INSTITUT DE FRANCE
ACADÉMIE FRANÇAISE.
SÉANCE PUBLIQUE ANNUELLE
DU JEUDI 16 NOVEMBRE 1893
RAPPORT
DE
M. CAMILLE DOUCET
SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE
SUR LES CONCOURS DE L’ANNÉE 1893
MESSIEURS,
Si les livres ont leur destin, comme l’a dit, dans la langue d’Horace, un poète assez oublié qui, si je ne me trompe, se nommait Térentianus Maurus, les concours de l’Académie, ouverts à tous les livres et fondés pour eux, sont naturellement soumis aux mêmes lois : eux aussi ont leurs bons et leurs mauvais jours, leurs fortunes bonnes et mauvaises ; ils ont, eux aussi, leur destin. Habent sua fata libelli !
L’an dernier, Messieurs, sur les nombreux volumes de vers présentés au concours Archon-Despérouses, aucun, à notre grand regret, n’avait été trouvé digne d’une récompense. Pour consoler les vaincus et pour relever leur courage, nous leur disions alors que, cette année, au lieu d’un prix, nous pourrions leur en donner deux, et même trois, de quatre mille francs chacun, en comptant le premier de tous, le prix de Poésie, ce prix de l’État qui, tous les deux ans, alterne avec le prix d’Éloquence.
Comme on se trompe parfois, avec la meilleure intention du monde, et le plus vrai désir de bien faire ! Le sujet indiqué aux poètes pour ce concours : L’Afrique ouverte, nous avait paru plein de grandeur ; les circonstances le signalaient en quelque sorte à notre patriotisme et, si l’on en juge par la quantité de ceux qui s’efforcèrent de le traiter, les concurrents eux-mêmes avaient applaudi tout d’abord au choix de l’Académie.
Les regards de l’Europe entière se tournaient alors, par un instinct généreux, vers le vieux continent noir qui, fermé longtemps aux bienfaits de la civilisation, semblait vouloir enfin s’ouvrir à toutes ses lumières. Partout l’esclavage et la barbarie reculaient devant la sainte croisade, victorieusement prêchée par le plus éloquent des soldats de la Croix et de la Charité. Partout les missionnaires de la Science, ses apôtres et ses martyrs pénétraient hardiment dans ces impénétrables contrées que beaucoup trop d’entre eux allaient féconder bientôt, en les arrosant de leur sang.
L’honneur de célébrer toutes ces gloires devait séduire les poètes et les inspirer.
En les y conviant, l’Académie ne s’est méprise qu’à moitié : beaucoup ont été séduits ; beaucoup ont fait d’honnêtes efforts pour répondre à notre appel ; malheureusement l’inspiration n’est pas venue ; et, comme l’année dernière pour le prix Archon-Despérouses, il a fallu cette fois renoncer à décerner le prix de Poésie.
Tout n’était pas perdu pour cela, Messieurs. Après ces mauvaises nouvelles, en voici une bonne qu’il nous est doux de vous donner :
Les poètes ont pris leur revanche, et l’ont si bien prise qu’en rassemblant tous les crédits non employés, c’est à peine si nous nous sommes trouvés assez riches pour récompenser tous ceux dont, plus heureux que jamais, le concours Archon-Despérouses de cette année a mis le talent en lumière.
Trois prix de quatre mille francs, avant rendu disponible une somme totale de douze mille francs, l’Académie a commencé par la diviser en deux parts, formant deux prix égaux de six mille francs chacun, qu’elle s’est appliquée à distribuer de son mieux.
Depuis vingt ans, un jeune écrivain, un vrai poète, dont, à deux reprises, l’Académie a déjà couronné des travaux d’un autre ordre, consacrait les loisirs de son rare et brillant esprit à la culture ou, pour mieux dire, au culte des sonnets.
Il en a composé cent cinquante ; estimant sans doute à son tour que, même avec quelques défauts, un sonnet a toujours, sur un long poème, le grand mérite d’être court. Merveilleusement déclamés par lui dans des salons d’élite, ces petits chefs-d’œuvre étaient ainsi qualifiés longtemps avant leur publication officielle qui, toujours attendue, se faisait toujours trop attendre si bien que les plus fervents amis du poète commençaient à se demander tout bas si tant de sonnets, réunis dans un même volume, justifieraient en gros la faveur qui les avait glorifiés en détail.
Ils ont paru ! et le succès de l’œuvre entière a dépassé toutes les espérances de ses premiers admirateurs. Ciselés avec art, écrits avec une verve infatigable et une éclatante richesse de style, chacun d’eux compose un tableau complet, plein de vie et d’un coloris magnifique.
À la fin de ce charmant recueil, figurent avec honneur deux petits poèmes exquis, d’une allure hautaine et toute martiale, dans lesquels souffle un vent d’héroïsme : Le Romancero du Cid et Les conquérants de l’or. Boileau les eût trouvés trop courts, l’un et l’autre.
L’Académie décerne, intégralement et sans partage, l’un des Prix de six mille francs à l’ensemble de ces Poésies intitulé : Les Trophées, dont l’heureux auteur, vous le savez tous, est M. José Maria de Hérédia.
L’autre Prix, de même somme, n’a pas eu le même destin. Non moins dignement employé, il a été partagé entre six volumes de vers, dans les proportions suivantes :
Un Prix de deux mille francs est décerné à l’un des plus anciens et des plus respectables lauréats de l’Académie, M. André Lemoyne, pour ses dernières et très touchantes poésies publiées par lui sous ce titre : Fleurs du soir.
