Rapport sur les concours de l'année 1894

Le 22 novembre 1894

Camille DOUCET

INSTITUT DE FRANCE.

ACADÉMIE FRANÇAISE

SÉANCE PUBLIQUE ANNUELLE

DU JEUDI 22 NOVEMBRE 1894

RAPPORT SUR LES CONCOURS DE L’ANNÉE 1894

DE

M. CAMILLE DOUCET

SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

 

 

MESSIEURS,

On ne lit plus George Sand, disait-on volontiers à notre cher et brillant confrère M. Caro, alors que, sans se décourager, il y a de cela huit ans, il travaillait à glorifier de main de maître, dans une aimable et savante étude, cette femme de génie dont, après un demi-siècle d’admiration constante, s’éloignait la mode infidèle.

« Soit ! répondait-il bravement, on ne lit plus George Sand ; mais, ne fût-ce que pour l’honneur de la langue française, on reviendra, nous le croyons, sinon à toute l’œuvre, du moins à une partie de cette œuvre, épurée par le temps, triée avec soin par le goût public, supérieure aux vicissitudes et aux caprices de l’opinion. »

M. Caro avait raison : le temps a fait son travail ; le goût public a fait son choix ; ce qu’on lit encore de Mme Sand, ce qu’on devra toujours en lire, l’a placée définitivement, avec justice, parmi les grands écrivains dont la plume honora la France.

Le moment semblait venu dès lors pour l’Académie de rendre à son tour hommage à une glorieuse mémoire, en mettant, au concours, pour le prix d’éloquence, l’éloge de Mme Sand, ou plutôt une étude sur l’ensemble de ses travaux. Elle n’hésita pas à le faire, tout en se demandant encore s’il n’était pas trop tôt, ou trop tard, pour provoquer à son sujet un de ces examens qui quelquefois ont leur danger.

Cette double crainte, il faut le reconnaître, fut, en effet, quelque peu justifiée par le résultat du concours : presque tous les concurrents ayant fait une part trop minutieuse à des détails intimes que le programme ne prévoyait pas presque tous, ayant insuffisamment fait comprendre, insuffisamment compris peut-être eux-mêmes, le grand éclat des premiers romans de Mme Sand, les polémiques exaltées, les orageux enthousiasmes que partagea notre jeunesse, et dont. M. Caro rappelle si justement que chacun d’eux fut, à son tour, l’occasion ou le prétexte.

Sans qu’aucun des nombreux manuscrits présentés à ce concours répondît assez complètement à son attente pour que le prix lui fût intégralement décerné, l’Académie en distingua trois qui, par des qualités diverses, parurent dignes de prendre plus ou moins part à ses récompenses ils portaient les numéros 9, 19 et 33.

Au mérite secondaire de se renfermer loyalement dans les limites fixées par le programme officiel, le n° 19 en joignait d’autres, d’un ordre plus élevé, qui bientôt, après une dernière épreuve, le portèrent au premier rang.

Trop jeune sans doute, et je l’en félicite, pour avoir eu, comme M. Caro et comme moi, la bonne fortune de connaître Mme Sand, l’auteur du numéro 19 la juge peut-être plus sainement, mais plus froidement à coup sûr, que ne l’eussent fait, amis ou ennemis, les premiers témoins de ses luttes épiques dont la moindre avait l’importance d’un événement, le retentissement d’un triomphe. Plus de haine ci ; mais plus d’amour ; sans aucun parti pris, la critique, impartiale reste calme et sereine ; le langage, élégant et sobre, serait celui d’un magistrat, préoccupé surtout de rendre d’honnêtes jugements que nulle passion n’a dictés.

Rien ne ressemble moins au manuscrit n° 19 que le manuscrit n° 9 qui partagea longtemps avec lui l’attention sympathique de l’Académie ; qualités et défauts, tout diffère : tandis que le numéro 19 se renfermait soigneusement, vous le savez, dans les limites du programme, l’auteur du numéro 9, qui, mieux que personne pourtant, devait les connaître, se laissant entraîner au-delà des bornes, finit par s’égarer dans de vagues dissertations de morale et de philosophie. À la sage critique du premier, le second, dès le début, oppose un lyrisme d’admiration chaude et colorée qui plaît à nos souvenirs. Au fond, c’est l’œuvre distinguée d’un critique délicat qui, se bornant à juger l’écrivain, a pour la femme tout le respect qui lui est dû ; c’est, dans la forme, l’œuvre d’un poète que son enthousiasme emporte parfois, sans que sa justice ait à en souffrir.

Au-dessous de ces deux études, presque à côté d’elles, se place le manuscrit numéro 33, qui commence agréablement par un charmant portrait de celle que, fidèle biographe, il continuera de suivre pas à pas dans sa vie de travail, dans l’heureux développement de son génie et de sa gloire.

Après un examen approfondi de chacun de ces manuscrits, l’Académie statue à leur égard en partageant, dans les proportions suivantes, la somme de quatre mille francs affectée par l’État au concours d’éloquence :

Un premier prix de deux mille cinq cents francs est décerné à l’étude inscrite sous le numéro 19, dont l’auteur est M. Auguste Devaux, agrégé des lettres, demeurant au Catelet, département de l’Aisne.

Un deuxième prix, de quinze cents francs, est décerné à l’ouvrage inscrit sous le numéro 9, dont l’auteur est M. Michel Revon, à qui l’Académie décernait déjà, il y a deux ans, un prix de deux mille francs pour une savante étude sur Joseph de Maistre. J’avais donc raison de vous dire que, mieux que personne, il devait connaître ces justes bornes que jadis il avait respectées lui-même.

Professeur de droit aujourd’hui à l’Université impériale de Tokyo, notre jeune lauréat n’oublie au Japon ni l’Académie, ni la France. Son nouveau succès le rapproche de ses deux patries et lui sera doublement cher.

Une mention honorable est en outre accordée au travail portant le numéro 33 dont, plus jeune encore que les deux autres, l’auteur, M. Edmond Cramaussec, est élève à l’École normale supérieure de Paris.

Ce n’est pas tout ! Une dame-Vve Watin ayant fait, il y a près de deux ans, un legs de deux mille francs pour le lauréat du prochain concours d’éloquence, cette somme, aujourd’hui disponible, est attribuée à M. Auguste Devaux.

 

Moins heureux que Mme Sand, un des plus grands poètes du XVIe siècle, le plus grand peut-être, celui qui, de son vivant, avait le plus connu la gloire, celui que, dans sa tombe, quatre vers de Boileau avaient le plus cruellement condamné, Ronsard, Pierre de Ronsard, aura plus longtemps attendu qu’un hommage tardif honorât enfin sa mémoire. Il semblait oublié dans l’ombre, quand tout à coup par un reflux de la fortune, par un retour de cet heureux destin qu’il avait eu pour un temps, au dire de Boileau lui-même, nous l’avons vu replacé, par une brillante génération de poètes, à la tête de leur jeune et nouvelle école.

Déjà, Messieurs, en 1872, l’Académie, qui aime toutes les gloires, anciennes et nouvelles, chargeait l’auteur des iambes, Auguste Barbier, si digne de ce choix, d’aller saluer pour elle la statue qu’élevait alors à son grand poète la ville de Vendôme, doublement fière, après 300 ans, de l’avoir vu naître... et renaître.

Aujourd’hui, complétant son œuvre, l’Académie donne Ronsard comme sujet du prochain concours d’éloquence, dont le prix sera décerné en 1896.

 

Le jour même où, dans son amour pour la France, dont il voulait éclairer l’histoire, M. le baron Gobert, fonda le grand prix qui porte son nom et qui, tous les ans, l’honore, cette pensée lui vint à l’esprit que, parfois, l’Académie pourrait se trouver empêchée de remplir la mission qu’il lui confiait, faute d’ouvrages nouveaux dignes d’une si forte récompense. « Les ouvrages précédemment couronnés, dit-il alors, conserveront les prix annuels jusqu’à déclaration d’ouvrages meilleurs. » On ne saurait trop le remercier d’une disposition prudente dont Augustin Thierry — je pourrais vous en nommer d’autres — a bénéficié longtemps à si juste titre.

Cette année, Messieurs, deux concurrents seulement avaient pris part à ce concours : l’un d’eux, avec deux petits volumes continuant une œuvre, distinguée sans doute, mais encore incomplète, dont la première partie avait été déjà très justement, et très largement récompensée. Il est de ceux dont on ne se sépare que pour un jour, avec l’espoir que, dès le lendemain, on les retrouvera sur la brèche.

Sous certaines réserves que les juges les plus compétents ont dû faire à son égard, l’autre ouvrage, dont M. L. Wiesener est l’auteur, et qui a pour titre : Le Régent, l’abbé Dubois et les Anglais, d’après les sources britanniques, aurait eu toute chance d’obtenir le premier prix.

Le second prix du moins a été décerné avec beaucoup d’estime à ce savant travail, à cet excellent exposé d’une phase curieuse, et jusqu’ici assez mal jugée, de notre histoire diplomatique. Le rapprochement entre la France et l’Angleterre, opéré pendant la régence et dont le futur cardinal Dubois fut le principal agent, a été généralement représenté comme motivé uniquement par des considérations d’intérêt personnel, tant de la part du duc d’Orléans que de celle du roi George Ier d’Angleterre ; l’un ayant à défendre son droit éventuel à la couronne de France contre les prétentions de Philippe V, l’autre à se prémunir contre les attaques de l’héritier des Stuarts.

Un intérêt commun ne fut ni la seule ni même la principale cause de cette entente du Régent avec le Roi d’Angleterre. La renonciation de Philippe V au trône de France avait été la condition sine qua non du rétablissement de la paix générale au traité d’Utrecht, et tout ce qui, de près ou de loin, remettait en doute cette condition, menaçait l’Europe de nouveaux déchirements, et la France de nouvelles épreuves. En s’opposant aux vues ambitieuses du Roi d’Espagne, le Régent ne défendait donc pas seulement sa propre cause, il défendait surtout la foi du traité et la sécurité générale.

