité de M. Marcelin Guérin, l’Académie décerne :
1° Un prix de quinze cents francs à M. de la Sicotière pour un ouvrage, en trois volumes, intitulé : Louis de Frotté et les insurrections normandes (1793-1832).
2° Trois prix, de mille francs chacun, aux trois ouvrages suivants :
La France actuelle, par M. Ramon Fernandès ;
Histoire littéraire de la Suisse française, par M. Philippe Godet ;
Le Mouvement littéraire au XIXe siècle, par M. Georges Pellissier.
3° Un prix de cinq cents francs à l’Histoire de Marie-Antoinette, par M. de la Rocheterie.
PRIX MARCELIN GUÉRIN
On a beaucoup écrit sur la reine Marie-Antoinette, et la touchante histoire de l’infortunée Princesse fera couler encore bien des larmes. Après l’avoir jugée sans flatterie, avec un respect mêlé d’indulgence et de sévérité, M. de la Rocheterie complète son portrait en la montrant « vraiment reine, par la dignité de son attitude et l’éclat de sa majesté ; vraiment femme, par la séduction de ses manières et la tendresse de son cœur ».
Dans ce livre émouvant, M. de la Rocheterie nous fait assister aux dernières, aux plus douloureuses scènes du grand drame de la France ancienne.
La France actuelle, par M. Ramon Fernandez, a ce mérite, au contraire, qu’elle ouvre et déploie devant nous des horizons plus doux pour notre patriotisme ; d’un bout à l’autre de son livre, l’auteur s’attache à montrer par quelles ressources physiques et par quels dons de l’esprit, la France a toujours tenu en Europe sa place prépondérante à la tête de la civilisation.
Soyons reconnaissants et fiers de cet hommage rendu à notre pays par le digne représentant d’une des plus grandes républiques de l’Amérique espagnole. Un ami de la France n’est pas un étranger pour nous
Comme M. Ramon Fernandez, M. Philippe Godet aime la France ; en lui aussi nous voyons un compatriote. Son Histoire littéraire de la Suisse française est entièrement consacrée aux écrivains de son pays qui ont, écrit, en français, depuis Calvin jusqu’au père Girard. Ce qu’il étudie de préférence dans cette riche galerie où M. Necker et M. de Saussure ont leur place. La Harpe aussi et Mallet du Pan, c’est le caractère moral des œuvres, plus encore que le talent de leurs auteurs. Aucun livre, à ses yeux, ne peut être vraiment moral s’il n’attire le lecteur par le charme du style, s’il ne le retient par l’élégance et par la grâce du langage. Pour lui, « un livre mal écrit n’est jamais un bon livre. » C’est sa conclusion ; c’est aussi la nôtre. Le livre de M. Philippe Godet est, à tous égards, un bon livre.
J’en pourrais dire autant du livre de M. Georges Pellissier : le Mouvement littéraire au XIXe siècle. Œuvre d’un lettré et d’un érudit, cette savante étude des grands courants littéraires de notre siècle atteste une connaissance exacte des recherches de la critique contemporaine, dont M. Pellissier résume avec finesse les conclusions les plus justes ; je veux dire les plus généralement acceptées. Écrit dans une bonne langue, ce traité didactique est à la fois agréable à lire et très utile à consulter.
J’arrive à l’important ouvrage que l’Académie a placé au premier rang de ce concours ; au grand travail historique de M. de la Sicotière sur Louis de Frotté et les insurrections normandes.
L’histoire de l’insurrection vendéenne est, depuis longtemps, connue dans tous ses détails ; les grandes figures de ses chefs sont demeurées légendaires ; il n’en est pas de même de l’insurrection normande, et c’est à peine si le nom de Louis de Frotté était parvenu jusqu’à nous.
Loin de se montrer hostile aux débuts de la Révolution, le paysan normand avait commencé par demander avec passion l’abolition des droits féodaux ; la mort du roi l’avait laissé indifférent, il avait même, sans s’émouvoir, assisté au passage de la grande armée vendéenne, allant mettre le siège devant Granville. C’est quand Stofflet vient de signer la paix Saint-Florent, et Charette à La Jaunaye, qu’à son tour il entre en campagne !
Pendant deux ans ses bandes, clairsemées d’abord, puis atteignant bientôt le chiffre de cinq à six mille hommes, tiendront en échec des armées régulières, commandées par Hoche et d’Hédouville ; osant résister même au premier Consul, au jeune vainqueur d’Arcole et de Marengo, d’Aboukir et des Pyramides.
L’histoire de ces tristes luttes, de ces douloureux épisodes de nos guerres civiles, était, jusqu’ici, restée à peu près dans l’ombre ; mystérieuse et défigurée par la légende. M. de la Sicotière nous la fait entièrement connaître. La noble figure de Louis de Frotté domine l’œuvre ; il est l’âme de cette seconde Vendée : la chouannerie normande commence et finit avec lui.