Trois Prix, de mille francs chacun :
À M. Robert de Bonnières pour ses Contes à la Reine, écrits avec tant de verve, de bonne grâce et.de belle humeur.
À M. Charles Grandmougin, pour le drame sacré qu’il a intitulé : Le Christ, et dans lequel il accomplit à son honneur la tâche délicate et périlleuse de traduire la pensée divine dans un style simple, élégant et digne.
Enfin, à M. V.-L. Adam dont le talent aimable, dont l’inspiration toujours noble et sereine, se manifestent jusque dans le titre donné par lui à sa nouvelle œuvre : Les Heures calmes.
Deux médailles de cinq cents francs sont accordées, l’une à M. Anatole Le Braz, professeur de l’Université, savant linguiste et poète à ses heures, pour un charmant volume intitulé : La chanson de la Bretagne.
L’autre à Mme Mesureur pour ses aimables Rimes roses, dont la première partie s’applique surtout à célébrer avec tendresse les charmes de l’enfance, tandis que la seconde moitié se distingue à son tour par des pensées plus hautes et des sentiments plus virils.
Une mention honorable est décernée en outre à un recueil de poèmes patriotiques que, sous ce titre : La gloire des vaincus, M. Gaston Armelin a consacrés aux souvenirs douloureux de nos dernières guerres.
Après cette grande part de récompenses si justement faite à nos amis les poètes, ne nous séparons pas d’eux sans leur donner, de nouveau, rendez-vous pour le concours de Poésie de l’année 1895, en commençant par leur déclarer que, loin d’insister davantage, l’Académie renonce à maintenir le dernier sujet dont elle avait beaucoup espéré et qui a si mal répondu à son attente : L’Afrique ouverte.
Elle est fermée.
Je l’ai déjà dit, et je ne saurais trop le répéter : qu’il s’agisse de la Poésie ou de l’Éloquence, le choix des sujets de concours est pour l’Académie une tâche toujours difficile ; bien souvent ingrate. Préoccupée avant tout de l’intérêt des concurrents, elle s’ingénie sans cesse à chercher par quel moyen, plus ou moins nouveau, elle pourrait seconder leurs efforts et guider leur inspiration.
De tous les programmes, celui de la liberté absolue serait certainement le plus simple et le plus commode. À plusieurs reprises, séduite par les arguments spécieux que d’ingrats amis font volontiers valoir contre nous, l’Académie a eu recours spontanément à cette liberté, si féconde en principe et qui, en réalité, n’a presque jamais rien produit de bon. Désemparés et sans boussole, les concurrents, en pareil cas, se bornent d’ordinaire à vider entre nos mains le trop-plein de leurs tiroirs et le rebut de leurs corbeilles ; bientôt même ils sont les premiers à se plaindre qu’on n’ait pas éclairé leur lanterne en leur imposant un sujet.
Sans méconnaître les côtés faibles des divers systèmes et, après avoir fait de chacun d’eux un essai loyal, l’Académie s’efforce encore aujourd’hui de tout concilier par une combinaison qui serait trop bonne si, contre tout espoir, elle satisfaisait tout le monde.
Pour le concours de poésie de 1895, elle ne demande aux concurrents que de traiter en toute liberté un poème dont le sujet, choisi par eux, sera tiré de l’époque de la Renaissance.
Ils auront l’embarras du choix.
Pour les autres concours dont j’ai maintenant à vous rendre compte, nous n’avons plus de sujets à proposer, plus de responsabilité à prendre ; un peu moins de reproches à craindre, heureusement. Composés en dehors de notre action directe, les livres sont venus librement réclamer le jugement de l’Académie et s’offrir à ses récompenses.
Si trop souvent elle a cet embarras du choix dont je vous parlais tout à l’heure, l’Académie ne l’a pas eu un moment cette année pour bien placer le plus grand des prix fondés par M. le baron Gobert. Ce prix, dont le montant est presque de 10 000 francs, elle le décerne sans hésitation aux deux premiers volumes de l’excellent ouvrage qu’un jeune écrivain, déjà célèbre avant l’âge, le comte Albert Vandal, a publié sous ce double titre : Napoléon et Alexandre Ier ; l’Alliance russe sous le premier Empire.