C’est à ce point de vue plus élevé et plus juste que se place M. Wiesener. Malheureusement, comme il nous en prévient lui-même par le titre de son livre, c’est à une source étrangère qu’il a puisé tous ses renseignements. S’il les eût consultées, les archives de la France lui auraient fourni, de leur côté, des documents précieux qui eussent donné encore plus de garantie à l’impartialité de ses jugements, et à l’ensemble de son œuvre, plus de vie et plus d’intérêt.

En décernant à ce beau livre le second prix Gobert, l’Académie se trouvait liée, pour le premier, par les termes de la fondation, et l’ouvrage précédemment couronné conservait de droit le prix dont une œuvre de qualité supérieure ne l’avait pas dépossédé.

Le grand prix Gobert, vous disais-je ici l’an dernier, l’Académie le décerne sans hésitation aux deux premiers volumes de l’excellent ouvrage qu’un jeune écrivain, déjà célèbre avant l’âge, le comte Albert Vandal, a publié sous ce double titre : Napoléon et Alexandre Ier ; l’Alliance russe sous le premier Empire. »

Après vous avoir lu un fragment du savant rapport fait à l’Académie sur ce très remarquable ouvrage, j’ajoutais alors, et c’est avec plaisir que je le répète aujourd’hui : « Vous le voyez, Messieurs, intègre historien, M. Albert Vandal est loué par-dessus tout d’avoir soumis les faits qu’il raconte à une sérieuse enquête personnelle, et ne s’être, en fin de compte, prononcé sur chacun d’eux que preuves en mains, à bon escient et en toute conscience ; il a, en outre, le grand mérite de joindre à la solidité du fond la grâce de la forme, le charme d’un style élégant, clair et coloré, qui a sa force et son éloquence. »

Voilà pourquoi M. Albert Vandal est, pour cette année, maintenu, avec honneur et avec justice, en possession du grand prix Gobert.

 

Si le prix Gobert est uniquement applicable à des études sur l’histoire de France, c’est au contraire à l’histoire générale, aux meilleurs travaux historiques en tout genre, qu’est largement ouvert le concours fondé par M. Thérouanne. Cette année, Messieurs, l’Académie s’est trouvée plus que jamais en présence d’ouvrages pleins de mérite, entre lesquels faire un juste choix semblait d’autant plus difficile que le genre et les procédés de composition de ces divers travaux étaient à peu près les mêmes, consistant pour la plupart, c’est assez la mode aujourd’hui, à traiter par le menu un point d’histoire locale ou familiale, avec force documents puisés à toutes les sources, dans les petites archives comme dans les grandes, et auxquels s’ajoute par surcroît quelque honnête anecdote, agréablement racontée, sans emphase, sans arrière-prétention littéraire ou phi­losophique. L’Académie n’a pas cru que ces qualités nouvelles fussent seules dignes de ses récompenses. La recherche des documents inédits et la découverte de particularités inconnues épuisent-elles, en effet, tout ce qu’on peut attendre de l’historien ? L’histoire ne doit-elle désormais sortir que de la poussière des archives ? Faut-il que l’étude des généralités cède la place aux monographies, et n’y a-t-il plus d’intérêt à embrasser dans une vue d’ensemble des faits déjà connus, à en présenter clans un tableau étendu la suite et l’enchaînement, et à compléter le mérite d’une composition de ce genre par cette élégance de la forme littéraire qui, même pour les travaux exacts où l’érudition domine, serait encore un charme de plus, une parure sérieuse dont il ne faut pas se priver.

Cette considération, Messieurs, a décidé l’Académie à placer au premier rang, pour une part importante du prix Thérouanne, un ouvrage dont le titre seul indique assez la nature : Histoire du commerce dans les deux mondes depuis les temps les plus reculés, par M. Octave Noël.

Un sujet aussi vaste ne demande pas que des recherches nouvelles conduisent à de nouvelles découvertes : plusieurs vies humaines ne suffiraient pas pour tout vérifier d’après les documents originaux. Il ne peut donc être question que d’une grande synthèse des faits déjà acquis à l’histoire générale ; travail utile, dont le mérite est de faire à chaque objet sa juste place et de dérouler la suite des progrès accumulés devant les yeux du lecteur, de manière à lui permettre d’en embrasser rapidement l’ensemble. M. Octave Noël s’est acquitté de cette tâche avec autant de talent que de compétence. Sur les relations commerciales des peuples de l’antiquité il a des vues d’une justesse originale, et, par une transition naturelle, dans un style élégant et clair, il les relie sans peine au grand développement commercial et colonial des temps modernes.

L’Académie décerne à cette intéressante et agréable histoire un prix de deux mille francs sur les quatre mille qui constituent la fondation Thérouanne.

Partageant ensuite les deux mille francs qui restent à sa disposition entre ceux des autres ouvrages qu’elle a particulièrement distingués, elle décerne :

I° Un prix de mille francs à l’Histoire de la réunion de la Navarre à la Castille, par M. P. Boissonade, œuvre austère d’un grand érudit ; savant et curieux travail, plein de renseignements authentiques recueillis aux meilleures sources avec la longue et intelligente patience d’un Bénédictin ;

2° Deux prix de cinq cents francs chacun.

L’un à M. le capitaine Choppin, pour un très bon travail d’ensemble sur la Cavalerie française ; instructive étude due à de consciencieuses recherches et qui sort entièrement du cadre dans lequel se renfermaient forcément les jeunes et savants officiers chargés de reconstituer les annales de chaque régiment : l’Académie, qui ne les oublie pas, les a réunis tous dans un même témoignage d’estime et de sympathie ;

L’autre de ces prix est attribué à M. l’abbé Paul Pisani pour un ouvrage sur la Dalmatie de 1797 à 1815. En publiant les documents nombreux recueillis par lui, avec autant de soin que de patience, dans les archives de Zara, de Laybach, de Trieste et de Raguse, M. l’abbé Pisani n’a pas seulement comblé une lacune de notre histoire nationale, il a tout à la fois fait œuvre d’historien et d’érudit.

L’Académie avait réservé en outre avec faveur deux ouvrages d’un vrai mérite que, faute de ressources, elle n’a pu récompenser comme elle eût aimé à le faire :

Le Chevalier de Vergennes : son ambassade à Constantinople, par M. L. Bonneville de Marsangy et Le prince Charles de Nassau-Siegen, d’après sa correspondance inédite, de 1784 à 1789, par M. le marquis d’Aragon.

Une mention honorable est accordée à chacun d’eux.

 

Longtemps, Messieurs, trop longtemps peut-être, je me suis attaché à faire, dans mon rapport annuel, une part aussi grande que possible à chacun de nos lauréats. Aujourd’hui, quand l’Académie, qui regrette toujours de partager ses récompenses, s’y voit de plus en plus forcée par la quantité et par la qualité des ouvrages qui font appel à sa justice, la suivre du même pas m’entraînerait trop loin, et vous approuverez qu’au besoin je me borne à proclamer devant vous, avec les noms de leurs auteurs, les titres des livres qu’elle couronne : ce choix, qui les honore, est pour eux le meilleur éloge.

 

Sur les trois mille francs, montant annuel de la fondation Bordin, l’Académie décerne un prix de mille francs et quatre de cinq cents francs chacun :

Le premier, à l’histoire de l’Éloquence romaine depuis la mort de Cicéron jusqu’à l’avènement de l’empereur Hadrien, par M. Victor Cucheval, ancien maître de conférences à la Faculté des lettres de Paris, professeur de rhétorique au lycée Condorcet ; excellent ouvrage, dont l’ensemble est clair et bien ordonné, dont les détails, choisis avec goût, sont reliés avec méthode dans un langage élégant et sobre.

Les quatre prix de cinq cents francs sont attribués aux ouvrages suivants :

Le Théâtre d’hier, études dramatiques, littéraires et sociales, par M. H. Parigot, professeur de rhétorique au lycée Janson-de-Sailly ; œuvre à la fois de haute et piquante critique, inspirée par un sentiment moral très vif et très élevé ;

Les Cahiers de Saint-Prix et la subdélégation d’Enghien en 1789, par M. Auguste Rey, maire de Saint-Prix ; curieuse et vivante histoire du mouvement des esprits dans les campagnes à la veille de la grande Révolution dont la petite commune de, Saint-Prix nous est présentée dans ce livre comme ayant été la réduction fidèle, dans les bons et les mauvais jours.

Le Salon de Mme Helvetius ; Cabanis et les Idéologues, par M. Antoine Guillois, chercheur tenace, habile et heureux, qui a su recueillir sur la célèbre Société d’Auteuil une grande quantité de faits inédits et curieux ; en les publiant, il a rectifié et détruit certaines erreurs accréditées jusqu’alors. Petit-fils du poète Roucher, auquel il a consacré déjà une pieuse et touchante étude, ce jeune écrivain est, à tous égards, digne d’encouragement, d’estime et de sympathie ;

Les Sources du roman de Renard, par M. Léopold Sudre, professeur au collège Stanislas.

Sur chacune des questions que soulève ce grand fabliau, le plus considérable et le plus intéressant de ceux que nous a légués le moyen âge, M. Sudre apporte une solu­tion claire, précise et souvent tout à fait nouvelle ; heureuse et savante contribution pour l’histoire littéraire de la France.

