RESPONSE de M. l’Abbé REGNIER DES MARAIS Secrétaire de l’Académie au Difcours prononcé par Mr. l’Abbé Abeille, le jour de fa Reception.
MONSIEUR,
La conduite des Compagnies dans une affliction recente, eft bien efloignée de la conduite des Particuliers. Il eft ordinaire alors aux Particuliers de s’abandonner à leur douleur ; & de détourner les yeux de tout ce qui la pourroit foulager. Les Compagnies au contraire ne fe laiffent jamais aller aux plaintes dans les pertes qu’elles font ; & quelque fenfibles qu’elles y foient, elles ne s’occupent que du foin de les réparer.
L’Académie Françoife en a fait deux depuis peu, qu’elle a vivement fenties. Toute l’Eglife, & toute la France ont partagé la premiere avec nous : mais quelque grande qu’elle ait efté, nous l’avons desja réparée auffi heureufement qu’elle pouvoit l’eftre ; & c’eft tout ce qu’il m’eft permis maintenant d’en dire.
Le jour de la Réception d’un Académicien eft tousjours, pour luy & pour nous, une efpece de jour de fefte, où il ne nous eft pas deffendu de jetter quelques fleurs à fon entrée & fur fon paffage. Hors de là, quelque mérite qu’il puiffe avoir apporté parmy nous, ce n’eft plus à nous qu’il appartient de parler du mérite d’un homme, qui ne fait plus avec nous qu’un mefme Corps : c’eft au Public à le dedommager de noftre filence.
A peine avions-nous achevé de rendre les derniers devoirs de la Piété chreftienne au grand Prelat, dont la mémoire nous fera tousjours précieufe, qu’un fecond malheur, un malheur inconnu à l’Académie depuis fa naiffance, nous enleva tout d’un coup celuy qui eftoit à noftre tefte.
Jufques alors il ne nous eftoit point encore arrivé de perdre aucun de ceux qui y font mis de temps en temps par le fort, au choix duquel nous avons accouftumé de nous en rapporter : & du moins durant leur Magiftrature, la Mort les avoit tousjours ou refpectcz ou efpargnez, comme fi c’euft efté un temps où elle n’euft eu aucun droit fur eux.
Celuy qu’elle nous enlevé de la forte, eftoit un Homme célébre par l’éloquence de la Chaire ; propre à fe concilier l’eftime & la bienveillance de tout le monde par le caractere de fon efprit & de fes mœurs ; & cher à l’Académie, par l’attachement qu’il avoit pour elle. Mais que puis-je dire icy de luy, après ce que vous venez de nous en dire, vous, MONSIEUR, qui avez eu avec luy une liaifon fi intime.
C’eft à luy que vous fuccedez ; c’eft à vous à nous racquiter de ce que nous avons perdu en luy : & quoyque vous ayiez pris jufqu’icy une route affez différente de la fienne dans les belles Lettres, vous avez tout ce qu’il faut pour le remplacer dignement dans une Compagnie, qui ne fe bornant pas à une feule forte d’érudition, cherche continuellement à s’enrichir du fonds de toutes les Nations & de tous les fiecles, & qui embraffe tous les divers genres de Littérature.
Il n’y en a guere où vous ne vous foyiez heureufement exercé : mais porté principalement à la Poëfie par voftre gouft, quelle facilité & quelle richeffe de Génie n’avez-vous point fait voir dans les Ouvrages que vous avez donnez d’abord au Public ; & jufqu’où n’avez vous point efté depuis, dans ceux que vous luy avez refufez, & où vous n’avez travaillé que pour l’art & pour vous-mefme.
C’eft la réputation que les uns & les autres vous ont acquife, qui vous a ouvert nos portes : mais ce ne font pas les feuls talents de l’efprit qui font que nous vous les ouvrons avec joye. Ce font d’autres qualitez, fans lefquelles ils ne font guere d’un plus grand prix, que certaines raretez curieufes, qu’on admire dans les Cabinets ; mais qui ne font prefque d’aucun ufage dans le Gcommerce du monde.
Ce que nous préférons à tous les talents que donne la liberalité de la Nature, ou que l’art & l’eftude font acquérir, c’eft la droiture & la nobleffe des fentiments : & que ne devons-nous point croire des voftres, fur le rapport de quelques-uns d’entre nous, & fur le tefmoignage que tant de perfonnes du premier rang s’empreffent, comme à l’envi, de vous rendre ?