Loin de me parer des plumes du paon : en commençant, au contraire, par me dénoncer moi-même, j’emprunte avec plaisir l’éloge de ce livre au rapport lumineux par lequel un de nos confrères les plus honorés en exposa devant l’Académie tous les rares mérites, avec sa grande compétence et sa légitime autorité :
« Pour raconter, disait-il, cette curieuse histoire des relations des deux souverains qui se sont partagé un instant l’empire du monde civilisé, et dont l’union, d’abord très intime, fut bientôt remplacée par une lutte terrible, M. Vandal s’est entouré de toutes les lumières que pouvaient lui fournir les archives diplomatiques, aussi bien à Paris qu’à Saint-Pétersbourg ; aucun document n’a été ni négligé ni superficiellement étudié ; mais de cette masse d’informations, ainsi recueillies aux sources les plus diverses, M. Vandal a su tirer une composition très heureuse, dont toutes les parties sont bien disposées, où des considérations générales presque toujours justes sont mêlées à une narration dont l’intérêt ne languit jamais et à des scènes dont l’effet est souvent dramatique. Ces divers mérites sont communs aux deux volumes, plus apparents peut-être dans le premier, quand la grandeur et l’éclat des événements venaient en aide à l’écrivain ; plus remarquables peut-être dans le second qui, par la nature du sujet et des circonstances, pouvait difficilement présenter le même intérêt. La première entrevue des cieux Empereurs sur le radeau de Tilsitt, la réunion de tous les Souverains d’Europe à Erfurt, c’étaient là des tableaux qu’on n’avait qu’à mettre en lumière pour les rendre saisissants. Il fallait plis d’art pour faire comprendre comment à l’entraînement et à la confiance des premiers jours a succédé graduellement un refroidissement qui préparait et devait amener une rupture. M. Vandal nous fait assister à ce changement dont il explique très bien les diverses causes. L’alliance de l’Empereur Napoléon avec une archiduchesse d’Autriche fut certainement la plus décisive. Dans cette négociation de mariage tentée d’abord sans succès à Saint-Pétersbourg, et brusquement terminée à Vienne, M. Vandal nous révèle des intrigues croisées et, pour ainsi dire, un dessous de cartes que nous ignorions avant lui. Le troisième volume nous conduira jusqu’à la déclaration de guerre qui a amené les derniers malheurs de l’Empire. La fin de cette œuvre si distinguée ne pourra mieux faire que de répondre à son commencement. »
Vous le voyez, Messieurs, intègre historien, M. Albert Vandal est loué, par-dessus tout, d’avoir soumis les faits qu’il raconte à une sérieuse enquête personnelle et de ne s’être, en fin de compte, prononcé sur chacun d’eux que preuves en mains, à bon escient et en toute conscience. Il a, en outre, le grand mérite de joindre à la solidité du fond la grâce de la forme, le charme d’un style élégant, clair et coloré, qui a sa force et son éloquence.
Pour le second Prix Gobert, dont l’importance est beaucoup moindre, l’Académie avait distingué d’abord une étude historique sur La minorité de Louis XIII, due à M. Berthold Zeller. Le mérite de ce travail n’a pas été méconnu : mais le récit incomplet ne comprenant encore que deux années (1610 et 1612), il a paru juste d’attendre qu’un nouveau volume permit de mieux apprécier l’ensemble de l’œuvre : que M. Berthold Zeller se rassure, l’Académie n’écarte pas ceux qu’elle ajourne : elle espère le retrouver bientôt, à l’un de ses prochains concours.
Le second Prix Gobert étant ainsi disponible, l’Académie le décerne à un estimable travail de M. Marion intitulé : Machault d’Arnouville et l’histoire du Contrôle général des Finances, de 1749 à 1754. Appelé au poste de Contrôleur général pendant l’intervalle de temps qui a séparé la paix d’Aix-la-Chapelle de la guerre de Sept ans, Machault d’Arnouville tenta un effort sérieux pour rétablir les finances épuisées, en organisant un système d’impôt également réparti sur toutes les classes de la société. C’est l’essai de réforme financière le plus considérable qui ait été entrepris avant Turgot et avant Necker, quand la Royauté était encore assez solidement assise pour se faire obéir, si elfe avait su commander.
En exposant avec détail les projets du réformateur et la nature des résistances que rencontrèrent ses réformes, M. Marion a réussi à tracer un tableau très instructif de l’état dans lequel était l’administration française à la veille de la Révolution. C’est, en somme, un ouvrage plein de mérite, écrit sans prétention ; mais dans un très bon style, sobre et clair.
Parmi les nombreux ouvrages présentés au Concours Thérouanne, l’attention de l’Académie s’était portée d’abord avec intérêt sur une étude historique intitulée : L’Ambassade française Espagne, pendant la Révolution par M. Geoffroy de Grandmaison : mais ce travail devant être continué jusqu’aux événements de Bayonne et à l’insurrection qui en fut la suite, c’est quand il sera complété que pour lui, comme pour l’ouvrage de M. Berthold Zeller, il pourra are utilement statué, en toute connaissance de cause.
Quatre importants ouvrages, remplissant à tous égards toutes les conditions du concours, ayant mérité qu’on les plaçât en première ligne, la somme de quatre mille francs, montant annuel de la fondation Thérouanne, est répartie entre eux dans les proportions suivantes :
Un prix de quinze cents francs est décerné à M. Abel Lefranc pour son Histoire du Collège de France, œuvre à la fois d’un lettré et d’un érudit. Dans ce livre, le premier qui ait été publié sur l’histoire des lecteurs royaux, se trouvent réunis de nombreux documents, pleins d’intérêt, sur l’enseignement des lettres savantes avant et après la création de François Ier. Il manquait à notre littérature scolaire, et, grâce au patient labeur de M. Abel Lefranc, cette lacune est enfin comblée.
Deux prix de mille francs chacun sont attribués à deux curieuses études historiques : Le roman d’une Impératrice, par M. K. Waliszewski, et La Bastille, par M. F. Bournon.
Ce roman d’une impératrice est une sérieuse histoire, romanesque uniquement, par l’intérêt puissant des faits et des personnages que l’auteur met en scène avec un rare talent, dramatique au plus haut degré : nul ouvrage d’imagination ne saurait égaler par son charme émouvant le récit véridique de la jeunesse de Catherine II.
Dans un beau volume, intitulé : La Bastille, M. Fernand Bournon semble avoir dit le dernier mot sur l’histoire, tant de fois étudiée, de la célèbre prison d’État. Les recherches y abondent ; minutieuses et précises, elles complètent ou rectifient, sur plus d’un point, celles que d’autres écrivains avaient déjà publiées, le style est simple en un sujet qui, d’ordinaire, prête à la déclamation. C’est un mérite à signaler, d’autant plus grand qu’il est plus rare.