 

Sur les cinq mille francs de la fondation Marcelin Guérin, l’Académie décerne quatre prix de mille francs chacun aux quatre ouvrages suivants :

L’Art français au tems de Richelieu et de Mazarin, par M. Henri Lemonnier ;

Études sur la peinture et la critique de l’art dans l’antiquité, par M. Édouard Bertrand ;

L’Évolution intellectuelle et morale de l’enfant, par M. G. Compayré, recteur de l’Académie de Poitiers ;

Vie de saint François d’Assise, par M. Paul Sabatier,

Et deux prix, de cinq cents francs chacun, à deux savantes études :

L’une sur Robert Burns : la vie, les œuvres ; par M. A. Angellier, professeur de langue et littérature anglaises à la Faculté des lettres de Lille ;

L’autre sur les Corporations à Rome depuis la chute de l’Empire romain, par M. E. Rodocanachi.

Ce dernier ouvrage contient la monographie d’une centaine de corporations ouvrières romaines du moyen âge, dont les histoires particulières, précédées d’une histoire générale de l’organisation du travail à Rome, sont résumées avec une richesse de documents vraiment surprenante, avec une foule de détails sur la vie sociale de Rome, du XVe au XVIIe siècle, qui joignent à l’intérêt d’un traité d’économie politique, la portée et l’attrait d’une œuvre morale.

L’intéressant travail de M. Angellier n’a contre lui que sa trop grande richesse. Robert Burns est mort à 37 ans ; toutes ses poésies tiennent dans un petit volume assez mince : M. Angellier lui en consacre deux gros ; c’est beaucoup. Mais, en dehors de nombreuses descriptions, de paysages et de portraits qui ne se rattachent au sujet que par un fil, les actions et les sentiments du poète y sont étudiés avec le même soin minutieux, et c’est bien la physionomie de Robert Burns qui ressort de ces copieuses analyses. Les anglicismes de sa langue n’ont pas nui à M. Angellier auprès de la critique anglaise qui considère son étude comme définitive ; ils sont, pour nous, largement compensés par la chaleur de son style, d’une délicatesse bien française.

Revenons aux quatre ouvrages auxquels sont décernés des prix de mille francs :

Après avoir retracé le tableau général de l’Art français vers 1610, M. Henri Lemonnier recherche soigneusement quelles sont les influences qui concoururent à lui donner une direction nouvelle : influences littéraires et artistiques : influences nationales et étrangères. Passant ensuite en revue ses diverses manifestations, il s’applique particulièrement, c’est son but, à replacer l’art dans l’histoire, en les rattachant l’un à l’autre par un échange de bons offices dont tous deux à la fois profitent. Le style de M. Lemonnier, visant surtout à l’exactitude et à la précision, éveille, par sa simplicité même, le goût très vif des œuvres qu’il veut faire comprendre, sans vouloir autrement les faire admirer.

À côté du beau livre de M. Lemonnier se place honorablement la savante étude de M. Édouard Bertrand, habile reconstitution de ce qu’ont été la peinture et la critique d’art dans l’antiquité grecque et latine. À l’appui de ses impressions personnelles, M. Édouard Bertrand invoque avec modestie les jugements émis par les plus illustres amateurs d’Athènes et de Rome. Cicéron est du nombre, et le portrait qu’il en fait de main de maître, est d’une grâce charmante et d’une piquante originalité.

En même temps qu’il témoigne d’une sérieuse érudition, ce livre, écrit en bon style, révèle une distinction d’esprit peu commune, un goût délicat et sûr.

 

La psychologie enfantine a exercé en Allemagne la plume de Tiedemann et de Preyer, celle de Darwin en Angleterre. Pour écrire à son tour une étude sur l’Évolution intellectuelle et morale de l’Enfant, M. G. Compayré s’est naturellement aidé des travaux, de ses devanciers ; mais il en a approfondi et étendu le domaine par des observations fines et heureuses ; prenant l’enfant depuis le jour où ses yeux s’ouvrent à la lumière, et le suivant jusqu’à l’âge de quatre ans, il constate qu’à tout moment et au fond de toutes ses habitudes, se retrouve dans ce petit être le germe divin qui devient par la suite le germe de la personnalité elle-même et la première manifestation de la conscience morale. C’est une doctrine saine et élevée. Il la soutient avec une abondance de vues générales et d’observations de détail qui rend la lecture de son ouvrage aussi attrayante par l’ingénieuse variété de la forme que féconde par la solidité du fond.

L’Histoire de saint François d’Assise, par M. Paul Sabatier, est un livre d’érudition et de théologie dont la morale religieuse a déjà valu à son auteur les plus hauts témoignages d’estime et d’approbation. Pasteur protestant, mais protestant libéral, M. Sabatier est un dévot de saint François. Il sait pourquoi son action sur ceux qui le voyaient et l’entendaient a été irrésistible et miraculeuse ; il a saisi le sens de toutes les légendes ; il en connaît l’origine et le développement, et c’est avec beaucoup de grâce qu’il les raconte, en très bon style.

 

Deux autres prix, applicables à des ouvrages d’érudition, restaient encore à la disposition de l’Académie : le prix de traduction, fondé par M. Langlois, et le nouveau prix Saintour, dont le montant, pour cette année, est de deux mille francs.

Ce dernier prix est décerné à M. L. Charles Livet pour son Lexique comparé de la langue de Molière et des écrivains de son temps ; grand travail de science et de patience, longuement préparé, et mis en œuvre avec une rare compétence, par un érudit très lettré, par un homme d’esprit et de goût.

Disputé par de nombreux concurrents, le prix Langlois est partagé, par moitiés égales, entre M. C. Toutain pour une excellente traduction du beau livre de M. Helbig sur les Musées archéologiques de Rome, vivante histoire de l’art antique,

Et M. E. Riquiez pour une traduction, ou plutôt pour une habile et curieuse adaptation de la Marie Stuart de Schiller.

Une mention honorable est accordée, en outre, à M. A. Foucher, pour sa traduction savante d’un ouvrage intitulé : Le Boudha, sa vie, sa doctrine et sa communauté, dont M. H. Oldenberg est l’auteur.

 

Jamais le concours Montyon n’avait, autant que cette année, reçu de bons et honnêtes ouvrages dignes d’intérêt et d’estime. La Commission chargée de les juger en première instance avait commencé par en réserver près de cinquante. En appel, j’ose à peine le dire, l’Académie a fini par en retenir trente-six. La justice a voulu qu’il en fût ainsi; mais les dix-neuf mille francs montant du prix Montyon étaient loin de suffire à de si grandes largesses. Il a donc fallu, d’une part, diminuer le chiffre de chacune des récompenses et, de l’autre, emprunter aux fondations Botta, Lambert et Maillé-Latour-Landry des sommes dont l’Académie était libre de disposer pour le même objet.

Voilà pourquoi, Messieurs, quand j’aimerais à vous parler longuement de tant d’œuvres diverses, sérieuses ou légères, fruits de l’étude ou de l’imagination, dues à de charmants esprits et à de nobles cœurs, j’en suis réduit à les confondre toutes dans un seul et même éloge, en me bornant à vous les nommer, en vous conseillant surtout de les lire

Sur les dix-neuf mille francs de la fondation Montyon, l’Académie décerne aux ouvrages suivants douze prix de mille francs chacun et quatorze de cinq cents francs.

 

PRIX DE MILLE FRANCS :

En famille, par M. HECTOR MALOT ;

La Turquie et l’Hellénisme contemporain, par M. VICTOR BÉRARD ;

Pingot et Moi, par M. ART ROE ;

De Scribe à Ibsen, par M. RENÉ DOUMIC ;

Les Enfants de Grand-Pierre, par M. EUGÈNE MULLER ;

Thomas Corneille, par M. GUSTAVE REYNIER ;

Hassan le Janissaire (1516), par M. LÉON CAHUN ;

L’Anneau de César, par M. ALFRED RAMBAUD ;

Le Sage, par M. Eugène LINTILHAC ;

Joseph de Maistre, par M. F. DESCOSTES ;

Études et Portraits, par M. EDMOND BIRÉ ;

Chansons et Récits de mer, par M. YANN NIBOR.

 

PRIX DE CINQ CENTS FRANCS :

L’Âme d’un missionnaire, par M. l’abbé MONTEUUIS ;

La Marine royale en 1789, par M. MAURICE LOIR ;

Ximénès, par M. JEAN BERTHEROY ;

La Nation canadienne, par M. CHARLES GAILLY DE TAURINES ;

L’Effort, par M. HENRY BÉRENGER ;

Sans lendemain, par Mme la baronne C. DE BAULNY (YVES DE NOLY)

L’oncle Chambrun, par Mme MARGUERITE BÉLIN (JEAN ROLLAND) ;

Une jeune fille, par Mlle MARIANNE DAMAD ;

Louise et Louisette, par Mme MARIE MIALLIER ;

Le Saut du loup, par JULES ROLLAND ;

Au sortir du couvent, par M. CAT ;

Variétés littéraires et cætera, par M. CIT. MARELLE ;

Les Prisons du vieux Paris, par M. ALBERT LAURENT ;

Voyage en France, par M. ARDOUIN-DUMAZET.

 

SUR LES SEIZE CENTS FRANCS DU PRIX LAMBERT
UN PRIX DE SIX CENTS FRANCS À

Mes amis et moi, par M. ALBERT CIM ;

 

ET DEUX PRIX DE CINQ CENTS FRANCS À

Aux jardins, par M. GEORGES BEAUME ;

Anthologie féminine, par Mme DALQ.

 

SUR LES DOUZE CENTS FRANCS DU PRIX MAILLÉ-LATOUR-LANDRY
DEUX PRIX DE SIX CENTS FRANCS CHACUN À

M. GEORGES BASTARD, pour un volume intitulé : Charges héroïques, et Mme Vve de Monzie, pour un ouvrage sur Richelieu dont son mari était l’auteur.

 

PRIX BOTTA

Parmi les ouvrages présentés à ce concours, l’Académie avait distingué en première ligne la Collection des grands écrivains français, fondée en 1887 par M. J.-J. Jusserand, ministre plénipotentiaire et docteur ès lettres.

Cette importante publication ne rentrait pas entièrement dans les conditions du programme, mais elle méritait un témoignage particulier d’estime et de sympathie.