Mais de quel tefmoignage pouvez-vous avoir befoin là-deffus, après celuy que vous avez merité d’un des premiers hommes de noftre Siecle, qui vous ayant honoré de fa confiance, & de fon eftime pendant fa vie, s’eft fait un honneur à fa mort, de vous tranfmettre à fes héritiers comme un depoft précieux.
Ces lieux retentiffent encore des acclamations que nous avons données aux Victoires remportées fous fa conduite. Lors que fa mort y eut mis fin, la joye de nos Ennemis ne fit pas un des moins beaux traits de fon Eloge. Accouftumez à le voir tousjours vaincre, ils le regardoient comme un homme avec qui la Victoire avoit pris parti ; & s’imaginant alors qu’elle pourroit paffer dans le leur, ils fe flatoient de l’efperance de vaincre à leur tour.
Mais ils ne fçavoient pas que c’eft avec un General d’un plus haut rang qu’elle s’eftoit engagée pour tousjours ; que c’eft à fes Eftendarts qu’elle eft attachée ; & que c’eft luy qui rempliffant fes Lieutenants de fon efprit, leur communique en quelque forte le don de vaincre, en mefme temps qu’il leur donne le pouvoir de commander.
Prefent à tout par les ordres, il eft tousjours par fes ordres à la tefte de toutes fes Troupes, il atteint d’un extrémité du monde à l’autre ; & le mouvement qu’il donne de fon Cabinet aux Armées victorieufes qui combattent en tant de lieux fous fes Aufpices, eft la glorieufe fource des avantages qu’elles remportent par tout fur tant d’Ennemis.
Qu’ont fait jufqu’icy les prodigieux efforts de tant de Potentats, que la jaloufie de fa grandeur & de fa gloire a de nouveau liguez contre luy, que faire mieux connoiftre fes forces & leur foibleffe ? Et cela, MESSIEURS ne rappelle-t-il pas dans voftre efprit cet endroit d’Homere, où Jupiter dit aux autres Dieux, que s’ils veulent voir combien leur puiffance eft au deffous de la fienne, ils n’ont qu’à fe réunir tous enfemble contre luy feul.
Mais pourquoy chercher dans la Fable des comparaifons aux grands fuccez, que le zele & la pieté d’un fi grand Prince attire tous les jours du Ciel fur fes armes. Ceffons mefme d’attribuer la celerité des expeditions, la prife des Places, le gain des Batailles, à fa fageffe qui prevoit, qui prepare, qui ordonne tout, & à l’ardeur qu’il infpire aux moindres foldats pour executer ce qu’il ordonne. Et remontant à la premiere origine de tant de profperitez, donnons-en, comme luy, toute la gloire à celuy qui en eft le fuprême Auteur ; & qui pour en perpetuer le cours, vient de furpaffer en fa faveur, & en faveur de toute la France, la plus grande des recompenfes temporelles qu’il ait jamais promis de donner à ceux qui le craignent.
Je reviens à vous, MONSIEUR, & à ce qui fait aujourd’huy le fujet de noftre Affemblée. Vous avez fouhaitté une place dans l’Académie, & vous l’avez obtenuë. Mais fouvenez-vous que c’eft moins pour vous que pour nous-mefmes, que nous vous l’avons donnée : Vous l’envifagez maintenant comme glorieufe pour vous ; rendez-la utile pour nous dans la fuite par voftre affiduité à nos Exercices, & en concourant avec nous dans les veuës que nous avons : c’eft le moyen qu’elle vous devienne encore plus glorieufe, qu’elle ne vous a paru.
Car fi dans la place où je fuis, & depuis trente-quatre ans que j’ay l’honneur d’eftre de l’Académie, je puis avoir quelque connoiffance de fes veritables veuës, & quelque droit d’en parler, elles ne fe bornent pas feulement à la perfection de noftre Langue, & à la perfection de l’Éloquence, & de la Poëfie Françoife ; elles tendent à orner l’efprit, & à perfectionner la Raifon par le moyen de l’Eloquence & de la Poëfie, qui ne pouvant jamais avoir de veritables beautez, qui ne foient fondées fur le vray, ne peuvent jamais eftre portées à un haut point d’excellence, fi l’efprit n’eft efclairé par une Raifon droite & lumineufe.