Pendant quarante ans, M. de la Sicotière a poursuivi la tâche qu’il vient d’accomplir ; explorant les dépôts publics, fouillant dans les archives privées, provoquant les confidences et recueillant les souvenirs. Son livre plein d’intérêt contient deux mille pièces originales, correspondances et fragments de mémoires inédits. Le savant modeste qui sauva de l’oubli tant de documents précieux mérite qu’on l’en remercie. Fondateur de toutes les sociétés littéraires et archéologiques de la Normandie, il a reçu de ses compatriotes des témoignages publics de reconnaissance. Aujourd’hui, Messieurs, c’est avec une sympathique estime pour l’historien des Insurrections normandes que l’Académie couronne l’excellent ouvrage auquel ce grand travailleur a dévoué sa vie utile.
Un cinquième prix eût pu, sans injustice, être accordé au très curieux travail qu’un jeune militaire, le lieutenant Émile Simond, vient de consacrer à l’histoire du 28e régiment de ligne.
Pour l’auteur, un régiment est une individualité, une famille qui a son état civil à part, ses annales propres, communes sans doute à celles de l’armée dont il fait partie, mais cependant distinctes et dignes d’une étude spéciale. Prenant le 28e de ligne à sa naissance lorsque, en 1616, créé sous la minorité de Louis XIII, il s’appelle le régiment de Villeroy, il le conduit jusqu’à nos jours, à travers ses nombreuses transformations, ses dénominations successives, ses étapes diverses, ses combats enfin et sa gloire
À ce livre, écrit avec verve, avec conviction, et bien fait pour stimuler l’ardeur patriotique de nos jeunes soldats, l’Académie décerne une mention honorable.
PRIX BORDIN
En publiant trois volumes sur les Poètes lyriques de l’Autriche, M. Alfred Marchand s’est donné la tâche de faire connaître aux Français la poésie des Allemands du Sud. La première série nous présente Lenau, Betty-Paoli, et Feuchtersleben ; la seconde achève le cycle romantique avec Maurice Hartmann, Joséphine de Knorr, Robert Hamerling et Lorm. Le troisième volume contient une traduction des Récits d’un Nomade, par Hartmann. Les biographies de tous ces brillants écrivains sont attachantes et bien venues. M. Alfred Marchand y a joint des fragments de leurs œuvres, choisis avec goût et dont sa traduction élégante fait ressortir le mérite. Ces trois volumes se recommandent autant par leur attrait et leur utilité que par la grande somme de travail dont ils témoignent.
Si M. Alfred Marchand a pensé, avec trop de raison peut-être, que les grands poètes de l’Autriche n’étaient guère connus en France, M. Gabriel Sarrazin eût été plus injuste pour nous en nous supposant la même ignorance à l’endroit des poètes, non moins grands, auxquels, depuis un siècle, l’Angleterre a donné le jour. C’est leur histoire qu’il nous raconte ; l’histoire surtout de leur talent et de leurs œuvres. Quoique rapide, son travail est substantiel ; ses analyses sont faites avec autant de finesse que de mesure, et, par d’heureuses citations, il éclaire souvent sa critique et la justifie.
M. Gabriel Sarrazin est aujourd’hui magistrat dans l’une de nos colonies françaises, dans la Nouvelle-Calédonie, à Nouméa ! Pas pour toujours ! Je le vois encore, grave et brave, le jour où, nommé de la veille et se préparant à quitter Paris, il venait présenter son livre au jugement de l’Académie. L’Académie, en échange, lui envoie avec plaisir, au delà des mers, un juste témoignage d’estime et d’encouragement.
Rentrons en France, Messieurs. Notre visite aux poètes de l’Autriche et de l’Angleterre est terminée. Vauvenargues et Chapelain nous attendent, sur le seuil de l’Académie.
Pour que Vauvenargues entrât chez vous, cent ans avant vous, le temps seul lui a fait défaut. Ses forces l’ont trahi à moitié chemin, quand son talent l’y conduisait.
Dans le charmant volume qu’il consacre à ce jeune penseur attristé, M. Maurice Paléologue nous fait le plus touchant récit de sa vie courte et mélancolique, attachante comme un roman. Le meilleur éloge qu’on puisse faire de ce petit livre, c’est de constater qu’il semble un appendice naturel à l’œuvre du moraliste, tant l’éloquent biographe s’est approprié avec bonheur le sentiment profond et la pureté de forme de son modèle.