Un prix de cinq cents francs est enfin décerné à l’excellent travail de M. Maurice Jollivet sur La Révolution française en Corse. Notice un peu courte, mais pleine d’intérêt, écrite d’après des documents inédits, tirés pour la plupart des archives de Bastia et d’Ajaccio, ou puisés à des sources particulières, qui, pour être moins officielles, n’en sont pas moins dignes de foi. L’auteur s’attache surtout à mettre en relief la figure curieuse et mal connue de Paoli, autour de laquelle gravitent tous les personnages et tous les faits qui figurent dans son récit, dont la lecture, tout à la fois, est instructive et attrayante.
Il me reste à citer encore, comme avant été particulièrement remarquée, l’Histoire du général Yussuf, l’un des héros de l’armée d’Afrique, écrite avec talent par M. le colonel Trumelet. Ce livre est de ceux que l’Académie aime à récompenser au moins par un témoignage d’estime et d’encouragement.
L’heure, Messieurs, me rappelle à l’ordre. Entraîné au delà des justes bornes par l’importance de ces premiers concours, je n’ai pu résister au plaisir de vous en parler longuement. Forcé désormais de hâter le pas pour achever à temps mon voyage parmi les livres, je ne m’arrêterai plus à chacune des stations ; mais j’aurai le plaisir de les saluer toutes au passage.
À peine en route, voilà que je m’arrête au contraire dès la première étape, retenu par ma conscience devant quatre importants concours, fondés tous, sous une même inspiration, pour récompenser des études d’histoire et des travaux de haute littérature :
Le prix Marcelin Guérin et le prix Bordin ;
Le prix Guizot et le prix Halphen.
Bien que convoités par de nombreux concurrents, chacun de ces deux derniers prix a été décerné intégralement et sans partage :
L’un, le prix Guizot, dont le montant est de trois mille francs, à M. Joseph Fabre, pour un livre intitulé : Le Mois de Jeanne d’Arc ;
L’autre, le prix Halphen, à un ouvrage en deux volumes intitulé : Un Petit-Neveu de Mazarin, Le duc de Nivernais par Lucien Perey.
« Ces deux ouvrages, disait dans son rapport l’aimable doyen de l’Académie, ont l’avantage de représenter la France dans ce qu’elle a de plus héroïque et de plus charmant. »
Si l’héroïque Bergère de Vaucouleurs n’occupe pas encore officiellement dans le Ciel la place due à son courage, à ses vertus et à son martyre, déjà sur la terre elle est comme sanctifiée, comme béatifiée par le plus fervent de ses nombreux panégyristes, par l’auteur de ce touchant Mois de Jeanne d’Arc, inspiré par le Mois de Marie, et, dont chaque jour rappelle un souvenir, un acte de la vie de son héroïne.
Depuis plus de douze ans. M. Joseph Fabre s’est voué à cette vierge, objet de son culte et de son adoration. Parlant pour elle, écrivant pour elle, voyageant pour elle, il a mérité qu’un bel esprit dit encore de lui : « C’était l’historien de Jeanne d’Arc, aujourd’hui c’est son canonisateur laïque. »
De son côté, dans la belle étude que Lucien Perey lui a consacrée, le duc de Nivernais, ce grand petit-neveu de Mazarin, nous apparaît comme l’image de ce qu’il y a eu de meilleur dans le XVIIIe siècle. Son esprit en a toutes les grâces ; son cœur en a toutes les délicatesses, toutes les grandeurs aussi, fières et chevaleresques. Plus philosophe qu’il ne veut en avoir l’air, il a, sinon prévu, pressenti du moins la révolution prochaine. Il l’avait devancée en abolissant de lui-même tous les droits féodaux dans son duché de Nivernais, et, quand elle éclate, sans la suivre et sans la fuir, n’émigrant ni aux dedans ni au dehors, il reste à son poste de bon Français, à Paris, dans son vieil hôtel de la rue de Tournon. Là, sa porte est toujours ouverte, sa bourse aussi : toujours calme et digne, grand seigneur toujours devant ses pires ennemis, il s’en fait respecter à force de vertu.
Lucien Perey a tracé de lui un portrait exquis, aussi charmant que son modèle.
Si chacun de ces prix a pu être attribué dans son entier à un seul ouvrage, il n’en a pas été de même pour les deux autres concours : Marcellin Guérin et Bordin.
Sur les trois mille francs montant de cette dernière fondation, l’Académie décerne trois prix de mille francs chacun, aux trois ouvrages suivants :
Louis XIV et le Saint-Siège, l’Ambassade du duc de Créqui (1662-1665), par M. le comte de Moüy, ancien ambassadeur de France à Rome, qui, mieux que personne, à l’aide de documents mis en œuvre avec autant d’esprit que d’art et d’érudition, pouvait nous faire pénétrer ainsi dans la vie intime des deux cours rivales et dans les longues querelles du grand roi avec le pape Alexandre VII.
Paul Rabaut, ses lettres à Antoine Court (1739-1755) ; ses lettres à divers (1744-1794).
En publiant cette correspondance doublement curieuse, M. Charles Bordier l’a encadrée habilement dans une préface instructive, élégante et enrichie de notes personnelles qui en complètent l’intérêt et le charme.
Le Rhône, histoire d’un fleuve, par M. Charles Lenthéric, ingénieur en chef des ponts et chaussées ; œuvre sérieuse d’un savant, œuvre aimable d’un écrivain dont les premiers travaux ont mérité déjà tes encouragements de l’Académie et obtenu ses récompenses.
