RESPONSE de Mr. L’Abbé REGNIER DES MARAIS, au Difcours prononcé par Mr. l’Evefque de Soiffons, le jour de fa reception.
MONSIEUR,
Il auroit efté à fouhaiter pour l’honneur de l’Académie, que quelqu’un des deux premiers Officiers qu’un heureux fort a mis à fa tefte, au commencement de cette anneée, euft peu préfider à voftre Reception. Elle fe feroit faite avec plus d’éclat ; & le Public auroit eu occafion de remporter une plus haute idée de la Compagnie, quand il auroit veu, ou un illuftre Evefque, ou un grand Cardinal occuper icy la place que je tiens fi mal en leur abfence.
Quelque mal pourtant que je puiffe la remplir, je croy devoir me raffeurer fur ce qui regarde l’honneur & l’intereft de l’Académie. Le Public la connoift trop bien, pour en concevoir là-deffus une opinion moins favorable qu’à l’ordinaire, & tout ce qui peut icy m’entendre, fçait affez que ce n’eft pas fur un fimple particulier, qu’il faut regler le jugement qu’on doit faire de tout un Corps.
Pour vous, MONSIEUR, fi la relation que vous avez avec un grand nombre de ceux qui compofent noftre Compagnie, vous a donné lieu de la connoiftre, par des endroits qui peuvent la rendre chere à tous ceux qui aiment les Lettres, elle vous connoift auffi de fon cofté, par tout ce qu’il y a de plus recommandable dans ceux qui les aiment ; & c’eft ce qui l’a portes vers vous avec un contentement fi unanime.
Tout ce qui peut vous appartenir d’ailleurs, la dignité dont vous eftes revenu, & qui vous donne un fi grand rang dans l’Eglife ; tant de charges, tant de titres qui ont rendu voftre Maifon fi illuffre, & le nom de Sillery fi fameux, tout cela eft à la vérité d’un grand ornement pour le merite. Ce font des marques d’honneur dont l’Académie connoift le prix, & qu’elle refpecte par tout où elle les trouve ; mais elle ne laiffe pas, en mefme temps, de les regarder comme tout à fait étrangeres pour elle.
Dans les fujets qu’elle choifit, elle n’envifage, outre le merite des Lettres, que ce qui doit eftre infeparable d’un homme de Lettres. Et de mefme que les Anciens, qu’elle fait gloire de fe propofer pour modelle, ont creu qu’il falloit eftre homme de bien, pour eftre un excellent Orateur ; de mefme elle eft perfuadée qu’il faut eftre veritablement honnefte homme, pour eftre un véritable Académicien.
Vous ne nous laiffez rien à défirer là-deffus, MONSIEUR, les applaudiffements que vous avez méritez dans les faintes fonctions de la parole, où le miniftere de l’Évangile vous a appellé de bonne heure ; & les differtations fages & judicieufes où vous avez fi bien fouftenu le parti de l’Éloquence, ont fait affez connoiftre à tout le monde voftre éloquence, & voftre érudition, & voftre génie pour les Lettres.
Vous avez ajoufté à tout cela ce que vous ne laiffez entrevoir qu’à peu de perfonnes, un gouft exquis, & une heureufe facilité pour la Poëfie : & de mefme que, dans le fiecle paffé, de grands Evefques, de grands Cardinaux & de grands Papes n’ont pas dedaigné de s’attacher à la cultiver dans leur Langue naturelle ; de mefme vous n’avez pas dedaigné de vous en faire quelquefois un doux & innocent amufement dans la noftre.
Qu’aurions-nous à demander de plus du cofté des talents de l’efprit ? & pour ce qui eft des qualitez du cœur, quand la bonté & la droiture du voftre ne feroient pas connues par tant d’endroits, quel plus feur, & quel plus avantageux tefmoignage pourroit-on jamais en fouhaiter, que voftre eftroite liaifon avec le grand Magiftrat qui eft fi dignement à la tefte du plus augufte Parlement du Royaume, & qui par fon intégrité & par fa fageffe reprefente fi parfaitement les Ariftides & les Catons ; & dont l’amitié précieufe fait l’éloge de tous ceux à qui il la donne.
Vous apportez donc parmi nous, MONSIEUR, tout ce qui peut faire un excellent Académicien : mais il ne nous en falloit pas moins pour nous dédommager de la perte de celuy à qui vous fuccedez. Quelque éclat qu’il ait tiré des illuftres alliances qui l’environnoient de toutes parts, il en a tiré encore davantage de fon propre fonds & de fon propre merite.