L’Académie le lui donne, en décernant une médaille d’honneur à son directeur, M. JUSSERAND, qui lui a consacré tous ses soins.

Elle décerne ensuite :

1e Un prix de mille francs à M. PAUL PERRET, pour un très intéressant roman historique intitulé : Manette André ;

2° Un prix de six cents francs à JACQUES NAUROUZE, auteur de plusieurs volumes intitulés : Les Bardeurs Carbansane, histoire d’une famille pendant cent ans ;

3° Trois prix, de cinq cents francs chacun, aux ouvrages suivants :

Six mois en Italie, par Mme MAGDELEINE PIDOUX ;

Cœur sceptique, par M. HENRI ARDEL ;

Sainte Agnès et son siècle, par Mme DE BELLOC.

 

Après la Prose, qui vient d’être largement récompensée, la Poésie et le Théâtre ont droit, à leur tour, de nous occuper un moment :

La Poésie est en deuil, comme l’Académie : la mort de notre excellent confrère M. Leconte de Lisle n’a pas seulement enlevé aux jeunes poètes un grand modèle ; tous ont perdu en lui un guide éclairé, un juge bienveillant, un protecteur et un ami.

Qu’ils se rassurent ! il leur en reste autour de nous.

Remplissant jusqu’au bout sa tâche, à laquelle il n’a pu survivre, Leconte de Lisle, cette année encore, prenait une part active à l’examen des volumes de vers présentés au concours Archon-Despérouses. C’est devant lui que j’aurais voulu pouvoir en proclamer le résultat.

Sur les quatre mille francs, montant annuel de cette fondation, l’Académie décerne deux prix de quinze cents francs chacun et un prix de mille francs :

Les deux premiers, à M. Pierre de Nolhac pour ses beaux Paysages de France et d’Italie, et à M. Auguste Dorchain pour un brillant recueil de poésies intitulé : Vers la Lumière ;

Le troisième, à M. Eugène Le Mouël, auteur d’un gracieux volume intitulé : Fleur de blé noir ; Missel d’amour.

Rarement les poètes sont en même temps des érudits : on ne le leur demande pas ; mais on peut leur savoir gré de réunir ces deux mérites, quand ils ne se nuisent pas l’un l’autre. C’est le cas de M. Pierre de Nolhac, que l’érudition a conduit à la poésie ; rappelant ainsi les humanistes du temps de la Renaissance, qui savaient allier en eux les qualités du philologue à celles de l’artiste. Le patriotisme l’a également inspiré, et la pièce intitulée Gergovie est l’une des plus remarquables par sa grande allure et son inspiration généreuse.

M. Auguste Dorchain et M. Eugène Le Mouël sont peut-être moins érudits que M. de Nolhac ; je dis peut‑être ; mais certainement ils ne sont pas moins poètes, et leurs œuvres charmantes continuent de se distinguer par une rare délicatesse de sentiment et une grâce d’exécution qui déjà les ont signalées aux encouragements d’abord, puis aux récompenses de l’Académie.

 

Comme le prix Archon-Despérouses, le prix Toirac semble surtout s’adresser aux poètes. Pour la troisième fois, ce prix, de quatre mille francs, fondé en faveur de la meilleure pièce nouvelle représentée, dans le cours de chaque exercice, sur le théâtre français, est décerné, pour l’année 1893, à un grand drame en vers : La Reine Juana, dont M. Alexandre Parodi est l’auteur.

 

Je n’ai plus, Messieurs, à vous entretenir que de deux prix qui ne sont pas l’objet d’un concours spécial et dont l’importance est considérable : le prix fondé par M. Vitet, et le prix Jean Reynaud, dont le montant annuel, de dix mille francs, est décerné tour à tour par chacune des cinq Académies.

J’aimerais à pouvoir céder entièrement la parole à notre aimable et vaillant doyen, qui, chargé cette année de faire un premier rapport sur ces deux fondations, nous a charmés, captivés, entraînés, par cette rare et jeune éloquence dont il a le secret dans son cœur.

Ami de M. Vitet, il nous a montré tout d’abord, dans le fondateur du prix qui porte ce nom, l’écrivain brillant, le musicien consommé, l’intègre et savant critique d’art ; tirant de là cette double conclusion que, pour entrer dans les vues de M. Vitet, l’Académie ne pouvait mieux faire que de partager son prix entre un critique d’art et un écrivain de la même école, et que, M. Vitet ayant surtout écrit dans la Revue des Deux Mondes, c’est à la Revue des Deux Mondes qu’à tous égards il serait bien qu’on les demandât l’un et l’autre.

La question de la musique passionne tout le monde ; non contente de remplacer le présent, la musique de l’avenir voudrait abolir le passé. C’est un danger qu’il fallait combattre. En publiant son traité de Physiologie musicale, M. Camille Bellaigue s’est jeté bravement dans la mêlée, avec autant de compétence que de conviction et de talent. Ancien lauréat du Conservatoire, et deux fois couronné lui-même, il sait ce dont il parle quand il juge une partition ; il connaît la musique, et il n’en fait pas : double avantage ! Après avoir donné à Wagner une belle place, mais sa place, il a osé dire que Mozart restait le Maître des Maîtres, que Rossini était un homme de génie et que les Huguenots étaient un chef-d’œuvre ; il a remis nos chères vieilles statues sur leur piédestal, sans ébranler en rien les nouvelles. S’il se montre juste et respectueux pour l’illustre auteur de Lohengrin, son admiration n’en éclate que plus pour l’aimable auteur de Mireille, pour l’auteur immortel de Faust !

Une part étant ainsi faite à la haute critique musicale, pour que la haute critique littéraire eût aussi la sienne, il a suffi que, sans avoir besoin d’en faire un plus grand éloge, le rapporteur prononçât le nom respecté d’une femme que son talent viril désignait d’avance au choix de l’Académie.

Le revenu variable de la fondation Vitet était, pour cette année, de cinq mille quatre cents francs : l’Académie, partageant cette somme avec une juste courtoisie, décerne à Mme Arvède Barine un prix de trois mille francs, et un prix de deux mille quatre cents francs à M. Camille Bellaigue.

 

Fondé en 1879, le prix Jean Reynaud devait, cette année-là même, être, pour la première fois, décerné par notre Académie, quand un jeune poète de vertu singulière, comme dirait Arsinoë, et surtout de vertu guerrière, adressa au Secrétaire perpétuel une lettre... que je vous demande la permission de vous lire ; il m’en voudra de l’avoir fait :

« Mon oncle, — je vous nommerai tout à l’heure cet oncle, en nommant aussi ce neveu, — mon oncle m’apprend que mon nom est mis en avant pour le prix Jean Reynaud : je suis, vous n’en pouvez pas douter, profondément sensible à la haute bienveillance que me témoignent ceux des membres de l’Académie qui ont bien voulu parler de moi et même parler pour moi; mais ces flatteuses sympathies ne sauraient faire que j’aie à cette récompense littéraire exceptionnelle les titres hors ligne qu’elle exige.

« Je sais par quel détour on était arrivé à proposer de couronner mes œuvres ; mais le Poète-Soldat ne se sent pas assez poète pour une pareille consécration, et il est trop soldat pour admettre que jamais aucun prix soit dû au patriotisme.

« Toul en déclinant résolument un trop grand honneur, je n’en reste pas moins très reconnaissant et aussi très fier d’une telle marque d’estime donnée par de tels hommes. » L’oncle, qui n’avait rien demandé, était notre cher Émile Augier.

Le neveu, qui refusait si dignement que l’on pensât même à lui, était l’auteur chevaleresque des Chants du soldat, des Refrains militaires, Marches et Sonneries, l’auteur applaudi de l’Hetman et de la Moabite : c’était M. Paul Déroulède.

Quinze ans, Messieurs, se sont écoulés depuis lors, et, le soldat emportant le poète, au risque de l’égarer quelquefois dans les combats orageux de la politique, M. Paul Déroulède, il faut le reconnaître, a plus bataillé que chanté ; jusqu’au jour où, se sacrifiant lui-même par honneur et par dignité, déposant son épée à la porte du Parlement, il partit sans se plaindre pour aller rejoindre sa Muse, toujours jeune et fidèle, qui l’attendait loin du bruit, près des blés, sous le hêtre heureux de Virgile.

C’est de là, Messieurs, que ne tarda pas à nous venir, sans nous rien demander toujours, ce septième et charmant petit volume dont notre éloquent rapporteur a dit avec tant de grâce : « Les Chants du Paysan et les Chants du Soldat sont absolument différents de sujets et d’inspiration : on les sent cependant partir de la même main, ou plutôt du même cœur. » C’est là, en effet, la double image de la vie de ce brave soldat de lettres, Français avant tout et partout, grand patriote en prose et en vers.

En avant ! s’écriait le soldat en 1875 :

En avant tant pis pour qui tombe !
La mort n’est rien, vive la tombe,
Quand le pays en sort vivant !
En avant !

C’est ainsi, soupire aujourd’hui le poète-laboureur :

C’est ainsi qu’éloigné des luttes politiques,
Au fond de l’Angoumois, j’ai fait ces vers rustiques ;
Et, paysan, vivant parmi les paysans,

INSTITUT DE FRANCE.

ACADÉMIE FRANÇAISE

SÉANCE PUBLIQUE ANNUELLE

DU JEUDI 22 NOVEMBRE 1894

RAPPORT SUR LES CONCOURS DE L’ANNÉE 1894

DE

M. CAMILLE DOUCET

SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

 

 

MESSIEURS,

On ne lit plus George Sand, disait-on volontiers à notre cher et brillant confrère M. Caro, alors que, sans se décourager, il y a de cela huit ans, il travaillait à glorifier de main de maître, dans une aimable et savante étude, cette femme de génie dont, après un demi-siècle d’admiration constante, s’éloignait la mode infidèle.