Les cinq mille francs montant de la fondation Marcelin Guérin sont partagés ainsi qu’il suit :
1° Deux prix de quinze cents francs :
L’un à M. Paul Decharmes, professeur à la Faculté des Lettres de Paris, pour un ouvrage intitulé : Euripide et l’Esprit de son théâtre, livre excellent dans lequel sont élucidées toutes les questions posées par la critique moderne sur le théâtre d’Euripide.
Se plaçant avec modestie sous l’autorité d’une mémoire qui nous est chère, « l’œuvre de M. Patin n’a pas vieilli, dit M. Decharmes ses délicates analyses ne sont pas à refaire ; ses jugements ont conservé leur fraîcheur. »
Sans refaire les délicates analyses de son maître, sans réformer ses jugements, et sans prétendre nous révéler un Euripide inconnu, le jeune auteur complète celui que nous connaissons déjà, et nous le fait mieux voir, de plus près, à la lumière des documents précieux découverts ou reconstitués par la science et l’art, par la numismatique et l’épigraphie.
L’autre prix de quinze cents francs est attribué à M. Gabriel Séailles, maitre de conférences à la Faculté des Lettres de Paris, pour une très ingénieuse étude sur Léonard de Vinci, l’artiste et le savant, par un savant et un artiste.
2° Deux prix, de mille francs chacun, l’un à M. Charles Gidel, proviseur du lycée Condorcet, pour son intéressante et savante Histoire de la littérature française depuis ses origines jusqu’à l’époque contemporaine ;
L’autre à M. Victor Fournel, pour la piquante et très agréable étude qu’avec sa grande compétence il a publiée sur la Comédie, dans un volume intitulé : Le Théâtre au XVIIe siècle.
Au-dessous de ces divers ouvrages, parmi les concurrents aux prix Guizot, Halphen et Marcelin Guérin, l’Académie avait distingué encore un intéressant volume sur la Russie, par M. E. Guénin, une savante étude sur Montaigne, par M. Paul Bonnefon, et surtout un livre intitulé : Souvenirs d’un Président d’assises, les Crimes passionnants : leurs causes et leurs remèdes, par M. Bérard des Glajeux.
Plus important en réalité qu’il ne l’est en apparence, ce petit volume est le fruit des études morales faites pendant sa longue carrière par un magistrat sagace et lettré qu’on ne saurait trop louer de l’énergie avec laquelle il combat les théories de la suggestion, les trouvant destructives de la dignité humaine, comme de la sécurité sociale.
L’Académie lui décerne une mention honorable.
Elle avait enfin remarqué tout particulièrement un ouvrage en trois volumes intitulé : Mémoires et Souvenirs du baron Hyde de Neuville, cet ancien ministre de la Restauration qui, suivant l’expression de Lamartine, « personnifiait l’honneur, la religion et la fidélité monarchique ». Bien que soumis régulièrement à l’examen de l’Académie, ce très intéressant recueil poussait la discrétion jusqu’à se refuser à ses récompenses.
Voulant au moins témoigner de sa grande estime pour l’ouvrage comme pour l’auteur, l’Académie a décidé qu’une médaille d’or, spécialement frappée à cette intention, serait offerte de sa part à la petite-nièce du baron Hyde de Neuville. Mme la vicomtesse de Bardonnet m’accuserait de trahison si j’ajoutais que la publication de ces précieux documents, longtemps épars et rassemblés par elle, est uniquement due à ses soins éclairés, à sa pieuse collaboration qui n’aspire qu’à rester clans l’ombre.
Le plus grand éloge qu’on puisse faire d’une traduction, c’est de dire qu’elle reproduit fidèlement la lettre et l’esprit de l’œuvre traduite, et rien n’y manque si l’on peut ajouter que le style en est correct, la langue élégante et claire.
Ce compliment peut s’adresser avec justice à chacune des traductions entre lesquelles l’Académie a partagé le prix Langlois et le prix Jules Janin :
Sur la somme de quinze cents francs, montant de la fondation Langlois, un prix de mille francs est décerné à la traduction des Œuvres de lord Byron, par Daniel Lesueur.
Un prix de cinq cents francs est attribué à M. J. Dupuis pour sa traduction du livre de Théon de Smyrne, philosophe platonicien.
Sur les trois mille francs, montant de la fondation Jules Janin, l’Académie décerne :
1° Un prix de deux mille francs à MM. Émile et Raoul Pessonneaux, pour leur traduction des Œuvres de Cicéron ;
2° Deux prix de cinq cents francs, l’un, à M. Justin Bellanger, pour sa traduction de la Guerre des Gaules.
L’autre à M. H. Ferté, pour les traductions suivantes : Programme et règlements des études de la Société de Jésus, — De la manière d’apprendre et d’enseigner, par le R.P. Joseph Jouvency. — L’Élève de rhétorique (Société de Jésus au XVIIIe siècle).
L’Académie avait à disposer cette année pour la première fois d’un nouveau prix de deux mille francs, fondé en sa faveur et en faveur de deux autres académies, par Mme veuve Kastner née Boursault. Conformément aux intentions de la donatrice, le sujet du premier concours Kastner-Boursault a été : un travail littéraire relatif à Boursault le poète, à ses œuvres, et principalement à sa comédie d’« Ésope à la cour ».
Deux manuscrits out mérité une attention particulière ; l’un portant le n° 4, avec cette épigraphe : Ce fut un nouvelliste et un moraliste au théâtre ; l’autre, inscrit sous le n° 6, avant pour épigraphe : Animae quales neque candidiores terra tulit. (HORAGE.)