Homme public, chargé de la parole & des interefts du Public dans un grand Parlement, quelle réputation d’intégrité de fçavoir, & d’éloquence, ne s’eft-il point acquife ! Homme particulier, retiré des emplois, & vivant à luy mefme & à fes amis, de quelle aimable focieté n’a-t-il point efté dans le commerce du monde ! Et quelle fineffe d’imagination, quel agrément d’efprit, quelle delicateffe de fentiments n’a-t-il point fait voir dans les divers Ouvrages de Poëfie, qui luy font échappez de temps en temps !
On les recherchoit avec empreffement, on les recueilloit avec foin ; & comme tout y portoit le caractere d’un homme aimable & fage, on ne le connoiffoit point par fes Ouvrages, qu’on n’eutt envie de le connoiftre par luy-mefme.
C’eft ainfi que dans la retraite, & au milieu des infirmitez de fes dernieres années, il faifoit profiter le Public des heures de fon loifir : c’eft ainfi que ne pouvant contribuer par fa prefence, au travail de nos exercices ordinaires, il contribuoit par fes Ouvrages à fouftenir la reputation du Corps dont il eftoit : & c’eft ainfi que rien n’a jamais peu l’empefcher d’eftre tousjours uni de cœur & d’efprit avec nous.
Nous efperons la mefme chofe de vous, MONSIEUR, lorfque des emplois plus importants que les noftres vous appelleront à de plus dignes fonctions Les differents devoirs de l’eftat de chacun de ceux qui compofent l’Académie ; les diffferentes relations de la focieté civile, & les diverfes conjonctures d’affaires peuvent nous éloigner les uns des autres, rien ne nous en doit aliener. C’eft le privilege de la liaifon des efprits, de n’eftre point fujette aux inconvenients de la diftance des lieux.
Que fi cette liaifon eft tousjours neceffaire entre toutes les perfonnes d’un mefme Corps, de quelle indifpenfable neceffité n’eft-elle point entre tous les membres d’une Compagnie, qui a Louis LE GRAND pour Chef, & pour Protecteur, & qui par des titres fi glorieux pour elle, a l’avantage de tenir à luy d’une façon plus particulierr que tout le refte de fes Sujets.
N’oublions jamais, MESSIEURS, à quoy une Protection fi finguliere nous engage : & fouvenons-nous fur tout qu’elle nous impofe l’obligation de le faire conuoiftre à toute la Terre & à tous les temps, tel que nous avons la bonne fortune de le connoiftre ; & tel qu’il feroit à defirer que le connuffent tant d’Ennemis, que la jaloufie a réunis contre luy.
C’eft peu de dire qu’il n’en auroit plus depuis long-temps, s’il avoir efté poffible qu’il euft efté tousjours en perfonne à la tefte de fes Armées. Quelque grande que puiffe eftre une pareille idée, & quelque fondement qu’elle puiffe avoir fur le paffé ; ce feroit tousjours une gloire qui luy feroit commune avec d’autres Princes & d’autres Heros ; & du moins il en devroit une partie à la bonté de fes Officiers & de fes Troupes.
Une gloire plus grande, plus pure, & qu’il il auroit à partager avec perfonnne, mais qu’on ne devroit pas moins juftement fe promettre de tant de grandes qualitez que le Ciel a raffemblées en luy ; de cet efprit de fageffe & d’équité qui regne dans tous fes fentiments, & dans toutes fes paroles ; enfin de cet air de douceur & de Majesté qui eft répandu dans toute fa perfonne, & qui luy a tousjours concilié l’amour & la veneration de tout ce qui eft jamais venu à fa Cour de tous les endroits de l’Univers ; c’eft que pour mettre les Ennemis de fon parti, il n’auroit pas mefme befoin d’eftre fuivi de fes Troupes, tousjours fidelles fous luy à la Victoire.
On a dit autrefois que la Vertu fe feroit aimer de tous les hommes, fi elle pouvoit fe monftrer aux hommes auffi aimable qu’elle eft. LOUÏS LE CRAND pouvoit fe faire connoiftre à fes Ennemis, tel qu’il eft, & tel que le connoiffent ceux qui ont l’avantage de l’approcher de prés ; au lieu de tant d’Ennemis qui luy font aujourd’huy la guerre, il n’auroit bien-toft plus que des admirateurs zelez ; & toute l’Europe jouïroit bien-toft avec nous d’une Paix profonde.