Nous sommes ici chez Chapelain. N’en rugissons pas ; au contraire ! Entre le poète trop décrié par Boileau et l’honnête écrivain que M. l’abbé Antonin Fabre s’attache à réhabiliter, l’écart est considérable. La justification d’un de nos ancêtres a droit à toute notre sympathie. C’est à ce point de vue que s’est placé M. l’abbé Fabre pour honorer en lui l’un des fondateurs de l’Académie française en 1635, l’un des inspirateurs de cet autre groupe d’érudits, de cette petite Académie, c’était son premier nom, qui ne demandait qu’à grandir, et qui, trente ans plus tard, devait être, ce qu’elle est encore aujourd’hui si honorablement, l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.
Après avoir défendu Chapelain contre ses ennemis, M. l’abbé Fabre, dans ce nouveau volume, nous le montre tout-puissant auprès de Richelieu comme il le sera un jour auprès de Colbert ; usant avec courage de sa légitime influence en faveur de l’Académie naissante ; osant même au besoin lutter contre le grand cardinal pour établir solidement les hases de notre compagnie ; pour fixer ses règles, pour fonder ses droits et défendre ses intérêts.
Un pareil livre méritait à tous égards la récompense que l’Académie lui décerne.
CONCOURS GUIZOT
Les quatre ouvrages entre lesquels est réparti le prix Guizot se distinguent tous par l’importance, des documents qu’ils contiennent et qui, conformément aux vœux de l’illustre fondateur, mettent en lumière des questions d’histoire, des travaux de critique et d’érudition ; des études sur la vie et les œuvres des grands écrivains français.
Cette dernière partie du programme ne saurait mieux s’appliquer qu’à la savante Étude sur Montaigne, publiée en tête d’une nouvelle édition des Essais, d’après le texte de 1588, avec les variantes de 1595 ; accompagnée de notes considérables, d’un glossaire et d’un index, dus à la collaboration de MM. D. Jouaust et H. Motheau.
Le nom de M. Jouaust éveille tout d’abord le souvenir des services rendus aux lettres françaises par les éditions magnifiques qui l’ont rendu justement célèbre. Il nous plaît de les rappeler, quoique ici l’éditeur ne soit pas en cause. C’est à l’érudit et à ses intéressants travaux que s’adresse une récompense dont une partie revient de droit à son digne collaborateur.
Par ses connaissances spéciales, par sa rare compétence, par sa longue carrière administrative dans les plus hautes fonctions du Ministère de la Marine, M. Delarbre semblait désigné mieux que personne pour écrie sur Tourville et la Marine de son temps le beau volume auquel l’Académie décerne une bonne part du prix fondé par M. Guizot. Grâce à lui, des documents précieux, entièrement inédits, sinon tout à fait ignorés, sont aujourd’hui rendus à l’histoire. Plus de cent lettres du grand amiral jettent une lumière nouvelle sur cette période sans rivale, si glorieuse pour la marine française qui s’étend de l’année 1668 à l’année 1697. M. Delarbre n’aura que l’embarras du choix le jour où la bonne pensée lui viendra d’écrire encore l’histoire de quelqu’un de ces grands marins qui, depuis deux cents ans, depuis l’amiral de Tourville jusqu’à l’amiral Courbet, n’ont cessé d’honorer la France.
Si des noms plus glorieux ont presque entièrement effacé le sien, le pasteur La Source, élu deux fois député par la ville de Castres pour la représenter à l’Assemblée législative et à la Convention nationale, eut cependant ses heures d’éclat pendant les plus mauvais jours de la Révolution triomphante. Éloquent, honnête, et sincèrement fanatique, comme l’a dit Michelet, ce jeune et courageux ami des Girondins eut le triste sort de tant d’autres martyrs de la liberté, qui meurent pour elle et qu’elle oublie !
Le livre que vient de lui consacrer un de ses coreligionnaires, M. le pasteur Camille Rabaud, livre bien fait, d’une érudition solide et d’un bon esprit patriotique et modéré, fait revivre son souvenir et le remet honorablement dans l’histoire à la place dont il était digne.