Au premier, qui contient une étude un peu longue mais très approfondie et pleine d’aperçus ingénieux, l’Académie décerne le prix de deux mille francs. M. Joseph Hermann en est l’auteur.
Elle accorde une mention honorable au second (n° 6), dont fauteur. M. Auguste Devaux, a finement apprécié sous ses diverses faces le talent un peu oublié du spirituel auteur de ce Mercure galant qui, plus heureux qu’Ésope, a gardé sa place au théâtre français parmi les anciens de la maison.
Parmi les nouveaux, s’est placé en première ligne, pendant le cours de l’année 1892, le grand drame en vers de M. Jean Richepin : Par le glaive. Entièrement d’accord avec le suffrage universel du monde des lettres, qui s’est prononcé avant elle, l’Académie décerne à M. Jean Richepin le prix de quatre mille francs fondé par M. Toirac.
Un reliquat d’intérêts provenant de la même fondation ayant rendu disponible une somme de mille francs, l’Académie a cru devoir l’appliquer à des ouvrages touchant à l’art dramatique. Elle décerne en conséquence deux prix de cinq cents francs chacun à l’archiviste érudit du Théâtre-Français, M. Georges Monval, pour sa publication des Lettres d’Adrienne Lecouvreur, et à M. Soubies, pour son dernier volume de l’Almanach des spectacles, non moins intéressant que tous les autres.
La somme de trois mille francs, montant annuel de la fondation Monbinne, est partagée, par portions égales, entre trois écrivains distingués : M. de Lauzières de Thémines, l’infatigable travailleur ; M. Frédéric Béchard, plus jeune que lui mais moins heureux, terrassé par la maladie, et M. Charles Simond, directeur et rédacteur principal d’une publication populaire, contenant de piquantes notices sur Les grands Écrivains de toutes les littératures, jointes à d’importants extraits de leur œuvres.
Deux mots encore, je vous prie, avant de nous arrêter un moment, à notre dernière station, devant le grand concours littéraire et moral dont M. de Montyon fut le généreux fondateur.
Ayant pour objet spécial l’étude des mœurs actuelles, le concours de Jouy semblerait par cela même ouvrir moins vertueusement sa porte à des œuvres d’un autre ordre, plus libres dans leurs allures. Les deux volumes que l’Académie couronne n’ont pas cherché là le succès, qu’ils ont trouvé justement ailleurs.
Rien de plus actuel et de plus innocent à la fois que l’histoire de cette jolie Américaine, un peu fin de siècle sans doute et d’humeur presque aventureuse, mais en somme vraiment honnête, qu’on a surnommée Zibeline, à cause de l’immense fortune gagnée, dit-on, par son père dans le commerce des fourrures. Elle veut épouser, elle épousera au dénouement, un beau général, jeune encore, qui, après avoir mal commencé, a bien fini, ayant noblement regagné en honneur sous le drapeau français tout ce qu’il avait perdu en argent dans les grands tripots à la mode. C’est là que le père de Zibeline l’avait ruiné autrefois. Zibeline aujourd’hui lui rend plus que la richesse, elle y ajoute le bonheur : l’amour a tout réparé. En bon soldat-gentilhomme qu’il est, M. Philippe de Massa a traité, dans cette charmante étude, les questions d’honneur et de sentiment avec autant d’élévation que d’esprit, de délicatesse et de goût.
L’Académie lui décerne un prix de mille francs sur la fondation de Jouy.
Les cinq cents francs restant disponibles sont attribués à un touchant volume intitulé : Le Roman d’un timide, par M. P. Vigné d’Octon. C’est l’histoire d’un cas de conscience étrange et maladif, sombre histoire très bien étudiée et écrite en très bon style.
En prenant une généreuse initiative, qui honore sa mémoire, M. de Montyon n’a pas seulement fait une bonne action, il a donné un bon exemple. Sans le secours des fondations qui ne se lassent pas de venir compléter son œuvre, il faudrait chaque année réduire encore, de plus en plus, le chiffre déjà trop restreint de nos récompenses, dont l’honneur du moins ne diminue pas.
Sur la somme de dix-neuf mille francs dont elle pouvait disposer d’abord au nom de M. de Montyon, l’Académie décerne vingt-deux prix : deux de quinze cents francs, douze de mille francs et huit de cinq cents.
Vingt-deux prix, Messieurs, dont j’aimerais à vous parler en détail ; mais quelle tâche ce serait pour vous de m’entendre louer, à peu près dans les mêmes termes, chacun de ces vingt-deux ouvrages. Ce n’est pas une phrase, c’est une page qu’il faudrait consacrer à la savante étude que M. Alfred Rébelliau a bravement intitulée : Bossuet historien du protestantisme, et dans laquelle, remettant à sa juste place l’Histoire des variations, il la venge à la fois des adversaires du grand chrétien, qui l’avaient attaqué si violemment, et de ses partisans, qui l’avaient si mollement défendu. M. Rébelliau a fait là un bon livre et une bonne œuvre.
C’est une page aussi, une page d’éloges que mériteraient les cinq gros volumes de Nouvelle Géographie moderne, dont M. de Varigny vient d’enrichir le domaine de la science, instruisant et charmant ses lecteurs, éveillant leur curiosité, leur donnant le désir d’en apprendre encore davantage et, comme on disait autrefois, joignant l’agréable à l’utile.
À chacun de ces deux ouvrages l’Académie décerne un premier prix de quinze cents francs.
