Réception de Charles Perrault
Discours prononcé le 23. Novembre 1671 par Mr. PERRAULT, lorſqu’il fut reçû à la place de Mr. l’Évêque de Léon.
MESSIEURS,
QUAND je conſidere l’honneur que je reçois d’entrer dans cette illuſtre Compagnie, & qu’en même temps je penſe combien je merite peu cette grace, je ne ſçay laquelle eſt plus grande en moy ou de la joye que j’en reſſens, ou de la confuſion que j’en ay. Auſſi, MESSIEURS, ay-je douté long-temps ſi je ne ſerois pas mieux de ne pas rechercher un avantage, qui en demande tant d’autres que je n’ay point. Mais j’ay crû que ſi je n’excelle pas dans la profeſſion des belles Lettres, la paſſion extraordinaire que j’ay pour elles me tiendroit lieu de quelque merite, & pourroit me ſuffire elle ſeule pour être reçû parmy vous, de même qu’il ſuffit pour être Philoſophe d’avoir l’amour de la ſageſſe. Ce qui pourroit encore juſtifier ma hardieſſe & vôtre choix tout enſemble, c’eſt que du moins je me puis vanter de bien connoître le prix de la grace que vous me faites. Je ſçay que j’entre en ſocieté avec les plus éloquens, les plus ingenieux, & les plus ſçavans hommes de nôtre ſiecle, que le ſeul amour des Lettres a unis enſemble, & que le ſeul merite a diſtingué des autres. Je ſçay que vous êtes les veritables diſpenſateurs de la gloire, établis pour donner à la vertu la plus belle recompenſe qu’elle puiſſe recevoir hors d’elle-même, & pour immortaliſer les actions des Heros, pendant que celles de tous les autres hommes tombent dans les tenebres éternelles de l’oubli ; car, MESSIEURS, je ſuis perſuadé que la poſterité éloignée reparlera que de vous, ou de ceux dont vous aurez parlé. Quand le Cardinal de Richelieu, cet homme dont on peut dire que la paſſion dominante étoit de faire éclater la grandeur de ſon Maître, & celle de ſa Patrie ; quand, dis-je, ce grand Perſonnage jetta les fondemens de cette Compagnie, peu de gens virent comme luy le merite de l’action qu’il faiſoit. On la regarda comme une marque de ſon amour pour les belles Lettres ; on le loua, peut-être, d’avoir trouvé le temps d’y penſer parmy ſes importantes occupations, & l’on admira que ce grand Genie, chargé de tant d’affaires, & occupé à mettre l’ordre dans toutes les parties du Roiaume, étendît encore ſes ſoins à ce qui regarde la beauté du diſcours & l’arrangement des paroles. Mais il avoit toute une autre penſée de l’établiſſement de cette Compagnie, & il le regarda ſans doute non ſeulement comme une choſe tres-glorieuſe en elle-même, mais comme celle de ſes actions qui conſerveroit la gloire de toutes les autres. Il ſçavoit que les louanges de la Cour & les acclamations du peuple ne laiſſent aucune trace qui demeure après elles, & que la Renommée ſe tait avec autant de ſoin des grands évenemens, quand une fois ils ſont paſſez, qu’elle prend de peine à les publier & à en faire du bruit au moment qu’ils arrivent. Il jugea donc que les ſeuls ouvrages de l’eſprit étant immortels, il falloit élever & former des Ouvriers capables d’en faire d’excellens, qui portaſſent dans les ſiecles à venir la gloire de ſon Prince, & la memoire des ſervices qu’il luy rendoit ; & parce que le temps altere toutes choſes, il ſouhaita par un effet de ſa prudence, que la Compagnie s’occupât ſans relâche à polir nôtre Langue, à la fixer autant qu’il ſe pourroit, pour empêcher de vieillir les Ouvrages qui ſeroient faits de ſon temps, & ôter aux ſiecles ſuivans tout moyen de leur nuire, par l’impuiſſance de porter la pureté du langage à une plus haute perfection. Il eſt donc vray que ce grand Perſonnage regarda l’établiſſement de cette Compagnie comme une choſe tres-importante. C’eſt dans cette penſée que Monſeigneur le Chancelier, le véritable Neſtor de nôtre ſiecle, moins encore par ſon âge que par ſon éloquence toute puiſſante & ſa prudence conſommée, veut quelquefois être preſent à vos Conférences, & donne avec joye à la direction de ce Corps une partie des ſoins qu’il employe ſi utilement au bien de tout l’Etat. C’eſt dans cette même vûë que les hommes de la premiere dignité & de la plus haute élévation ont ambitionné d’être vos Confreres, & ont crû que la qualité d’académicien ajoûteroit quelque nouvel éclat aux glorieux titres dont ils ſont revétus. Et certainement, MESSIEURS, s’il y a quelque choſe dans le Regne paſſé qui puiſſe être envié par le Regne preſent, où