Il y a aujourd’hui huit ans, en vous rendant compte ici même d’un premier et très intéressant volume dans lequel M. Georges Pallain publiait, en les commentant, les admirables lettres échangées pendant le Congrès de Vienne, entre le roi Louis XVIII et le prince de Talleyrand, je vous disais : « Loin de méconnaître les services rendus par des publications de cette importance, l’Académie les encourage volontiers, en les consacrant. » Ce sentiment est resté le sien. Les récompenses qu’elle vient d’accorder au nom de M. Guizot en témoignent hautement. Elle le prouve une fois de plus, par le nouveau prix qu’elle décerne au second volume, entièrement digne du premier, dans lequel M. Pallain, revenant sur ses pas, d’un quart de siècle dans l’histoire, a réuni les rapports rédigés avec tant d’art par M. de Talleyrand, durant sa mission officieuse à Londres, en 1792. Ces lumineux rapports, auxquels sont jointes si utilement d’autres correspondances non moins précieuses, jettent un nouveau jour sur les graves événements qui troublaient alors la France, et particulièrement sur les négociations poursuivies à Londres pour obtenir la neutralité de l’Angleterre à la veille de la guerre inévitable avec l’Autriche et la Prusse. Dans une introduction claire et précise. M. Pallain expose le point de départ de cette politique : il en montre les conséquences, et, non content de publier le texte de tous ces nombreux documents, il y joint des notes savantes qui les éclairent ; remplissant ainsi jusqu’au bout, avec le même talent et la même conscience, sa double tache d’éditeur et d’historien.
Traiter un juge de récidiviste, un juge d’instruction surtout, serait bien hardi de ma part, imprudent peut-être, et, tout au moins, de mauvais goût ; la magistrature est trop respectable pour que je me permette de plaisanter avec elle en lui empruntant une de ses formules. Pourquoi d’ailleurs aurais-je l’air de reprocher maintenant à M. Adolphe Guillot ce dont, tout à l’heure, je félicitais M. Georges Pallain, récidiviste comme lui ?
L’Académie n’a pas de clients, encore moins de favoris ; mais quand, par de nouveaux ouvrages, les auteurs qu’elle a déjà couronnés méritent de nouvelles récompenses, il faut bien les leur accorder. La récidive alors a de quoi nous plaire ; c’est le bis repetita des Latins.
Paris qui souffre est l’objet constant des méditations philosophiques de M. Guillot, de ses savantes études comme magistrat et comme moraliste, Paris qui souffre conduit fatalement à Paris qui vole, à Paris qui tue ! à l’un la Morgue, Mazas à l’autre !
Intitulé : les Prisons de Paris et les prisonniers, le nouveau livre de M. Adolphe Guillot est la suite naturelle de l’ancien, son complément logique et douloureux. S’il intéresse le lecteur en ouvrant devant lui les vieilles geôles du vieux Paris : le grand Châtelet et le petit, la Force et les Madelonnettes, l’Abbaye, hélas ! et le Temple ! c’est une tâche plus haute que son auteur se propose ; un meilleur but qu’il veut atteindre. Appelé depuis quinze ans à voir le mal pour le punir, c’est à le guérir qu’il s’applique.
Supérieur encore au volume qui l’a précédé, ce beau travail d’un honnête homme est, dans toute la force du terme, un livre bien fait et bienfaisant.
L’Académie lui décerne sans partage le prix fondé par M. Halphen.
Ce qu’on demande avant tout aux traductions, ce qu’ont le droit d’attendre d’elles les fondateurs des prix Langlois et Jules Janin, c’est que, par leur correction, elles reproduisent exactement le texte original quel qu’il soit ; avec son charme, sa force et sa grâce, ses défauts même, qui manqueraient à la ressemblance si, par trop de respect, ils disparaissaient entièrement.
Agréable dans ce cas, une traduction devient utile quand, exhumant, pour ainsi dire, de belles œuvres qui méritaient de vivre et que le temps avait enterrées dans l’oubli, elle les arrache à cette tombe, les rend à la lumière et, en nous apprenant à les connaître, nous apprend à les admirer.
M. J. Loth et M. Félix Rabbe nous ont rendu ce service en traduisant : l’un, le vieux livre des Mabinogion ; l’autre, le Théâtre complet de Christophe Marlowe.
Sous ce titre : les Mabinogion, ont été réunis les anciens contes gallois qui, grâce à la faveur des Plantagenets, furent imités en français au moyen âge, et obtinrent alors, dans toute l’Europe, un succès prodigieux. Sans discuter ici les questions critiques qui s’y rattachent, on peut dire que les originaux Gallois ont une naïveté et une grâce toute particulière, quelque chose de primitif, de grandiose parfois et de sauvage, qui leur assigne une place à part dans la grande histoire des Lettres.
Avec une rare compétence, M. Loth, professeur à la Faculté de Rennes, a reproduit dans une belle langue, élégante et claire, ces chants étranges que connaissaient à peine nos maitres les plus savants. Les ignorants en profiteront avec plaisir : nous avons déjà commencé.
Le théâtre de Christophe Marlowe était moins loin de nous. Le connaissions-nous davantage ? Doublement célèbre il y a trois siècles, comme poète et comme auteur dramatique, Christophe Marlowe, précurseur de Shakspeare et de Milton, les inspira. dit-on, l’un et l’autre.