« Soit ! répondait-il bravement, on ne lit plus George Sand ; mais, ne fût-ce que pour l’honneur de la langue française, on reviendra, nous le croyons, sinon à toute l’œuvre, du moins à une partie de cette œuvre, épurée par le temps, triée avec soin par le goût public, supérieure aux vicissitudes et aux caprices de l’opinion. »

M. Caro avait raison : le temps a fait son travail ; le goût public a fait son choix ; ce qu’on lit encore de Mme Sand, ce qu’on devra toujours en lire, l’a placée définitivement, avec justice, parmi les grands écrivains dont la plume honora la France.

Le moment semblait venu dès lors pour l’Académie de rendre à son tour hommage à une glorieuse mémoire, en mettant, au concours, pour le prix d’éloquence, l’éloge de Mme Sand, ou plutôt une étude sur l’ensemble de ses travaux. Elle n’hésita pas à le faire, tout en se demandant encore s’il n’était pas trop tôt, ou trop tard, pour provoquer à son sujet un de ces examens qui quelquefois ont leur danger.

Cette double crainte, il faut le reconnaître, fut, en effet, quelque peu justifiée par le résultat du concours : presque tous les concurrents ayant fait une part trop minutieuse à des détails intimes que le programme ne prévoyait pas presque tous, ayant insuffisamment fait comprendre, insuffisamment compris peut-être eux-mêmes, le grand éclat des premiers romans de Mme Sand, les polémiques exaltées, les orageux enthousiasmes que partagea notre jeunesse, et dont. M. Caro rappelle si justement que chacun d’eux fut, à son tour, l’occasion ou le prétexte.

Sans qu’aucun des nombreux manuscrits présentés à ce concours répondît assez complètement à son attente pour que le prix lui fût intégralement décerné, l’Académie en distingua trois qui, par des qualités diverses, parurent dignes de prendre plus ou moins part à ses récompenses ils portaient les numéros 9, 19 et 33.

Au mérite secondaire de se renfermer loyalement dans les limites fixées par le programme officiel, le n° 19 en joignait d’autres, d’un ordre plus élevé, qui bientôt, après une dernière épreuve, le portèrent au premier rang.

Trop jeune sans doute, et je l’en félicite, pour avoir eu, comme M. Caro et comme moi, la bonne fortune de connaître Mme Sand, l’auteur du numéro 19 la juge peut-être plus sainement, mais plus froidement à coup sûr, que ne l’eussent fait, amis ou ennemis, les premiers témoins de ses luttes épiques dont la moindre avait l’importance d’un événement, le retentissement d’un triomphe. Plus de haine ci ; mais plus d’amour ; sans aucun parti pris, la critique, impartiale reste calme et sereine ; le langage, élégant et sobre, serait celui d’un magistrat, préoccupé surtout de rendre d’honnêtes jugements que nulle passion n’a dictés.

Rien ne ressemble moins au manuscrit n° 19 que le manuscrit n° 9 qui partagea longtemps avec lui l’attention sympathique de l’Académie ; qualités et défauts, tout diffère : tandis que le numéro 19 se renfermait soigneusement, vous le savez, dans les limites du programme, l’auteur du numéro 9, qui, mieux que personne pourtant, devait les connaître, se laissant entraîner au-delà des bornes, finit par s’égarer dans de vagues dissertations de morale et de philosophie. À la sage critique du premier, le second, dès le début, oppose un lyrisme d’admiration chaude et colorée qui plaît à nos souvenirs. Au fond, c’est l’œuvre distinguée d’un critique délicat qui, se bornant à juger l’écrivain, a pour la femme tout le respect qui lui est dû ; c’est, dans la forme, l’œuvre d’un poète que son enthousiasme emporte parfois, sans que sa justice ait à en souffrir.

Au-dessous de ces deux études, presque à côté d’elles, se place le manuscrit numéro 33, qui commence agréablement par un charmant portrait de celle que, fidèle biographe, il continuera de suivre pas à pas dans sa vie de travail, dans l’heureux développement de son génie et de sa gloire.

Après un examen approfondi de chacun de ces manuscrits, l’Académie statue à leur égard en partageant, dans les proportions suivantes, la somme de quatre mille francs affectée par l’État au concours d’éloquence :

Un premier prix de deux mille cinq cents francs est décerné à l’étude inscrite sous le numéro 19, dont l’auteur est M. Auguste Devaux, agrégé des lettres, demeurant au Catelet, département de l’Aisne.

Un deuxième prix, de quinze cents francs, est décerné à l’ouvrage inscrit sous le numéro 9, dont l’auteur est M. Michel Revon, à qui l’Académie décernait déjà, il y a deux ans, un prix de deux mille francs pour une savante étude sur Joseph de Maistre. J’avais donc raison de vous dire que, mieux que personne, il devait connaître ces justes bornes que jadis il avait respectées lui-même.

Professeur de droit aujourd’hui à l’Université impériale de Tokyo, notre jeune lauréat n’oublie au Japon ni l’Académie, ni la France. Son nouveau succès le rapproche de ses deux patries et lui sera doublement cher.

Une mention honorable est en outre accordée au travail portant le numéro 33 dont, plus jeune encore que les deux autres, l’auteur, M. Edmond Cramaussec, est élève à l’École normale supérieure de Paris.

Ce n’est pas tout ! Une dame-Vve Watin ayant fait, il y a près de deux ans, un legs de deux mille francs pour le lauréat du prochain concours d’éloquence, cette somme, aujourd’hui disponible, est attribuée à M. Auguste Devaux.

 

Moins heureux que Mme Sand, un des plus grands poètes du XVIe siècle, le plus grand peut-être, celui qui, de son vivant, avait le plus connu la gloire, celui que, dans sa tombe, quatre vers de Boileau avaient le plus cruellement condamné, Ronsard, Pierre de Ronsard, aura plus longtemps attendu qu’un hommage tardif honorât enfin sa mémoire. Il semblait oublié dans l’ombre, quand tout à coup par un reflux de la fortune, par un retour de cet heureux destin qu’il avait eu pour un temps, au dire de Boileau lui-même, nous l’avons vu replacé, par une brillante génération de poètes, à la tête de leur jeune et nouvelle école.

Déjà, Messieurs, en 1872, l’Académie, qui aime toutes les gloires, anciennes et nouvelles, chargeait l’auteur des iambes, Auguste Barbier, si digne de ce choix, d’aller saluer pour elle la statue qu’élevait alors à son grand poète la ville de Vendôme, doublement fière, après 300 ans, de l’avoir vu naître... et renaître.

Aujourd’hui, complétant son œuvre, l’Académie donne Ronsard comme sujet du prochain concours d’éloquence, dont le prix sera décerné en 1896.

 

Le jour même où, dans son amour pour la France, dont il voulait éclairer l’histoire, M. le baron Gobert, fonda le grand prix qui porte son nom et qui, tous les ans, l’honore, cette pensée lui vint à l’esprit que, parfois, l’Académie pourrait se trouver empêchée de remplir la mission qu’il lui confiait, faute d’ouvrages nouveaux dignes d’une si forte récompense. « Les ouvrages précédemment couronnés, dit-il alors, conserveront les prix annuels jusqu’à déclaration d’ouvrages meilleurs. » On ne saurait trop le remercier d’une disposition prudente dont Augustin Thierry — je pourrais vous en nommer d’autres — a bénéficié longtemps à si juste titre.

Cette année, Messieurs, deux concurrents seulement avaient pris part à ce concours : l’un d’eux, avec deux petits volumes continuant une œuvre, distinguée sans doute, mais encore incomplète, dont la première partie avait été déjà très justement, et très largement récompensée. Il est de ceux dont on ne se sépare que pour un jour, avec l’espoir que, dès le lendemain, on les retrouvera sur la brèche.

Sous certaines réserves que les juges les plus compétents ont dû faire à son égard, l’autre ouvrage, dont M. L. Wiesener est l’auteur, et qui a pour titre : Le Régent, l’abbé Dubois et les Anglais, d’après les sources britanniques, aurait eu toute chance d’obtenir le premier prix.

Le second prix du moins a été décerné avec beaucoup d’estime à ce savant travail, à cet excellent exposé d’une phase curieuse, et jusqu’ici assez mal jugée, de notre histoire diplomatique. Le rapprochement entre la France et l’Angleterre, opéré pendant la régence et dont le futur cardinal Dubois fut le principal agent, a été généralement représenté comme motivé uniquement par des considérations d’intérêt personnel, tant de la part du duc d’Orléans que de celle du roi George Ier d’Angleterre ; l’un ayant à défendre son droit éventuel à la couronne de France contre les prétentions de Philippe V, l’autre à se prémunir contre les attaques de l’héritier des Stuarts.

Un intérêt commun ne fut ni la seule ni même la principale cause de cette entente du Régent avec le Roi d’Angleterre. La renonciation de Philippe V au trône de France avait été la condition sine qua non du rétablissement de la paix générale au traité d’Utrecht, et tout ce qui, de près ou de loin, remettait en doute cette condition, menaçait l’Europe de nouveaux déchirements, et la France de nouvelles épreuves. En s’opposant aux vues ambitieuses du Roi d’Espagne, le Régent ne défendait donc pas seulement sa propre cause, il défendait surtout la foi du traité et la sécurité générale.

C’est à ce point de vue plus élevé et plus juste que se place M. Wiesener. Malheureusement, comme il nous en prévient lui-même par le titre de son livre, c’est à une source étrangère qu’il a puisé tous ses renseignements. S’il les eût consultées, les archives de la France lui auraient fourni, de leur côté, des documents précieux qui eussent donné encore plus de garantie à l’impartialité de ses jugements, et à l’ensemble de son œuvre, plus de vie et plus d’intérêt.