Et maintenant, Messieurs, croyez-moi : pour les mieux apprécier vous-mêmes, lisez avec confiance les douze ouvrages de tout genre auxquels sont décernés douze prix de mille francs chacun.
Vous aimez les voyages, mais la saison en est passée ; en voici de charmants, tous bons à faire au coin de son feu : avec M. Gaston Deschamps vous serez heureux de visiter la Grèce d’aujourd’hui, qu’il a très bien vue et qu’il vous fera très bien voir. Cela fait, M. René Bazin que vous aimez comme nous, vous arrêtera au passage pour vous promener à travers la Sicile et vous faire admirer des Croquis italiens esquissés de main de maître ; à son tour, M. Émile Chabrand vous conduira sans fatigue pour vous, que dis-je ? avec un grand plaisir, de Barcelonnette au Mexique, du Mexique à Barcelonnette.
Après ces voyages sérieux, intéressants et instructifs, ne craignez pas d’en faire un quatrième, amusant au possible, qu’un touriste de beaucoup d’esprit, M. Eugène Mouton, a fait en rêve, sans quitter Paris, et dont il a publié le curieux récit sous ce titre fantaisiste, un peu long, mais plein de promesses qu’il a tenues : Aventures et mésaventures de Joël Kerbabu, Breton de Landernau en Bretagne, dans ses voyages en Portugal, aux Indes orientales, en Arabie, en Éthiopie, en Chine, au Japon, au Tonkin et en France !
Aux amis de l’histoire et à ceux que préoccupent les graves questions d’intérêt politique et social, je signale un savant ouvrage, trop savant pour nous peut-être : l’Arbitrage international, par M. Ferdinand Dreyfus, et un excellent travail technique, écrit surtout pour l’armée, bon à lire par tout le monde, la Campagne de 1814, par M. le commandant Weil.
Quand vous aurez lu ces livres-là, Messieurs, lisez tous les autres, je vous le répète ; lisez une étude originale, émouvante autant qu’instructive, tenant de l’histoire et du roman, de la comédie et du drame : Les Aventures de la princesse Soundari, par Mme Mary Summer, et cinq romans enfin plus charmants les uns que les autres : Josette, œuvre et fine que Mme la baronne Double a écrite avec la meilleure plume d’Étincelle ; le Journal de Mlle de Sommers, douloureuse histoire d’un cœur, écrite avec émotion, sous la dictée de son héroïne, par M. Charles de Berkeley ; Mon Chevalier, par Gabriel Franay, heureux auteur déjà du Château des Airelles ; le Crucifié de Kéralies, par M. Charles Le Goffic et l’Héritage de Marie Noël, par M. Louis Mainard. Méfiez-vous de ces livres-là : ils font pleurer.
Les huit prix de cinq cents francs chacun que je vous ai annoncés sont décernés aux huit ouvrages suivants :
La Bible dans Racine, par M. l’abbé Delfour, étude approfondie, minutieuse, dont le premier mérite est de nous faire pénétrer plus avant dans le génie et le cœur de l’auteur immortel d’Esther et d’Athalie.
Gallia, par M. Camille Jullian, petit livre qui répond à une grande pensée. Voulant que notre histoire soit connue, comprise, aimée dans toutes ses parties, l’auteur a atteint son but en mettant en pleine lumière une période assez obscure de notre vie nationale.
Deux recueils de fables en vers, joignant avec bonheur la grâce de la forme à l’honnêteté du fond, les sages conseils à méditer, aux beaux exemples bons à suivre ;
Pour les petits, par un jeune savant lettré, M. Charles Richet, dont le nom nous rappelle à tous la mémoire honorée d’un de nos grands confrères de l’Académie des Sciences ;
Les Fables de l’école et de la jeunesse, par un jeune poète voué à l’enseignement public, M. Frédéric Bataille, qui a doublement ainsi le droit de s’adresser à la jeunesse et à l’école.
Enfin quatre ouvrages d’imagination, ayant tout ce qu’il faut, les uns pour plaire à l’esprit, les autres pour toucher les cœurs :
Une Perfection, par M. A. Verley, œuvre aimable et charmante, dont l’auteur m’est un peu suspect. Dans son style, comme dans les sentiments qu’il exprime, se trouvent réunies toutes les grâces délicates qui d’ordinaire sont plutôt l’apanage des femmes. Je me trompe sans doute, mais je crois qu’elle nous a trompés ;
Les Étapes du cirque Zoulof, fantaisie piquante racontée par M. Frédéric Dillaye, avec beaucoup de verve et de bonne humeur ;
Chez les bêtes, spirituelle étude d’histoire naturelle, par M. A. Couteaux ;
Et Adieu, Jean ! dramatique histoire d’amour et d’honneur dont la lecture est à la fois pénible, émouvante et saine.
Outre ces vingt-deux ouvrages, l’Académie en avait distingué plusieurs dont je dois au moins vous citer les titres et vous nommer les auteurs : Sylvain, par M. Tartière, inspecteur primaire de Saintes ; Frère l’âne par M. E. Coz ; Raffet et Charlet, par F. Lhomme ; Jeux et travaux enfantins, par Mlle Koenig et M. A. Durand ; Simples histoires de jeunes filles, par Mme de Gentelles.
Un nouveau prix, le prix Saintour, fondé, lui aussi, en faveur des meilleurs livres, ayant mis à notre disposition une somme de mille francs, l’Académie la partage par moitié entre les deux ouvrages suivants :
Maisons d’hommes célèbres, très intéressant volume d’histoire universelle qui nous fait visiter chez eux les plus grands hommes de tous les pays et de tous les temps depuis Diogène dans son tonneau légendaire, jusqu’à l’Empereur Napoléon dans son nid d’aigle d’Ajaccio.