Moins juste envers lui qu’envers eux, la postérité laissa bientôt tomber dans un long- oubli ses œuvres et sa mémoire ; elles en sortent avec éclat !
L’introduction savante que M. Félix Rabbe a placée en tête de son intéressant travail, poursuit, en faveur du vieux rival de Shakespeare, l’œuvre de révision et de réparation dont l’Angleterre repentante a donné le premier signal. N’ayant à se prononcer, dans ce concours, que sur le mérite des traductions, tout en appréciant la valeur des œuvres traduites, l’Académie décerne, sur la fondation Langlois, un prix de mille francs au traducteur des Contes gallois, M. Loth ; en attribuant le surplus à M. Félix Rabbe pour sa traduction du Théâtre complet de Christophe Marlowe.
Spécialement réservé à des traductions d’ouvrages écrits en langue latine, le prix Jules Janin s’adresse naturellement à des travaux d’un autre ordre et d’un autre âge, avec qui nous n’avons pas à faire connaissance ; mais que nous revoyons avec plaisir, quand l’occasion s’en présente, comme de vieux amis, toujours jeunes !
Sur la somme de trois mille francs, montant de cette fondation, l’Académie décerne deux prix, de douze cents francs chacun, à deux savantes traductions des ouvrages suivants, dont l’éloge n’est plus à faire :
La Consolation philosophique, de Boëce, par M. Octave Cottreau.
La Moselle d’Ausone, par M. H. de la Ville de Mirmont, professeur à la Faculté des Lettres de Bordeaux.
Et un prix de six cents francs à M. L. Constans, pour une traduction élégante autant que fidèle de la Conjuration de Catilina ; dernier terme d’un grand travail auquel s’est livré M. Constans sur Salluste et sur l’ensemble de ses œuvres.
Une mention honorable est, en outre, accordée à une remarquable traduction du poème de Lucrèce, par feu M. Édouard Mielat.
Si le vieux proverbe dit vrai, si les extrêmes se touchent, la Traduction donne la main à la Poésie, et, sans transition, je puis passer de l’une à l’autre.
Un prix spécial venant enfin de lui être réservé, en dehors des ouvrages utiles aux mœurs, la poésie, affranchie de cette entrave qui nous gênait comme elle, est maintenant plus libre dans ses allures ; sans pour cela qu’elle puisse abuser de sa liberté. Ce n’est plus M. de Montyon qui la couronne ; c’est toujours l’Académie qui la juge.
Parmi les nombreux recueils de vers présentés cette année au concours Archon-Despérouses, se plaçait en première ligne la nouvelle édition des Émaux bressans, auxquels leur auteur, M. Gabriel Vicaire, a joint deux poèmes de date plus récente : Marie-Madeleine et le Miracle de saint Nicolas.
Poète très français. un peu gaulois même, plein d’entrain, de verve et de bonne humeur, M. Gabriel Vicaire a su, dans ces dernières œuvres, se montrer sous un nouveau jour, avec autant de grâce que de naïveté, tout en gardant le cachet personnel de son talent original.
L’Académie lui décerne un prix de quinze cents francs sur la fondation Archon-Despérouses.
Deux prix, de mille francs chacun, sont décernés à deux autres volumes de vers dont l’ampleur virile et le souffle poétique ont frappé l’attention de l’Académie et mérité ses suffrages : Femmes antiques, par Jean Bertheroy ; Rêves et Visions, par Mlle Jeanne Loiseau.
Une médaille de cinq cents francs est attribuée, en outre, à une charmante collection de petits poèmes, pleins de délicatesse et de fraîcheur. Œuvre élégante d’une toute jeune fille, ce premier volume, intitulé les Pipeaux, est signé Rosemonde Gérard.
L’Académie accorde enfin une mention honorable à un volume de vers intitulé : En Famille, qui se distingue par l’élévation des sentiments et par la pureté de la forme. M. Achille Paysant en est l’auteur.
Pour des mérites du même ordre, l’Académie partage le prix Lambert dans les proportions suivantes :
Mille francs à Mme Dardenne de la Grangerie qui, sous le nom de Mme Alix de Valtine, a publié une touchante étude de mœurs intitulée : Belle et bonne, histoire d’une grande fillette.
Et six cents francs à Mlle Marie O’Kennedy, doublement digne d’intérêt par son talent aimable et sa résignation courageuse, ayant à lutter à la fois contre la mauvaise santé et contre la mauvaise fortune.
Beaucoup moins jeune qu’elle, beaucoup plus malade et condamné à de cruelles souffrances, qu’il supporte avec la même résignation et le même courage, un écrivain qui eut son jour de succès et dont nous avons connu la jeunesse heureuse, M. Frédéric Béchard, méritait à tous égards qu’un témoignage de souvenir et de sympathie le consolât dans sa retraite.
