Réponse au discours de réception de Jean-Antoine de Mesme

Le 20 mars 1710

François de CALLIÈRES

RESPONSE DE MONSIEUR DE CALLIERES, alors Directeur de l’Académie, au Difcours prononcé par Monfieur le Préfident de Mefmes, le jour de fa reception.

 

MONSIEUR,

Nous avions befoin d’un fujet tel que vous pour réparer la perte que nous avons faite de M. le COMTE DE CRECY. Il s’eftoit rendu illuftre par les emplois qu’il a remplis avec autant de capacité, que de zele & de fuccez pour le fervice du Roy, & pour les avantages de cette Monarchie.

 

Les Traitez importants, qu’il a negociez & qu’il a conclus, font autant de monuments de fa gloire ; celuy de la TREVE DE RATISBONNE a fait connoiftre la force, l’eftenduë, & la dexterité de fon genie.

 

Les autres Traitez qu’il avoit faits auparavant, avoient eftabli la reputation de fon experience confommée dans ces matieres fi delicates & fi difficiles, & la part qu’il a euë dans les derniers Traitez de Paix conclus à Rifvvich en qualité de l’un des Ambaffadeurs extraordinaires & Plenipotentiaires du Roy, a couronné fes autres emplois, tant par l’elevation du caractere qu’il a fi bien fouftenu, que par la fage conduite qu’il y a fait paroiftre.

 

Les qualitez d’homme d’Eftat n’obfcurciffoient point en luy celles de l’homme de Lettres : elles fervoient au contraire à les mettre dans un plus beau jour, il avoit un gouft exquis pour tous les Ouvrages d’efprit, & il eftoit luy-mefme fort capable de les produire, lorfque fes autres occupations luy en laiffoient le loifir.

 

Il avoit une connoiffance parfaite de l’Hiftoire ancienne & moderne, & particulierement de ce qui regarde le droit public, les Traitez entre les Souverains, & leur differents interefts.

 

Ses Depefches eftoient pleines d’elegance, de jufteffe, d’ordre, de netteté & d’une precifion à ne dire que ce qu’il faut fur chaque fujet, & à n’y rien obmettre de tout ce qui peut eftre utile.

 

Ses jugements eftoient feurs, & folides dans les confequences qu’il tiroit de la fituation des affaires du caractere des efprits avec qui il avoit à negocier.

 

Il eftoit doux, complaifant, aimable dans la focieté ; ces qualitez, qui luy eftoient naturelles, luy ont efté fort utiles pour s’infinuer amicablement dans l’amitié, & dans la confiance des Princes, & des Miniftres avec qui il traitoit ; & il avoit le grand art de manier leurs efprits, & de concilier leurs interefts avec ceux dont il eftoit chargé.

 

Il eftoit plein d’onneur, & de verite, & il joignoit à un efprit cultivé, orné & efclairé, des mœurs fans reproche, une pieté fans fard, & des actions vertueufes fans oftentation.

 

Nous trouvons heureufement en vous. MONSIEUR, de quoy nous dedommager d’une fi grande perte, naiffance illuffre, rang elevé, amour des Lettres hereditaire dans voftre Maifon.

 

Elle s’eft fignalée non feulement dans les armes, dans les negociations, & dans les premiers emplois de la Magiftrature ; mais encore par la protection qu’elle a donnée aux Sciences & aux beaux Arts ; nous fçavons celle que HENRY & JEAN JACQUES DE MESMES donnerent aux Mufes de PASSERAT, alors fi celebre parmi les gens de Lettres ; & celle que le fameux, l’ingenieux VOITURE, l’un des premiers & des plus dignes membres de cette Académie, receut de l’illuftre Comte d’Avaux voftre grand oncle, Surintendant des Finances, & Pacificateur de l’Europe.

 

Nous nous reffouvenons avec plaifir que feu M. le Prefident de Mefmes, à qui vous devez le jour, a efté l’un de nos plus illuftres Académiciens, qu’il aimoit nos exercices, & qu’il les partageoit volontiers avec fes Confreres, lorfque fes emplois plus importants le luy pouvoient permettre.

 

Nous vous avons regardé par tous ces titres, comme ayant droit de luy fucceder, & de venir prendre place parmy nous ; mais nous avons encore efté plus excitez à vous y inviter par la connoiffance de vos lumieres, de voftre gouft, de voftre amour pour les belles Lettres, & de vos talents pour la parole, dont vous avez donné des preuves dans vos actions publiques, vous les avez confirmées, MONSIEUR, par l’éloquent Difcours que vous venez de prononcer.

 

C’eft fur ces qualitez perfonnelles, plus recommandables à cette Compagnie que celles, qui dependent du feul hazard de la naiffance, que l’Académie s’eft déterminée à vous élire d’un contentement unanime, pour luy aider à remplir le premier & le plus cher de fes devoirs, qui eft celuy de tranfmettre à la pofterité la plus reculée les actions glorieufes, & les vertus Héroïques de fon Augufte Protecteur.

 

Dans le deffein que nous avons de recueillir tout ce qui a rapport à fa gloire, nous efperons de tirer de grands fecours des lumieres que vous puifez journellement dans ce venerable Tribunal, qui a tousjours efté compofé d’hommes illustres par leur éloquence, par leur érudition, par leur fageffe, & par leur profonde capacité, & qui femblable au Sénat de l’ancienne Rome, a veu comme luy des teftes couronnées fousmettre à fes décifions leurs plus grands interefts.

 

Nous apprendrons de vous, MONSIEUR avec quelle équité, quelle Jufteffe le Roy fait fçavoir fes volontez à cette augufte Compagnie, lorfqu’il s’agit de maintenir les droits de fa Couronne dont il luy a confié le foin, & de faire exécuter fes fages Ordonnances pour affurer la vie, les biens, l’honneur & le repos de fes fujets, contre les attentats des mefchants, & contre les noirs artifices de la chichanne, monftre qui n’eft guere moins terrible que le duël & l’herefie, dont l’augufte LOUIS a purgé tous fes Eftats.

 

L’union eftroite que l’Académie vient de contracter avec vous, l’engage à s’intereffer particulierement à la gloire que vous acquérez chaque jour à la tefte du ce fage Parlement, lorfque vous prononcez fes juftes Arrefts, & à celle que vous y adjoufterez, lorfqu’eftant à noftre tefte, vous y ferez la peinture de noftre MONARQUE, & que vous le reprefenterez moins orné de toutes les marques extérieures, qui accompagnent la puiffance fouveraine, que de fes grandes qualitez perfonnelles, qui le doivent faire regarder comme l’objet de l’eftude des Rois, de l’amour des fujets, & de la veneration de tous les hommes.