En décernant à ce beau livre le second prix Gobert, l’Académie se trouvait liée, pour le premier, par les termes de la fondation, et l’ouvrage précédemment couronné conservait de droit le prix dont une œuvre de qualité supérieure ne l’avait pas dépossédé.

Le grand prix Gobert, vous disais-je ici l’an dernier, l’Académie le décerne sans hésitation aux deux premiers volumes de l’excellent ouvrage qu’un jeune écrivain, déjà célèbre avant l’âge, le comte Albert Vandal, a publié sous ce double titre : Napoléon et Alexandre Ier ; l’Alliance russe sous le premier Empire. »

Après vous avoir lu un fragment du savant rapport fait à l’Académie sur ce très remarquable ouvrage, j’ajoutais alors, et c’est avec plaisir que je le répète aujourd’hui : « Vous le voyez, Messieurs, intègre historien, M. Albert Vandal est loué par-dessus tout d’avoir soumis les faits qu’il raconte à une sérieuse enquête personnelle, et ne s’être, en fin de compte, prononcé sur chacun d’eux que preuves en mains, à bon escient et en toute conscience ; il a, en outre, le grand mérite de joindre à la solidité du fond la grâce de la forme, le charme d’un style élégant, clair et coloré, qui a sa force et son éloquence. »

Voilà pourquoi M. Albert Vandal est, pour cette année, maintenu, avec honneur et avec justice, en possession du grand prix Gobert.

 

Si le prix Gobert est uniquement applicable à des études sur l’histoire de France, c’est au contraire à l’histoire générale, aux meilleurs travaux historiques en tout genre, qu’est largement ouvert le concours fondé par M. Thérouanne. Cette année, Messieurs, l’Académie s’est trouvée plus que jamais en présence d’ouvrages pleins de mérite, entre lesquels faire un juste choix semblait d’autant plus difficile que le genre et les procédés de composition de ces divers travaux étaient à peu près les mêmes, consistant pour la plupart, c’est assez la mode aujourd’hui, à traiter par le menu un point d’histoire locale ou familiale, avec force documents puisés à toutes les sources, dans les petites archives comme dans les grandes, et auxquels s’ajoute par surcroît quelque honnête anecdote, agréablement racontée, sans emphase, sans arrière-prétention littéraire ou phi­losophique. L’Académie n’a pas cru que ces qualités nouvelles fussent seules dignes de ses récompenses. La recherche des documents inédits et la découverte de particularités inconnues épuisent-elles, en effet, tout ce qu’on peut attendre de l’historien ? L’histoire ne doit-elle désormais sortir que de la poussière des archives ? Faut-il que l’étude des généralités cède la place aux monographies, et n’y a-t-il plus d’intérêt à embrasser dans une vue d’ensemble des faits déjà connus, à en présenter clans un tableau étendu la suite et l’enchaînement, et à compléter le mérite d’une composition de ce genre par cette élégance de la forme littéraire qui, même pour les travaux exacts où l’érudition domine, serait encore un charme de plus, une parure sérieuse dont il ne faut pas se priver.

Cette considération, Messieurs, a décidé l’Académie à placer au premier rang, pour une part importante du prix Thérouanne, un ouvrage dont le titre seul indique assez la nature : Histoire du commerce dans les deux mondes depuis les temps les plus reculés, par M. Octave Noël.

Un sujet aussi vaste ne demande pas que des recherches nouvelles conduisent à de nouvelles découvertes : plusieurs vies humaines ne suffiraient pas pour tout vérifier d’après les documents originaux. Il ne peut donc être question que d’une grande synthèse des faits déjà acquis à l’histoire générale ; travail utile, dont le mérite est de faire à chaque objet sa juste place et de dérouler la suite des progrès accumulés devant les yeux du lecteur, de manière à lui permettre d’en embrasser rapidement l’ensemble. M. Octave Noël s’est acquitté de cette tâche avec autant de talent que de compétence. Sur les relations commerciales des peuples de l’antiquité il a des vues d’une justesse originale, et, par une transition naturelle, dans un style élégant et clair, il les relie sans peine au grand développement commercial et colonial des temps modernes.

L’Académie décerne à cette intéressante et agréable histoire un prix de deux mille francs sur les quatre mille qui constituent la fondation Thérouanne.

Partageant ensuite les deux mille francs qui restent à sa disposition entre ceux des autres ouvrages qu’elle a particulièrement distingués, elle décerne :

I° Un prix de mille francs à l’Histoire de la réunion de la Navarre à la Castille, par M. P. Boissonade, œuvre austère d’un grand érudit ; savant et curieux travail, plein de renseignements authentiques recueillis aux meilleures sources avec la longue et intelligente patience d’un Bénédictin ;

2° Deux prix de cinq cents francs chacun.

L’un à M. le capitaine Choppin, pour un très bon travail d’ensemble sur la Cavalerie française ; instructive étude due à de consciencieuses recherches et qui sort entièrement du cadre dans lequel se renfermaient forcément les jeunes et savants officiers chargés de reconstituer les annales de chaque régiment : l’Académie, qui ne les oublie pas, les a réunis tous dans un même témoignage d’estime et de sympathie ;

L’autre de ces prix est attribué à M. l’abbé Paul Pisani pour un ouvrage sur la Dalmatie de 1797 à 1815. En publiant les documents nombreux recueillis par lui, avec autant de soin que de patience, dans les archives de Zara, de Laybach, de Trieste et de Raguse, M. l’abbé Pisani n’a pas seulement comblé une lacune de notre histoire nationale, il a tout à la fois fait œuvre d’historien et d’érudit.

L’Académie avait réservé en outre avec faveur deux ouvrages d’un vrai mérite que, faute de ressources, elle n’a pu récompenser comme elle eût aimé à le faire :

Le Chevalier de Vergennes : son ambassade à Constantinople, par M. L. Bonneville de Marsangy et Le prince Charles de Nassau-Siegen, d’après sa correspondance inédite, de 1784 à 1789, par M. le marquis d’Aragon.

Une mention honorable est accordée à chacun d’eux.

 

Longtemps, Messieurs, trop longtemps peut-être, je me suis attaché à faire, dans mon rapport annuel, une part aussi grande que possible à chacun de nos lauréats. Aujourd’hui, quand l’Académie, qui regrette toujours de partager ses récompenses, s’y voit de plus en plus forcée par la quantité et par la qualité des ouvrages qui font appel à sa justice, la suivre du même pas m’entraînerait trop loin, et vous approuverez qu’au besoin je me borne à proclamer devant vous, avec les noms de leurs auteurs, les titres des livres qu’elle couronne : ce choix, qui les honore, est pour eux le meilleur éloge.

 

Sur les trois mille francs, montant annuel de la fondation Bordin, l’Académie décerne un prix de mille francs et quatre de cinq cents francs chacun :

Le premier, à l’histoire de l’Éloquence romaine depuis la mort de Cicéron jusqu’à l’avènement de l’empereur Hadrien, par M. Victor Cucheval, ancien maître de conférences à la Faculté des lettres de Paris, professeur de rhétorique au lycée Condorcet ; excellent ouvrage, dont l’ensemble est clair et bien ordonné, dont les détails, choisis avec goût, sont reliés avec méthode dans un langage élégant et sobre.

Les quatre prix de cinq cents francs sont attribués aux ouvrages suivants :

Le Théâtre d’hier, études dramatiques, littéraires et sociales, par M. H. Parigot, professeur de rhétorique au lycée Janson-de-Sailly ; œuvre à la fois de haute et piquante critique, inspirée par un sentiment moral très vif et très élevé ;

Les Cahiers de Saint-Prix et la subdélégation d’Enghien en 1789, par M. Auguste Rey, maire de Saint-Prix ; curieuse et vivante histoire du mouvement des esprits dans les campagnes à la veille de la grande Révolution dont la petite commune de, Saint-Prix nous est présentée dans ce livre comme ayant été la réduction fidèle, dans les bons et les mauvais jours.

Le Salon de Mme Helvetius ; Cabanis et les Idéologues, par M. Antoine Guillois, chercheur tenace, habile et heureux, qui a su recueillir sur la célèbre Société d’Auteuil une grande quantité de faits inédits et curieux ; en les publiant, il a rectifié et détruit certaines erreurs accréditées jusqu’alors. Petit-fils du poète Roucher, auquel il a consacré déjà une pieuse et touchante étude, ce jeune écrivain est, à tous égards, digne d’encouragement, d’estime et de sympathie ;

Les Sources du roman de Renard, par M. Léopold Sudre, professeur au collège Stanislas.

Sur chacune des questions que soulève ce grand fabliau, le plus considérable et le plus intéressant de ceux que nous a légués le moyen âge, M. Sudre apporte une solu­tion claire, précise et souvent tout à fait nouvelle ; heureuse et savante contribution pour l’histoire littéraire de la France.

 

Sur les cinq mille francs de la fondation Marcelin Guérin, l’Académie décerne quatre prix de mille francs chacun aux quatre ouvrages suivants :

L’Art français au tems de Richelieu et de Mazarin, par M. Henri Lemonnier ;

Études sur la peinture et la critique de l’art dans l’antiquité, par M. Édouard Bertrand ;

L’Évolution intellectuelle et morale de l’enfant, par M. G. Compayré, recteur de l’Académie de Poitiers ;

Vie de saint François d’Assise, par M. Paul Sabatier,

Et deux prix, de cinq cents francs chacun, à deux savantes études :

L’une sur Robert Burns : la vie, les œuvres ; par M. A. Angellier, professeur de langue et littérature anglaises à la Faculté des lettres de Lille ;

L’autre sur les Corporations à Rome depuis la chute de l’Empire romain, par M. E. Rodocanachi.

Ce dernier ouvrage contient la monographie d’une centaine de corporations ouvrières romaines du moyen âge, dont les histoires particulières, précédées d’une histoire générale de l’organisation du travail à Rome, sont résumées avec une richesse de documents vraiment surprenante, avec une foule de détails sur la vie sociale de Rome, du XVe au XVIIe siècle, qui joignent à l’intérêt d’un traité d’économie politique, la portée et l’attrait d’une œuvre morale.