L’Académie lui décerne sans partage le prix fondé par M. Maillé de Latour Landry.
Pour le prix Vitet, qui n’est pas l’objet d’un concours spécial, l’Académie se fait un honneur d’aller elle-même chercher le talent là où il se trouve ; qu’il soit éclatant ou modeste ; que la renommée le lui désigne ou que, dans le silence et le travail, il ne songe même pas à solliciter une récompense qu’il se contentait de mériter et qu’il s’étonnera d’obtenir.
Parvenu, je ne dis pas au terme, mais au sommet d’une longue et honorable existence, M. Paul Mesnard est, de ceux que connaissent surtout les amis des Lettres, les érudits et les savants. Publiée en 1857, son Histoire de l’Académie française lui créait déjà des titres à la sympathique estime de nos illustres prédécesseurs ; et, depuis lors, collaborateur assidu de cette belle Collection des grands écrivains français, il l’a enrichie d’excellents travaux sur Mme de Sévigné d’abord, sur Racine ensuite, sur La Fontaine et sur Molière, étudiant leurs œuvres après les avoir étudiés eux-mêmes, consacrant enfin ses loisirs à traduire en vers français l’Orestie d’Eschyle.
À cet honnête travailleur, à ce grand lettré, poète un jour ! à ce dernier historien de notre Compagnie, l’Académie décerne en son entier le prix de 6 000 francs fondé par M. Vitet dans l’intérêt des Lettres.
Je n’oublie pas le concours Montyon, au contraire : c’est à dessein que je l’ai réservé pour la fin de ce rapport.
Je me réjouirais, Messieurs, de voir, d’année en année, s’augmenter toujours le nombre des bons ouvrages présentés à ce concours si, par contre, le nombre des récompenses ne devait suivre la même progression, ce qui fatalement rend plus lourde la tâche du rapporteur perpétuel. Permettez-lui de regretter surtout de rendre ainsi plus pénible la tâche de ceux qui l’écoutent.
Vous vous souvenez que, l’année dernière, un bienfaiteur inconnu avait, pour cette fois, augmenté de six mille francs, la somme déjà considérable annuellement consacrée par M. de Montyon à récompenser les ouvrages utiles aux mœurs ; j’ai tant remercié alors ce généreux anonyme que je puis bien aujourd’hui, sans ingratitude, lui adresser un petit reproche : en mettant cette somme à la disposition de l’Académie, il insistait pour qu’elle fût employée en fractions de cinq cents francs, estimant, disait-il, que l’honneur valant plus que l’argent, il fallait multiplier les récompenses, sans se préoccuper autrement d’enrichir plus ou moins les récompensés.
Une fois entrée dans cette voie, l’Académie, ne s’en trouvant d’ailleurs pas trop mal, a été conduite, comme sans le vouloir, à taire d’elle-même ce qu’elle avait regretté qu’on lui imposât.
L’an dernier, avant à disposer de vingt-cinq mille francs, elle couronnait vingt-trois ouvrages.
Elle en couronne aujourd’hui vingt et un, quand elle n’a plus que dix-neuf mille francs à partager entre ses élus. Voici dans quelles proportions :
Un prix de deux mille francs ;
Deux prix de quinze cents francs chacun ;
Dix prix de mille francs ;
Deux de six cents francs ;
Et six de cinq cents francs chacun.
Honnêtes par-dessus tout, intéressants et instructifs, bons et agréables à lire, les six ouvrages auxquels sont attribuées ces dernières récompenses ont pour titres et pour auteurs :
Tu seras agriculteur, par M. Henry Marchand, chef de bureau au Ministère de l’agriculture, à qui l’on doit savoir gré de ne parler que de ce qu’il connaît bien et de traiter son sujet avec autant de talent que de compétence.
Antoine Brasseur, par Mme G. Crauk, dont le nom, déjà bien connu dans le monde des arts, prend aujourd’hui dignement sa place dans le monde des lettres.
Le Feu à Formose, par M. Jean Dargène : livre charmant, plein de vie et d’émotion, d’un patriotisme simple et vrai.
Demoiselle Micia, par Mme Marguerite Paradowska ; histoire touchante empruntée aux mœurs galiciennes et qu’une vraie Française pouvait seule écrire ainsi, en bon français, avec tant de charme et de grâce.
Madame de Sainte-beuve et les Ursulines de Paris, par M. H. de Levmont : savante étude qui fait revivre avec art, dans ses croyances, dans ses mœurs, parfois aussi dans ses préjugés, la société qu’illustrèrent, quelques femmes de grande distinction au commencement du XVIIe siècle.