Le jeune auteur de ce livre. M. André Saglio, ne doit qu’à lui cette récompense bien méritée : comment le nommer pourtant sans ajouter que, petit-fils d’Édouard Charton, il vous rappelle à tous un excellent confrère et à moi l’un des plus chers amis de mon enfance ?
Soldats de France, actions héroïques, par M. Gaston de Raimes, œuvre éminemment patriotique, sorte de Panthéon élevé par l’auteur à de glorieuses mémoires dont la France est justement fière.
Le prix Lambert enfin est partagé, dans les proportions suivantes, entre trois écrivains dignes à tous égards de récompense et d’encouragement :
Un prix de six cents francs à M. Robert, Vallier, auteur d’un charmant volume intitulé : Guillemette ;
Deux prix de cinq cents francs à M. Pierre Maël pour l’un de ses meilleurs ouvrages, intitulé : Sauveteur, et à M. Théodore Véron pour l’ensemble des travaux littéraires auxquels sa vie s’est consacrée.
Je n’oublie pas le concours Jules Favre : tout à l’heure, Messieurs, quand je vous en aurai rendu compte, pareil au vieillard de La Fontaine pleurant les trois jeunes hommes qui croyaient si bien lui survivre, j’aurai à remplir un de ces pénibles devoirs que la mort trop souvent m’impose. Ma tâche alors sera remplie, et je serai heureux de céder enfin la parole au jeune Directeur de l’Académie, à l’aimable poète que je me reproche de vous avoir fait si longtemps attendre.
Sur la somme de treize cents francs, montant actuel de la fondation Jules Favre, un prix de huit cents francs est décerné à un curieux travail historique intitulé : Un chapitre de l’histoire d’un grand homme : les Femmes du Taciturne, par Mme Camus-Buffet.
Ce grand homme, c’est Guillaume d’Orange. Dans les quatre femmes que, successivement, il épousa par ambition, sans jamais consulter son cœur, l’auteur nous montre les instruments de sa puissance, les victimes de son patriotisme. Comme homme, à coup sûr, le Taciturne perd plus qu’il ne gagne à cette histoire de sa vie, à cette analyse de ses sentiments intimes ; mais, comme prince, la grandeur de son dessein politique en reçoit une lumière nouvelle : on sent que, pour affranchir son pays, rien ne lui a coûté son âme sombre s’étant vouée à l’accomplissement d’une si noble tâche sans réserve, sans scrupule et sans remords.
Dans le même concours, à côté de ces récits tragiques dont l’intérêt est saisissant, l’Académie avait distingué un petit recueil de vers et une grande collection de romans qui, dans des conditions contraires, avaient droit à sa sympathie :
Le petit recueil de vers, d’un tour aimable et d’un sentiment élevé, est intitulé : Neiges d’avril ; Mme François Casale en est l’auteur.
Une mention honorable lui est accordée.
La grande collection de romans, la voici :
Plusieurs fois déjà, Messieurs, l’Académie avait eu l’occasion de récompenser des livres de haute et saine morale composés par Mme Colomb pour l’éducation de la jeunesse ; j’ai failli dire : pour son édification.
Deux nouveaux volumes venaient de paraître, et Mme Colomb se disposait à les soumettre, comme les autres, au jugement de l’Académie, quand, son heure étant venue, son œuvre étant achevée, la digne femme s’est tranquillement éteinte au milieu de sa famille en pleurs.
Par décision de l’Académie, une médaille d’or de cinq cents francs, remise aux enfants de Colomb, consacrera le souvenir respecté de l’auteur, et sera, pour l’ensemble de ses œuvres, un nouveau témoignage de l’estime qui leur est due.
Cette rare faveur d’une fin calme et douce ne fut pas, hélas ! accordée au jeune et brillant écrivain qu’une mort cruelle vient d’enlever aux lettres françaises, dont il était déjà la parure et l’orgueil. Ce que nous attendions tous de lui, il se le promettait à lui-même. « J’ai encore là dans mon cerveau quelques bons mauvais livres qui ne demandent qu’à en sortir, disait-il un jour devant moi à l’un de ses plus illustres amis : pour les faire, je veux rester libre de tout engagement, de tout devoir et de tout honneur. J’espère bien, ajoutait-il poliment, entrer un jour à l’Académie, mais plus tard ; l’Académie me condamnerait à la vertu ; c’est trop tôt ; j’ai le temps d’attendre. » Et il riait ! Il n’avait pas le temps d’attendre !
Jamais la mort ne s’est montrée plus injuste qu’en foudroyant coup sur coup, à deux reprises, ce fier Gaulois, si bon Français, en qui nous admirions toutes les grâces d’un talent, dont l’audace n’est pas Oubliée. Il avait le droit d’oser tout, ayant l’art de tout ennoblir par la rare magie de son style, par l’élégante pureté de son irréprochable langage.
Comme au-dessus de toutes les entraves, il s’était placé au-dessus de toutes les récompenses. En lui décernant, à son insu, peu de jours avant sa mort, le plus beau de ses prix, ce prix Vitet, fondé dans l’intérêt des Lettres et, pour leur honneur, l’Académie, en deuil d’une espérance, a voulu du moins déposer sa dernière couronne sur la tombe de la Jeunesse, où Guy de Maupassant repose.