Discours prononcé le 12. Decembre 1675 par Mr. ROSE lorſqu’il fut reçû à la place de Mr. Conrart.
MESSIEURS,
Vos Loix (que j’obſerveray toute ma vie) me ſeroient bien favorables, ſi elles obligeoient au ſilence les nouveaux Académiciens pendant les premieres années de leur réception en cette illuſtre Compagnie.
Je pourrois par mon aſſiduité à vos doctes Conférences, eſperer d’acquérir une partie des talens qui me manquent pour entreprendre de parler devant les Arbitres ſouverains du bien-dire, l’élite des plus rares Eſprits du ſiecle, conſommez dans les ſciences & en tout genre d’érudition.
Mais puisque l’autorité des mêmes Loix, ou la coûtume qui n’eſt pas moins forte, ne me permet pas de me taire en entrant comme Citoyen dans cette ſçavante République, je demande premierement à Dieu la grâce de pouvoir reſiſter aux flateuſes attaques de l’amour propre dans l’état ſurprenant où m’éleve la place dont vous m’honorez.
J’avouë qu’à moins d’un tel ſecours j’aurois peine à me reconnoître, me trouvant ſi ſoudainement tranſporté en un rang qui m’égale en quelque ſorte, [1]à ce qu’il y a de plus ſublime dans l’Egliſe, dans la Nobleſſe, dans la Cour même, & dans les plus celebres profeſſions de la vie civile.
Je ſens que la modeſtie s’égare, quand je ſonge que mon nom vivra dans les mêmes faſtes où vous avez conſacré le nom immortel D’ARMAND Du PLESSIS DE RICHELIEU ; ce grand Cardinal qui ſous les auſpices d’un Roy toujours victorieux forma vôtre premier établiſſement de la même main dont il venoit de relever les autels que l’hereſie avoir abattus, & d’abattre les remparts que la rébellion avoit élevez.
[2]Digne Chancelier de France, qui ſuccedâtes à ſes tendreſſes pour le Corps dont j’ay l’honneur d’être reçû membre aujourd’huy, pardonnez-moy ſi je reſſerre en ce peu de paroles l’obligation que je contracte en cette nouvelle qualité de celebrer votre memoire.
L’ordre des temps me ſollicite de tourner les yeux vers un objet qui s’empare de toutes les facultez de mon âme. [3]Un Monarque d’origine ſans feconde à qui l’envie même n’oſe conteſter huit cens ans de Royauté tranſmiſe du ciel à ſa perſonne ſacrée, par les ſeuls Mâles, d’une ſeule race, tous légitimes ſans exception.
Un Monarque, dis-je, formé par les grâces, orné de toutes les vertus dignes d’un Prince, couronné de mille lauriers cueillis de ſa propre main, & qui (pour ne point répéter icy tout ce que vous avez dit de luy ſi noblement dans vos ouvrages) a déja rempli le monde d’une ſi haute admiration de ſa valeur & de ſes lumieres, qu’on le voit à la fleur de ſon âge conduire à la guerre les plus grands Capitaines, & employer dans ſes conſeils les plus ſages Politiques, ſans que leur réputation puiſſe faire ombre à ſa gloire.
Enfin Louis XIV. nôtre Auguſte Protecteur, le meilleur de tous les Maîtres, comme le premier de tous les Rois ; qui m’ayant comblé de ſes bienfaits, autoriſe encore vos ſuffrages à m’adopter dans une famille qu’il a comme adoptée luy-même, & pour arres de ſon amour paternel logée dans ſon propre Palais, aprés l’avoir reçue & traitée publiquement en Souveraine.
C’eſt icy, MESSIEURS, je le confeſſe que je ſuccomberois aux aſſauts de la préſomption ; mais l’aſſiſtance que j’ay implorée an commencement de ce Diſcours vient heureuſement me défendre.
Elle m’avertit que la bonté avec laquelle il plaît au Roy de me ſouffrir auprès de luy, & peut-être le genereux ſouvenir[4] qui vous reſte de quelque témoignage ſuperflu de ma bonne volonté, ont eu beaucoup plus de part que ma propre conſideration, au précieux don que vous me faites.
Elle me jette même dans une confuſion qui n’eſt que trop juſte, d’occuper la place d’un Illuſtre Mort[5], dont la perte vous ſera tous les jours, plus ſenſible per la comparaiſon de mes défauts & de ſes excellentes qualitez.
Mais ſi une paſſion extrême pour la gloire du nom de ſa Majeſté, un ardent amour pour les lettres, un zele tout particulier pour la perfection de nôtre Langue, un reſpect inviolable pour toute la Compagnie, & une éternelle reconnoiſſance de la faveur de vos ſuffrages peuvent tenir lieu de mérite, j’eſpere, MESSIEURS, que vôtre choix ne vous ſera jamais rougir.
[1] Cardinaux, Ducs & pairs, Minitres d’Etat, Maîtres des Requetes, &c.
[2] Pierre Seguier fecond Protecteur de l’Académie.
[3] Robert le Fort de qui le Roy defcend en ligne mafculine légitime, eut deux fils facrez & couronnez Rois de France ; Eudes en l’an 888. & Robert grand pere de Hugues Capet, en l’an 922.
[4] J’eus le bonheur d’eftre employé par l’Académie auprès du Key en l’an 1667. afin qu’il plut à fa Majefté de l’admettre à luy rendre fes refpects en corps, comme les autres Compagnies Souveraines au retour de fes Campagnes, & dans les occafions folemnelles ; ce qui luy fût accordé.
[5] Monfieur Conrart ancien Académicien de la premiere inftitution, Secrétaire perpetuel de l’Academie, d’un tres-rare merite.