L’intéressant travail de M. Angellier n’a contre lui que sa trop grande richesse. Robert Burns est mort à 37 ans ; toutes ses poésies tiennent dans un petit volume assez mince : M. Angellier lui en consacre deux gros ; c’est beaucoup. Mais, en dehors de nombreuses descriptions, de paysages et de portraits qui ne se rattachent au sujet que par un fil, les actions et les sentiments du poète y sont étudiés avec le même soin minutieux, et c’est bien la physionomie de Robert Burns qui ressort de ces copieuses analyses. Les anglicismes de sa langue n’ont pas nui à M. Angellier auprès de la critique anglaise qui considère son étude comme définitive ; ils sont, pour nous, largement compensés par la chaleur de son style, d’une délicatesse bien française.

Revenons aux quatre ouvrages auxquels sont décernés des prix de mille francs :

Après avoir retracé le tableau général de l’Art français vers 1610, M. Henri Lemonnier recherche soigneusement quelles sont les influences qui concoururent à lui donner une direction nouvelle : influences littéraires et artistiques : influences nationales et étrangères. Passant ensuite en revue ses diverses manifestations, il s’applique particulièrement, c’est son but, à replacer l’art dans l’histoire, en les rattachant l’un à l’autre par un échange de bons offices dont tous deux à la fois profitent. Le style de M. Lemonnier, visant surtout à l’exactitude et à la précision, éveille, par sa simplicité même, le goût très vif des œuvres qu’il veut faire comprendre, sans vouloir autrement les faire admirer.

À côté du beau livre de M. Lemonnier se place honorablement la savante étude de M. Édouard Bertrand, habile reconstitution de ce qu’ont été la peinture et la critique d’art dans l’antiquité grecque et latine. À l’appui de ses impressions personnelles, M. Édouard Bertrand invoque avec modestie les jugements émis par les plus illustres amateurs d’Athènes et de Rome. Cicéron est du nombre, et le portrait qu’il en fait de main de maître, est d’une grâce charmante et d’une piquante originalité.

En même temps qu’il témoigne d’une sérieuse érudition, ce livre, écrit en bon style, révèle une distinction d’esprit peu commune, un goût délicat et sûr.

 

La psychologie enfantine a exercé en Allemagne la plume de Tiedemann et de Preyer, celle de Darwin en Angleterre. Pour écrire à son tour une étude sur l’Évolution intellectuelle et morale de l’Enfant, M. G. Compayré s’est naturellement aidé des travaux, de ses devanciers ; mais il en a approfondi et étendu le domaine par des observations fines et heureuses ; prenant l’enfant depuis le jour où ses yeux s’ouvrent à la lumière, et le suivant jusqu’à l’âge de quatre ans, il constate qu’à tout moment et au fond de toutes ses habitudes, se retrouve dans ce petit être le germe divin qui devient par la suite le germe de la personnalité elle-même et la première manifestation de la conscience morale. C’est une doctrine saine et élevée. Il la soutient avec une abondance de vues générales et d’observations de détail qui rend la lecture de son ouvrage aussi attrayante par l’ingénieuse variété de la forme que féconde par la solidité du fond.

L’Histoire de saint François d’Assise, par M. Paul Sabatier, est un livre d’érudition et de théologie dont la morale religieuse a déjà valu à son auteur les plus hauts témoignages d’estime et d’approbation. Pasteur protestant, mais protestant libéral, M. Sabatier est un dévot de saint François. Il sait pourquoi son action sur ceux qui le voyaient et l’entendaient a été irrésistible et miraculeuse ; il a saisi le sens de toutes les légendes ; il en connaît l’origine et le développement, et c’est avec beaucoup de grâce qu’il les raconte, en très bon style.

 

Deux autres prix, applicables à des ouvrages d’érudition, restaient encore à la disposition de l’Académie : le prix de traduction, fondé par M. Langlois, et le nouveau prix Saintour, dont le montant, pour cette année, est de deux mille francs.

Ce dernier prix est décerné à M. L. Charles Livet pour son Lexique comparé de la langue de Molière et des écrivains de son temps ; grand travail de science et de patience, longuement préparé, et mis en œuvre avec une rare compétence, par un érudit très lettré, par un homme d’esprit et de goût.

Disputé par de nombreux concurrents, le prix Langlois est partagé, par moitiés égales, entre M. C. Toutain pour une excellente traduction du beau livre de M. Helbig sur les Musées archéologiques de Rome, vivante histoire de l’art antique,

Et M. E. Riquiez pour une traduction, ou plutôt pour une habile et curieuse adaptation de la Marie Stuart de Schiller.

Une mention honorable est accordée, en outre, à M. A. Foucher, pour sa traduction savante d’un ouvrage intitulé : Le Boudha, sa vie, sa doctrine et sa communauté, dont M. H. Oldenberg est l’auteur.

 

Jamais le concours Montyon n’avait, autant que cette année, reçu de bons et honnêtes ouvrages dignes d’intérêt et d’estime. La Commission chargée de les juger en première instance avait commencé par en réserver près de cinquante. En appel, j’ose à peine le dire, l’Académie a fini par en retenir trente-six. La justice a voulu qu’il en fût ainsi; mais les dix-neuf mille francs montant du prix Montyon étaient loin de suffire à de si grandes largesses. Il a donc fallu, d’une part, diminuer le chiffre de chacune des récompenses et, de l’autre, emprunter aux fondations Botta, Lambert et Maillé-Latour-Landry des sommes dont l’Académie était libre de disposer pour le même objet.

Voilà pourquoi, Messieurs, quand j’aimerais à vous parler longuement de tant d’œuvres diverses, sérieuses ou légères, fruits de l’étude ou de l’imagination, dues à de charmants esprits et à de nobles cœurs, j’en suis réduit à les confondre toutes dans un seul et même éloge, en me bornant à vous les nommer, en vous conseillant surtout de les lire

Sur les dix-neuf mille francs de la fondation Montyon, l’Académie décerne aux ouvrages suivants douze prix de mille francs chacun et quatorze de cinq cents francs.

 

PRIX DE MILLE FRANCS :

En famille, par M. HECTOR MALOT ;

La Turquie et l’Hellénisme contemporain, par M. VICTOR BÉRARD ;

Pingot et Moi, par M. ART ROE ;

De Scribe à Ibsen, par M. RENÉ DOUMIC ;

Les Enfants de Grand-Pierre, par M. EUGÈNE MULLER ;

Thomas Corneille, par M. GUSTAVE REYNIER ;

Hassan le Janissaire (1516), par M. LÉON CAHUN ;

L’Anneau de César, par M. ALFRED RAMBAUD ;

Le Sage, par M. Eugène LINTILHAC ;

Joseph de Maistre, par M. F. DESCOSTES ;

Études et Portraits, par M. EDMOND BIRÉ ;

Chansons et Récits de mer, par M. YANN NIBOR.

 

PRIX DE CINQ CENTS FRANCS :

L’Âme d’un missionnaire, par M. l’abbé MONTEUUIS ;

La Marine royale en 1789, par M. MAURICE LOIR ;

Ximénès, par M. JEAN BERTHEROY ;

La Nation canadienne, par M. CHARLES GAILLY DE TAURINES ;

L’Effort, par M. HENRY BÉRENGER ;

Sans lendemain, par Mme la baronne C. DE BAULNY (YVES DE NOLY)

L’oncle Chambrun, par Mme MARGUERITE BÉLIN (JEAN ROLLAND) ;

Une jeune fille, par Mlle MARIANNE DAMAD ;

Louise et Louisette, par Mme MARIE MIALLIER ;

Le Saut du loup, par JULES ROLLAND ;

Au sortir du couvent, par M. CAT ;

Variétés littéraires et cætera, par M. CIT. MARELLE ;

Les Prisons du vieux Paris, par M. ALBERT LAURENT ;

Voyage en France, par M. ARDOUIN-DUMAZET.

 

SUR LES SEIZE CENTS FRANCS DU PRIX LAMBERT
UN PRIX DE SIX CENTS FRANCS À

Mes amis et moi, par M. ALBERT CIM ;

 

ET DEUX PRIX DE CINQ CENTS FRANCS À

Aux jardins, par M. GEORGES BEAUME ;

Anthologie féminine, par Mme DALQ.

 

SUR LES DOUZE CENTS FRANCS DU PRIX MAILLÉ-LATOUR-LANDRY
DEUX PRIX DE SIX CENTS FRANCS CHACUN À

M. GEORGES BASTARD, pour un volume intitulé : Charges héroïques, et Mme Vve de Monzie, pour un ouvrage sur Richelieu dont son mari était l’auteur.

 

PRIX BOTTA

Parmi les ouvrages présentés à ce concours, l’Académie avait distingué en première ligne la Collection des grands écrivains français, fondée en 1887 par M. J.-J. Jusserand, ministre plénipotentiaire et docteur ès lettres.

Cette importante publication ne rentrait pas entièrement dans les conditions du programme, mais elle méritait un témoignage particulier d’estime et de sympathie.

L’Académie le lui donne, en décernant une médaille d’honneur à son directeur, M. JUSSERAND, qui lui a consacré tous ses soins.

Elle décerne ensuite :

1e Un prix de mille francs à M. PAUL PERRET, pour un très intéressant roman historique intitulé : Manette André ;

2° Un prix de six cents francs à JACQUES NAUROUZE, auteur de plusieurs volumes intitulés : Les Bardeurs Carbansane, histoire d’une famille pendant cent ans ;

3° Trois prix, de cinq cents francs chacun, aux ouvrages suivants :

Six mois en Italie, par Mme MAGDELEINE PIDOUX ;

Cœur sceptique, par M. HENRI ARDEL ;

Sainte Agnès et son siècle, par Mme DE BELLOC.