Histoire d’un enfant de Paris, par Mme Mesureur : récit navrant, mais plein d’intérêt, qui, nous reportant à l’époque douloureuse de nos derniers désastres, donne à l’enfance d’honnêtes et utiles exemples de patriotisme, de courage et de dévouement.
PRIX DE 600 FRANCS
Madame d’Épone, par Brada.
Mon oncle et mon curé, par Jean de la Brète.
Ces noms-là me sont suspects, et j’inclinerais volontiers à croire que deux jeunes femmes se cachent sous ces masques, moins masculins qu’ils n’en ont l’air.
Les deux œuvres sont charmantes : la première nous attendrit par le dévouement d’une mère poussé jusqu’aux dernières limites du sacrifice.
La seconde nous effraye un peu tout d’abord, par le ton, plus moderne qu’utile aux mœurs, d’une jeune fille mal élevée qui finira sans doute par abuser de son esprit contre son oncle et son curé.
Pas du tout ! l’esprit est sauvé par le cœur ; le petit démon est un ange ; la fillette mutine et révoltée sera la plus douce des femmes ; l’oncle et le curé triomphent ; la morale en fait autant ; le lecteur est attendri jusqu’aux larmes, et l’Académie désarmée couronne le livre et l’auteur.
Tous ces ouvrages méritaient d’être récompensés. C’est dans un sentiment de justice, de bienveillance et d’encouragement que l’Académie les a joints à ceux qu’elle avait réservés en première ligne et dont il me reste à vous rendre compte.
PRIX DE 2 000 FRANCS
L’Académie décerne ce prix à un savant ouvrage intitulé : l’Éducation athénienne au cinquième et au quatrième siècle avant Jésus-Christ, dont M. Paul Girard, maître de conférences à la Faculté des Lettres de Paris, est l’auteur.
Tout ce qui touche à l’éducation est maintenant, plus que jamais, à l’ordre du jour ; et déjà l’Académie témoignait de l’intérêt que cette grande question lui inspire quand, dans sa séance du 1er février 1783, ayant à disposer, pour la première fois, du prix fondé par M. de Montyon, elle l’attribuait à un ouvrage sur l’éducation des femmes : les Conversations d’Émilie, par Mme d’Épinay.
Pour réformer utilement nos méthodes d’enseignement, il est indispensable de connaître celles des autres peuples.
Dans ce livre sur l’Éducation athénienne, M. Paul Girard prend l’enfant d’Athènes à sa naissance et montre d’abord ce qu’étaient ses premiers jeux ; puis il le mène aux écoles qu’il décrit avec le plus grand soin ; traverse avec lui l’éphébie, dont il reconstitue l’histoire ; et, chemin faisant, nous donne mille détails curieux et instructifs sur la famille et la société athénienne.
M. Paul Girard est l’un des plus brillants élèves de notre École d’Athènes : aussi lettré qu’érudit, il était, mieux que personne, à même de traiter un sujet pareil, en toute connaissance de cause, avec beaucoup d’art, avec un grand mérite de composition, dans un style plein d’élégance et de charme.
Les deux prix de quinze cents francs sont décernés : L’un, à une savante étude historique sur Antonin le Pieux et son temps, par M. Lacour-Gayet ;
L’autre, à un curieux volume sur le Réalisme et le Naturalisme dans la littérature et dans l’art, par M. David Sauvageot, professeur de rhétorique au collège Stanislas.
Après s’être attaché à caractériser les courants qui, à diverses époques, de nos jours surtout, ont ramené les arts et les lettres au réalisme. M. David Sauvageot recherche studieusement ce qu’il y a de légitime dans la doctrine réaliste et comment elle peut se prêter à l’expression des vérités morales ; il en montre l’infirmité dès qu’elle exagère son principe et, tout compte fait, il conclut en revendiquant les droits de l’idéalisme.
Écrit en très bon style, avec élégance et finesse, ce livre témoigne de travaux considérables, de vues personnelles ingénieuses et d’une grande fermeté de jugement.
Parmi les princes de l’antiquité romaine, Antonin le Pieux est l’un de ceux que nous vénérons le plus et que nous connaissons le moins. Aucune histoire n’est restée plus obscure que la sienne : la postérité n’a presque gardé de lui que son nom et son surnom.
C’était une lacune regrettable. M. Lacour-Gayet a pris à tâche de la combler. Travail difficile ! Les documents faisant défaut, il a fallu réunir de tous côtés des informations incomplètes les lier entre elles, les éclairer en les rapprochant, et, de ces morceaux épars, composer un tout solide, compact et vrai : grâce auquel l’homme et l’empereur nous sont aujourd’hui connus.