rien ne s’obmet de ce qui peut faire fleurir les belles connoiſſances & les beaux Arts, où la libéralité du Prince ſe répand ſur tous les gens de Lettres qui donnent quelque marque d’une ſuffiſance extraordinaire, où nous voyons s’élever l’Illuſtre Académie des Sciences, en laquelle l’Astronomie, la Geometrie & la Phyſique ne trouvent rien ni dans les cieux, ni ſur la terre qui échape à leur connoiſſance ; où d’autres Académies encore nous forment des Apelles, des Phidias & des Vitruves ; s’il y avoit, dis-je, quelque choſe que le Regne preſent pût envier au Regne paſſé, ce ſeroit l’etabliſſement de cette Illuſtre Compagnie. Mais on ne pouvoit commencer trop tôt à polir & à perfectionner une Langue qui apparemment doit être un jour celle de toute l’Europe, & peut-être de tout le monde ; ſurtout d’une Langue qui doit parler de Louis XIV. On ne pouvoit trop tôt former des Orateurs, des Poëtes, & des Historiens pour celebrer ſes grandes actions. En effet, MESSIEURS, quelque riches que ſoient les talens que chacun de vous poſſede, i1 y a de quoy les employer tous, il y a de quoy les épuiſer ; car quels ſujets de Poëme ſa valeur & ſes exploits militaires ne fourniront-ils point à tous les Poëtes, qui ſans le ſecours de la fable & de la fiction y trouveront l’héroïque & le merveilleux. Quelle moiſſon de louanges ne rencontreront point les Orateurs dans les autres vertus de ce Prince, dont le ſimple récit formera des Eloges & des Panegyriques ? Quel amas d’évenemens mémorables & de faits éclatans pour ceux qui prendront ſoin de l’Hiſtoire ? Quelle doit être la force de leur ſtile pour répondre à la dignité de leur matiere, & de quel art n’auront-ils pas beſoin pour accorder la vray-semblanſe avec la vérité, & faire croire au ſiecle à venir ce que nous avons de la peine à concevoir, quoyque nous le voyions. En effet, MESSIEURS, quand ce grand Prince commença à prendre luy-même le ſoin de ſes affaires, il ſembla que Dieu nous le donnoit une ſeconde fois, formé de ſa main, & rempli de cette ſageſſe qui fait regner les Rois ; & on le vit paroître dans ſon Conſeil avec des lumieres plus vives & plus penetrantes, que celles de tous ceux qu’il y avoit appellez. Quand la juſte pourſuite de ſes droits l’obligea d’entreprendre la guerre, ſes Generaux & ſes Capitaines les plus expérimentez furent ſurpris de ſe voir moins ſçavans que luy dans le métier de la guerre & dans l’exercice de la diſcipline militaire ; & l’on ſçait qu’il leur enſeigna une maniera rapide de conquérir, dont leur expérience, ni l’Hiſtoire même ne leur fourniſſoit aucun exemple. Je ne parle point de ſa valeur ni de ſon intrépidité dans les hazards, quia fait trembler tant de fois, quoyque diverſement, ſes Sujets & ſes Ennemis ; ce ſont des vertus ordinaires aux Haros. Mais vous, MEsSIEURs, qui connoiſſez toutes les beautez & toutes les graces du diſcours qui ſçavez la peine qu’il y a de les acquérir, quelle a été vôtre ſurpriſe de le voir poſſeder ce précieux don de la parole en un degré de perfection, où perſonne n’eſt jamais peut-être arrivé par la voye de l’étude & des préceptes ? Qu’il me fois permis d’ajoûter à ce que je viens de dire un nouveau ſujet d’étonnement, qu’il e d’une choie qui eſt plus de ma connoiſſance que toutes les autres. C’eſt MESS1EURS qu’il n’y a rien dans les beaux Arts dont il ne voye, dont il ne penetre toutes les graces & toutes les delicateſſes qui ne ſont connuës que des Maîtres, tant il eſt vray que lorſque le bon ſens, ou pour mieux dire la ſageſſe ſe trouve ai, ſouverain degré dans une ame, elle luy tient lieu de toutes les ſciences que les hommes n’ont inventées que pour ſuppléer au défaut de cette ſageſſe. Ainsi donc, MESSIEURS, je regarde ce Grand Monarque comme un modelé parfait & achevé, dont tous les aſpects ſont admirables, & qui eſt mis au milieu de vous pour en tirer des images fidelles qui ne periſſent jamais ; afin que les actions de ce Prince, qui ſont la félicité preſente de ſes peuples, encore utiles à la poſterité, par Ies grands exemples qu’elles donneront aux Princes des ſiecles à venir. Voila le digne objet de vos travaux & de vos veilles. Pour R S je m’efforceray moy, avec le ſecours de MESSIEURS, vos doctes Conferences, de VOUS ſuivre de loin, & de meriter avec le temps la place qu’il vous a plû me donner aujourd’huy dans cette illuſtre Compagnie.