 

Après la Prose, qui vient d’être largement récompensée, la Poésie et le Théâtre ont droit, à leur tour, de nous occuper un moment :

La Poésie est en deuil, comme l’Académie : la mort de notre excellent confrère M. Leconte de Lisle n’a pas seulement enlevé aux jeunes poètes un grand modèle ; tous ont perdu en lui un guide éclairé, un juge bienveillant, un protecteur et un ami.

Qu’ils se rassurent ! il leur en reste autour de nous.

Remplissant jusqu’au bout sa tâche, à laquelle il n’a pu survivre, Leconte de Lisle, cette année encore, prenait une part active à l’examen des volumes de vers présentés au concours Archon-Despérouses. C’est devant lui que j’aurais voulu pouvoir en proclamer le résultat.

Sur les quatre mille francs, montant annuel de cette fondation, l’Académie décerne deux prix de quinze cents francs chacun et un prix de mille francs :

Les deux premiers, à M. Pierre de Nolhac pour ses beaux Paysages de France et d’Italie, et à M. Auguste Dorchain pour un brillant recueil de poésies intitulé : Vers la Lumière ;

Le troisième, à M. Eugène Le Mouël, auteur d’un gracieux volume intitulé : Fleur de blé noir ; Missel d’amour.

Rarement les poètes sont en même temps des érudits : on ne le leur demande pas ; mais on peut leur savoir gré de réunir ces deux mérites, quand ils ne se nuisent pas l’un l’autre. C’est le cas de M. Pierre de Nolhac, que l’érudition a conduit à la poésie ; rappelant ainsi les humanistes du temps de la Renaissance, qui savaient allier en eux les qualités du philologue à celles de l’artiste. Le patriotisme l’a également inspiré, et la pièce intitulée Gergovie est l’une des plus remarquables par sa grande allure et son inspiration généreuse.

M. Auguste Dorchain et M. Eugène Le Mouël sont peut-être moins érudits que M. de Nolhac ; je dis peut‑être ; mais certainement ils ne sont pas moins poètes, et leurs œuvres charmantes continuent de se distinguer par une rare délicatesse de sentiment et une grâce d’exécution qui déjà les ont signalées aux encouragements d’abord, puis aux récompenses de l’Académie.

 

Comme le prix Archon-Despérouses, le prix Toirac semble surtout s’adresser aux poètes. Pour la troisième fois, ce prix, de quatre mille francs, fondé en faveur de la meilleure pièce nouvelle représentée, dans le cours de chaque exercice, sur le théâtre français, est décerné, pour l’année 1893, à un grand drame en vers : La Reine Juana, dont M. Alexandre Parodi est l’auteur.

 

Je n’ai plus, Messieurs, à vous entretenir que de deux prix qui ne sont pas l’objet d’un concours spécial et dont l’importance est considérable : le prix fondé par M. Vitet, et le prix Jean Reynaud, dont le montant annuel, de dix mille francs, est décerné tour à tour par chacune des cinq Académies.

J’aimerais à pouvoir céder entièrement la parole à notre aimable et vaillant doyen, qui, chargé cette année de faire un premier rapport sur ces deux fondations, nous a charmés, captivés, entraînés, par cette rare et jeune éloquence dont il a le secret dans son cœur.

Ami de M. Vitet, il nous a montré tout d’abord, dans le fondateur du prix qui porte ce nom, l’écrivain brillant, le musicien consommé, l’intègre et savant critique d’art ; tirant de là cette double conclusion que, pour entrer dans les vues de M. Vitet, l’Académie ne pouvait mieux faire que de partager son prix entre un critique d’art et un écrivain de la même école, et que, M. Vitet ayant surtout écrit dans la Revue des Deux Mondes, c’est à la Revue des Deux Mondes qu’à tous égards il serait bien qu’on les demandât l’un et l’autre.

La question de la musique passionne tout le monde ; non contente de remplacer le présent, la musique de l’avenir voudrait abolir le passé. C’est un danger qu’il fallait combattre. En publiant son traité de Psychologie musicale, M. Camille Bellaigue s’est jeté bravement dans la mêlée, avec autant de compétence que de conviction et de talent. Ancien lauréat du Conservatoire, et deux fois couronné lui-même, il sait ce dont il parle quand il juge une partition ; il connaît la musique, et il n’en fait pas : double avantage ! Après avoir donné à Wagner une belle place, mais sa place, il a osé dire que Mozart restait le Maître des Maîtres, que Rossini était un homme de génie et que les Huguenots étaient un chef-d’œuvre ; il a remis nos chères vieilles statues sur leur piédestal, sans ébranler en rien les nouvelles. S’il se montre juste et respectueux pour l’illustre auteur de Lohengrin, son admiration n’en éclate que plus pour l’aimable auteur de Mireille, pour l’auteur immortel de Faust !

Une part étant ainsi faite à la haute critique musicale, pour que la haute critique littéraire eût aussi la sienne, il a suffi que, sans avoir besoin d’en faire un plus grand éloge, le rapporteur prononçât le nom respecté d’une femme que son talent viril désignait d’avance au choix de l’Académie.

Le revenu variable de la fondation Vitet était, pour cette année, de cinq mille quatre cents francs : l’Académie, partageant cette somme avec une juste courtoisie, décerne à Mme Arvède Barine un prix de trois mille francs, et un prix de deux mille quatre cents francs à M. Camille Bellaigue.

 

Fondé en 1879, le prix Jean Reynaud devait, cette année-là même, être, pour la première fois, décerné par notre Académie, quand un jeune poète de vertu singulière, comme dirait Arsinoë, et surtout de vertu guerrière, adressa au Secrétaire perpétuel une lettre... que je vous demande la permission de vous lire ; il m’en voudra de l’avoir fait :

« Mon oncle, — je vous nommerai tout à l’heure cet oncle, en nommant aussi ce neveu, — mon oncle m’apprend que mon nom est mis en avant pour le prix Jean Reynaud : je suis, vous n’en pouvez pas douter, profondément sensible à la haute bienveillance que me témoignent ceux des membres de l’Académie qui ont bien voulu parler de moi et même parler pour moi; mais ces flatteuses sympathies ne sauraient faire que j’aie à cette récompense littéraire exceptionnelle les titres hors ligne qu’elle exige.

« Je sais par quel détour on était arrivé à proposer de couronner mes œuvres ; mais le Poète-Soldat ne se sent pas assez poète pour une pareille consécration, et il est trop soldat pour admettre que jamais aucun prix soit dû au patriotisme.

« Toul en déclinant résolument un trop grand honneur, je n’en reste pas moins très reconnaissant et aussi très fier d’une telle marque d’estime donnée par de tels hommes. » L’oncle, qui n’avait rien demandé, était notre cher Émile Augier.

Le neveu, qui refusait si dignement que l’on pensât même à lui, était l’auteur chevaleresque des Chants du soldat, des Refrains militaires, Marches et Sonneries, l’auteur applaudi de l’Hetman et de la Moabite : c’était M. Paul Déroulède.

Quinze ans, Messieurs, se sont écoulés depuis lors, et, le soldat emportant le poète, au risque de l’égarer quelquefois dans les combats orageux de la politique, M. Paul Déroulède, il faut le reconnaître, a plus bataillé que chanté ; jusqu’au jour où, se sacrifiant lui-même par honneur et par dignité, déposant son épée à la porte du Parlement, il partit sans se plaindre pour aller rejoindre sa Muse, toujours jeune et fidèle, qui l’attendait loin du bruit, près des blés, sous le hêtre heureux de Virgile.

C’est de là, Messieurs, que ne tarda pas à nous venir, sans nous rien demander toujours, ce septième et charmant petit volume dont notre éloquent rapporteur a dit avec tant de grâce : « Les Chants du Paysan et les Chants du Soldat sont absolument différents de sujets et d’inspiration : on les sent cependant partir de la même main, ou plutôt du même cœur. » C’est là, en effet, la double image de la vie de ce brave soldat de lettres, Français avant tout et partout, grand patriote en prose et en vers.

En avant ! s’écriait le soldat en 1875 :

En avant tant pis pour qui tombe !
La mort n’est rien, vive la tombe,
Quand le pays en sort vivant !
En avant !

C’est ainsi, soupire aujourd’hui le poète-laboureur :

C’est ainsi qu’éloigné des luttes politiques,
Au fond de l’Angoumois, j’ai fait ces vers rustiques ;
Et, paysan, vivant parmi les paysans,
J’apaisais mes soucis à partager leurs peines,
Fermant l’oreille au bruit des insultes lointaines ?
Dont l’écho se perdait sous les cieux bienfaisants.

Ce n’est pas là son dernier mot : serviteur ardent de la France, il reste prêt à tout pour elle.

À ton premier appel prêt à prendre les armes,
Prêt, sur ton premier signe, à recevoir la mort !

En attendant, et en souhaitant pour tout le monde, que ce premier appel et ce premier signe ne viennent pas de sitôt arracher les poëtes aux heureux loisirs de la Paix, l’Académie décerne le prix Jean Reynaud à M. Paul Déroulède, qui n’a plus le droit de s’en croire indigne.

 

J’apaisais mes soucis à partager leurs peines,
Fermant l’oreille au bruit des insultes lointaines ?
Dont l’écho se perdait sous les cieux bienfaisants.

Ce n’est pas là son dernier mot : serviteur ardent de la France, il reste prêt à tout pour elle.

À ton premier appel prêt à prendre les armes,
Prêt, sur ton premier signe, à recevoir la mort !

En attendant, et en souhaitant pour tout le monde, que ce premier appel et ce premier signe ne viennent pas de sitôt arracher les poëtes aux heureux loisirs de la Paix, l’Académie décerne le prix Jean Reynaud à M. Paul Déroulède, qui n’a plus le droit de s’en croire indigne.