Comment Antonin le Pieux a gouverné Rome et les Provinces, quelles lois il a promulguées, quelles mesures il a prises pour venir au secours de ceux qui souffraient, nous le savons maintenant et. dans cette œuvre d’érudition, nous apprenons à honorer encore davantage le bon prince, simple et doux, dont M. Lacour-Gayet complète le portrait glorieux, en l’appelant : une des incarnations les plus parfaites de la sagesse antique.
Enfin, Messieurs, l’Académie décerne dix prix, de mille francs chacun, à des œuvres de genres divers, dont j’aurais voulu pouvoir vous entretenir en détail ; leur éloge m’entraînerait trop loin :
Un savant volume d’histoire, particulièrement cher aux Parisiens de Paris ; de brillantes études de mœurs, d’histoire et d’esthétique ; un récit de voyages des plus saisissants ; des romans pleins d’intérêt, qui, tour à tour, font pleurer et rire et qui enseignent le bien à force de le faire aimer ; donnant tous de bons exemples de travail, d’honneur, de courage et de dévouement. Il faut les lire, les lire tous.
En voici les titres :
Paris, par M. Auguste Vitu.
Lamartine Étude de morale et d’Esthétique, par M. Charles de Pomairols.
Madame de la Vallière, par M. l’abbé Pauthe.
La Confession d’un père, par M. Victor Fournel.
Des Indes au Para, par M. Marcel Monnier.
L’Épave Mystérieuse, par Mme de Nanteuil.
Le Marchand d’allumettes, par A. Gennevraye.
Le Petit Gosse, par M. W. Busnach.
Périen mer, par M. G. Toudouze.
Dans ma nuit, par Mme Martha Galeron de Calonne.
Ce dernier volume, comme les neuf autres que j’ai nommés avant lui, se recommande tout d’abord par le talent de son auteur, avec un titre de plus à votre intérêt : le malheur aussi le protège.
Dans un de ses plus beaux livres sur la Charité privée à Paris, notre excellent confrère M. Maxime Du Camp nous attendrissait naguère en nous racontant la douloureuse histoire d’une jeune fille, née parmi nous, dans le monde heureux des Lettres, à qui souriait l’avenir ; quand, subitement, à peine âgée de onze ans, à la suite d’une fièvre typhoïde, elle devint aveugle, tout à fait aveugle et presque tout à fait sourde ! Ce qui ne l’empêcha pas d’être poète : Moi, l’aveugle, dit-elle :
Moi, l’aveugle, je vais à tâtons dans la vie,
La tristesse et l’ennui m’escortent en chemin ;
Et je marche au hasard, en étendant la main,
Heurtant à chaque pas un bonheur que j’envie.
Voilà ce qu’est aujourd’hui la jeune fille ! que dis-je ! la jeune femme !
« Malgré son infirmité, elle a su se faire aimer d’un tel amour qu’un jeune architecte l’a épousée, l’arrachant ainsi au désespoir où la plongeait la nuit environnante, et lui donnant un bonheur que jamais elle n’eût osé rêver. »
Qui parle ainsi, dans la préface placée en tête du volume ? et dans quel pays a pu se passer cette touchante idylle ?
Bien loin de nous ! à Bucharest, en Roumanie !
Là, Messieurs, Mlle Martha de Calonne a eu l’heureuse fortune d’être consolée dans sa détresse, éclairée dans sa nuit ! par une grande dame, par une très grande dame que l’Académie connaît et qu’elle honore. La touchante préface, consacrée à mettre en lumière le rare talent poétique de notre jeune et intéressante compatriote, est signée : Carmen Sylva.
M. de Montyon n’aurait pas fait une préface pour ce charmant petit volume ; mais des deux mains il en eût couronné l’auteur, pour ses vers et pour ses vertus.
Quand, sur son lit de mort, il voulut qu’à perpétuité sa grande fortune servît encore à encourager le bien sous toutes ses formes, à récompenser le travail et à soulager la misère, M. de Montyon s’élevait ainsi lui-même le plus durable des monuments.
Notre reconnaissance lui en devait un autre ; il va l’avoir !
Sur la demande des deux Académies par lui a dotées si largement ; sur la proposition d’un de nos lauréats d’hier auquel la direction des arts est aujourd’hui confiée, M. le Ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, avec autant de bonne grâce que d’empressement, a bien voulu prendre notre dette à sa charge. Nous aimons à l’en remercier ici hautement.
Bientôt, Messieurs, commandée à l’un de nos meilleurs confrères, la statue en marbre de M. de Montyon sera placée près de nous ; dans l’enceinte de l’Institut ; à l’entrée même de cette salle pleine de lui ! où tous les ans, à pareil jour, il nous est donné de faire en son nom des heureux ; où l’ombre de cet homme de bien semble présider nos séances ; où sa mémoire est toujours bénie.
Il n’y manquait que son image !